Source : Symboles de la Science sacrée, chapitre XXXIII.
Egalement publié dans les Études Traditionnelles, mars 1938
Le livre en pdf :
Les chapitres précédents sur le symbolisme de la forme cosmique :
Article complémentaire :
La caverne initiatique, avons-nous dit précédemment, est considérée comme une image du monde ; mais, d’autre part, en raison de son assimilation symbolique avec le cœur, elle en représente plus particulièrement le lieu central.
Il peut sembler qu’il y ait là deux points de vue différents, mais, en réalité, ils ne se contredisent aucunement, et ce que nous avons exposé au sujet de l’« Œuf du Monde » suffit à les concilier, et même à les identifier en un certain sens : en effet, l’« Œuf du Monde » est central par rapport au « cosmos », et, en même temps, il contient en germe tout ce que celui-ci contiendra à l’état pleinement manifesté ; toutes choses se trouvent donc dans l’« Œuf du Monde », mais dans un état d’« enveloppement » qui précisément est figuré aussi, comme nous l’avons expliqué, par la situation même de la caverne, par son caractère de lieu caché et fermé. Les deux moitiés en lesquelles se divise l’« Œuf du Monde », suivant un des aspects les plus habituels de son symbolisme, deviennent respectivement le ciel et la terre ; dans la caverne également, le sol correspond à la terre et la voûte au ciel ; il n’y a donc dans tout cela rien qui ne soit parfaitement cohérent et normal.
La lettre Nûn |
Maintenant, il reste encore à envisager une autre question particulièrement importante au point de vue initiatique : nous avons parlé de la caverne comme lieu de la « seconde naissance » mais il y a une distinction essentielle à faire entre cette « seconde naissance » et la « troisième naissance », distinction qui correspond en somme à celle de l’initiation aux « petits mystères » et aux « grands mystères » ; si la « troisième naissance » est représentée aussi comme s’accomplissant dans la caverne, comment le symbolisme de celle-ci s’y adaptera-t-il ?
La « seconde naissance » qui est proprement ce qu’on peut appeler la « régénération psychique », s’opère dans le domaine des possibilités subtiles de l’individualité humaine ; la « troisième naissance » au contraire, s’effectuant directement dans l’ordre spirituel et non plus psychique, est l’accès au domaine des possibilités supra-individuelles.
L’une est donc proprement une « naissance dans le cosmos » (à laquelle correspond, comme nous l’avons dit, dans l’ordre macrocosmique, la naissance de l’Avatâra) et, par conséquent, il est logique qu’elle soit figurée comme ayant lieu entièrement à l’intérieur de la caverne ; mais l’autre est une « naissance hors du cosmos », et à cette « sortie du cosmos », suivant l’expression d’Hermès (1), doit correspondre, pour que le symbolisme soit complet, une sortie finale de la caverne, celle-ci contenant seulement les possibilités qui sont incluses dans le « cosmos », possibilités que l’initié doit précisément dépasser dans cette nouvelle phase du développement de son être, dont la « seconde naissance » n’était en réalité que le point de départ.
Ici, certains rapports vont naturellement se trouver modifiés : la caverne redevient de nouveau un « sépulcre », non plus cette fois exclusivement en raison de sa situation « souterraine », mais parce que le « cosmos » tout entier est en quelque sorte le « sépulcre » dont l’être doit sortir maintenant ; la « troisième naissance » est nécessairement précédée de la « seconde mort », qui est, non plus la mort au monde profane, mais véritablement la « mort au cosmos » (et aussi « dans le cosmos »), et c’est pourquoi la naissance « extra-cosmique » est toujours assimilé à une « résurrection (2) ». Pour que cette « résurrection », qui est en même temps la sortie de la caverne, puisse avoir lieu, il faut que la pierre qui ferme l’ouverture du « sépulcre » (c’est-à-dire de la caverne elle-même) soit enlevée ; nous verrons par la suite comment ceci peut se traduire en certains cas dans le symbolisme rituélique.
Jonas et la baleine... |
D’autre part, quand ce qui est en dehors de la caverne représentait seulement le monde profane ou les ténèbres « extérieures », la caverne apparaissait comme le seul lieu éclairé, et d’ailleurs forcément éclairé de l’intérieur même ; aucune lumière, en effet, ne pouvait alors lui venir du dehors. Maintenant, puisqu’il faut tenir compte des possibilités « extra-cosmiques », la caverne, malgré cet éclairement, devient relativement obscure par rapport, nous ne dirons pas à ce qui est en dehors d’elle sans distinction, mais plus précisément à ce qui est au-dessus d’elle, au delà de sa voûte, car c’est bien là ce qui représente le domaine « extra-cosmique ».
On pourrait alors considérer, suivant ce nouveau point de vue, l’éclairement intérieur comme n’étant que le reflet d’une lumière qui pénètre à travers le « toit du monde », par la « porte solaire », qui est l’« œil » de la voûte cosmique ou l’ouverture supérieure de la caverne. Dans l’ordre microcosmique, cette ouverture correspond au Brahmarandhra, c’est-à-dire au point de contact de l’individualité avec le « septième rayon » du soleil spirituel (3), point dont la « localisation », suivant les correspondances organiques, se trouve à la couronne de la tête (4), et qui est aussi figuré par l’ouverture supérieure de l’athanor hermétique (5).
1 Cf. A. K. Coomaraswamy, La Vierge allaitant saint Bernard, dans les Études Traditionnelles, décembre 1937, p. 418.
2 On retrouve également l’analogue de tout ceci dans le symbolisme de la chrysalide et de sa transformation en papillon.
3 Cf. A. K. Coomaraswamy, loc. cit.
4 Voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXI.
5 La « troisième naissance » pourrait, en employant la terminologie alchimique, être regardée comme une « sublimation ».
Ajoutons, à ce propos, que l’« œuf philosophique », qui joue manifestement le rôle de l’« Œuf du Monde », est enfermé à l’intérieur de l’athanor, mais que celui-ci peut être lui-même assimilé au « cosmos », et ceci dans la double application macrocosmique et microcosmique ; la caverne pourra donc aussi être, à la fois, identifiée symboliquement à l’« œuf philosophique » et à l’athanor, selon qu’on se référera, si l’on veut, à des degrés de développement différents dans le processus initiatique, mais en tous cas sans que sa signification fondamentale en soit aucunement altérée.
On peut aussi remarquer que, avec cet éclairement par reflet, on retrouve l’image de la caverne de Platon, dans laquelle on ne voit que des ombres, grâce à une lumière qui vient du dehors (6) ; et cette lumière est bien « extra-cosmique », puisque sa source est le « Soleil intelligible ».
La libération des prisonniers et leur sortie de la caverne est une « venue au jour », par laquelle ils peuvent contempler directement la réalité dont ils n’avaient perçu jusque-là qu’un simple reflet ; cette réalité, ce sont les « archétypes » éternels, les possibilités contenues dans la « permanente actualité » de l’essence immuable.
Enfin, il importe de noter que les deux « naissances » dont nous avons parlé, étant deux phases successives de l’initiation complète, sont aussi, par là même, deux étapes sur une même voie, et que cette voie est essentiellement « axiale », comme l’est également, dans son symbolisme, le « rayon solaire », auquel nous faisions allusion tout à l’heure, et qui marque la « direction » spirituelle que l’être doit suivre, en s’élevant constamment, pour parvenir finalement à son véritable centre (7).
Dans les limites du microcosme, cette direction « axiale » est celle de la sushumnâ, qui s’étend jusqu’à la couronne de la tête, à partir d’où elle est prolongée « extra-individuellement », pourrait-on dire, par le « rayon solaire » lui-même, parcouru en remontant vers sa source ; c’est le long de la sushumnâ que se trouvent les chakras qui sont les centres subtils de l’individualité, et à certains desquels correspondent les différentes positions du luz ou « noyau d’immortalité » que nous avons envisagées précédemment, de telle sorte que ces positions mêmes, ou l’« éveil » successif des chakras correspondants, sont toujours assimilables également à des étapes situées sur la même voie « axiale ».
D’autre part, l’« Axe du Monde » étant naturellement identifié à la direction verticale, qui répond bien à cette idée d’une voie ascendante, l’ouverture supérieure, qui correspond microcosmiquement à la couronne de la tête comme nous l’avons dit, devra normalement, à cet égard, se situer au zénith de la caverne, c’est-à-dire au sommet même de la voûte.
Cependant, la question, en fait, présente quelques complications dues à ce que deux modalités différentes de symbolisme, l’une « polaire » et l’autre « solaire », peuvent y intervenir ; c’est pourquoi il y a lieu, en ce qui concerne la sortie de la caverne, d’apporter encore d’autres précisions qui fourniront en même temps un exemple des rapports que peuvent avoir entre elles ces deux modalités, dont la prédominance respective se rapporte originairement à des périodes cycliques différentes, mais qui, par la suite, se sont souvent associées et combinées de multiples façons.
6 Cette vision obscure est la vision quasi per speculum in ænigmate dont parle saint Paul (Épître aux Corinthiens, XIII, 12) ; ce qui apparaît comme manifesté dans le « cosmos » n’est proprement qu’une ombre ou un « vestige » de la réalité transcendante, mais c’est d’ailleurs ce qui en fait la valeur comme symbole de cette réalité.
7 Cf. Eç-Çirâtul-mustaqîm dans la tradition islamique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire