vendredi 30 novembre 2018

Ibn Arabî : "Ne recherche pas la compagnie des jinns..."



Extrait de son livre « Aperçus sur la doctrine akbarienne des jinns », Charles-André Gilis rappelle un « conseil spirituel » énoncé par Ibn Arabî dans ses Futûhât.

Ne cherchons pas à nous élever par nous-mêmes ou en nous associant à certaines "puissances" qui sont passées maîtresses dans l'art de contrefaire le divin car c'est ainsi que Satan nous égare.

Dans le symbolisme de la Caverne de Platon, rien n'est plus dangereux que la "station" du feu intermédiaire ; là se concentrent tous les dangers de la déviance. Ce feu se rattache au salut avec ses "avantages" et mais aussi ses "limites" et dangers, si on le prend pour la destination finale (la Délivrance) au lieu d'une simple étape vers la Connaissance.

On perçoit quelques "illusions" de ce monde mais sans pour autant sortir de l'individualité ; c'est le domaine intermédiaire, là où les mauvaises influences agissent "au mieux" pour nous faire croire que cette "lumière" représente la Connaissance effective et que nous sommes parvenus ainsi aux degrés supérieurs par rapport aux "autres". 

Là est la "tentation de l'ampleur" contre laquelle Ibn Arabî met aussi en garde et la "fausse lumière" dont parle Anne-Catherine Emmerich.

C'est particulièrement dans le monde intermédiaire que peuvent intervenir les jinns en encourageant cet "orgueil" ; en effet, il est plus "profitable" à un démon de faire chuter (en le maintenant dans l'illusion) ceux qui ont fait un début de cheminement que ceux qui sont "simples spectateurs" en restant au fond de la caverne. 

Le symbolisme de la caverne initiatique rappelle que c'est dans le cadre de l'initiation seule que nous pouvons espérer atteindre la Délivrance et c'est cela qui est manifesté par "la sortie de la Caverne". Cela n'aura jamais rien à voir avec des "extases" ou autres "sorties astrales".
Jamais aucun état mystique (limité par "définition" même au "troisième œil" c'est-à-dire aux "petits mystères") ou commerce avec les jinns ne parviendra à cela. 

Seule la grâce de Dieu est à rechercher.

Le livre est consultable ici : LIEN




Conseil spirituel (chap. 8)


Ibn Arabî adresse une mise en garde à ceux qui recherchent la compagnie des jinns en vue d’en retirer quelque science :

« L'homme avisé doit fuir les jinns tout autant que les hommes, car leurs assemblées sont peu recommandables. Le bien qui peut en sortir est minime. Leur élément d’origine est le feu, qui est tout le temps en état d’agitation. C’est pourquoi ils se mêlent constamment de tout et sont la plus grande source de séduction mauvaise pour les hommes qui les fréquentent et qu’ils poussent à l’impudeur...
De tous les êtres qui appartiennent au domaine de la nature, les jinns sont les plus ignorants au sujet d’Allah.
Celui qui les fréquente imagine qu’ils peuvent le renseigner sur les êtres qui sont dans le cosmos et sur le devenir du monde, alors qu’ils ne font que reproduire ce qu’ils ont pu entendre et dérober au Plérôme suprême ; il imagine qu’il s’agit d’un don qu’Allah leur a conféré, alors qu’il n’en est rien ! On n’a jamais vu personne fréquenter les jinns et obtenir d’eux une science quelconque au sujet d’Allah. Il n’y a à cela aucune exception. La plus haute préoccupation des esprits d’entre les jinns, et le meilleur qu’ils puissent donner, c’est la science relative aux propriétés des plantes, des arbres, des noms et des lettres, qui relèvent de la magie (sîmîa). Tout ce que l’on peut obtenir d’eux, c’est la science que les lois révélées déclarent blâmable. »

« Si tu vois quelqu’un qui est sincère et prétend avoir fréquenté les jinns, interroge-le et pose lui une question relative à la métaphysique traditionnelle (littéralement : la science divine) : tu constateras qu’il n’en a aucune connaissance véritable (dhawq). Les "hommes d’Allah" (rijâl Allâh) fuient leur compagnie encore plus que celle des hommes, car leur fréquentation fait naître l’orgueil et le mépris des autres. Nous en avons connus qui s’étaient fourvoyés dans leur compagnie. Ils discutaient beaucoup pour le prouver, faisaient de grands efforts dans les œuvres d’adoration, mais se montraient incapables de montrer qu’ils avaient reçu des jinns la moindre trace de science divine. On ne voyait en eux que prétention et hauteur. Nous avons fini par nous en éloigner (complètement) en les laissant à leurs raisonnements et à leurs recherches psychiques ». (38)

Bien entendu, ce texte ne condamne pas les sciences cosmologiques, mais uniquement cette science expérimentale inférieure qu’est la magie. Rappelons que, selon René Guénon, celle-ci est une science « physique au sens étymologique du terme » et que les forces qu’elle met en œuvre « appartiennent à l’ordre subtil et non pas à l’ordre corporel » (39). La magie présente donc une affinité évidente avec les jinns qui appartiennent, eux aussi, au domaine de la manifestation subtile.

38 - Ibid., chap. 51 ; vol. 4, p. 232 de l’éd. O. Yahya.
39 - Aperçus sur l’Initiation, chap. XX.

Toutefois, le plus remarquable ici est la manière dont Ibn Arabî marque, comme dans bien d’autres passages des Futûhât, l’intérêt exclusif qu’il porte à la réalisation métaphysique proprement dite, cette science « d’Allah » et « par Allâh » qui est manifestée par le Prophète de l’islam, et qui, désormais, ne peut être connue que par son intermédiaire, selon l’indication du verset:
« Connaisseur du mystère caché (ghayb). Il ne rend son mystère visible (yuzhiru) à personne, excepté à l’Envoyé qu’Il agrée ; et c’est Lui qui chemine devant lui et derrière lui pour veiller (sur lui) » (Cor., 72, 26-27).

Ces versets se rapportent directement à notre sujet : l’une part, ils se situent à la fin de la sourate « Les jinns » ; de l’autre, l’opposition de ce qui est caché et de ce qui est viable est symbolisée par celle des jinns et des hommes ; enfin les exégètes comprennent habituellement que ce sont les anges qui cheminent devant et derrière l’Envoyé d’Allah pour veiller sur lui et empêcher que le message divin soit dévié par les jinns ou corrompu par l’âme individuelle.

Dans son commentaire ésotérique (40), le Cheikh al-Akbar envisage le terme « envoyé » d’une façon à la fois générale (puisqu’il applique aussi bien aux envoyés d’entre les anges qu’aux envoyés d’entre les hommes) et universelle (puisque l’Envoyé d’Allâh est considéré en tant qu’il détient la science divine dans sa totalité, celle « des premiers et des derniers» (41) ).

40 - Cf. Ibid., chap. 492.
41 - Selon les termes d’un hadîth ; cf. L’Esprit universel de l’Islâm, chap. XXI.

La risala que le Très-Haut agrée est celle de Muhammad, de telle sorte que nul ne peut désormais avoir accès à Son mystère que par l’intermédiaire du Prophète et par la contemplation de Sa forme ; et le Cheikh ajoute : « Ne m’accuse pas de limiter l’immensité de la science ou de t’en dénier l’accès. Ce dont je veux t’empêcher, c’est de rechercher et de recevoir la science des mystères divins autrement que dans la Forme muhammadienne et par la vision de cette Forme, dont l’excellence l’emporte sur toute autre vision ». (42)

42 - Pour le Cheikh al-Akbar : « Aïchâ - qu’Allâh soit satisfait d’elle ! - a fait allusion à cette vérité lorsqu’elle a expliqué le droit (haqq) de l’Envoyé d’Allah - sur lui la Grâce et la Paix ! - en ces termes :
"Celui qui prétend que Muhammad a vu son Seigneur énonce le plus grand mensonge possible au sujet d’Allah, car Celui-ci a dit : Les regards ne peuvent L’atteindre, mais c’est Lui (plutôt) qui atteint les regards (Cor., 6, 103)". »





2 commentaires:

  1. Hello Ligeia
    de retour sur ton blog
    juste une réflexion sur cet article. c'est dire à quel point le chemin de la Délivrance (ou du Salut) est juché de pièges, c'est comme un fil extrêmement fin sur lequel nous marchons, juste pour rappel, par opposition la Bible dit "Larges sont les chemins de la Perdition"

    Dans le Taçawuf, c'est toute l'importance de suivre une voie régulière,car alors c'est le rôle du Maître spirituel de guider l'aspirant et de vérifier si ce dernier n'est pas sujet à des écarts, ex : bien faire la distinction entre le psychique et le spirituel, entre ce qui vient réellement du seigneur, des anges ou ce qui est purement psychique ou qui relève du "Moi"(Ego: ses manifestations peuvent prendre des aspects parfois très subtils)

    Dans les Futûhât chapitre 181 sur la Vénération des Maîtres spirituels, Ibn Arabi explique :

    Les Maîtres spirituels sont les lieutenants de Dieu dans le Monde, à l'instar des envoyés-sur eux la Paix! dans leur temps. Ou plutôt ils sont les héritiers auxquels a été dévolue la science des Lois sacrées de la part des prophètes -sur eux la Paix! - sauf qu'ils ne légifèrent pas, à cet égard ils ont seulement la charge d'assurer le régime de la loi existante dans le domaine génarl, de même que, dans le domaine spécial de l'Elite spirituelle, ils ont le rôle de veiller sur les cœurs et de sauvegarder les règles particulières de la discipline spirituelle...()
    ..mais le propre de la maîtrise spirituelle en fait de la science par Allah c'est de connaître en matière humaine les choses suivantes :
    ..
    ..
    la science des "propos survenus dans la conscience" tant blâmables que louables, et où l'endroit par lequel s'introduit l'illusion qui fait qu'un propos blâmable prend les apparences d'un propos louable
    ..
    savoir quels sont les statuts propres de l'âme individuelle et quels sont ceux de Satan, et qu'est ce qui tombe sous le pouvoir de Satan

    connaître les voiles qui protègent l'homme contre les jets que Satan lance dans son coeur

    discerner entre une "intuition véritable" et une "intuition imaginative", connaître la Théophanie

    ()

    voilà quelques points. en fait le sujet est très vaste et Ibn Arabi a très bien détaillé ces critères




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    1. Salut à toi Hal :-)

      Oh que oui... Nous sommes guettés et encouragés à prendre nos illusions pour seul guide en relativisant voire en réfutant toute autorité supérieure s'exprimant par les Envoyés et les Prophètes.

      A propos du verset coranique « As-tu vu celui qui a pris pour son dieu (ilâh) sa passion.... » (Cor. 25, 43 et 45, 23), Ibn Arabî enseigne qu’en réalité l’homme « n’a jamais adoré que sa passion »...
      (commentaire de C. A. Gilis) :-(

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