Suite du
livre de Charles-André Gilis.
Chapitres précédents :
Partie I :
Partie I :
Chapitre 1 : La Loi universelle
Article
complémentaire :
Sur les
liens entre le "Arda et Zerfas" de Nostradamus, le "Arets ha
Tserphat" de Guénon, et le nom hébreu de la France : https://lapieceestjouee.blogspot.com/2018/09/deux-informations-sur-la-fin-de-notre.html
II. LE STATUT DU PEUPLE
JUIF
Élection et déchéance
Pour pouvoir mettre en lumière le
sens du sionisme, il nous faut examiner à présent la signification particulière
qui est celle de la religion judaïque du point de vue du Droit sacré.
Au moment de la naissance de l’islâm, les juifs étaient un peuple en
tribulation et le judaïsme en exil une nouvelle fois. Le second Temple avait
été détruit comme le premier, et l’on conviendra que l’islâm « historique »
n’avait été pour rien dans ces destructions. La révélation coranique donne,
comme toujours, les clés qui permettent de comprendre les raisons
traditionnelles de cette tribulation et de cet exil.
L’excellence initiale du judaïsme tenait au fait qu’il fut le premier
à proclamer une doctrine qui allait prévaloir durant toute la période finale du
cycle humain : le monothéisme. Cette nouveauté radicale, du moins dans le
domaine formel, fut providentiellement liée au choix d’un peuple particulier
chargé par Dieu d’en être le support.
De là découle l’ « élection » des juifs qui leur permit d’assumer
pendant des siècles cette mission divine en dépit de l’incompréhension et de
l’hostilité renouvelée et secrètement envieuse des peuples qui les entouraient.
Toutefois, l’avènement de grands empires constitués principalement autour de la
Méditerranée allait rendre nécessaire une adaptation du judaïsme qui, sans
remettre en cause son excellence, était destinée à lui donner une audience et une
portée plus universelles. En effet, la notion de « peuple élu » avait donné
naissance à un particularisme dont les Romains du temps de l’Empire dénonçaient
les excès en ces termes :
« Passe encore que les juifs se contentent de vénérer exclusivement, mais
discrètement le Dieu unique, le Dieu de tout le monde ; mais par un excès
d’orgueil que rien ne justifie, ils se sont avisés de faire de ce Dieu
universel, en même temps le Dieu particulier de leur race ; il est leur
découverte, leur monopole, leur chose ; ils veulent l’imposer aux autres
nations avec les formes toutes locales, toutes nationales qu’a revêtues son
culte à Jérusalem. » (20)
Le temps était venu, non pas d’abolir la loi moïsiaque, mais de la
transformer. Un nouveau prophète-législateur fut envoyé au peuple juif en la
personne de Jésus de Nazareth. La réalité et la légitimité de sa mission sont
confirmées dans le Coran de la manière la plus certaine puisque le fils de
Marie est qualifié d’ « envoyé aux enfants d’Israël » (21). La fonction de rasûl, équivalente à celle de Moïse,
impliquait le droit et le pouvoir de modifier la loi sacrée que ce dernier
avait instituée. Pourtant, en dépit de son caractère divin et providentiel, la
mission de Jésus ne fut pas reconnue par les juifs.
20
Th. Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au judaïsme, cité par
G. Fau, Le Dossier juif, p.44.
21
Cf. Cor., 3, 49.
Ce déni était d’une gravité extrême car, selon l’enseignement
universel de l’islâm, non seulement ‘Îsâ
(Jésus) avait qualité de rasûl
(envoyé divin), mais en outre il avait été envoyé de manière spécifique aux «
Enfants d’Israël ».
Il ne s’agissait donc pas d’un simple prophète comme il y en avait
tant d’autres avant lui, chargé de rappeler au peuple juif l’alliance conclue
avec son Dieu sur le mont Sinaï et de le ramener à l’obéissance de la loi
moïsiaque, mais bien de modifier cette loi en vertu de l’investiture divine qui
lui avait été conférée. Dénier à un envoyé divin son droit, c’est se révolter
contre Dieu.
De plus, la mission de Jésus avait pour but de transformer le judaïsme
sans remettre en cause l’excellence des juifs en tant que peuple élu, de sorte
que le rejet de cette mission eu pour effet d’entraîner la fin de cette
excellence. Le peuple juif fut destitué de la charge qui lui avait été
conférée, celle de proclamer le monothéisme parmi les nations. Pour avoir
ignoré la fonction de Jésus, il devint ignorant de son propre destin et ne
comprit pas la cause de sa déchéance. Il fut sanctionné et dispersé. Il cessa
d’être un peuple élu pour devenir un peuple exilé. Le Temple de Jérusalem,
siège de sa puissance temporelle et de son rayonnement spirituel fut détruit.
Toute manifestation extérieure de souveraineté lui fut désormais interdite.
A cette condition, mais à cette condition seulement, les juifs purent
maintenir leur religion avec l’ensemble des possibilités qu’elle comportait
encore, notamment dans l’ordre ésotérique et initiatique, car toute fidélité
traditionnelle entraîne une bénédiction et une récompense. Ils gardèrent
toujours l’espoir que ces sanctions divines seraient un jour levées, mais ils
savaient aussi de manière certaine qu’ils ne devaient pas chercher à s’y
dérober en s’appuyant sur leurs propres forces, ni entrer en conflit avec les
nations au sein desquelles ils avaient été dispersés.
L’orthodoxie judaïque indique sans ambiguïté l’attitude spirituelle
qui convenait au peuple juif dans cette circonstance : une soumission parfaite
à la volonté principielle et au décret divin. Ce statut nouveau, qui faisait du
judaïsme une tradition « mineure » et relativement incomplète est évoqué dans
le Coran en ces termes :
« Si Allâh n’avait prescrit l’exil à leur encontre, Il les aurait
châtiés en ce monde et ils auraient encouru dans la vie future le châtiment du
Feu » (Cor., 59,3).
Du point de vue historique, ce verset s’applique aux Banû Nadîr, tribu juive installée près
de Médine qui avait conclu un pacte avec le Prophète au moment de l’Hégire.
Lorsqu’ils comprirent que l’instauration de la sharî’a ne leur donnait d’autre choix que de se convertir à l’islâm
ou bien de pratiquer l’islâm en acceptant la loi d’infériorité que la loi
islamique avait confirmé pour les juifs, ils ne purent résister à la tentation
de se ranger aux côtés des polythéistes mekkois et cessèrent de soutenir un
prophète issu d’Ismaël qui proclamait une lois sacrée universelle abrogeant le
particularisme judaïque. Ils trahirent le pacte conclu avec Muhammad, ce qui
entraîna la sanction divine édictée par ce verset.
On remarque toutefois que
celui-ci s’exprime en termes généraux et qu’il peut s’appliquer aussi à la
cause première et générale de l’exil auquel fut condamné le peuple juif dans
son ensemble, à savoir son refus de reconnaître la mission de Jésus.
Un statut de miséricorde
Contrairement à ce qui peut apparaître de prime abord ou à une
mentalité profane, le verset que nous avons cité est en réalité un verset de
miséricorde puisque l’exil permettait au juifs d’échapper au châtiment, non
seulement dans la vie future, mais aussi en ce monde.
La possibilité et le droit d’exercer leur religion avec l’ensemble des
rites exotériques et ésotériques qu’elle comportait étaient ainsi garantis, à
condition qu’ils n’impliquassent pas la manifestation extérieure d’une
souveraineté spirituelle ou temporelle. Ce statut de miséricorde apparaît plus
clairement encore quand on l’envisage dans une perspective initiatique, car la
restriction qu’il comporte se retrouve dans d’autres situations et correspond
alors simplement à des considérations d’opportunité cyclique tout à fait
étrangères à l’idée de sanction.
Il ne faut pas oublier que les principales fonctions pouvant entraîner
une souveraineté extérieure, comme celle de « sceau », de « mahdî », de « calife » sont avant tout des « Stations initiatiques » qui
n’impliquent nullement par elles-mêmes de telles extériorisations. Lorsque
celles-ci s’opèrent dans des contextes cycliques qui ne leur conviennent pas,
elles engendrent des troubles et des malentendus : un saint peut avoir réalisé
initiatiquement le degré du « mahdi » ou du « sceau des saints » sans avoir
pour autant le droit de manifester au dehors la fonction correspondante.
La légitimité de l’affirmation intérieure n’implique pas
nécessairement celle de la proclamation publique, qui peut être cycliquement
inopportune et entraîner la création de sectes ou de mouvements guerriers
éphémères.
Au sujet de la sanction prise à l’égard du peuple juif, citons encore
le passage coranique qui précède celui cité plus haut : « C’est Lui (Allâh) qui
a chassé de leurs demeures les mécréants d’entre les Gens du Livre en préalable
au Rassemblement (li-awwali-l-hashri)…
» (Cor., 59,2).
Les commentateurs s’accordent à penser que ce rassemblement est celui
des hommes au Jour de la Résurrection, de sorte que le jugement particulier
pris à l’encontre des juifs apparaît comme une annonce de ce que sera pour eux
le Jugement dernier.
Sous cet aspect également, il s’agit en principe d’une bonne nouvelle
puisque l’acceptation de leur statut actuel en ce monde les préserve du
châtiment du Feu dans la vie future qui est, selon l’expression du Coran, «
meilleure et plus durable » (22) que celle d’ici-bas ; mais, bien entendu,
cette annonce n’est de bon augure qu’à la condition que les juifs se plient à
la sanction qui a été prise contre eux en se confortant à sa lettre et à son
esprit.
Sur ce point, on soulignera qu’il y a un accord parfait entre le
judaïsme orthodoxe du point de vue traditionnel (23) et l’enseignement de
l’islâm.
22
Cf. Cor., 87,17.
23 Cette nuance s’impose car l’orthodoxie
du judaïsme ne peut aucunement être assimilée à celle des partis «
ultra-religieux » ou « ultra-orthodoxes » qui impliquent par définition, une
certaine intrusion dans le domaine politique.
Le destin de Rome
Un autre aspect remarquable est que le châtiment encouru par les juifs
pour avoir méconnu la qualité de Jésus fut infligé par l’Empire romain : c’est
Titus, fils de l’empereur Vespasien, qui détruisit le Temple de Jérusalem en 70
après Jésus-Christ.
C’est lui qui fut l’instrument de Dieu à ce moment capital pour
l’Occident traditionnel. Sans doute ne pouvait-il avoir lui-même une idée de la
raison véritable pour laquelle le peuple juif était si gravement sanctionné.
Néanmoins, il ne faudrait pas tirer de cette ignorance des conclusions trop
hâtives car, d’une part, Titus eut pris conscience du caractère divin de l’acte
qu’il accomplissait :
« Lorsque Titus eut pris Solyme (Jérusalem), que tout était plein de
cadavres et que les nations voisines lui apportaient des couronnes, il se
déclara indigne de pareils honneurs, car cet exploit n’était pas son œuvre ; il
n’avait fait que prêter son bras à la colère de la divinité » (24) ; d’autre
part l’échec de la mission du Christ en tant que rasûl « envoyé aux Enfants d’Israël » allait s’accompagner d’une
adaptation de son message qui en sauvegarderait l’universalité, mais qui
cesserait de s’appuyer – et pour cause ! – sur la loi judaïque : ce fut le
Christianisme, dont Rome devint le centre visible, siège de son autorité
spirituelle et de sa souveraineté temporelle.
Ce n’est donc pas uniquement le judaïsme qui changeait de nature, mais
aussi l’Empire romain dont Titus était le représentant. Il y eut là, de toute
évidence, un plan divin dont la finalité pouvait échapper aux individualités
choisies pour le mettre en œuvre. Ses effets se sont prolongés jusqu’à nos
jours.
24
Philostrate, Vie d’Appolonius de Tyane, VI-29, cité par Fau, op.cit., p.94.
Le retour à Abraham
Dans la perspective cyclique que nous venons d’indiquer, la
proclamation de l’islâm constituait en vérité un retour aux origines.
L’antagonisme entre le judaïsme, forme traditionnelle qui ne
représentait plus une élite, mais une simple loi particulière, et le
christianisme, tradition universelle dépourvue de loi et de langue sacrée,
était surmonté par une révélation qui se présentait comme une manifestation
finale de la Religion pure et de la Tradition originelle.
La dualité de « Mûsa » et de
« ‘Îsâ », les deux prophètes aux noms
semblables, envoyés l’un et l’autre aux Enfants d’Israël, était effacée au
moyen d’une référence directe de la fonction d’Abraham, considéré, du point de
vue cyclique comme le père du monothéisme et, d’un point de vue intemporel,
comme le représentant par excellence de la spiritualité primordiale.
Pourtant, après avoir méconnu Jésus, porteur d’un message divin qui
lui était spécialement destiné, le peuple juif rejeta aussi Muhammad. Les juifs
se mirent ainsi en contradiction avec eux-mêmes, car il n’était pas possible de
mettre en cause de bonne foi la pureté du monothéisme islamique. La vérité
universelle fut refusée au nom d’une fidélité « anachronique » à une vérité
particulière.
Certes, l’islâm ne fut pas à l’origine du bannissement et de l’exil du
peuple juif, mais il les confirma, tout en assimilant le statut particulier des
juifs à celui des chrétiens. On soulignera qu’il s’agit d’un statut légal
procédant du Droit sacré et que l’existence d’une loi est par elle-même une
faveur et une miséricorde, car elle protège de tout arbitraire. Ceci explique
pourquoi la sauvegarde et la sécurité des juifs ont été incomparablement
meilleures en terre d’islâm que dans la chrétienté, ce que l’on oublie trop
aisément aujourd’hui. Là où la loi islamique était effectivement appliquée (ce
qui était, tout de même, le cas le plus habituel), il n’y eut jamais d’excès
comparable à ce que furent en Occident l’Inquisition, les expulsions, les
pogroms et les massacres systématiques. Bien au contraire, c’est la
méconnaissance de cette loi qui a pu conduire certains mouvements totalitaires,
comme celui des Almohades, à vouloir forcer les conversions.
Du reste, ces mouvements n’étaient pas dirigés spécifiquement contre
les communautés juives et il s’agissait, en tout état de cause, de situations
passagères et exceptionnelles.
Il importe de souligner ce contraste car, à l’époque actuelle, l’on
voit se dessiner de manière de plus en plus nette une alliance de l’Occident
moderne et de l’Etat juif contre le monde islamique, ce qui ne tient aucun
compte de ce que fut l’histoire traditionnelle véritable, et est à priori fort
suspect. Il nous faut étudier maintenant la nature et la signification du
sionisme à la lumière des principes de droit sacré que nous avons rappelés.
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