lundi 19 novembre 2018

La sortie de la Caverne


Source : Symboles de la Science sacrée, chapitre XXXIV.
Egalement publié dans les Études Traditionnelles, avril 1938

Le livre en pdf :



Les chapitres précédents sur le symbolisme de la forme cosmique :
La Caverne et le Labyrinthe, partie 1 - partie 2

Article complémentaire :




La sortie finale de la caverne initiatique, considérée comme représentant la « sortie du cosmos », semble, d’après ce que nous avons dit précédemment, devoir s’effectuer normalement par une ouverture située dans la voûte, et à son zénith même ; nous rappelons que cette porte supérieure, qui est parfois désignée traditionnellement comme le « moyeu solaire » et aussi comme l’« œil cosmique », correspond, dans l’être humain, au Brahma-randhra et à la couronne de la tête. 
Cependant, malgré les références au symbolisme solaire qui se rencontrent en pareil cas, on pourrait dire que cette position « axiale » et « zénithale » se rapporte plus directement, et sans doute aussi plus primitivement, à un symbolisme polaire : ce point est celui où, suivant certains rituels « opératifs », est suspendu le « fil à plomb du Grand Architecte », qui marque la direction de l’« Axe du Monde », et il est alors identifié à l’étoile polaire elle-même (1).

Il y a lieu de remarquer aussi que, pour que la sortie puisse s’effectuer ainsi, il faut qu’une pierre de la voûte soit enlevée en cet endroit même ; et cette pierre, par là même qu’elle occupe le sommet, a dans la structure architecturale un caractère spécial et même unique, car elle est naturellement une « clef de voûte » ; cette observation n’est pas sans importance, bien que ce ne soit pas ici le lieu d’y insister davantage (2).

Les premiers chrétiens dans les catacombes à Rome... Une référence à la caverne initiatique là aussi.

En fait, il paraît assez rare que ce que nous venons de dire soit observé littéralement dans les rituels initiatiques, bien qu’on puisse cependant en trouver quelques exemples (3) ; cette rareté peut d’ailleurs s’expliquer, au moins en partie, par certaines difficultés d’ordre pratique, et aussi par le besoin d’éviter une confusion qui risque de se produire en pareil cas (4).

En effet, si la caverne n’a pas d’autre issue que celle-là, elle devra servir à l’entrée comme à la sortie, ce qui n’est pas conforme à son symbolisme ; logiquement, l’entrée devrait plutôt se trouver en un point opposé à celui-là, suivant l’axe, c’est-à-dire dans le sol, au centre même de la caverne, où l’on parviendrait par une voie souterraine. Seulement, d’un autre côté, un tel mode d’entrée ne conviendrait pas pour les « grands mystères », car il ne correspond proprement qu’au stade initial, qui alors est franchi depuis longtemps déjà ; il faudrait donc plutôt supposer que le récipiendaire, entré par cette voie souterraine pour recevoir l’initiation aux « petits mystères », demeure ensuite dans la caverne jusqu’au moment de sa « troisième naissance » où il en sort définitivement par l’ouverture supérieure ; cela est admissible théoriquement, mais n’est évidemment pas susceptible d’être mis en pratique d’une façon effective (5).

1 Nous rappellerons à ce propos que, suivant la tradition extrême-orientale, l’étoile polaire représente le siège de la « Grande Unité » (Tai-i) ; en même temps, si l’on doit normalement envisager l’axe en position verticale comme nous venons de le dire, elle correspond aussi au « Grand Faîte » (Tai-Ki), c’est-à-dire au sommet de la voûte céleste ou du « toit du monde ».
2 Ceci se rapporte plus spécialement au symbolisme de la maçonnerie de Royal Arch ; nous renverrons aussi, à ce sujet, à la note se trouvant à la fin de notre article sur Le Tombeau d’Hermès, dans les Études Traditionnelles, décembre 1936, p. 473 [Texte recueilli dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques].
3 Dans les hauts grades de la maçonnerie écossaise, il en est ainsi au 13ème degré, dit de « Royale-Arche », mais qu’il ne faut pas confondre, en dépit de quelques similitudes partielles, avec ce qui, dans la maçonnerie anglaise, constitue l’Arch Masonry en tant que distinguée de la Square Masonry ; les origines « opératives » du grade écossais dont il s’agit sont d’ailleurs beaucoup moins claires ; le 14ème degré, ou « Grand Écossais de la Voûte sacrée », est également conféré « dans un lieu souterrain et voûté ». Il convient de noter, à ce propos, qu’il y a dans tous ces hauts grades beaucoup de données de provenances diverses, qui ne s’y sont pas toujours conservées intégralement ni sans confusion, si bien que, dans leur état présent, leur nature réelle est souvent assez difficile à déterminer exactement.
4 Cette confusion existe effectivement dans les grades écossais que nous venons de mentionner : la « voûte souterraine » y étant « sans portes ni fenêtres », on ne peut entrer, aussi bien que sortir, que par l’unique ouverture pratiquée au sommet de la voûte.
5 En un certain sens on peut dire que les « petits mystères » correspondent à la terre (état humain) et les « grands mystères » au ciel (états supra-individuels) ; de là aussi, dans certains cas, une correspondance symbolique établie avec les formes géométriques du carré et du cercle (ou dérivées de celles-là), que la tradition extrême-orientale, notamment, rapporte respectivement à la terre et au ciel, cette distinction se retrouve, en Occident, dans celle de la Square Masonry et de l’Arch Masonry que nous avons mentionnés tout à l’heure. [cf. La Grande Triade, ch. XV.]

Il existe en réalité une autre solution, qui implique des considérations où le symbolisme solaire prend cette fois la place prépondérante, bien que les traces du symbolisme polaire y restent encore assez nettement apparentes ; il y a là, en somme, une sorte de combinaison et presque de fusion entre ces deux modalités, ainsi que nous l’indiquions à la fin de l’étude précédente. Ce qu’il importe essentiellement de remarquer à cet égard est ceci : l’axe vertical, en tant que joignant les deux pôles, est évidemment un axe nord-sud ; dans le passage du symbolisme polaire au symbolisme solaire, cet axe devra être en quelque sorte projeté sur le plan zodiacal, mais de façon à conserver une certaine correspondance, on pourrait même dire une équivalence aussi exacte qu’il est possible, avec l’axe polaire primitif (6).

Le symbolisme de la Croix : 6 directions, 3 dimensions

Or, dans le cycle annuel, les solstices d’hiver et d’été sont les deux points qui correspondent respectivement au nord et au sud dans l’ordre spatial, de même que les équinoxes de printemps et d’automne correspondent à l’Orient et à l’Occident ; l’axe qui remplira la condition voulue est donc celui qui joint les deux points solsticiaux ; et l’on peut dire que cet axe solsticial jouera alors le rôle d’un axe relativement vertical, ce qu’il est en effet par rapport à l’axe équinoxial (7).

Les solstices sont véritablement ce qu’on peut appeler les pôles de l’année ; et ces pôles du monde temporel, s’il est permis de s’exprimer ainsi, se substituent ici, en vertu d’une correspondance réelle et nullement arbitraire, aux pôles du monde spatial ; ils sont d’ailleurs naturellement en relation directe avec la marche du soleil, dont les pôles au sens propre et ordinaire de ce mot sont, au contraire, entièrement indépendants ; et ainsi se trouvent reliées l’une à l’autre, aussi clairement que possible, les deux modalités symboliques dont nous avons parlé.

Cela étant, la caverne « cosmique » pourra avoir deux portes « zodiacales », opposées suivant l’axe que nous venons d’envisager, donc correspondant respectivement aux deux points solsticiaux, et dont l’une servira d’entrée et l’autre de sortie ; effectivement, la notion de ces deux « portes solsticiales » se trouve de façon explicite dans la plupart des traditions, et il y est même généralement attaché une importance symbolique considérable.
La porte d’entrée est parfois désignée comme la « porte des hommes », ceux-ci pouvant dans ce cas être des initiés aux « petits mystères » tout aussi bien que de simples profanes, puisqu’ils n’ont pas encore dépassé l’état humain ; et la porte de sortie est alors désignée, par opposition, comme la « porte des dieux », c’est-à-dire celle par laquelle passent seulement les êtres qui ont accès aux états supra-individuels.

Il ne reste plus qu’à déterminer auquel des deux solstices correspond chacune de ces deux portes ; mais cette question, pour recevoir les développements qu’elle comporte, mérite encore d’être traitée à part.

Eaux supérieures, Eaux inférieures et surface des Eaux...

6 C’est à ce même passage d’un symbolisme à l’autre que se rapporte le « transfert » de certaines constellations de la région polaire à la région zodiacale auquel nous avons fait allusion ailleurs (voir Le Roi du Monde, ch. X).
7 Nous n’avons pas à nous occuper ici du fait que, parmi les différentes formes traditionnelles, il en est qui donnent à l’année un point de départ solsticial, et d’autres un point de départ équinoxial ; nous dirons seulement que la prédominance ainsi attribuée aux solstices et aux équinoxes trouve encore sa raison dans la considération de différentes périodes cycliques, auxquelles ces formes traditionnelles doivent être rattachées plus particulièrement.



6 commentaires:

  1. Bonjour Ligeia,

    petits liens et blog intéressant:
    http://sophiaperennis.unblog.fr/2018/10/19/le-symbolisme-du-pole-et-du-nord/
    http://sophiaperennis.unblog.fr/2017/11/18/metaphysique-de-la-caverne/

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    1. Bonsoir zul :-)

      Je vais "examiner" ce blog et je te dis demain ce que j'en pense. Un "à priori" sur ce que j'ai pu lire de ce monsieur Lenoble mais je dois approfondir pour confirmer... ou pas ! :-)

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  2. De retour zul69 :-)

    J’ai fait un (gros) tour sur le site....
    Je confirme, c'est du Pierre-Yves Lenoble... et je ne partage pas son interprétation de Guénon sur plusieurs points.

    Tu es la deuxième personne à m’en parler (je n’ai pas publié l’autre commentaire) donc je profite de ton commentaire pour faire quelques rectifications.

    Quand je lis ceci :

    « Cette sortie ascendante de la caverne, qui correspond à la réintégration au Paradis de l’homme déchu, ne peut donc se réaliser que dans un état proprement ex-statique en prenant bien soin de laisser de coté les opinions tant collectives que subjectives »
    Non. La sortie de la Caverne initiatique n’est pas assimilable à la réintégration de l’état primordial « au moyen » de l’extase puisqu’elle est par définition en dehors de l’initiation et qu’elle « appartient » au mysticisme, lui-même limité au 3ème œil c’est-à-dire encore une fois aux états individuels (salut) et non aux états supérieurs de l’Etre (Délivrance).

    Guénon est formel sur le sujet et il suffit de lire ce passage :
    « Toute réalisation initiatique est donc essentiellement et purement « intérieure », au contraire de cette « sortie de soi » qui constitue l’« extase » au sens propre et étymologique de ce mot ; et là est, non pas certes la seule différence, mais du moins une des grandes différences qui existent entre les états mystiques (lesquels appartiennent entièrement au domaine religieux) et les états initiatiques. »
    Il l’affirme de façon encore plus précise ailleurs :
    « Il n’y a donc là rien de comparable à ce qui se produit dans le cas des « états mystiques » passagers, tels que l’« extase », après lesquels l’être se retrouve purement et simplement dans l’existence humaine terrestre, avec toutes les limitations individuelles qui la conditionnent, ne gardant de ces états, dans sa conscience actuelle, qu’un reflet indirect et toujours plus ou moins imparfait. »

    Selon M. Lenoble :
    « tous les visionnaires, les prophètes et autres saints, tels des flambeaux vivants, se doivent évidemment de redescendre sur terre »
    Certainement pas. La « redescente » dont il s’agit ici n’est accordée qu’à une infime portion d’êtres particularisés et élus, qu’on peut trouver chez les Malâmatiyah ou « gens du blâme » par exemple.
    Faire croire que les mystiques et autres visionnaires en bénéficient c’est faire le jeu de la contre-initiation.

    Cela est encore bien précisé chez RG et de façon claire il me semble :
    « En tout cas, l’union mystique, laissant subsister l’individualité comme telle, ne peut être qu’une union tout extérieure et relative, et il est bien évident que les mystiques n’ont jamais conçu même la possibilité de l’Identité Suprême ; ils s’arrêtent à la « vision », et toute l’étendue des mondes angéliques les sépare encore de la Délivrance. »

    D’ailleurs ce monsieur Lenoble assimile dans un autre article, les soufis (et donc Ibn Arabî) à de simples « mystiques »... Difficile de pousser plus loin la confusion.

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  3. suite...

    Sur l’autre article concernant le Pôle, je n’ai qu’à extraire cette phrase....

    « les sacralités indo-aryennes proviennent d’un ancien peuple unique, originaire des régions polaires et circumpolaires, obligé de descendre vers des contrées plus méridionales suite à une catastrophe naturelle (vraisemblablement une glaciation soudaine) »

    ... puis lire Guénon :

    « Certains voudraient qu’il n’en eût pas été ainsi à l’origine, mais leur opinion ne se fonde sur rien de plus que sur la supposition d’une prétendue « race âryenne », qui est simplement due à l’imagination trop fertile des orientalistes ; le terme sanskrit ârya, dont on a tiré le nom de cette race hypothétique, n’a jamais été en réalité qu’une épithète distinctive s’appliquant aux seuls hommes des trois premières castes, et cela indépendamment du fait d’appartenir à telle ou telle race »

    Je ne dirai rien sur cette hypothèse de la disparition du Centre Suprême (c’est-à-dire l’Hyperborée) « obligé de descendre vers des contrées plus méridionales suite à une catastrophe naturelle (vraisemblablement une glaciation soudaine) »... Sans doute les premiers réfugiés climatiques du cycle terrestre !


    Que les gens pensent ce qu’ils veulent, je n’ai absolument rien contre et ne détenant pas la Vérité, je ne puis qu’exprimer ma propre compréhension des écrits traditionnels.

    Monsieur Lenoble a le droit de dire ce qu’il veut MAIS pour ce qui est de faire dire à Guénon non pas seulement ce qu’il ne dit pas mais bien l’opposé exact de ce qu’il dit, là c’est pousser un peu loin et œuvrer pour je ne sais trop quoi... :-(

    Je préfère rester sur la clarté et la précision guénonienne d'origine plutôt que d'en lire d'obscurs commentateurs...

    C'est juste mon avis zul69... :-)

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  4. Bonjour à toi,

    J'avoue l'avoir lu en diagonal...et je te rejoint sur ton analyse.
    Désolé de t'avoir fait perdre ton temps.

    Belle journée.

    PS:je traine pas,j'ai 10cm de neige dehors...

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    1. Tu ne m'as pas fait perdre mon temps et c'est souvent grâce à mes commentateurs et à leurs remarques que j'approfondis certains points... :-)

      Tu as de la chance pour la neige ! Même si cela doit occasionner un peu de gêne c'est vrai (sans compter les gilets jaunes ^ ^).

      Une bonne journée à toi aussi :-)

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