Partie III : Déplacement d’objets et matérialisation
« d’esprits »
Voir la partie 1 : ICI
la partie 2 : LA
Il est encore certaines catégories de phénomènes dont nous n’avons pas
parlé, mais qui sont parmi ceux qui supposent évidemment une extériorisation ;
ce sont les phénomènes qui sont connus sous les noms d’ « apports » et de «
matérialisations ».
Les « apports » sont en somme des déplacements d’objets, mais avec
cette complication que les objets proviennent alors de lieux qui peuvent être
très éloignés, et qu’il semble souvent qu’ils aient dû passer à travers des
obstacles matériels. Si le médium émet, d’une façon ou d’une autre, des
prolongements de lui-même pour exercer une action sur les objets, la distance
plus ou moins grande ne fait rien à l’affaire, elle implique seulement des
facultés plus ou moins développées, et, si l’intervention des « esprits » ou
d’autres entités extra-terrestres n’est pas toujours nécessaire, elle ne l’est
jamais. La difficulté, ici, réside plutôt dans le fait du passage, réel ou
apparent, à travers la matière : pour l’expliquer, certains supposent qu’il y a
successivement « dématérialisation » et « rematérialisation » de l’objet
apporté ; d’autres construisent des théories plus ou moins compliquées, dans lesquelles
ils font jouer le principal rôle à la « quatrième dimension » de l’espace.
Nous n’entrerons point dans la discussion de ces diverses hypothèses,
mais nous ferons observer qu’il convient de se méfier des fantaisies que l’ «
hypergéométrie » a inspirées aux « néo-spiritualistes » de différentes écoles ;
aussi nous semble-t-il préférable d’envisager simplement, dans le transport de
l’objet, des « changements d’état » que nous ne préciserons pas autrement ; et
nous ajouterons qu’il se peut, en dépit de la croyance des physiciens modernes,
que l’impénétrabilité de la matière ne soit que très relative.
Mais, en tout cas, il nous suffit de signaler que, là encore, l’action
supposée des « esprits » ne résout absolument rien : dès lors qu’on admet le
rôle du médium, il n’est que logique de chercher à expliquer des faits comme
ceux-là par des propriétés de l’être vivant ; d’ailleurs, pour les spirites,
l’être humain, par la mort, perd certaines propriétés plutôt qu’il n’en
acquiert de nouvelles ; enfin, en se plaçant en dehors de toute théorie
particulière, l’être vivant est manifestement, au point de vue d’une action
s’exerçant sur la matière physique, dans des conditions plus favorables qu’un
être dans la constitution duquel n’entre aucun élément de cette matière.
Quant aux « matérialisations », ce sont peut-être les phénomènes les
plus rares, mais aussi ceux que les spirites croient les plus probants :
comment pourrait-on douter de l’existence et de la présence d’un « esprit »
alors qu’il prend une apparence parfaitement sensible, qu’il se revêt d’une
forme qui peut être vue, touchée, et même photographiée (ce qui exclut
l’hypothèse d’une hallucination) ?
Pourtant, les spirites eux-mêmes reconnaissent bien que le médium est
pour quelque chose là-dedans : une sorte de substance, d’abord informe et
nébuleuse, semble se dégager de son corps, puis se condense graduellement ;
cela, tout le monde l’admet, sauf ceux qui contestent la réalité même du
phénomène ; mais les spirites ajoutent qu’un « esprit » vient ensuite modeler
cette substance, cet « ectoplasme », comme l’appellent certains psychistes, lui
donner sa forme, et l’animer comme un véritable corps temporaire.
Malheureusement, il y a eu des « matérialisations » de personnages
imaginaires, comme il y a eu des « communications » signées par des héros de
romans : Eliphas Lévi assure que des personnes ont fait évoquer par Dunglas
Home les fantômes de parents supposés, qui n’avaient jamais existé (1) ; on a
cité aussi des cas où les formes « matérialisées » reproduisaient tout
simplement des portraits, ou même des figures fantaisistes empruntées à des
tableaux ou à des dessins que le médium avait vus ; « Lors du Congrès spirite
et spiritualiste de 1889, dit Papus, Donald Mac-Nab nous montra un cliché photographique
représentant une matérialisation de jeune fille qu’il avait pu toucher ainsi
que six de ses amis et qu’il avait réussi à photographier. Le médium en
léthargie était visible à côté de l’apparition. Or cette apparition
matérialisée n’était que la reproduction matérielle d’un vieux dessin datant de
plusieurs siècles et qui avait beaucoup frappé le médium alors qu’il était
éveillé » (2).
1 –
La Clef des Grands Mystères
2 –
Traité méthodique de Science occulte, p. 881.
D’un autre côté, si la personne évoquée est reconnue par un des
assistants, cela prouve évidemment que cet assistant en avait une image dans sa
mémoire, et de là peut fort bien venir la ressemblance constatée ; si au
contraire personne n’a connu le soi-disant « désincarné » qui se présente, son
identité ne peut être vérifiée, et l’argument spirite tombe encore.
Du reste, M. Flammarion lui-même a dû reconnaître que l’identité des «
esprits » n’a jamais été démontrée, que les cas les plus remarquables peuvent
toujours donner lieu à contestation ; et comment pourrait-il en être autrement,
si l’on songe que, même pour un homme vivant, il est à peu près impossible
théoriquement, sinon pratiquement, de donner de son identité des preuves
vraiment rigoureuses et irréfutables ?
Il faut donc s’en tenir à la théorie dite de l’ « idéoplastie »,
d’après laquelle non seulement le substratum de la « matérialisation » est
fourni par le médium, mais encore sa forme même est due à une idée ou plus
exactement à une image mentale, soit du médium également, soit d’un assistant
quelconque, cette image pouvant d’ailleurs n’être que « subconsciente » ; tous
les faits de cet ordre peuvent s’expliquer par cette théorie, et certains
d’entre eux ne peuvent pas s’expliquer autrement.
Remarquons en passant que, cela étant admis, il en résulte qu’il n’y a
pas nécessairement fraude lorsqu’il se présente des « matérialisations »
dépourvues de relief comme les dessins dans lesquels on en retrouve le modèle ;
bien entendu, cela n’empêche pas que les fraudes soient très fréquentes en
fait, mais des cas comme ceux-là devraient être examinés de plus près, au lieu
d’être écartés de parti pris.
On sait d’ailleurs qu’il y a des « matérialisations » plus ou moins
complètes ; il y a parfois des formes qui peuvent être touchées, mais qui
n’arrivent pas à se rendre visibles ; il y a aussi des apparitions qui ne sont
que partielles, et ces dernières sont le plus souvent des formes de mains.
Moulage "ectoplasmique" |
Ces apparitions de mains isolées mériteraient de retenir l’attention :
on a cherché à les expliquer en disant que, « comme un objet se prend
ordinairement avec la main, le désir de prendre un objet doit nécessairement
éveiller l’idée de main et par conséquent la représentation mentale d’une main
» (1) ; tout en acceptant cette explication en principe, il est permis de
penser qu’elle n’est peut-être pas toujours suffisante, et nous rappellerons à
ce propos que des manifestations similaires ont été constatées dans des cas qui
sont du domaine de la sorcellerie, comme les faits de Cideville que nous avons
déjà mentionnés.
La théorie de l’ « idéoplastie », d’ailleurs, n’exclut pas forcément
toute intervention étrangère, comme pourraient le croire ceux qui sont trop
portés à systématiser ; elle restreint seulement le nombre des cas où il faut y
faire appel ; notamment, elle n’exclut pas l’action d’hommes vivants non
présents corporellement (c’est ainsi qu’opèrent les sorciers), ni celle de
forces diverses sur lesquelles nous reviendrons. Certains disent que ce qui
s’extériorise est le « double » du médium ; cette expression est impropre, au
moins en ce sens que ce prétendu « double » peut prendre une apparence fort
différente de celle du médium lui-même.
1 –
Etude expérimentale de quelques phénomènes de force psychique, par Donald
Mac-Nab : Le Lotus, mars 1889, p. 729.
Pour les occultistes, ce « double » est évidemment identique au «
corps astral » ; il en est qui s’exercent à obtenir, d’une façon consciente et
volontaire, le « dédoublement » ou la « sortie en astral », c’est-à-dire en somme
à réaliser activement ce que fait passivement le médium, tout en avouant que
les expériences de ce genre sont extrêmement dangereuses.
Quand les résultats ne sont pas purement illusoires et dus à une
simple autosuggestion, ils sont en tout cas mal interprétés ; nous avons déjà
dit qu’il n’est pas possible d’admettre le « corps astral », non plus que les «
fluides », parce que ce ne sont là que des représentations fort grossières,
consistant à supposer des états matériels qui ne diffèrent guère de la matière
ordinaire que par une moindre densité.
Quand nous parlons d’un « état subtil », c’est tout autre chose que
nous voulons dire : ce n’est pas un corps de matière raréfiée, un « aérosome »,
suivant le terme adopté par quelques occultistes ; c’est quelque chose qui est
véritablement « incorporel » ; nous ne savons d’ailleurs si on doit le dire
matériel ou immatériel, et peu nous importe, car ces mots n’ont qu’une valeur
très relative pour quiconque se place en dehors des cadres conventionnels de la
philosophie moderne, et cet ordre de considérations demeure complètement
étranger aux doctrines orientales, les seules où, de nos jours, la question
dont il s’agit soit étudiée comme elle doit l’être.
Nous tenons à préciser que ce à quoi nous faisons allusion présentement
est essentiellement un état de l’homme vivant, car l’être, à la mort, est
changé bien autrement que par la simple perte de son corps, contrairement à ce
que soutiennent les spirites et même les occultistes ; aussi ce qui est
susceptible de se manifester après la mort ne peut-il être regardé que comme
une sorte de vestige de cet état subtil de l’être vivant, et ce n’est pas plus
cet état lui-même que le cadavre n’est l’organisme animé.
Pendant la vie, le corps est l’expression d’un certain état de l’être,
mais celui-ci a également, et en même temps, des états incorporels, parmi
lesquels celui dont nous parlons est d’ailleurs le plus proche de l’état
corporel ; cet état subtil doit se présenter à l’observateur comme une force ou
un ensemble de forces plutôt que comme un corps, et l’apparence corporelle des
« matérialisations » n’est que surajoutée exceptionnellement à ses propriétés
ordinaires.
Tout cela a été singulièrement déformé par les occultistes, qui disent
bien que le « plan astral » est le « monde des forces », mais que cela
n’empêche point d’y placer des corps ; encore convient-il d’ajouter que les «
forces subtiles » sont bien différentes, tant par leur nature que par leur mode
d’action, des forces qu’étudie la physique ordinaire.
Ce qu’il y a de curieux à noter comme conséquence de ces dernières
considérations, c’est ceci : ceux même qui admettent qu’il est possible
d’évoquer les morts (nous voulons dire l’être réel des morts) devraient
admettre qu’il soit également possible, et même plus facile, d’évoquer un
vivant, puisque le mort n’a pas acquis, à leurs yeux, d’éléments nouveaux, et
que d’ailleurs, quel que soit l’état dans lequel on le suppose, cet état,
comparé à celui des vivants, n’offrira jamais une similitude aussi parfaite que
si l’on compare des vivants entre eux, d’où il suit que les possibilités de
communication, si elles existent, ne peuvent en tout cas être qu’amoindries et
non pas augmentées.
Or il est remarquable que les spirites s’insurgent violemment contre
cette possibilité d’évoquer un vivant, et qu’ils semblent la trouver
particulièrement redoutable pour leur théorie ; nous qui dénions tout fondement
à celle-ci, nous reconnaissons au contraire cette possibilité, et nous allons
tâcher d’en montrer un peu plus clairement les raisons.
Le cadavre n’a pas de propriétés autres que celles de l’organisme
animé, il garde seulement certaines des propriétés qu’avait celui-ci ; de même,
l’ob des Hébreux, ou le prêta des Hindous, ne saurait avoir de propriétés
nouvelles par rapport à l’état dont il n’est qu’un vestige ; si donc cet
élément peut être évoqué, c’est que le vivant peut l’être aussi dans son état
correspondant. Bien entendu, ce que nous venons de dire suppose seulement une
analogie entre différents états, et non une assimilation avec le corps ; l’ob
(conservons-lui ce nom pour plus de simplicité) n’est pas un « cadavre astral
», et ce n’est que l’ignorance des occultistes, confondant analogie et
identité, qui en a fait la « coque » dont nous avons parlé ; les occultistes, disons-le encore
une fois, n’ont recueilli que des lambeaux de connaissances incomprises.
Que l’on veuille bien remarquer encore que toutes les traditions
s’accordent à reconnaître la réalité de l’évocation magique de l’ob, quelque
nom qu’elles lui donnent ; en particulier, la Bible hébraïque rapporte le cas
de l’évocation du prophète Samuel (1), et d’ailleurs, si ce n’était une
réalité, les défenses qu’elle contient à ce sujet seraient sans portée et sans
signification.
Mais revenons à notre question : si un homme vivant peut être évoqué,
il y a, avec le cas du mort, cette différence que, le composé qu’il est n’étant
point dissocié, l’évocation affectera nécessairement son être réel ; elle peut
donc avoir des conséquences autrement graves sous ce rapport que celle de l’ob,
ce qui ne veut point dire que cette dernière n’en ait pas aussi, mais dans un
autre ordre.
D’un autre côté, la possibilité d’évocation doit être réalisable
surtout si l’homme est endormi, parce qu’il se trouve précisément alors, quant
à sa conscience actuelle, dans l’état correspondant à ce qui peut être évoqué,
à moins toutefois qu’il ne soit plongé dans le véritable sommeil profond, où
rien ne peut l’atteindre et où aucune influence extérieure ne peut plus
s’exercer sur lui ; cette possibilité se réfère seulement à ce que nous pouvons
appeler l’état de rêve, intermédiaire entre la veille et le sommeil profond, et
c’est également de ce côté, disons-le en passant, qu’il faudrait chercher
effectivement la véritable explication de tous les phénomènes du rêve,
explication qui n’est pas moins impossible aux psychologues qu’aux
physiologistes.
Il est à peine utile de dire que nous ne conseillerions à personne de
tenter l’évocation d’un vivant, ni surtout de se soumettre volontairement à une
telle expérience, et qu’il serait extrêmement dangereux de donner publiquement
la moindre indication pouvant aider à obtenir ce résultat ; mais le plus
fâcheux est qu’il peut arriver qu’on l’obtienne quelquefois sans l’avoir
cherché, et c’est là un des inconvénients accessoires que présente la
vulgarisation des pratiques empiriques des spirites ; nous ne voulons pas
exagérer l’importance d’un tel danger, mais c’est déjà trop qu’il existe, si
exceptionnellement que ce soit.
1 –
I Samuel, XXVIII.
Voici ce que dit à ce sujet un psychiste qui s’est posé en adversaire
résolu de l’hypothèse spirite, l’ingénieur Donald Mac-Nab : « Il peut arriver
que dans une séance on matérialisé l’identité physique d’une personne éloignée,
en rapport psychique avec le médium. Alors, si on agit maladroitement, on peut
tuer cette personne. Bien des cas de mort subite peuvent se rapporter à cette
cause » (1).
Ailleurs, le même auteur envisage aussi, outre l’évocation proprement
dite, d’autres possibilités du même ordre : «Une personne éloignée peut
assister psychiquement à la séance, de sorte que l’on s’explique très bien que
l’on puisse observer le fantôme de cette personne ou de toute autre image
contenue dans son inconscient, y compris celles des personnes mortes qu’elle a
connues. La personne qui se manifeste ainsi n’en a généralement pas conscience,
mais elle éprouve une sorte d’absence ou d’abstraction. Ce cas est moins rare
qu’on ne pense » (2).
Que l’on remplace simplement ici « inconscient » par « subconscient »,
et l’on verra que c’est exactement, au fond, ce que nous avons dit plus haut de
ces obscures ramifications de l’être humain qui permettent d’expliquer tant de
choses dans les « communications » spirites. Avant d’aller plus loin, nous
ferons encore remarquer que le « médium à matérialisations » est toujours
plongé dans ce sommeil spécial que les spirites anglo-saxons appellent trance,
parce que sa vitalité, aussi bien que sa conscience, est alors concentrée dans
l’ « état subtil » ; et même, à vrai dire, cette trance est bien plus semblable
à une mort apparente que ne l’est le sommeil ordinaire, parce qu’il y a alors,
entre cet « état subtil » et l’état corporel, une dissociation plus ou moins
complète.
1 –
Article déjà cité : Le Lotus, mars 1889, p. 732. – La dernière phrase est même
soulignée dans le texte.
2 –
Ibid., p. 742.
C’est pourquoi, dans toute expérience de « matérialisation », le
médium est constamment en danger de mort, non moins que l’occultiste qui
s’essaie au « dédoublement » ; pour éviter ce danger, il faudrait recourir à
des moyens spéciaux que ni l’un ni l’autre ne sauraient avoir à leur
disposition ; malgré toutes leurs prétentions, les occultistes « pratiquants »
sont, tout comme les spirites, de simples empiriques qui ne savent pas même ce
qu’ils font.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire