jeudi 14 juin 2018

Un point sur les « manifestations surnaturelles » et autres phénomènes... Partie 1



Partie I  Magie et psychisme, nulle transcendance...

  

Bien que notre intention ne soit pas d’étudier spécialement les phénomènes du spiritisme, nous devons parler au moins sommairement de leur explication, ne serait-ce que pour montrer qu’on peut fort bien se passer de l’hypothèse spirite, avant d’apporter contre celle-ci des raisons plus décisives.

Faisons remarquer, d’ailleurs, que ce n’est point un ordre logique que nous entendons suivre en cela : il y a, en dehors de toute considération relative aux phénomènes, des raisons pleinement suffisantes pour faire rejeter d’une façon absolue l’hypothèse dont il s’agit ; l’impossibilité de celle-ci étant établie, il faut bien, même si l’on n’a pas d’autre explication toute prête pour rendre compte des phénomènes, se décider à en chercher une.
Seulement, la mentalité de notre époque, étant surtout tournée du côté expérimental, sera mieux préparée, dans bien des cas, à admettre qu’une théorie est impossible et à examiner sans parti pris les preuves qui en sont données, si on lui a montré tout d’abord qu’elle est inutile, et qu’il existe d’autres théories susceptibles de la remplacer avantageusement.


D’un autre côté, il importe de dire tout de suite que beaucoup des faits en question, sinon tous, ne relèvent point de la science ordinaire, ne sauraient rentrer dans les cadres étroits que les modernes ont fixés à celle-ci, et sont, en particulier, tout a fait en dehors du domaine de la physiologie et de celui de la psychologie classique, contrairement à ce que pensent certains psychistes qui s’illusionnent grandement à cet égard.
N’éprouvant aucun respect pour les préjugés de la science officielle, nous n’estimons point que nous ayons à nous excuser de l’apparente étrangeté de quelques-unes des considérations qui vont suivre ; mais il est bon de prévenir ceux qui, en raison des habitudes acquises, pourraient les trouver par trop extraordinaires.


Tout cela, encore une fois, ne veut point dire que nous accordions aux phénomènes psychiques le moindre caractère « transcendant » ; d’ailleurs, aucun phénomène, de quelque ordre qu’il soit, n’a en lui-même un tel caractère, mais cela n’empêche pas qu’il y en ait beaucoup qui échappent aux moyens d’action de la science occidentale moderne, qui n’est point si « avancée » que le croient ses admirateurs, ou qui du moins ne l’est que sur des points très particuliers.
La magie même, du fait quelle est une science expérimentale, n’a absolument rien de « transcendant » ; ce qui peut par contre être regardé comme tel, c’est la « théurgie », dont les effets, même lorsqu’ils ressemblent à ceux de la magie, en diffèrent totalement quant à leur cause ; et c’est précisément la cause, et non pas le phénomène qu’elle produit, qui est alors d’ordre transcendant.

Qu’il nous soit permis, pour mieux nous faire comprendre, d’emprunter ici une analogie à la doctrine catholique (nous parlons seulement d’analogie et non d’assimilation, ne nous plaçant pas au point de vue théologique) : il y a des phénomènes, tout à fait semblables extérieurement, qui ont été constatés chez des saints et chez des sorciers ; or il est bien évident que c’est seulement dans le premier cas qu’on peut leur attribuer un caractère « miraculeux » et proprement « surnaturel » ; dans le second cas, ils peuvent tout au plus être dits « préternaturels » ; si pourtant les phénomènes sont les mêmes, c’est donc que la différence ne réside point dans leur nature, mais uniquement dans leur cause, et ce n’est que du « mode » et des « circonstances » que de tels phénomènes tirent leur caractère surnaturel.

Il va sans dire que, lorsqu’il s’agit du psychisme, nulle cause transcendante ne saurait intervenir, que l’on considère les phénomènes provoqués ordinairement par les pratiques spirites, ou les phénomènes magnétiques et hypnotiques, ou tous ceux qui leur sont plus ou moins connexes ; nous n’avons donc pas à nous préoccuper ici des choses d’ordre transcendant, et c’est dire qu’il est des questions, comme celle des « phénomènes mystiques » par exemple, qui peuvent rester entièrement en dehors des explications que nous envisagerons.


D’autre part, nous n’avons pas à examiner tous les phénomènes psychiques indistinctement, mais seulement ceux qui ont quelque rapport avec le spiritisme ; encore pourrions-nous, parmi ces derniers, laisser de côté ceux qui, comme les phénomènes d’ « incarnation » que nous avons déjà mentionnés, ou comme ceux que produisent les « médiums guérisseurs », se ramènent en réalité, soit à la suggestion, soit au magnétisme proprement dit, puisqu’il est manifeste qu’ils s’expliquent très suffisamment en dehors de l’hypothèse spirite.
Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait aucune difficulté dans l’explication des faits de cet ordre, mais les spirites ne peuvent tout de même pas prétendre à s’annexer tout le domaine de l’hypnotisme et du magnétisme ; du reste, il est possible que ces faits se trouvent, comme par surcroît, quelque peu éclaircis par les indications que nous donnerons à propos des autres.

Après ces observations générales, indispensables pour poser et délimiter la question comme elle doit l’être, nous pouvons rappeler les principales théories qui ont été émises pour expliquer les phénomènes du spiritisme ; il y en a un assez grand nombre, mais le Dr Gibier a cru pouvoir les ramener à quatre types (1) ; sa classification n’est pas sans défauts, loin de là, mais elle peut nous servir de point de départ.

1 – Le Spiritisme, pp. 310-311.


La première, qu’il appelle « théorie de l’être collectif », se définirait ainsi : « Un fluide spécial se dégage de la personne du médium, se combine avec le fluide des personnes présentes pour constituer un personnage nouveau, temporaire, indépendant dans une certaine mesure, et produisant les phénomènes connus. »

Ensuite vient la théorie « démoniaque », d’après laquelle « tout est produit par le diable ou ses suppôts », et qui revient en somme à assimiler le spiritisme à la sorcellerie.

En troisième lieu, il y a une théorie que le Dr Gibier appelle bizarrement « gnômique », selon laquelle « il existe une catégorie d’êtres, un monde immatériel, vivant à côté de nous et manifestant sa présence dans certaines conditions : ce sont ces êtres qu’on a connus de tout temps sous le nom de génies, fées, sylvains, lutins, gnômes, farfadets, etc. »
Nous ne savons pourquoi il a choisi les gnômes plutôt que d’autres pour donner une dénomination à cette théorie, à laquelle il rattache celle des théosophistes (en l’attribuant faussement au Bouddhisme), qui met les phénomènes sur le compte des « élémentals ».

Enfin, il y a la théorie spirite, suivant laquelle « toutes ces manifestations sont dues aux esprits ou âmes des morts, qui se mettent en rapport avec les vivants, en manifestant leurs qualités ou leurs défauts, leur supériorité ou, au contraire, leur infériorité, tout comme s’ils vivaient encore ».

Chacune de ces théories, sauf la théorie spirite qui seule est absurde, peut contenir une part de vérité et expliquer effectivement, non pas tous les phénomènes, mais certains d’entre eux ; le tort de leurs partisans respectifs est surtout d’être trop exclusifs et de vouloir tout ramener à une théorie unique.

Quant à nous, nous ne pensons même pas que tous les phénomènes sans exception doivent nécessairement être expliqués par l’une ou l’autre des théories qui viennent d’être énumérées, car il y a dans cette liste des omissions et des confusions ; d’ailleurs, nous ne sommes pas de ceux qui croient que la simplicité d’une explication est une sûre garantie de sa vérité : on peut assurément souhaiter qu’il en soit ainsi, mais les choses ne sont point obligées de se conformer à nos désirs, et rien ne prouve qu’elles doivent être ordonnées précisément de la façon qui serait la plus commode pour nous ou la plus propre à faciliter notre compréhension ; un tel « anthropocentrisme », chez nombre de savants et de philosophes, suppose vraiment de bien naïves illusions.

La théorie « démoniaque » a le don de mettre spécialement en fureur les spirites aussi bien que les « scientistes », les uns et les autres faisant pareillement profession de ne pas croire au démon ; pour les spirites, il semble qu’il ne doive pas y avoir dans le « monde invisible » autre chose que des êtres humains, ce qui est bien la limitation la plus invraisemblablement arbitraire qui se puisse imaginer. Comme nous aurons à nous expliquer plus loin sur le « satanisme », nous n’y insisterons pas pour le moment ; nous ferons seulement remarquer que l’opposition à cette théorie, qui n’est guère moindre chez les occultistes que chez les spirites, se comprend beaucoup moins de leur part, puisqu’ils admettent l’intervention d’êtres assez variés, ce qui prouve que leurs conceptions sont moins bornées.


A ce point de vue, la théorie « démoniaque » pourrait s’associer d’une certaine façon à celle que le Dr Gibier appelle « gnômique », puisque, dans l’une et dans l’autre, il s’agit d’une action exercée par des êtres non humains ; rien ne s’oppose en principe, non seulement à ce qu’il y ait de tels êtres, mais encore à ce qu’ils soient aussi diversifiés que possible.
Il est très certain que, presque chez tous les peuples et à toutes les époques, il a été question d’êtres tels que ceux dont le Dr Gibier fait mention, et ce ne doit pas être sans raison, car, quels que soient les noms qui leur ont été donnés, ce qui est dit de leur façon d’agir concorde remarquablement : seulement, nous ne pensons pas qu’ils aient jamais été regardes comme proprement « immatériels », et d’ailleurs la question, sous ce rapport, ne se posait pas exactement de la même manière pour les anciens que pour les modernes, les notions mêmes de « matière » et d’ « esprit » ayant grandement changé de signification.

D’autre part, la façon dont ces êtres ont été « personnifiés » se rattache surtout aux conceptions populaires, qui recouvrent une vérité plutôt qu’elles ne l’expriment, et qui correspondent plutôt aux apparences manifestées qu’à la réalité profonde ; et c’est un semblable « anthropomorphisme », d’origine tout exotérique, que l’on peut reprocher aussi à la théorie des « élémentals », qui est bien véritablement dérivée de la précédente, qui en est, si l’on veut, une forme modernisée.


En effet, les « élémentals », au sens premier de ce mot, ne sont pas autre chose que les « esprits des éléments », que l’ancienne magie partageait en quatre catégories : salamandres ou esprits du feu, sylphes ou esprits de l’air, ondins ou esprits de l’eau, gnômes ou esprits de la terre ; bien entendu, ce mot d’ « esprits » n’était point pris là au sens des spirites, mais il désignait des êtres subtils, doués seulement d’une existence temporaire, et n’ayant par conséquent rien de « spirituel » dans l’acception philosophique moderne ; encore n’est-ce là que l’expression exotérique d’une théorie sur le vrai sens de laquelle nous reviendrons dans la suite.
Les théosophistes ont accordé une importance considérable aux « élémentals » ; nous avons dit ailleurs que Mme Blavatsky en dut vraisemblablement l’idée à George H. Felt, membre de la H. B. of L., qui l’attribuait d’ailleurs tout à fait gratuitement aux anciens Egyptiens. Par la suite, cette théorie fut plus ou moins étendue et modifiée, tant par les théosophistes eux-mêmes que par les occultistes français, qui la leur empruntèrent évidemment, tout en prétendant ne rien leur devoir ; du reste, elle est de celles sur lesquelles les idées de ces écoles ne furent jamais bien fixées, et nous ne voudrions pas être chargé de concilier tout ce qui a été dit des « élémentals ».

La masse des théosophistes et des occultistes s’en tient à la conception la plus grossièrement anthropomorphique ; mais il en est qui ont voulu donner à la théorie une allure plus « scientifique », et qui, manquant complètement de données traditionnelles pour lui restituer son sens original et ésotérique, l’ont tout simplement accommodée aux idées modernes ou aux caprices de leur propre fantaisie.

Ainsi, les uns ont essayé d’identifier les « élémentals » aux monades de Leibnitz (1) ; les autres les ont réduits à n’être plus que des « forces inconscientes », comme Papus pour qui ils sont en outre « les globules sanguins de l’univers » (2), ou même de simples « centres de forces », en même temps que des « potentialités d’êtres » (3) ; d’autres encore out cru y voir « des embryons d’âmes animales ou humaines » (4) ; il en est aussi quelques-uns qui, dans un tout autre sens, ont poussé la confusion jusqu’à les assimiler aux « hiérarchies spirituelles » de la kabbale judaïque, d’où il résulterait qu’il faut comprendre sous ce nom d’ « élémentals » les anges et les démons, auquel on prétend ainsi faire « perdre leur caractère fantaisiste » (5) ! 

Ce qui est surtout fantaisiste, ce sont ces assemblages de conceptions disparates dont les occultistes sont coutumiers ; celles où il se trouve quelque chose de vrai ne leur appartiennent pas en propre, mais sont des conceptions anciennes plus ou moins mal interprétées, et les occultistes semblent avoir pris à tâche, sans doute involontairement, de brouiller toutes les notions plutôt que de les éclaircir ou d’y mettre de l’ordre.



Un exemple de ces fausses interprétations nous a déjà été fourni par la théorie des « coques astrales », que le D r Gibier a complètement oubliée dans sa nomenclature, et qui est encore un emprunt fait par l’occultisme au théosophisme ; comme nous avons rétabli plus haut le vrai sens de ce dont elle est une déformation, nous n’y reviendrons pas, mais nous rappellerons que c’est seulement de la façon que nous avons indiquée alors que l’on peut admettre dans certains phénomènes une intervention des morts, ou plutôt un simulacre d’intervention des morts, puisque leur être réel n’y est aucunement intéressé et n’est point affecté par ces manifestations.

Quant à la théorie des « élémentaires », sur laquelle l’occultisme et le théosophisme ne se différencient pas plus nettement que sur les précédentes, elle apparaît comme extrêmement flottante, se confondant parfois avec celle des « coques », et allant ailleurs, et le plus fréquemment, jusqu’à s’identifier à l’hypothèse spirite elle-même, à laquelle elle apporte seulement certaines restrictions.

1 – Conférence faite à l’Aryan Theosophical Society de NewYork, décembre 1886, par C. H. A. Bjerregaard : Le Lotus, septembre 1888.
2 – Traité méthodique de Science occulte, p. 373.
3 – Marius Decrespe (Maurice Després), Les Microbes de l’Astral.
4 – Ibid., p. 39.
5 – Jules Lermina, Magie pratique, pp. 218-220.



A suivre....


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