mardi 18 juin 2019

Les aspects de Satan – poème de René Guénon




  • « Il est convenu qu’on ne peut parler du diable sans provoquer, de la part de tous ceux qui se piquent d’être plus ou moins « modernes », c’est-à-dire de l’immense majorité de nos contemporains, des sourires dédaigneux ou des haussements d’épaules plus méprisants encore ; et il est des gens qui, tout en ayant certaines convictions religieuses, ne sont pas les derniers à prendre une semblable attitude, peut-être par simple crainte de passer pour « arriérés », peut-être aussi d’une façon plus sincère. Ceux-là, en effet, sont bien obligés d’admettre en principe l’existence du démon, mais ils seraient fort embarrassés d’avoir à constater son action effective ; cela dérangerait par trop le cercle restreint d’idées toutes faites dans lequel ils ont coutume de se mouvoir. » René Guénon, L’erreur spirite, chapitre X.


Rappel :
  • «Le "luciférianisme" est le refus de reconnaissance d’une autorité supérieure ; le "satanisme" est le renversement des rapports normaux de l’ordre hiérarchique ; et celui-ci est souvent une conséquence de celui-là, comme Lucifer est devenu Satan après sa chute. »  René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel

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Il serait préférable d’avoir pris connaissance de ces textes avant afin de ne pas faire une « mauvaise lecture » de ce poème :

Le Démiurge (4 parties) :


Et voici un autre extrait tiré de « Satan-Panthée » du même auteur :

« Lumière descendue du céleste séjour,
Unique créateur du monde où nous vivons,
C’est vers Toi que s’en vont aujourd’hui les prières…
Ici l’on ne connaît plus d’autre Dieu que Toi,
Funeste Démiurge, esprit de division Étoile qui tomba du ciel comme un éclair,
Raison qui t’oppose à la divinité…  »


René Guénon fait remarquer que notre monde est celui enfermé dans la dualité et en cela, il est bien sous l'emprise du démon.

Ce monde, avec son « rationalisme » au-delà duquel rien n’existe plus, est bien la négation de la divinité, de la transcendance et de la spiritualité. Toute notre civilisation est sous cette emprise.
Evidemment cela ne concerne pas ceux qui ont su conserver un esprit traditionnel et qui suivent une voie spirituelle puisque justement elle vise à se libérer de ce monde de la matière, de la dualité...





Les aspects de Satan


Satan, vieil Androgyne ! En Toi je reconnais
Un Satyre d’antan que, bien sûr, je croyais
Défunt depuis longtemps. Hélas ! les morts vont vite !
Mais je vois mon erreur et, puisqu’on m’y invite,
J’avouerai qu’à mes yeux ce terrible Satan
D’une étrange façon rappelle le Dieu Pan.

Effroi des bonnes gens, terreur du Moyen Age !
Sans nul doute, le temps t’a changé quelque peu,
Et cependant tes yeux gardent le même feu.
Tes cornes ont poussé et ta queue est plus longue ;
Mais je te reconnais avec ta face oblongue,
Ton front chauve et ridé (tu dois être si vieux !)
Ta solide mâchoire et ta barbe caprine.
Je te reconnais bien, et pourtant je devine
Qu’il a dû se passer certains événements
Qui ne t’ont point laissé sans peines ni tourments.
Qu’est-il donc arrivé ? Qu’y a-t-il qui t’oblige
A éviter le jour de même qu’une Stryge ?
Ton air s’est assombri, toi déjà si pensif
Qu’on voyait autrefois, solitaire et craintif,
Errer dans la campagne en jouant de la flûte
Ou garder tes troupeaux assis devant ta hutte.
Qui donc t’a déclaré la guerre sans merci ?
Qui donc t’a dénoncé comme notre ennemi ?
Je ne l’aurais pas cru, et tu n’y pensais guère
Lorsque tu méditais paisiblement naguère.
Cela est vrai pourtant, ou du moins on le dit,
Et l’on fait là-dessus maint horrible récit.
Traqué de toutes parts, le pauvre Lucifuge
Au porche de l’église a cherché un refuge.
Il faut bien convenir que tu n’es pas très beau,
Tel que je t’aperçois sur ce vieux chapiteau.
Te voilà devenu la hideuse gargouille
Que quelqu’un, ange ou saint, sous ses pieds écrabouille.
Le chrétien te maudit, et le prédicateur
Te montre à chaque instant pour exciter la peur ;
Il te dépeint hurlant, t’agitant dans les flammes,
Et sans cesse occupé à tourmenter les âmes.
L’auditoire frémit, et, tout rempli d’effroi,
Redoute de tomber quelque jour sous ta loi...
Aujourd’hui c’est bien pis, et avec impudence,
Ô comble de disgrâce ! on nie ton existence.

Toi qui épouvantais jadis les plus puissants,
Te voilà devenu un jouet pour enfants !
Quelque vieille dévote, à la piété insigne,
Seule te craint encore et à ton nom se signe.
Moi, je sais qui tu es et je ne te crains pas ;
Je te plains de tout cœur d’être tombé si bas !
Je n’éprouve pour toi ni colère ni haine,
J’implore en ta faveur la Bonté souveraine,
Et j’espère te voir, antique Révolté,
Las enfin et contrit, rentrer dans l’Unité !




II

Satan, roi des Enfers et seigneur de l’Abîme,
Que ton empire est triste en son horreur sublime !
Là tu vis morne et seul ; nul autre que la Mort
N’oserait partager ton lamentable sort.
Si cuisante que soit ta douleur immortelle,
Il doit faire bien froid dans la flamme éternelle !
Ils ont donc menti, ceux qui t’ont dépeint, Satan,
Entouré de ta cour, Béhémoth, Léviathan,
Baal-Zéboub, Moloch, Astaroth, Asmodée,
Une suite nombreuse et richement parée !
Ce faste convient peu à toi dont la souffrance
Est sans bornes et sans fin, le désespoir immense!
Ton orgueil insensé, tu dois le regretter,
O toi qui à Dieu même as voulu t’égaler !
Ne savais-tu donc pas, quoi qu'il puisse paraître,
Que l’Absolu n’est rien, que l’Etre est le Non-Etre ?
Quoi ! Ignorais-tu donc que le haut, c’est le bas ?
Car Dieu est l’Infini, I1 est tout et n’est pas !
Hélas! Tu as payé bien cher ton imprudence,
Et tu as reconnu trop tard ton impuissance !
Tout est-il donc fini ? et faut-il que toujours
Tu passes dans l’Abîme et les nuits et les jours ?
Non! ce n’est pas possible, et ton sort doit quand même
Toucher un jour le cœur de la Bonté suprême !
Ne désespère pas : un jour viendra enfin
Où, après si longtemps, ton tourment prendra fin,
Et alors, délivré de ton sombre royaume,
Tu pourras contempler la clarté du Plérôme !

Ô antique serpent, Nahash que connut bien
Moïse, qui se tut et jamais n’en dit rien,
D’où viens-tu ? Nul ne sait ! Qui es-tu ? Un mystère !
Jadis les Templiers t’appelaient notre Père ;
Pourquoi donc ? Je l’ignore ! Et qu’importe, après tout,
A moi qui ne suis rien, perdu dans le grand Tout ?

René Guénon.





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