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- « Tôt ou tard, tout devra être dit sans qu'il y ait à se préoccuper exagérément, ni de la fureur des uns, ni de la sotte hostilité des autres. » Charles-André Gilis.
Cette série se composera comme suit :
CHAPITRE I - TENTATIVES INFRUCTUEUSES
partie 1,
partie 2,
partie 3
CHAPITRE II - L’ACCORD SUR LES PRINCIPES
partie 1,
partie 2,
partie 3
partie 4partie 1,
partie 2,
partie 3
CHAPITRE II - L’ACCORD SUR LES PRINCIPES
partie 1,
partie 2,
partie 3
CHAPITRE IV : ENTENTE ET NON FUSION
Partie 1
Partie 2
Partie 3
Ce qu’il y a de commun à toute civilisation normale, ce sont les principes ; si on les perdait de vue, il ne resterait guère à chacune que les caractères particuliers par lesquels elle se différencie des autres, et les ressemblances mêmes deviendraient purement superficielles, puisque leur véritable raison d’être serait ignorée.
Ce n’est pas qu’on ait absolument tort d’invoquer, pour expliquer certaines ressemblances générales, l’unité de la nature humaine ; mais on le fait ordinairement d’une façon très vague et tout à fait insuffisante, et d’ailleurs les différences mentales sont bien plus grandes et vont beaucoup plus loin que ne peuvent le supposer ceux qui ne connaissent qu’un seul type d’humanité.
Ce n’est pas qu’on ait absolument tort d’invoquer, pour expliquer certaines ressemblances générales, l’unité de la nature humaine ; mais on le fait ordinairement d’une façon très vague et tout à fait insuffisante, et d’ailleurs les différences mentales sont bien plus grandes et vont beaucoup plus loin que ne peuvent le supposer ceux qui ne connaissent qu’un seul type d’humanité.
Cette unité même ne peut être nettement comprise et recevoir sa pleine signification sans une certaine connaissance des principes, en dehors de laquelle elle est quelque peu illusoire ; la vraie nature de l’espèce et sa réalité profonde sont des choses dont un empirisme quelconque ne saurait rendre compte.
Mais revenons à la question qui nous a conduit à ces considérations : il ne saurait s’agir en aucune façon de se « spécialiser » dans l’étude de la doctrine hindoue, puisque l’ordre de l’intellectualité pure est ce qui échappe à toute spécialisation. Toutes les doctrines qui sont métaphysiquement complètes sont pleinement équivalentes, et nous pouvons même dire qu’elles sont nécessairement identiques au fond ; il n’y a donc qu’à se demander quelle est celle qui présente les plus grands avantages quant à l’exposition, et nous pensons que, d’une manière générale, c’est la doctrine hindoue ; c’est pour cela, et pour cela seulement, que nous la prenons comme base. Si pourtant il arrive que certains points soient traités par d’autres doctrines sous une forme paraissant plus assimilable, il n’y a évidemment aucun inconvénient à y recourir ; c’est même là encore un moyen de rendre manifeste cette concordance dont nous venons de parler.
Nous irons plus loin : la tradition, au lieu d’être un obstacle aux adaptations exigées par les circonstances, a toujours fourni au contraire le principe adéquat de toutes celles qui ont été nécessaires, et ces adaptations sont absolument légitimes, dès lors qu’elles se maintiennent dans la ligne strictement traditionnelle, dans ce que nous avons appelé aussi l’« orthodoxie ». Si donc de nouvelles adaptations sont requises, ce qui est d’autant plus naturel qu’on a affaire à un milieu différent, rien ne s’oppose à ce qu’on les formule en s’inspirant de celles qui existent déjà, mais en tenant compte aussi des conditions mentales de ce milieu, pourvu qu’on le fasse avec la prudence et la compétence voulues, et qu’on ait d’abord compris profondément l’esprit traditionnel avec tout ce qu’il comporte ; c’est ce que l’élite intellectuelle devra faire tôt ou tard, pour tout ce dont il sera impossible de retrouver une expression occidentale antérieure.
On voit combien cela est éloigné du point de vue de l’érudition : la provenance d’une idée ne nous intéresse pas en elle-même, car cette idée, dès lors qu’elle est vraie, est indépendante des hommes qui l’ont exprimée sous telle ou telle forme ; les contingences historiques n’ont pas à intervenir là-dedans. Seulement, comme nous n’avons pas la prétention d’avoir atteint par nous-même et sans aucune aide les idées que nous savons être vraies, nous estimons qu’il est bon de dire par qui elles nous ont été transmises, d’autant plus que nous indiquons ainsi à d’autres de quel côté ils peuvent se diriger pour les trouver également ; et, en fait, c’est aux Orientaux exclusivement que nous devons ces idées.
Quant à la question d’ancienneté, si on ne la considère qu’historiquement, elle n’est pas non plus d’un intérêt capital ; c’est seulement quand on la rattache à l’idée de tradition qu’elle prend un tout autre aspect, mais alors, si l’on comprend ce qu’est vraiment la tradition, cette question se résout d’une façon immédiate, parce qu’on sait que tout se trouvait impliqué en principe, dès l’origine, dans ce qui est l’essence même de la doctrine, et qu’il n’y avait dès lors qu’à l’en tirer par un développement qui, pour le fond, sinon pour la forme, ne saurait comporter aucune innovation.
Sans doute, une certitude de ce genre n’est guère communicable ; mais, si certains la possèdent, pourquoi d’autres n’y parviendraient-ils pas tout aussi bien pour leur propre compte, surtout si les moyens leur en sont fournis dans toute la mesure où ils peuvent l’être ?
La « chaîne de la tradition » se renoue parfois d’une manière bien inattendue ; et il est des hommes qui, tout en croyant avoir conçu spontanément certaines idées, ont pourtant reçu une aide qui, pour n’avoir pas été consciemment sentie par eux, n’en a pas moins été efficace ; à plus forte raison une telle aide ne doit-elle pas faire défaut à ceux qui se mettent expressément dans les dispositions voulues pour l’obtenir.
Bien entendu, nous ne nions point ici la possibilité de l’intuition intellectuelle directe, puisque nous prétendons au contraire qu’elle est absolument indispensable et que, sans elle, il n’y a pas de conception métaphysique effective ; mais il faut y être préparé, et, quelles que soient les facultés latentes d’un individu, nous doutons qu’il puisse les développer par ses seuls moyens ; tout au moins faut-il une circonstance quelconque qui soit l’occasion de ce développement.
Cette circonstance, indéfiniment variable selon les cas particuliers, n’est jamais fortuite qu’en apparence ; en réalité, elle est suscitée par une action dont les modalités, bien qu’échappant forcément à toute observation extérieure, peuvent être pressenties par ceux qui comprennent que la « postérité spirituelle » est autre chose qu’un vain mot.
Cependant, il importe de dire que les cas de cette sorte sont toujours exceptionnels, et que, s’ils se produisent en l’absence de toute transmission continue et régulière l’effectuant par un enseignement traditionnel organisé (on pourrait en trouver quelques exemples en Europe, ainsi qu’au Japon), ils ne peuvent jamais suppléer entièrement à cette absence, d’abord parce qu’ils sont rares et dispersés, et ensuite parce qu’ils aboutissent à l’acquisition de connaissances qui, quelle que soit leur valeur, ne sont jamais que fragmentaires ; encore faut-il ajouter que les moyens de coordonner et d’exprimer ce qui est conçu de cette façon ne peuvent être fournis en même temps, et qu’ainsi le profit en demeure presque exclusivement personnel (2).
C’est déjà quelque chose, assurément, mais il ne faut pas oublier que, même au point de vue de ce profit personnel, une réalisation partielle et incomplète, comme celle qui peut être obtenue en pareil cas, n’est qu’un faible résultat en comparaison de la véritable réalisation métaphysique que toutes les doctrines orientales assignent à l’homme comme son but suprême (et qui, disons-le en passant, n’a absolument rien à voir avec le « sommeil quiétiste », interprétation bizarre que nous avons rencontrée quelque part, et qui ne se justifie certainement par rien de ce que nous en avons dit).
De plus, là où la réalisation n’a pas été précédée d’une préparation théorique suffisante, de multiples confusions peuvent se produire, et il y a toujours la possibilité de s’égarer dans quelqu’un de ces domaines intermédiaires où l’on n’est point garanti contre l’illusion ; c’est seulement dans le domaine de la métaphysique pure que l’on peut avoir une telle garantie, qui, étant acquise une fois pour toutes, permet ensuite d’aborder sans danger n’importe quel autre domaine, ainsi que nous l’avons indiqué précédemment.
2 Il y aurait ici un rapprochement à faire avec ce que nous avons dit ailleurs à propos des « états mystiques » : ce sont des choses, sinon identiques, du moins comparables ; nous aurons sans doute à y revenir en d’autres occasions.
La vérité de fait peut paraître presque négligeable au regard de la vérité des idées ; cependant, même dans l’ordre des contingences, il y a des degrés à observer, et il y a une manière d’envisager les choses, en les rattachant aux principes, qui leur confère une tout autre importance que celle qu’elles ont par elles-mêmes; ce que nous avons dit des « sciences traditionnelles » doit suffire à le faire comprendre.
Il n’est point besoin de s’embarrasser de questions de chronologie, qui sont souvent insolubles, au moins par les méthodes ordinaires de l’histoire ; mais il n’est pas indifférent de savoir que telles idées appartiennent à une doctrine traditionnelle, et même que telle façon de les présenter a un caractère également traditionnel ; nous pensons qu’il n’est pas nécessaire d’y insister davantage après toutes les considérations que nous avons déjà exposées.
En tout cas, si la vérité de fait, qui est l’accessoire, ne doit pas faire perdre de vue la vérité des idées, qui est l’essentiel, on aurait tort de se refuser à tenir compte des avantages supplémentaires qu’elle peut apporter, et qui, pour être contingents comme elle, ne sont pourtant pas toujours à dédaigner.
Savoir que certaines idées nous ont été fournies par les Orientaux, c’est là une vérité de fait ; cela importe moins que de comprendre ces idées et de reconnaître qu’elles sont vraies en soi ; et, si elles nous étaient venues d’ailleurs, nous n’y verrions point une raison de les écarter a priori ; mais, puisque nous n’avons trouvé nulle part en Occident l’équivalent de ces idées orientales, nous estimons qu’il convient de le dire.
Assurément, on pourrait se faire un succès facile en présentant certaines conceptions comme si on les avait en quelque sorte créées de toutes pièces, et en dissimulant leur origine réelle ; mais ce sont là des procédés que nous ne saurions admettre, et, de plus, cela reviendrait pour nous à enlever à ces conceptions leur véritable portée et leur autorité, car on les réduirait ainsi à n’être en apparence qu’une « philosophie », alors qu’elles sont tout autre chose en réalité ; nous touchons ici, une fois de plus, à la question de l’individuel et de l’universel, qui est au fond de toutes les distinctions de ce genre.
Mais restons, pour le moment, sur le terrain des contingences : en déclarant hautement que c’est en Orient que la connaissance intellectuelle pure peut être obtenue, tout en s’efforçant en même temps de réveiller l’intellectualité occidentale, on prépare, de la seule manière qui soit efficace, le rapprochement de l’Orient et de l’Occident ; et nous espérons qu’on aura compris pourquoi cette possibilité ne doit pas être négligée, puisque c’est à cela que tend principalement tout ce que nous avons dit ici.
La restauration d’une civilisation normale en Occident peut n’être qu’une contingence ; mais, encore une fois, est-ce une raison pour s’en désintéresser totalement, même si l’on est métaphysicien avant tout ?
Et d’ailleurs, outre l’importance propre que des choses comme celle-là ont dans leur ordre relatif, elles peuvent être le moyen de réalisations qui ne sont plus du domaine contingent, et qui, pour tous ceux qui y participeront directement ou même indirectement, auront des conséquences devant lesquelles toute chose transitoire s’efface et disparaît.
Il y a à tout cela des raisons multiples, dont les plus profondes ne sont peut-être pas celles sur lesquelles nous avons insisté le plus, parce que nous ne pouvions songer à exposer présentement les théories métaphysiques (et même cosmologiques en certains cas, par exemple en ce qui concerne les « lois cycliques ») sans lesquelles elles ne peuvent être pleinement comprises ; nous avons l’intention de le faire dans d’autres études qui viendront en leur temps. Comme nous le disions au début, il ne nous est pas possible de tout expliquer à la fois ; mais nous n’affirmons rien gratuitement, et nous avons conscience d’avoir du moins, à défaut de bien d’autres mérites, celui de ne parler jamais que de ce que nous connaissons.
Si donc il en est qui s’étonnent de certaines considérations auxquelles ils ne sont pas habitués, qu’ils veuillent bien prendre la peine d’y réfléchir plus attentivement, et peut-être s’apercevront-ils alors que ces considérations, loin d’être inutiles ou superflues, sont précisément parmi les plus importantes, ou que ce qui leur semblait à première vue s’écarter de notre sujet est au contraire ce qui s’y rapporte le plus directement. Il est en effet des choses qui sont liées entre elles d’une tout autre façon qu’on ne le pense d’ordinaire, et la vérité a bien des aspects que la plupart des Occidentaux ne soupçonnent guère ; aussi craindrions-nous plutôt, en toute occasion, de paraître trop limiter les choses par l’expression que nous en donnons que de laisser entrevoir de trop vastes possibilités.
FIN
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