Partie 2 : le Labyrinthe
La première
partie ici : https://lapieceestjouee.blogspot.com/2018/11/la-caverne-et-le-labyrinthe-partie-1.html
Voir cet article en complément :
A l’époque, Deucalion, fils de Prométhée, régnait en
Thessalie (région de la Grèce qui s’étend du Nord au sud de l’Olympe) en
compagnie de sa femme Pyrrha.
Mais durant leur règne Zeus résolut de punir la
méchanceté des hommes, l’iniquité de Lycaon et de ses fils y ayant mis le
comble. Il envoya donc un déluge à la terre, et, comme les eaux s’élevaient,
Deucalion ordonna à sa femme Pyrrha d’apprêter l’arche qu’il avait construite
sur l’avertissement de son père Prométhée.
Y entrant, lui et sa femme, ils furent portés sur les
eaux pendant huit jours, et le neuvième, l’arche demeura sur les hauteurs du
Parnasse. Ils laissèrent cette nef sur la cime, et offrirent un sacrifice à
Zeus, lequel envoya Hermès pour exaucer toute prière faite par Deucalion.
Le juste demanda la restauration de la race humaine ;
Hermès dit que lui et sa femme avaient à se couvrir la face de leurs manteaux,
et à jeter derrière eux les os de leur mère sur le chemin. La
sagesse qui venait à ce géant de son père Prométhée lui enseigna que sa
mère, c’était la terre ; il fallait donc jeter simplement des
pierres derrière soi pendant la descente du Parnasse. Les cailloux ainsi semés
devinrent des hommes et des femmes, et commencèrent aussitôt cette dure vie de
labeurs, qui est depuis le lot de l’humanité.
Le labyrinthe, ainsi que l’a bien vu M. J. Knight, a une double raison d’être, en ce sens qu’il permet ou interdit, suivant les cas, l’accès à un certain lieu où tous ne doivent pas pénétrer indistinctement ; ceux qui sont « qualifiés » pourront seuls le parcourir jusqu’au bout, tandis que les autres seront empêchés d’y pénétrer ou s’égareront en chemin.
Le labyrinthe, ainsi que l’a bien vu M. J. Knight, a une double raison d’être, en ce sens qu’il permet ou interdit, suivant les cas, l’accès à un certain lieu où tous ne doivent pas pénétrer indistinctement ; ceux qui sont « qualifiés » pourront seuls le parcourir jusqu’au bout, tandis que les autres seront empêchés d’y pénétrer ou s’égareront en chemin.
On voit immédiatement qu’il y a là l’idée d’une «
sélection » qui est en rapport évident avec l’admission à l’initiation ; le
parcours du labyrinthe n’est donc proprement, à cet égard, qu’une
représentation des épreuves initiatiques ; et il est facile de concevoir que
quand il servait effectivement de moyen d’accès à certains sanctuaires, il
pouvait être disposé de telle façon que les rites correspondants soient
accomplis dans ce parcours même.
D’ailleurs, on trouve là aussi l’idée de «
voyage », sous l’aspect où elle est assimilée aux épreuves elles-mêmes, ainsi
qu’on peut le constater encore actuellement dans certaines formes initiatiques,
dans la maçonnerie par exemple, où chacune des épreuves symboliques est
précisément désignée comme un « voyage ».
Un autre symbolisme équivalent
est celui du « pèlerinage » ; et nous rappellerons à ce propos les labyrinthes
tracés autrefois sur le dallage de certaines églises, et dont le parcours était
considéré comme un « substitut » du pèlerinage en Terre Sainte ; du reste, si
le point auquel aboutit ce parcours représente un lieu réservé aux « élus », ce
lieu est bien véritablement une « Terre Sainte » au sens initiatique de cette
expression ; en d’autres termes, ce point n’est pas autre chose que l’image
d’un centre spirituel, comme l’est également tout lieu d’initiation (8).
Il va de soi, d’autre part, que
l’emploi du labyrinthe comme moyen de défense ou de protection est susceptible
d’applications diverses, en dehors du domaine initiatique ; c’est ainsi que
l’auteur signale notamment son usage « tactique », à l’entrée de certaines
villes antiques et d’autres lieux fortifiés. Seulement, c’est une erreur de
croire qu’il s’agit dans ce cas d’un usage purement profane, qui aurait même
été le premier en date et qui aurait ensuite suggéré l’idée de l’usage rituel ;
il y a là proprement un renversement des rapports normaux, qui est d’ailleurs
conforme aux conceptions modernes, mais à celles-ci seulement, et qu’il est
donc tout à fait illégitime d’attribuer aux civilisations anciennes.
En fait,
dans toute civilisation ayant un caractère strictement traditionnel, toutes
choses commencent nécessairement par le principe, ou par ce qui en est le plus
proche, pour descendre de là à des applications de plus en plus contingentes ;
et, en outre, ces dernières mêmes n’y sont jamais envisagées sous le point de
vue profane, qui n’est, comme nous l’avons déjà souvent expliqué, que le
résultat d’une dégénérescence ayant fait perdre la conscience de leur
rattachement au principe. Dans le cas dont il s’agit, on pourrait assez
facilement s’apercevoir qu’il y a là autre chose que ce qu’y verraient des «
tacticiens » modernes, par la simple remarque que ce mode de défense «
labyrinthique » n’était pas employé seulement contre les ennemis humains, mais
aussi contre les influence psychiques hostiles, ce qui indique bien qu’il
devait avoir en lui-même une valeur rituelle (9).
Dans la cathédrale d'Amiens... |
Mais il y a plus encore : la
fondation des villes, le choix de leur emplacement et le plan suivant lequel
elles étaient construites, étaient soumis à des règles qui relevaient
essentiellement de la « science sacrée », et qui par conséquent étaient fort
loin de ne répondre qu’à des fins « utilitaires », du moins dans le sens
exclusivement matériel qu’on donne actuellement à ce mot ; si complètement
étrangères que soient ces choses à la mentalité de nos contemporains, il faut
pourtant bien en tenir compte, faute de quoi ceux qui étudient les vestiges des
civilisations anciennes ne pourront jamais comprendre le vrai sens et la raison
d’être de ce qu’ils constatent, même pour ce qui correspond simplement à ce
qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le domaine de la « vie ordinaire »,
mais qui alors avait aussi en réalité un caractère proprement rituel et
traditionnel.
8 M.
J. Knight mentionne ces labyrinthes, mais ne leur attribue qu’une signification
simplement religieuse ; il semble ignorer que leur tracé ne relevait aucunement
de la doctrine exotérique, mais appartenait exclusivement au symbolisme des
organisations initiatiques de constructeurs.
9
Nous n’insisterons pas, pour ne pas trop nous écarter du sujet, sur la marche «
labyrinthique » de certaines processions et « danses rituelles » qui, présentant
avant tout le caractère de rites de protection ou « apotropiques », comme le
dit l’auteur, se rattachent directement par là au même ordre de considération :
il s’agit essentiellement d’arrêter et de détourner les influences maléfiques,
par une « technique » basée sur la connaissance de certaines lois suivant
lesquelles celles-ci exercent leur action.
Quant à l’origine du nom même du labyrinthe, elle est assez obscure et
a donné lieu à bien des discussions ; il semble bien que, contrairement à ce
que certains ont pensé, il ne se rattache pas directement à celui de la labrys ou double hache crétoise, mais
que l’un et l’autre dérivent également d’un même mot fort ancien désignant la
pierre (racine la, d’où laos en grec,
lapis en latin), de telle sorte que,
étymologiquement, le labyrinthe pourrait en somme n’être pas autre chose qu’une
construction de pierre, appartenant au genre de constructions dite «
cyclopéennes ».
Cependant, ce n’est là que la signification la plus extérieure de ce
nom, qui, en un sens plus profond, se relie à tout l’ensemble du symbolisme de
la pierre, dont nous avons eu à parler à diverses reprises, soit à propos des «
bétyles », soit à propos des « pierres de foudre » (identifiées précisément à
la hache de pierre ou labrys), et qui
présente encore bien d’autres aspects. M. J. Smith l’a tout au moins entrevu,
car il fait allusion aux hommes « nés de la pierre » (ce qui, notons-le en
passant, donne l’explication du mot grec laos),
dont la légende de Deucalion offre l’exemple le plus connu : ceci se rapporte à
une certaine période dont une étude plus précise, si elle était possible,
permettrait assurément de donner au soi-disant « âge de pierre » un tout autre
sens que celui que lui attribuent les préhistoriens.
Nous sommes d’ailleurs ramené par là à la caverne, qui, en tant qu’elle est creusée dans le roc, naturellement ou artificiellement, tient aussi d’assez près au même symbolisme (10) ; mais nous devons ajouter que ce n’est pas une raison pour supposer que le labyrinthe lui-même ait dû forcément être aussi creusé dans le roc : bien qu’il ait pu en être ainsi dans certains cas, ce n’est là qu’un élément accidentel, pourrait-on dire, et qui ne saurait entrer dans sa définition même, car, quels que soient les rapports de la caverne et du labyrinthe, il importe pourtant de ne pas les confondre, surtout quand il s’agit de la caverne initiatique, que nous avons ici en vue d’une façon plus particulière.
En effet, il est bien évident que, si la caverne est le lieu où s’accomplit l’initiation même, le labyrinthe, lieu des épreuves préalables, ne peut être rien de plus que le chemin qui y conduit, en même temps que l’obstacle qui en interdit l’approche aux profanes « non qualifiés ».
L'antre de la Sybille de Cumes |
Nous
rappellerons d’ailleurs que, à Cumes, c’est sur les portes qu’était représenté
le labyrinthe, comme si, d’une certaine façon, cette figuration tenait lieu ici
du labyrinthe lui-même (11) ; et l’on pourrait dire qu’Énée, pendant qu’il
s’arrête à l’entrée pour la considérer, parcourt en effet le labyrinthe
mentalement, sinon corporellement.
D’autre part, il ne semble pas que ce mode
d’accès ait toujours été exclusivement réservé à des sanctuaires établis dans
des cavernes ou assimilés symboliquement à celles-ci, puisque, comme nous
l’avons déjà expliqué, ce n’est pas là un trait commun à toutes les formes
traditionnelles ; et la raison d’être du labyrinthe, telle qu’elle a été
définie plus haut, peut convenir également bien aux abords de tout lieu d’initiation,
de tout sanctuaire destiné aux « mystères » et non pas aux rites publics.
Cette réserve faite, il y a cependant une raison de penser que, à
l’origine tout au moins, l’usage du labyrinthe a dû être lié plus spécialement
à celui de la caverne initiatique : c’est que l’un et l’autre paraissent avoir
appartenu tout d’abord aux mêmes formes traditionnelles, celles de cette époque
des « hommes de pierre » à laquelle nous avons fait allusion tout à l’heure ;
ils auraient donc commencé ainsi par être étroitement unis, bien qu’ils ne le
soient pas demeurés invariablement dans toutes les formes ultérieures.
10
Les cavernes préhistoriques furent vraisemblablement, non des habitations comme
on le croit d’ordinaire, mais les sanctuaires des « hommes de pierre », entendus
au sens que nous venons d’indiquer ; c’est donc dans les formes traditionnelles
de la période dont il s’agit que la caverne aurait reçu, en rapport avec une
certaine « occultation » de la connaissance, le caractère de symbole des
centres spirituels, et par suite de lieu d’initiation.
11
Un cas similaire, à cet égard, est celui de figures « labyrinthiques » tracées
sur les murs, dans la Grèce antique, pour interdire l’accès des maisons aux
influences maléfiques.
Si nous considérons le cas où le labyrinthe est en connexion avec la
caverne, celle-ci, qu’il entoure de ses replis et à laquelle il aboutit
finalement, occupe par là même, dans l’ensemble ainsi constitué, le point le
plus intérieur et central, ce qui correspond bien à l’idée du centre spirituel,
et ce qui concorde également avec le symbolisme équivalent du cœur, sur lequel
nous nous proposons de revenir.
Il faut encore remarquer que lorsque la même
caverne est à la fois le lieu de la mort initiatique et celui de la « seconde
naissance », elle doit dès lors être regardée comme donnant accès, non pas
seulement aux domaines souterrains ou « infernaux », mais aussi aux domaines
supra-terrestres ; ceci encore répond à la notion du point central, qui est,
tant dans l’ordre macrocosmique que dans l’ordre microcosmique, celui où
s’effectue la communication avec tous les états supérieurs et inférieurs ; et
c’est seulement ainsi que la caverne peut être, comme nous l’avons dit, l’image
complète du monde, en tant que tous ces états doivent s’y refléter également ;
s’il en était autrement, l’assimilation de sa voûte au ciel serait absolument
incompréhensible.
Le Labyrinthe de la Grotte d'Aspremont |
Mais, d’autre part, si c’est dans la caverne même que, entre la mort
initiatique et la « seconde naissance », s’accomplit la « descente aux Enfers »,
on voit qu’il faudrait bien se garder de considérer celle-ci comme représentée
par le parcours du labyrinthe, et alors on peut encore se demander à quoi ce
dernier correspond en réalité : ce sont les « ténèbres extérieures »,
auxquelles nous avons déjà fait allusion, et auxquelles s’applique parfaitement
l’état d’« errance », s’il est permis d’employer ce mot, dont un tel parcours
est l’exacte expression.
Cette question des « ténèbres extérieures » pourrait donner lieu
encore à d’autres précisions, mais ceci nous entraînerait en dehors des limites
de la présent étude ; nous pensons d’ailleurs en avoir dit assez pour montrer,
d’une part, l’intérêt que présentent des recherches comme celles qui sont
exposées dans le livre de M. J. Knight, mais aussi d’autre part, la nécessité,
pour en mettre au point les résultats et pour en saisir la véritable portée,
d’une connaissance proprement « technique » de ce dont il s’agit, connaissance
sans laquelle on ne parviendra jamais qu’à des reconstitutions hypothétiques et
incomplètes, qui, même dans la mesure où elles ne seront pas faussées par
quelque idée préconçue, demeureront aussi « mortes » que les vestiges mêmes qui
en auront été le point de départ.
Source :
Symboles de la Science sacrée, chapitre XXIX.
Egalement publié
dans les Études Traditionnelles, octobre-novembre 1937
Le livre en pdf :
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