Partie I Magie
et psychisme, nulle transcendance...
Bien que notre intention ne soit pas d’étudier spécialement les
phénomènes du spiritisme, nous devons parler au moins sommairement de leur
explication, ne serait-ce que pour montrer qu’on peut fort bien se passer de
l’hypothèse spirite, avant d’apporter contre celle-ci des raisons plus
décisives.
Faisons remarquer, d’ailleurs, que ce n’est point un ordre logique que
nous entendons suivre en cela : il y a, en dehors de toute considération
relative aux phénomènes, des raisons pleinement suffisantes pour faire rejeter
d’une façon absolue l’hypothèse dont il s’agit ; l’impossibilité de celle-ci
étant établie, il faut bien, même si l’on n’a pas d’autre explication toute
prête pour rendre compte des phénomènes, se décider à en chercher une.
Seulement, la mentalité de notre époque, étant surtout tournée du côté
expérimental, sera mieux préparée, dans bien des cas, à admettre qu’une théorie
est impossible et à examiner sans parti pris les preuves qui en sont données,
si on lui a montré tout d’abord qu’elle est inutile, et qu’il existe d’autres
théories susceptibles de la remplacer avantageusement.
D’un autre côté, il importe de dire tout de suite que beaucoup des
faits en question, sinon tous, ne relèvent point de la science ordinaire, ne
sauraient rentrer dans les cadres étroits que les modernes ont fixés à
celle-ci, et sont, en particulier, tout a fait en dehors du domaine de la
physiologie et de celui de la psychologie classique, contrairement à ce que
pensent certains psychistes qui s’illusionnent grandement à cet égard.
N’éprouvant aucun respect pour les préjugés de la science officielle,
nous n’estimons point que nous ayons à nous excuser de l’apparente étrangeté de
quelques-unes des considérations qui vont suivre ; mais il est bon de prévenir
ceux qui, en raison des habitudes acquises, pourraient les trouver par trop
extraordinaires.
Tout cela, encore une fois, ne veut point dire que nous accordions aux
phénomènes psychiques le moindre caractère « transcendant » ; d’ailleurs, aucun
phénomène, de quelque ordre qu’il soit, n’a en lui-même un tel caractère, mais
cela n’empêche pas qu’il y en ait beaucoup qui échappent aux moyens d’action de
la science occidentale moderne, qui n’est point si « avancée » que le croient
ses admirateurs, ou qui du moins ne l’est que sur des points très particuliers.
La magie même, du fait quelle est une science expérimentale, n’a
absolument rien de « transcendant » ; ce qui peut par contre être regardé comme
tel, c’est la « théurgie », dont les effets, même lorsqu’ils ressemblent à ceux
de la magie, en diffèrent totalement quant à leur cause ; et c’est précisément
la cause, et non pas le phénomène qu’elle produit, qui est alors d’ordre
transcendant.
Qu’il nous soit permis, pour mieux nous faire comprendre, d’emprunter
ici une analogie à la doctrine catholique (nous parlons seulement d’analogie et
non d’assimilation, ne nous plaçant pas au point de vue théologique) : il y a
des phénomènes, tout à fait semblables extérieurement, qui ont été constatés
chez des saints et chez des sorciers ; or il est bien évident que c’est
seulement dans le premier cas qu’on peut leur attribuer un caractère «
miraculeux » et proprement « surnaturel » ; dans le second cas, ils peuvent
tout au plus être dits « préternaturels » ; si pourtant les phénomènes sont les
mêmes, c’est donc que la différence ne réside point dans leur nature, mais
uniquement dans leur cause, et ce n’est que du « mode » et des « circonstances
» que de tels phénomènes tirent leur caractère surnaturel.
Il va sans dire que, lorsqu’il s’agit du psychisme, nulle cause
transcendante ne saurait intervenir, que l’on considère les phénomènes
provoqués ordinairement par les pratiques spirites, ou les phénomènes
magnétiques et hypnotiques, ou tous ceux qui leur sont plus ou moins connexes ;
nous n’avons donc pas à nous préoccuper ici des choses d’ordre transcendant, et
c’est dire qu’il est des questions, comme celle des « phénomènes mystiques »
par exemple, qui peuvent rester entièrement en dehors des explications que nous
envisagerons.
D’autre part, nous n’avons pas à examiner tous les phénomènes
psychiques indistinctement, mais seulement ceux qui ont quelque rapport avec le
spiritisme ; encore pourrions-nous, parmi ces derniers, laisser de côté ceux
qui, comme les phénomènes d’ « incarnation » que nous avons déjà mentionnés, ou
comme ceux que produisent les « médiums guérisseurs », se ramènent en réalité,
soit à la suggestion, soit au magnétisme proprement dit, puisqu’il est
manifeste qu’ils s’expliquent très suffisamment en dehors de l’hypothèse
spirite.
Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait aucune difficulté dans
l’explication des faits de cet ordre, mais les spirites ne peuvent tout de même
pas prétendre à s’annexer tout le domaine de l’hypnotisme et du magnétisme ; du
reste, il est possible que ces faits se trouvent, comme par surcroît, quelque
peu éclaircis par les indications que nous donnerons à propos des autres.
Après ces observations générales, indispensables pour poser et
délimiter la question comme elle doit l’être, nous pouvons rappeler les
principales théories qui ont été émises pour expliquer les phénomènes du
spiritisme ; il y en a un assez grand nombre, mais le Dr Gibier a cru pouvoir
les ramener à quatre types (1) ; sa classification n’est pas sans défauts, loin
de là, mais elle peut nous servir de point de départ.
1 –
Le Spiritisme, pp. 310-311.
La première, qu’il appelle «
théorie de l’être collectif », se définirait ainsi : « Un fluide
spécial se dégage de la personne du médium, se combine avec le fluide des
personnes présentes pour constituer un personnage nouveau, temporaire,
indépendant dans une certaine mesure, et produisant les phénomènes connus. »
Ensuite vient la théorie «
démoniaque », d’après laquelle « tout est produit par le diable ou ses
suppôts », et qui revient en somme à assimiler le spiritisme à la sorcellerie.
En troisième lieu, il y a une théorie que le Dr Gibier appelle
bizarrement « gnômique »,
selon laquelle « il existe une catégorie d’êtres, un monde immatériel, vivant à
côté de nous et manifestant sa présence dans certaines conditions : ce sont ces
êtres qu’on a connus de tout temps sous le nom de génies, fées, sylvains,
lutins, gnômes, farfadets, etc. »
Nous ne savons pourquoi il a choisi les gnômes plutôt que d’autres
pour donner une dénomination à cette théorie, à laquelle il rattache celle des
théosophistes (en l’attribuant faussement au Bouddhisme), qui met les
phénomènes sur le compte des « élémentals ».
Enfin, il y a la théorie
spirite, suivant laquelle « toutes ces manifestations sont dues aux
esprits ou âmes des morts, qui se mettent en rapport avec les vivants, en
manifestant leurs qualités ou leurs défauts, leur supériorité ou, au contraire,
leur infériorité, tout comme s’ils vivaient encore ».
Chacune de ces théories, sauf la théorie spirite qui seule est
absurde, peut contenir une part de vérité et expliquer effectivement, non pas
tous les phénomènes, mais certains d’entre eux ; le tort de leurs partisans
respectifs est surtout d’être trop exclusifs et de vouloir tout ramener à une
théorie unique.
Quant à nous, nous ne pensons même pas que tous les phénomènes sans
exception doivent nécessairement être expliqués par l’une ou l’autre des
théories qui viennent d’être énumérées, car il y a dans cette liste des
omissions et des confusions ; d’ailleurs, nous ne sommes pas de ceux qui
croient que la simplicité d’une explication est une sûre garantie de sa vérité
: on peut assurément souhaiter qu’il en soit ainsi, mais les choses ne sont
point obligées de se conformer à nos désirs, et rien ne prouve qu’elles doivent
être ordonnées précisément de la façon qui serait la plus commode pour nous ou
la plus propre à faciliter notre compréhension ; un tel « anthropocentrisme »,
chez nombre de savants et de philosophes, suppose vraiment de bien naïves
illusions.
La théorie « démoniaque » a le don de mettre spécialement en fureur
les spirites aussi bien que les « scientistes », les uns et les autres faisant
pareillement profession de ne pas croire au démon ; pour les spirites, il
semble qu’il ne doive pas y avoir dans le « monde invisible » autre chose que
des êtres humains, ce qui est bien la limitation la plus invraisemblablement
arbitraire qui se puisse imaginer. Comme nous aurons à nous expliquer plus loin
sur le « satanisme », nous n’y insisterons pas pour le moment ; nous ferons
seulement remarquer que l’opposition à cette théorie, qui n’est guère moindre
chez les occultistes que chez les spirites, se comprend beaucoup moins de leur
part, puisqu’ils admettent l’intervention d’êtres assez variés, ce qui prouve
que leurs conceptions sont moins bornées.
A ce point de vue, la théorie « démoniaque » pourrait s’associer d’une
certaine façon à celle que le Dr Gibier appelle « gnômique », puisque, dans
l’une et dans l’autre, il s’agit d’une action exercée par des êtres non humains
; rien ne s’oppose en principe, non seulement à ce qu’il y ait de tels êtres,
mais encore à ce qu’ils soient aussi diversifiés que possible.
Il est très certain que, presque chez tous les peuples et à toutes les
époques, il a été question d’êtres tels que ceux dont le Dr Gibier fait
mention, et ce ne doit pas être sans raison, car, quels que soient les noms qui
leur ont été donnés, ce qui est dit de leur façon d’agir concorde
remarquablement : seulement, nous ne pensons pas qu’ils aient jamais été
regardes comme proprement « immatériels », et d’ailleurs la question, sous ce
rapport, ne se posait pas exactement de la même manière pour les anciens que pour
les modernes, les notions mêmes de « matière » et d’ « esprit » ayant
grandement changé de signification.
D’autre part, la façon dont ces êtres ont été « personnifiés » se
rattache surtout aux conceptions populaires, qui recouvrent une vérité plutôt
qu’elles ne l’expriment, et qui correspondent plutôt aux apparences manifestées
qu’à la réalité profonde ; et c’est un semblable « anthropomorphisme »,
d’origine tout exotérique, que l’on peut reprocher aussi à la théorie des «
élémentals », qui est bien véritablement dérivée de la précédente, qui en est,
si l’on veut, une forme modernisée.
En effet, les « élémentals », au sens premier de ce mot, ne sont pas
autre chose que les « esprits des éléments », que l’ancienne magie partageait
en quatre catégories : salamandres ou esprits du feu, sylphes ou esprits de
l’air, ondins ou esprits de l’eau, gnômes ou esprits de la terre ; bien
entendu, ce mot d’ « esprits » n’était point pris là au sens des spirites, mais
il désignait des êtres subtils, doués seulement d’une existence temporaire, et
n’ayant par conséquent rien de « spirituel » dans l’acception philosophique moderne
; encore n’est-ce là que l’expression exotérique d’une théorie sur le vrai sens
de laquelle nous reviendrons dans la suite.
Les théosophistes ont accordé une importance considérable aux «
élémentals » ; nous avons dit ailleurs que Mme Blavatsky en dut vraisemblablement
l’idée à George H. Felt, membre de la H. B. of L., qui l’attribuait d’ailleurs
tout à fait gratuitement aux anciens Egyptiens. Par la suite, cette théorie fut
plus ou moins étendue et modifiée, tant par les théosophistes eux-mêmes que par
les occultistes français, qui la leur empruntèrent évidemment, tout en
prétendant ne rien leur devoir ; du reste, elle est de celles sur lesquelles
les idées de ces écoles ne furent jamais bien fixées, et nous ne voudrions pas
être chargé de concilier tout ce qui a été dit des « élémentals ».
La masse des théosophistes et des occultistes s’en tient à la
conception la plus grossièrement anthropomorphique ; mais il en est qui ont
voulu donner à la théorie une allure plus « scientifique », et qui, manquant complètement
de données traditionnelles pour lui restituer son sens original et ésotérique,
l’ont tout simplement accommodée aux idées modernes ou aux caprices de leur
propre fantaisie.
Ainsi, les uns ont essayé d’identifier les « élémentals » aux monades
de Leibnitz (1) ; les autres les ont réduits à n’être plus que des « forces
inconscientes », comme Papus pour qui ils sont en outre « les globules sanguins
de l’univers » (2), ou même de simples « centres de forces », en même temps que
des « potentialités d’êtres » (3) ; d’autres encore out cru y voir « des
embryons d’âmes animales ou humaines » (4) ; il en est aussi quelques-uns qui,
dans un tout autre sens, ont poussé la confusion jusqu’à les assimiler aux «
hiérarchies spirituelles » de la kabbale judaïque, d’où il résulterait qu’il
faut comprendre sous ce nom d’ « élémentals » les anges et les démons, auquel
on prétend ainsi faire « perdre leur caractère fantaisiste » (5) !
Ce qui est surtout fantaisiste, ce sont ces assemblages de conceptions
disparates dont les occultistes sont coutumiers ; celles où il se trouve
quelque chose de vrai ne leur appartiennent pas en propre, mais sont des
conceptions anciennes plus ou moins mal interprétées, et les occultistes
semblent avoir pris à tâche, sans doute involontairement, de brouiller toutes
les notions plutôt que de les éclaircir ou d’y mettre de l’ordre.
Un exemple de ces fausses interprétations nous a déjà été fourni par
la théorie des « coques astrales », que le D r Gibier a complètement oubliée
dans sa nomenclature, et qui est encore un emprunt fait par l’occultisme au
théosophisme ; comme nous avons rétabli plus haut le vrai sens de ce dont elle
est une déformation, nous n’y reviendrons pas, mais nous rappellerons que c’est
seulement de la façon que nous avons indiquée alors que l’on peut admettre dans
certains phénomènes une intervention des morts, ou plutôt un simulacre
d’intervention des morts, puisque leur être réel n’y est aucunement intéressé
et n’est point affecté par ces manifestations.
Quant à la théorie des « élémentaires », sur laquelle l’occultisme et
le théosophisme ne se différencient pas plus nettement que sur les précédentes,
elle apparaît comme extrêmement flottante, se confondant parfois avec celle des
« coques », et allant ailleurs, et le plus fréquemment, jusqu’à s’identifier à
l’hypothèse spirite elle-même, à laquelle elle apporte seulement certaines
restrictions.
1 –
Conférence faite à l’Aryan Theosophical Society de NewYork, décembre 1886, par
C. H. A. Bjerregaard : Le Lotus, septembre 1888.
2 –
Traité méthodique de Science occulte, p. 373.
3 –
Marius Decrespe (Maurice Després), Les Microbes de l’Astral.
4 –
Ibid., p. 39.
5 –
Jules Lermina, Magie pratique, pp. 218-220.
A suivre....
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