Cette série est issue du livre de René Guénon - ORIENT et OCCIDENT et se rapporte à la partie II : "Les possibilités de rapprochement".
Le livre en pdf :
- « Tôt ou tard, tout devra être dit sans qu'il y ait à se préoccuper exagérément, ni de la fureur des uns, ni de la sotte hostilité des autres. » Charles-André Gilis.
Cette série se composera comme suit :
CHAPITRE I - TENTATIVES INFRUCTUEUSES
partie 1,
partie 2,
partie 3
CHAPITRE II - L’ACCORD SUR LES PRINCIPES
partie 1,
partie 2,
partie 3
partie 1,
partie 2,
partie 3
CHAPITRE II - L’ACCORD SUR LES PRINCIPES
partie 1,
partie 2,
partie 3
CHAPITRE IV : ENTENTE ET NON FUSION
Partie 1 : ICI
Maintenant, puisqu’il faut, pour réveiller l’intellectualité occidentale, commencer par l’étude des doctrines de l’Orient (nous parlons d’une étude vraie et profonde, avec tout ce qu’elle comporte quant au développement personnel de ceux qui s’y livrent, et non d’une étude extérieure et superficielle à la manière des orientalistes), nous devons indiquer les motifs pour lesquels il convient, d’une façon générale, de s’adresser à telle de ces doctrines de préférence aux autres.
On pourrait, en effet, se demander pourquoi nous prenons pour point d’appui principal l’Inde plutôt que la Chine, ou encore pourquoi nous ne regardons pas comme plus avantageux de nous baser sur ce qui est le plus proche de l’Occident, c’est-à-dire sur le côté ésotérique de la doctrine islamique.
Nous nous bornerons d’ailleurs à considérer ces trois grandes divisions de l’Orient ; tout le reste est, ou de moindre importance, ou, comme les doctrines thibétaines, tellement ignoré des Européens qu’il serait bien difficile de leur en parler d’une façon intelligible avant qu’ils aient compris des choses moins totalement étrangères à leur manière habituelle de penser.
Pour ce qui est de la Chine, il y a des raisons similaires de ne pas s’y attacher en premier lieu : les formes par lesquelles s’expriment ses doctrines sont vraiment trop loin de la mentalité occidentale, et les méthodes d’enseignement qui y sont en usage sont de nature à décourager promptement les mieux doués des Européens ; bien peu nombreux seraient ceux qui pourraient résister à un travail entrepris suivant de semblables méthodes, et, s’il y a lieu assurément d’envisager en tout cas une sélection fort rigoureuse, il faut cependant éviter autant que possible les difficultés qui ne tiendraient qu’à des contingences, et qui proviendraient plutôt du tempérament inhérent à la race que d’un défaut réel de facultés intellectuelles.
Les formes d’expression des doctrines hindoues, tout en étant encore extrêmement différentes de toutes celles auxquelles est habituée la pensée occidentale, sont relativement plus assimilables, et elles réservent de plus larges possibilités d’adaptation ; nous pourrions dire que, pour ce dont il s’agit, l’Inde, occupant une position moyenne dans l’ensemble oriental, n’est ni trop loin ni trop près de l’Occident.
En effet, il y aurait aussi, à se baser sur ce qui en est plus rapproché, des inconvénients qui, pour être d’un autre ordre que ceux que nous signalions tout à l’heure, n’en seraient pas moins assez graves ; et peut-être n’y aurait-il pas beaucoup d’avantages réels pour les compenser, car la civilisation islamique est à peu près aussi mal connue des Occidentaux que les civilisations plus orientales, et surtout sa partie métaphysique, qui est celle qui nous intéresse ici, leur échappe entièrement.
Il est vrai que cette civilisation islamique, avec ses deux faces ésotérique et exotérique, et avec la forme religieuse que revêt cette dernière, est ce qui ressemble le plus à ce que serait une civilisation traditionnelle occidentale ; mais la présence même de cette forme religieuse, par laquelle l’Islam tient en quelque sorte de l’Occident, risque d’éveiller certaines susceptibilités qui, si peu justifiées qu’elles soient au fond, ne seraient pas sans danger : ceux qui sont incapables de distinguer entre les différent domaines croiraient faussement à une concurrence sur le terrain religieux ; et il y a certainement, dans la masse occidentale (où nous comprenons la plupart des pseudo-intellectuels), beaucoup plus de haine à l’égard de tout ce qui est islamique qu’en ce qui concerne le reste de l’Orient.
La peur entre pour une bonne part dans les mobiles de cette haine, et cet état d’esprit n’est dû qu’à l’incompréhension, mais, tant qu’il existe, la plus élémentaire prudence exige qu’on en tienne compte dans une certaine mesure ; l’élite en voie de constitution aura bien assez à faire pour vaincre l’hostilité à laquelle elle se heurtera forcément de divers côtés, sans l’accroître inutilement en donnant lieu à de fausses suppositions que la sottise et la malveillance combinées ne manqueraient pas d’accréditer ; il y en aura probablement de toute façon, mais, lorsqu’on peut les prévoir, il vaut mieux faire en sorte qu’elles ne se produisent pas, si du moins la chose est possible sans entraîner d’autres conséquences encore plus fâcheuses.
C’est pour cette raison qu’il ne nous paraît pas opportun de s’appuyer principalement sur l’ésotérisme islamique ; mais, naturellement, cela n’empêche pas que cet ésotérisme, étant d’essence proprement métaphysique, offre l’équivalent de ce qui se trouve dans les autres doctrines ; il ne s’agit donc en tout ceci, nous le répétons, que d’une simple question d’opportunité, qui ne se pose que parce qu’il convient de se placer dans les conditions les plus favorables, et qui ne met pas en jeu les principes mêmes.
Du reste, si nous prenons la doctrine hindoue pour centre de l’étude dont il s’agit, cela ne veut pas dire que nous entendions nous y référer exclusivement ; il importe au contraire de faire ressortir, à son occasion, et chaque fois que les circonstances s’y prêteront, la concordance et l’équivalence de toutes les doctrines métaphysiques.
Il faut montrer que, sous des expressions diverses, il y a des conceptions qui sont identiques, parce qu’elles correspondent à la même vérité ; il y a même parfois des analogies d’autant plus frappantes qu’elles portent sur des points très particuliers, et aussi une certaine communauté de symboles entre des traditions différentes ; ce sont là des choses sur lesquelles on ne saurait trop attirer l’attention, et ce n’est point faire du « syncrétisme » ou de la « fusion » que de constater ces ressemblances réelles, cette sorte de parallélisme qui existe entre toutes les civilisations pourvues d’un caractère traditionnel, et qui ne peut étonner que les hommes qui ne croient à aucune vérité transcendante, à la fois extérieure et supérieure aux conceptions humaines.
Pour notre part, nous ne pensons pas que des civilisations comme celles de l’Inde et de la Chine aient dû nécessairement communiquer entre elles d’une façon directe au cours de leur développement ; cela n’empêche pas que, à côté de différences très nettes qui s’expliquent par les conditions ethniques et autres, elles présentent des similitudes remarquables ; et nous ne parlons pas ici de l’ordre métaphysique, où l’équivalence est toujours parfaite et absolue, mais des applications à l’ordre des contingences.
Naturellement, il faut toujours réserver ce qui peut appartenir à la « tradition primordiale » ; mais, celle-ci étant, par définition, antérieure au développement spécial des civilisations en question, son existence ne leur enlève rien de leur indépendance.
Du reste, il faut considérer la « tradition primordiale » comme concernant essentiellement les principes ; or, sur ce terrain, il y a toujours eu une certaine communication permanente, établie de l’intérieur et par en haut, ainsi que nous l’indiquions tout à l’heure ; mais cela non plus n’affecte pas l’indépendance des différentes civilisations.
Seulement, quand on se trouve en présence de certains symboles qui sont les mêmes partout, il est évident qu’il faut y reconnaître une manifestation de cette unité traditionnelle fondamentale, si généralement méconnue de nos jours, et que les « scientistes » s’acharnent à nier comme une chose particulièrement gênante ; de telles rencontres ne peuvent être fortuites, d’autant plus que les modalités d’expression sont, en elles-mêmes, susceptibles de varier indéfiniment.
En somme, l’unité, pour qui sait la voir, est partout sous la diversité ; elle y est comme conséquence de l’universalité des principes : que la vérité s’impose pareillement à des hommes qui n’ont entre eux aucune relation immédiate, ou que des rapports intellectuels effectifs se maintiennent entre les représentants de civilisations diverses, c’est toujours par cette universalité que l’une et l’autre chose sont rendues possibles ; et, si elle n’était consciemment assentie par quelques-uns au moins, il ne saurait y avoir d’accord vraiment stable et profond.
A suivre...
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