dimanche 4 novembre 2018

La Caverne et le Labyrinthe partie 1 sur 2


Partie 1 : La Caverne

Source : Symboles de la Science sacrée, chapitre XXIX.
Egalement publié dans les Études Traditionnelles, octobre-novembre 1937

Le livre en pdf ici :

Voir cet article en complément :
Platon – Le mythe de la Caverne







Dans un livre récent (1), M. Jackson Knight expose d’intéressantes recherches ayant pour point de départ le passage du sixième livre de L’Énéide où sont décrites les portes de l’antre de la Sibylle de Cumes : pourquoi le labyrinthe de Crète et son histoire sont-ils figurés sur ces portes ? Il se refuse très justement à voir là, comme l’ont fait certains qui ne vont pas plus loin que les conceptions « littéraires » modernes, une simple digression plus ou moins inutile ; il estime au contraire que ce passage doit avoir une réelle valeur symbolique, se fondant sur une étroite relation entre le labyrinthe et la caverne, rattachés l’un et l’autre à la même idée d’un voyage souterrain.

Cette idée, suivant l’interprétation qu’il donne de faits concordants appartenant à des époques et à des régions fort différentes, aurait été liée originairement aux rites funéraires, et aurait été ensuite, en vertu d’une certaine analogie, transportée dans les rites initiatiques ; nous reviendrons plus particulièrement sur ce point tout à l’heure, mais nous devons d’abord faire quelques réserves sur la façon même dont il conçoit l’initiation. Il semble en effet envisager celle-ci uniquement comme un produit de la « pensée humaine », doué d’ailleurs d’une vitalité qui lui assure une sorte de permanence à travers les âges, même si parfois il ne subsiste pour ainsi dire qu’à l’état latent ; nous n’avons nullement besoin, après tout ce que nous avons déjà exposé sur ce sujet, de montrer de nouveau tout ce qu’il y a là d’insuffisant, par là même qu’il n’y est pas tenu compte des éléments « supra-humains » qui, en réalité, constituent précisément ici l’essentiel.


Nous insisterons seulement sur ceci : l’idée d’une subsistance à l’état latent amène l’hypothèse d’une conservation dans un « subconscient collectif » emprunté à certaines théories psychologiques récentes ; quoi qu’on puisse penser de celles-ci, il y a en tout cas, dans l’application qui en est ainsi faite, une complète méconnaissance de la nécessité de la « chaîne » initiatique, c’est-à-dire d’une transmission effective et ininterrompue.

1 W.F. Jackson Knight, Cumaean Gates, a reference of the Sixth « Æneid » to Initiation Pattern (Basil Blackwell, Oxford).

Il est vrai qu’il y a une autre question qu’il faut bien se garder de confondre avec celle-là : il a pu arriver parfois que des choses d’ordre proprement initiatique trouvent à s’exprimer à travers des individualités qui n’étaient nullement conscientes de leur véritable signification, et nous nous sommes expliqué précédemment là-dessus à propos de la légende du Graal (2) ; mais, d’une part, cela ne touche en rien à ce qui concerne l’initiation elle-même dans sa réalité, et, d’autre part, on ne saurait envisager ainsi le cas de Virgile, chez qui il y a, tout comme chez Dante, des indications beaucoup trop précises et trop manifestement conscientes pour qu’il soit possible d’admettre qu’il ait été étranger à tout rattachement initiatique effectif. Ce dont il s’agit n’a rien à voir avec l’« inspiration poétique » telle qu’on l’entend aujourd’hui, et, à cet égard, M J. Knight est certainement trop disposé à partager les vues « littéraires » auxquelles sa thèse s’oppose pourtant par ailleurs ; mais nous n’en devons pas moins reconnaître tout le mérite qu’il y a, pour un écrivain universitaire, à avoir le courage d’aborder un tel sujet, voire même simplement de parler d’initiation.

Les "sept Dormants" ou les "Gens de la Caverne"

Cela dit, revenons à la question des rapports de la caverne funéraire et de la caverne initiatique : bien que ces rapports soient assurément très réels, l’identification de l’une et de l’autre, quant à leur symbolisme, ne représente tout au plus qu’une moitié de la vérité. Remarquons d’ailleurs que, même au seul point de vue funéraire, l’idée de faire dériver le symbolisme du rituel, au lieu de voir au contraire dans le rituel lui même le symbolisme en action qu’il est vraiment, met déjà l’auteur dans un grand embarras lorsqu’il constate que le voyage souterrain est presque toujours suivi d’un voyage à l’air libre, que beaucoup de traditions représentent comme une navigation ; cela serait en effet inconcevable s’il ne s’agissait que de la description imagée d’un rituel d’enterrement, mais s’explique au contraire parfaitement quand on sait qu’il s’agit en réalité de phases diverses traversées par l’être au cours d’une migration qui est bien véritablement « d’outre-tombe », et qui ne concerne en rien le corps qu’il a laissé derrière lui en quittant la vie terrestre. 

Indonésie, caverne funéraire

D’autre part, en raison de l’analogie qui existe entre la mort entendue au sens ordinaire de ce mot et la mort initiatique dont nous avons parlé en une autre occasion, une même description symbolique peut s’appliquer également à ce qui advient à l’être dans l’un et l’autre cas ; là est, quant à la caverne et au voyage souterrain, la raison de l’assimilation envisagée, dans la mesure où elle est justifiée ; mais, au point où elle doit légitimement s’arrêter, on n’en est encore qu’aux préliminaires de l’initiation, et non point à l’initiation elle-même.

2 [Voir ch. III et IV.]

En effet, on ne peut voir en toute rigueur qu’une préparation à l’initiation, et rien de plus, dans la mort au monde profane suivie de la « descente aux Enfers » qui est, bien entendu, la même chose que le voyage dans le monde souterrain auquel la caverne donne accès ; et, pour ce qui est de l’initiation même, bien loin d’être considérée comme une mort, elle l’est au contraire comme une « seconde naissance », ainsi que comme un passage des ténèbres à la lumière. Or, le lieu de cette naissance est encore la caverne, du moins dans les cas où c’est dans celle-ci que l’initiation s’accomplit, en fait ou symboliquement, car il va de soi qu’il ne faut pas trop généraliser et que, de même aussi que pour le labyrinthe dont nous parlerons ensuite, il ne s’agit pas là de quelque chose qui soit nécessairement commun à toutes les formes initiatiques sans exception.

La même chose apparaît du reste, même exotériquement, dans le symbolisme chrétien de la Nativité, tout aussi nettement que dans d’autres traditions ; et il est évident que la caverne comme lieu de naissance ne peut pas avoir précisément la même signification que la caverne comme lieu de mort ou de sépulture. On pourrait cependant faire remarquer, pour relier du moins entre eux ces aspects différents et même apparemment opposés, que mort et naissance ne sont en somme que les deux faces d’un même changement d’état, et que le passage d’un état à un autre est toujours regardé comme devant s’effectuer dans l’obscurité (3) ; en ce sens, la caverne serait donc, plus exactement, le lieu même de ce passage : mais ceci, tout en étant strictement vrai, ne se réfère encore qu’à l’un des côtés de son symbolisme complexe.


Si l’auteur n’a pas réussi à voir l’autre côté de ce symbolisme, cela est dû très probablement à l’influence exercée sur lui par les théories de certains « historiens des religions » : à la suite de ceux-ci, il admet en effet que la caverne doit toujours être rattachée à des cultes « chthoniens », sans doute pour la raison, un peu trop « simpliste », qu’elle est située à l’intérieur de la terre ; mais cela est bien loin de la vérité (4).

Pourtant il ne peut faire autrement que de s’apercevoir que la caverne initiatique est donnée avant tout comme une image du monde (5) ; mais son hypothèse l’empêche d’en tirer la conséquence qui s’impose cependant, et qui est celle-ci : dès lors qu’il en est ainsi, cette caverne doit former un tout complet et contenir en elle-même la représentation du ciel aussi bien que celle de la terre ; s’il arrive que le ciel soit expressément mentionné dans quelque texte ou figuré dans quelque monument comme correspondant à la voûte de la caverne, les explications proposées à ce sujet deviennent tellement confuses et peu satisfaisantes qu’il n’est plus possible de les suivre. 
La vérité est que, bien loin d’être un lieu ténébreux, la caverne initiatique est éclairée intérieurement, si bien que c’est au contraire au-dehors d’elle que règne l’obscurité, le monde profane étant naturellement assimilé aux « ténèbres extérieures », et la « seconde naissance » étant en même temps une « illumination (6) ».

3 On pourrait rappeler aussi, à cet égard, le symbolisme du grain de blé dans les mystères d’Éleusis.
4 Cette interprétation unilatérale le conduit à une singulière méprise : il cite, parmi d’autres exemples, le mythe shintoïste de la danse exécutée devant l’entrée d’une caverne pour en faire sortir la « déesse ancestrale » qui s’y était cachée ; malheureusement pour sa thèse, il ne s’agit point là de la « terre-mère », comme il le croit et le dit même expressément, mais bien de la déesse solaire, ce qui est tout à fait différent.
5 Dans la maçonnerie, il en est de même de la loge, dont certains ont même rapproché la désignation du mot sanscrit loka, ce qui est en effet exact symboliquement, sinon étymologiquement ; mais il faut ajouter que la loge n’est pas assimilée à la caverne, et que l’équivalent de celle-ci se trouve seulement, dans ce cas, au début même des épreuves initiatiques, de sorte qu’il ne s’y attache d’autre sens que celui de lieu souterrain, en rapport direct avec les idées de mort et de « descente ».
6 Dans le symbolisme maçonnique également, et pour les mêmes raisons, les « lumières » se trouvent obligatoirement à l’intérieur de la loge ; et le mot loka, que nous rappelions tout à l’heure, se rattache aussi directement à une racine dont le sens premier désigne la lumière.

Maintenant, si l’on demande pourquoi la caverne est envisagée de cette façon au point de vue initiatique, nous répondrons que la solution de cette question se trouve, d’une part, dans le fait que le symbole de la caverne est complémentaire de celui de la montagne, et, d’autre part, dans le rapport qui unit étroitement le symbolisme de la caverne à celui du cœur ; nous nous proposons de traiter séparément ces deux points essentiels mais il n’est pas difficile de comprendre, d’après tout ce que nous avons déjà eu l’occasion d’exposer par ailleurs, que ce dont il s’agit est en relation directe avec la figuration même des centres spirituels. Nous passerons sur d’autres questions qui, si importantes qu’elles soient en elles-mêmes, n’interviennent ici qu’accessoirement, comme, par exemple, celle de la signification du « rameau d’or » ; il est fort contestable qu’on puisse identifier celui-ci, si ce n’est peut-être sous un aspect très secondaire, au bâton ou à la baguette qui, sous des formes diverses, se rencontrent très généralement dans le symbolisme traditionnel (7).

Thésée, le Minotaure, le fil d'Ariane et le labyrinthe.... toute une symbolique !

Sans insister davantage là-dessus, nous examinerons maintenant ce qui concerne le labyrinthe, dont le sens peut paraître plus énigmatique encore, ou tout au moins plus dissimulé, que celui de la caverne, et les rapports qui existent entre celle-ci et celui-là.

7 Il serait certainement beaucoup plus juste d’assimiler ce « rameau d’or » au gui druidique et à l’acacia maçonnique, sans parler des « rameaux » de la fête chrétienne qui porte précisément ce nom, en tant que symbole et gage de résurrection et d’immortalité.

A suivre...

3 commentaires:

  1. En tout cas, je ne te remercierai jamais assez pour tous ces textes que tu place et permettent d'apprendre et se concentrer sur des informations anciennes (revenir sur nos pas, afin de retrouver la bonne route).

    Je crois véritablement, qu'en dehors d'une élévation ou pas, la mission première de l'humain sur cette terre et dans cette incarnation, soit d'apprendre.

    Pas apprendre pour "en faire quelque chose", pour transformer une somme de connaissances en "matière utilisable" (qui n'aiguise que la voracité), et évidemment monnayable (sorte de sacralisation de la voracité), mais plutôt, pour continuer à façonner cette glaise pour qu'elle ressemble le plus possible à son créateur, ou, pour être plus modeste, mais peut être plus réaliste : pour que nous fassions moins "honte" à ses yeux.

    Ce n'est pas gagné, car, même avec une vie quasi ascétique, en pensant à Dieu tous les jours, l'incommensurable orgueil humain, qui n'accepte de ne plier qu'un temps, se révolte régulièrement à travers des considérations purement égotiques, plus ou moins mal maquillées.
    Et tout est à recommencer.

    Dans les accords toltèques, l'avant propos souligne la vie morne que les humains se sont construite, il répond à la question que je me posais : la terre ne serait elle pas l'enfer, ou une partie de l'enfer ou peut être une sorte de purgatoire pour des entités qui se seraient mal comportées ?




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    1. Merci à toi Lion... Je ne suis qu'un "outil" mais j'ai plaisir à l'être et à accomplir ce que je pense être juste. Il s'agit d'ailleurs plutôt d'un partage car avec les commentaires, je dois aussi approfondir certains points donc cela me "profite" à moi aussi. :-)

      Vie morne, factice et vide de sens en effet tant qu'on ne la remplit pas avec l'essentiel !

      Nous ne sommes pas sur Terre pour être punis de quelque chose je crois mais pour y retrouver notre soumission à Dieu au travers des épreuves et des tentations.

      Un double écueil nous guette :
      Un premier dans le fait de savoir que nous avons été créés « selon la Forme divine » et donc d’en tirer une forme d’orgueil encouragé en cela par notre libre-arbitre et par Satan ; il est d’ailleurs dit que « « Parmi les plus grandes séductions au moyen desquelles Allâh a soumis l’homme à la tentation, il y a le fait de lui avoir fait savoir qu’Il l’avait créé selon Sa Forme ; et cela, afin de voir s’il garderait à l’esprit sa servitude et sa contingence ou si, au contraire, il tirerait vanité du degré éminent attaché à cette Forme.... prends donc garde à toi-même, car la tentation qui découle de l’ampleur est pire que celle qui provient de la gêne et de l’étroitesse. »

      Un deuxième découlant du premier : la rébellion contre Dieu face à ces épreuves, considérées comme « injustes ». Mais QUI peut se permettre de comprendre les desseins de Dieu et de les juger, à part celui qui justement se prend lui-même pour un dieu ?
      Dieu désormais est un "copain" avec qui on discute d'égal à égal, on compte sur Sa miséricorde "au cas où" pour tout pardonner et partant de là, on ne Le craint même plus ; et pourtant il est précisé : "Sont seuls à craindre Allah, parmi Ses serviteurs, ceux qui possèdent la Science" (Cor., 35, 28)
      Dans ce domaine, il y a des "craintes pieuses, de saines et salutaires terreurs" qui valent bien mieux qu’une telle désinvolture.

      Les épreuves sont donc nécessaires pour nous élever et retrouver la « servitude parfaite ». :-)

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  2. Oui, je repense à ce personnage dans le film russo arménien : Earthquake (2016) ; où le vieil homme demande à Dieu pourquoi tant de souffrance ? Alors, qu'à lui même, il lui a fallu en arriver à ce point pour comprendre où était l'essentiel.
    L'aurait il compris sans ce terrible tremblement de terre ?

    Mais je vois Dieu comme une entité (je vois des mains sculpter un personnage dans une matière terrible, avec une joie et un amour infini et un souffle lui donner la vie intérieure) qui a choyé sa créature (comme une mère). La créature, se comporte, en retour, comme une ingrate (c'est encore plus mortifiant que de penser à sa colère ; car la colère engendre la colère ; mais blesser quelqu'un (une entité, une essence) de prévenant joyeux, plein de compassion, constitue une blessure épouvantable, en retour).

    Le problème là dedans, est que ceux qui s'en fichent, ne ressentent pas cette sensation de "chance incommensurable, effroyablement abîmée par leur propre attitude", ils ne "comprennent" que les souffrances effectives et encore, pas tous.

    Une image avec la musique d'un film, me fait penser à la condition humaine : mi ange/ mi démon : on pourrait presque entendre : 'je t'avais fait le plus beau (intérieurement) et voilà ce que tu es devenu, à te complaire dans le vice et les péchés". Qu'as tu fait ? :

    La qualité de l'image et de la musique ne sont pas maximales, en plus, la vidéo bugge à 4 minutes, mais l'important du "propos" est dans les premières mesures avec cette image duelle :

    https://www.youtube.com/watch?v=OH6Zb5tk77A&list=RDOH6Zb5tk77A&index=1


    En tout cas, lire ici et échanger m'aura permis d'avancer (et continuer pour les mois qu'il reste, car, il ne fait aucun doute que le "mois de mai" ne sera pas joli/joli - si tout tient debout jusque là - ).


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