Source : Symboles de la Science sacrée, chapitre XXXV.
Egalement publié dans les Études Traditionnelles, mai 1938
Le livre en pdf :
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"Que la situation des deux portes soit envisagée par rapport à la marche du soleil dans le ciel, comme dans la tradition grecque, ou par rapport aux saisons dans le cycle annuel terrestre, comme dans la tradition hindoue, c’est bien toujours le Cancer qui est la « porte des hommes » et le Capricorne qui est la « porte des dieux » ; il ne peut y avoir aucune variation là-dessus, et, en fait, il n’y en a aucune ; ce n’est que l’incompréhension des « érudits » modernes qui croit découvrir, chez les divers interprètes des doctrines traditionnelles, des divergences et des contradictions qui ne s’y trouvent point."
Le solstice d’hiver marque le début de la phase ascendante et celui d’été, le mouvement descendant dans l’ordre céleste.
Les chapitres précédents sur le symbolisme de la forme cosmique :
Bien que l’été soit généralement considéré comme une saison joyeuse et
l’hiver comme une saison triste, par là même que le premier représente en quelque
sorte le triomphe de la lumière et le second celui de l’obscurité, les deux
solstices correspondants n’en ont pas moins, en réalité, un caractère
exactement opposé à celui-là ; il peut sembler qu’il y ait là un paradoxe assez
étrange, et pourtant il est bien facile de comprendre qu’il en soit ainsi dès
lors qu’on a quelque connaissance des données traditionnelles sur la marche du
cycle annuel.
En effet, ce qui a atteint son maximum ne peut plus que décroître, et
ce qui est parvenu à son minimum ne peut au contraire que commencer aussitôt à
croître (1) ; c’est pourquoi le solstice d’été marque le début de la moitié
descendante de l’année, et le solstice d’hiver, inversement, celui de sa moitié
ascendante et c’est aussi ce qui explique, au point de vue de sa signification
cosmique, cette parole de saint Jean-Baptiste, dont la naissance coïncide avec
le solstice d’été : « Il faut qu’il croisse (le Christ né au solstice d’hiver)
et que je diminue (2). »
On sait que, dans la tradition hindoue, la phase ascendante est mise
en rapport avec le dêva-yâna, et la phase descendante avec le pitri-yâna ; par
suite, dans le Zodiaque, le signe du Cancer, correspondant au solstice d’été,
est la « porte des hommes », qui donne accès au pitri-yâna, et le signe du
Capricorne, correspondant au solstice d’hiver, est la « porte des dieux », qui
donne accès au dêva-yâna.
En réalité, c’est la moitié ascendante du cycle annuel qui est la
période « joyeuse », c’est-à-dire bénéfique ou favorable, et sa moitié
descendante qui est la période « triste », c’est-à-dire maléfique ou
défavorable ; et le même caractère appartient naturellement à la porte
solsticiale qui ouvre chacune de ces deux périodes en lesquelles l’année se
trouve divisée par le sens même de la marche du soleil.
On sait d’autre part que, dans le christianisme, ce sont les fêtes des
deux saints Jean qui sont en rapport direct avec les deux solstices (3) ; et ce
qui est assez remarquable, bien que nous ne l’ayons jamais vu signalé nulle
part, c’est que ce que nous venons de rappeler est exprimé d’une certaine façon
par le double sens qui se trouve inclus dans le nom même de Jean (4).
En effet, le mot hanan, en hébreu, a à la fois le sens de «
bienveillance » et de « miséricorde » et celui de « louange » (et il est au
moins curieux de constater que, en français même, des mots comme « grâce » et «
merci » ont aussi exactement la même double signification) ; par suite, le nom
Jahanan peut signifier « miséricorde de Dieu » et aussi « louange à Dieu ». Or,
il est facile de se rendre compte que le premier de ces deux sens paraît
convenir tout particulièrement à saint Jean-Baptiste et le second à saint Jean
l’Évangéliste ; on peut d’ailleurs dire que la miséricorde est évidemment «
descendante » et la louange « ascendante », ce qui nous ramène encore à leur
rapport avec les deux moitiés du cycle annuel (5).
1
Cette idée est exprimée à plusieurs reprises, sous des formes diverses, dans le
Tao-te-King ; elle est rapportée plus particulièrement dans la tradition
extrême-orientale, aux vicissitudes du yin et du yang.
2
Saint Jean, III, 30.
3
Elles se situent en réalité un peu après la date exacte des deux solstices, ce
qui en fait apparaître encore plus nettement le caractère, puisque la descente
et la montée sont alors déjà commencées effectivement ; à ceci correspond,
dans le
symbolisme védique, le fait que les portes du pitri-loka et du dêva-loka sont
dites être situées respectivement, non pas au sud et au nord exactement, mais
vers le sud-ouest et vers le nord-est.
4
Nous voulons parler ici de la signification étymologique de ce nom en hébreu ;
quant au rapprochement entre Jean et Janus, il est bien entendu que c’est une
assimilation phonétique qui n’a évidemment aucun rapport avec l’étymologie,
mais qui n’en est pas moins importante pour cela au point de vue symbolique,
puisque, en fait, les fêtes des deux saints Jean ont pris réellement la place
de celles de Janus aux deux solstices d’été et d’hiver.
5
Nous rappellerons ici, en la rattachant plus spécialement aux idées de «
tristesse » et de « joie » que nous indiquions plus haut, la figure «
folklorique » bien connue, mais sans doute généralement peu comprise, de « Jean
qui pleure et Jean qui rit », qui est au fond une représentation équivalente à
celle des deux visages de Janus ; « Jean qui pleure » est celui qui implore la
miséricorde de Dieu, c’est-à-dire saint Jean-Baptiste, et « Jean qui rit » est
celui qui lui adresse des louanges, c’est-à-dire saint Jean l’Évangéliste.
En relation avec les deux saints Jean et leur symbolisme solsticial,
il est intéressant aussi de considérer un symbole (6) qui semble être
particulier à la maçonnerie anglo-saxonne, ou qui du moins ne s’est conservé
que dans celle-ci : c’est un cercle avec un point au centre, compris entre deux
tangentes parallèles ; et ces tangentes sont dites représenter les deux saints
Jean. Le cercle est en effet ici la figure du cycle annuel et sa signification
solaire est d’ailleurs rendue plus manifeste par la présence du point central,
puisque la même figure est aussi en même temps le signe astrologique du soleil
; et les deux droites parallèles sont les tangentes à ce cercle aux deux point
solsticiaux, marquant ainsi leur caractère de « points-limites » parce que ces
points sont en effet comme les bornes que le soleil ne peut jamais dépasser au
cours de sa marche ; c’est parce que ces lignes correspondent ainsi aux deux
solstices qu’on peut dire aussi qu’elles représentent par là même les deux
saints Jean.
Il y a cependant dans cette figuration, une anomalie au moins
apparente : le diamètre solsticial du cycle annuel doit, comme nous l’avons
expliqué en d’autres occasions, être regardé comme relativement vertical par
rapport au diamètre équinoxial, et c’est d’ailleurs seulement de cette façon
que les deux moitiés du cycle, allant d’un solstice à l’autre, peuvent
réellement apparaître respectivement comme ascendante et descendante, les
points solsticiaux étant alors le point le plus haut et le point le plus bas du
cercle ; dans ces conditions, les tangentes aux extrémités du diamètre
solsticial étant perpendiculaires à celui-ci, seront nécessairement
horizontales.
Or, dans le symbole que nous envisageons en ce moment, les deux
tangentes sont au contraire figurées comme verticales ; il y a donc, dans ce
cas spécial, une certaine modification apportée au symbolisme général du cycle
annuel et qui s’explique d’ailleurs assez simplement, car il est évident
qu’elle n’a pu être amenée que par une assimilation qui s’est établie entre ces
deux lignes parallèles et les deux colonnes ; ces dernières, qui naturellement
ne peuvent être que verticales, ont du reste aussi, par leur situation
respective au nord et à midi, et tout au moins à un certain point de vue, un
rapport effectif avec le symbolisme solsticial.
Cet aspect de deux colonnes se voit surtout nettement dan le cas du
symbole des « colonnes d’Hercule (7) » ; le caractère de « héros solaire »
d’Hercule et la correspondance zodiacale de ses douze travaux sont trop connus
pour qu’il soit nécessaire d’y insister ; et il est bien entendu que c’est
précisément ce caractère solaire qui justifie la signification solsticiale des
deux colonnes auxquelles est attaché son nom.
Dès lors qu’il en est ainsi, la devise non plus ultra qui est rapportée à ces colonnes apparaît comme
ayant une double signification : elle n’exprime pas seulement, suivant
l’interprétation habituelle qui se réfère au point de vue terrestre et qui est
d’ailleurs valable dans son ordre, qu’elles marquent les limites du monde «
connu », c’est-à-dire en réalité qu’elles sont les bornes que, pour des raisons
qu’il pourrait être intéressant de rechercher, il n’était pas permis aux
voyageurs de dépasser ; mais elle indique en même temps, et sans doute
faudrait-il dire avant tout, que, au point de vue céleste, elles sont les
limites que le soleil ne peut pas franchir et entre lesquelles, comme entre les
deux tangentes dont il était question tout à l’heure, s’accomplit
intérieurement sa marche annuelle (8).
Ces dernières considérations peuvent paraître assez éloignées de notre
point de départ, mais à vrai dire il n’en est rien, puisqu’elles contribuent à
l’explication d’un symbole qui est expressément référé aux deux saints Jean ;
et d’ailleurs on peut dire que, dans la forme chrétienne de la tradition, tout
ce qui concerne le symbolisme solsticial est aussi par là même plus ou moins
directement en rapport avec les deux saints Jean.
6
[cf. note finale de l’étude précédente.]
7
Dans la représentation géographique qui place ces deux colonnes de part et
d’autre de l’actuel détroit de Gibraltar, il est évident que c’est celle qui
est située en Europe qui est la colonne du nord, et celle qui est située en
Afrique qui est la colonne du midi.
8
Sur d’anciennes monnaies espagnoles, on voit une figuration des colonnes
d’Hercule, reliées par une sorte de banderole sur laquelle est inscrite la
devise non plus ultra ; or, fait qui semble assez peu connu et que nous
signalerons ici à titre de curiosité, c’est de cette figuration qu’est dérivé
le signe usuel du dollar américain ; mais toute l’importance y a été donnée à
la banderole qui n’était primitivement qu’un accessoire, et qui a été changée
en la lettre S dont elle avait a peu près la forme, tandis que les deux
colonnes, qui constituaient l’élément essentiel, se trouvaient réduites à deux
petits traits parallèles, verticaux comme les deux tangentes au cercle dans le
symbole maçonnique que nous venons d’expliquer ; et la chose n’est pas
dépourvue d’une certaine ironie, puisque justement la « découverte » de
l’Amérique a annulé en fait l’ancienne application géographique du non plus
ultra.
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