mardi 14 mai 2019

René Guénon - LE DEMIURGE partie 2/4


René Guénon, Le démiurge, Revue la Gnose, nov.1909, pseudonyme : Palingénius

Les écrits de R. Guénon, sous le pseudo « Palingénius » sont disponibles ICI


Note : 
Attention aux interprétations trop superficielles et formalistes et si j’en parle c’est d’expérience.

Il est bien évident qu’il ne faut pas conclure de ce texte que Satan n’existe pas, ce qui est d’ailleurs expressément réfuté dans un autre texte de Guénon :
  • « .... mais leur aveuglement est souvent irrémédiable, et leur bonne foi même contribue à attirer d’autres victimes ; cela n’autorise-t-il pas à dire que la suprême habileté du diable, de quelque façon qu’on le conçoive, c’est de faire nier son existence ? »

Non, tout n’est pas « symbolique » et « en nous » ; il en est d’ailleurs de même pour le Christ de la Seconde venue, le Mahdî et le Dajjal (l’Antéchrist) et sur ce dernier, Guénon est explicite :
  • « l’Antéchrist doit évidemment être aussi près que possible de cette « désintégration », (...) et cet état, figuré par les difformités mêmes et les disproportions de sa forme corporelle, est véritablement sur la limite inférieure des possibilités de notre état individuel, de sorte que le sommet de la « contre-hiérarchie » est bien la place qui lui convient proprement dans ce « monde renversé » qui sera le sien. »



Chacun a sa réalité propre (et corporelle) dans notre monde, en complément du symbolisme dont ils sont comme « l’extériorisation ».
Supposer que tout cela n’est que symbolique et que tout est « dans l’homme », c’est exactement rejeter tout principe supérieur et toute transcendance.
En niant l’existence corporelle de l’Antéchrist on nie aussi, de facto, celle de Jésus. De même en ramenant tout à l’homme, on l’établit ainsi dans une position centrale (parodique du véritable Centre) illustrant ainsi cette phrase guénonienne : « l'homme moderne, au lieu de chercher à s'élever à la vérité, prétend la faire descendre à son niveau ».

C’est bien ce dangereux cheminement qui mène du luciférianisme (refus de reconnaissance d’une autorité supérieure) au satanisme (renversement des rapports normaux de l’ordre hiérarchique) et à la doctrine de l’AC qui n’établira pas autre chose avec sa « religion de l’homme ».

Tout ceci montre « qu’il faut avoir bien soin de ne jamais confondre les divers plans de l’Univers, car ce qu’on dit de l’un pourrait n’être pas vrai pour l’autre. » 
Chaque élément doit être considéré comme strictement défini et applicable dans son domaine propre en prenant bien garde à ne pas mélanger les différents points de vue.

C’est là qu’intervient l’importance de la Connaissance qui permet de se dégager de toutes les illusions individuelles, qu’elles proviennent des états « grossiers » ou plus insidieusement, du monde psychique (par les rêves) ; « il n’y a aucun autre moyen d’obtenir la délivrance complète et finale que la Connaissance ; c’est le seul instrument qui détache les liens des passions ».
  • « L’homme qui a reçu une demi-instruction, au contraire, a presque toujours une mentalité déformée, et ce qu’il croit savoir lui donne une telle suffisance qu’il s’imagine pouvoir parler de tout indistinctement ; il le fait à tort et à travers, mais d’autant plus facilement qu’il est plus incompétent : toutes choses paraissent si simples à celui qui ne connaît rien ! »





Partie II


Ce que nous avons dit au sujet de la distinction du Bien et du Mal permet de comprendre le symbole de la Chute originelle, du moins dans la mesure où ces choses peuvent être exprimées.

La fragmentation de la Vérité totale, ou du Verbe, car c’est la même chose au fond, fragmentation qui produit la relativité, est identique à la segmentation de l’Adam Kadmon, dont les parcelles séparées constituent l’Adam Protoplaste, c’est-à-dire le premier formateur ; la cause de cette segmentation, c’est Nahash, l’Egoïsme ou le désir de l’existence individuelle.

Ce Nahash n’est point une cause extérieure à l’homme, mais il est en lui, d’abord à l’état potentiel, et il ne lui devient extérieur que dans la mesure où l’homme lui-même l’extériorise ; cet instinct de séparativité, par sa nature qui est de provoquer la division, pousse l’homme à goûter le fruit de l’Arbre de la Science du Bien et du Mal, c’est-à-dire à créer la distinction même du Bien et du Mal. 


Alors, les yeux de l’homme s’ouvrent, parce que ce qui lui était intérieur est devenu extérieur, par suite de la séparation qui s’est produite entre les êtres ; ceux-ci sont maintenant revêtus de formes, qui limitent et définissent leur existence individuelle, et ainsi l’homme a été le premier formateur. Mais lui aussi se trouve désormais soumis aux conditions de cette existence individuelle, et il est revêtu également d’une forme, ou, suivant l’expression biblique, d’une tunique de peau ; il est enfermé dans le domaine du Bien et du Mal, dans l’Empire du Démiurge.

On voit par cet exposé, d’ailleurs très abrégé et très incomplet, qu’en réalité le Démiurge n’est point une puissance extérieure à l’homme ; il n’est en principe que la volonté de l’homme en tant qu’elle réalise la distinction du Bien et du Mal. Mais ensuite l’homme, limité en tant qu’être individuel par cette volonté qui est la sienne propre, la considère comme quelque chose d’extérieur à lui, et ainsi elle devient distincte de lui ; bien plus, comme elle s’oppose aux efforts qu’il fait pour sortir du domaine où il s’est lui-même enfermé, il la regarde comme une puissance hostile, et il l’appelle Shathan ou l’Adversaire. 


Remarquons d’ailleurs que cet Adversaire, que nous avons créé nous-mêmes et que nous créons à chaque instant, car ceci ne doit point être considéré comme ayant eu lieu en un temps déterminé, que cet Adversaire, disons-nous, n’est point mauvais en lui-même, mais qu’il est seulement l’ensemble de tout ce qui nous est contraire.
A un point de vue plus général, le Démiurge, devenu une puissance distincte et envisagé comme tel, est le Prince de ce Monde dont il est parlé dans l’Evangile de Jean ; ici encore, il n’est à proprement parler ni bon ni mauvais, ou plutôt il est l’un et l’autre, puisqu’il contient en lui-même le Bien et le Mal.

On considère son domaine comme le Monde inférieur, s’opposant au Monde supérieur ou à l’Univers principiel dont il a été séparé, mais il faut avoir soin de remarquer que cette séparation n’est jamais absolument réelle ; elle n’est réelle que dans la mesure où nous la réalisons, car ce Monde inférieur est contenu à l’état potentiel dans l’Univers principiel, et il est évident qu’aucune partie ne peut réellement sortir du Tout. C’est d’ailleurs ce qui empêche que la chute se continue indéfiniment ; mais ceci n’est qu’une expression toute symbolique, et la profondeur de la chute mesure simplement le degré auquel la séparation est réalisée. Avec cette restriction, le Démiurge s’oppose à l’Adam Kadmon ou à l’Humanité principielle, manifestation du Verbe, mais seulement comme un reflet, car il n’est point une émanation, et il n’existe pas par lui-même ; c’est ce qui est représenté par la figure des deux vieillards du Zohar, et aussi par les deux triangles opposés du Sceau de Salomon.

Nous sommes donc amenés à considérer le Démiurge comme un reflet ténébreux et inversé de l’Être, car il ne peut pas être autre chose en réalité. Il n’est donc pas un être ; mais, d’après ce que nous avons dit précédemment, il peut être envisagé comme la collectivité des êtres dans la mesure où ils sont distincts, ou, si l’on préfère, en tant qu’ils ont une existence individuelle. Nous sommes des êtres distincts en tant que nous créons nous-mêmes la distinction, qui n’existe que dans la mesure où nous la créons ; en tant que nous créons cette distinction, nous sommes des éléments du Démiurge, et, en tant qu’êtres distincts, nous appartenons au domaine de ce même Démiurge, qui est ce qu’on appelle la Création.


Tous les éléments de la Création, c’est-à-dire les créatures, sont donc contenues dans le Démiurge lui-même, et en effet il ne peut les tirer que de lui-même, puisque la création ex nihilo est impossible. Considéré comme Créateur, le Démiurge produit d’abord la division, et il n’en est point réellement distinct, puisqu’il n’existe qu’autant que la division elle-même existe ; puis, comme la division est la source de l’existence individuelle, et que celle-ci est définie par la forme, le démiurge doit être envisagé comme formateur et alors il est identique à l’Adam Protoplastes, ainsi que nous l’avons vu. 

On peut encore dire que le Démiurge crée la Matière, en entendant par ce mot le chaos primordial qui est le réservoir commun de toutes les formes ; puis il organise cette Matière chaotique et ténébreuse où règne la confusion, en en faisant sortir les formes multiples dont l’ensemble constitue la Création.
Doit-on dire maintenant que cette Création soit imparfaite ? On ne peut assurément pas la considérer comme parfaite ; mais, si l’on se place au point de vue universel, elle n’est qu’un des éléments constitutifs de la Perfection totale. Elle n’est imparfaite que si on la considère analytiquement comme séparée de son Principe, et c’est d’ailleurs dans la même mesure qu’elle est le domaine du Démiurge ; mais, si l’imparfait n’est qu’un élément du Parfait, il n’est pas vraiment imparfait, et il résulte de là qu’en réalité le Démiurge et son domaine n’existent pas au point de vue universel, pas plus que la distinction du Bien et du Mal. 
Il en résulte également que, au même point de vue, la Matière n’existe pas : l’apparence matérielle n’est qu’illusion, d’où il ne faudrait d’ailleurs pas conclure que les êtres qui ont cette apparence n’existent pas, car ce serait tomber dans une autre illusion, qui est celle d’un idéalisme exagéré et mal compris.

Si la Matière n’existe pas, la distinction de l’Esprit et de la Matière disparaît par là même ; tout doit être Esprit en réalité, mais en entendant ce mot dans un sens tout différent de celui que lui ont attribué la plupart des philosophes modernes. Ceux-ci, en effet, tout en opposant l’Esprit à la Matière, ne le considèrent point comme indépendant de toute forme, et l’on peut alors se demander en quoi il se différencie de la Matière ; si l’on dit qu’il est inétendu, peut-il être revêtu d’une forme ? D’ailleurs, pourquoi vouloir définir l’Esprit ? Que ce soit par la pensée ou autrement, c’est toujours par une forme qu’on cherche à le définir, et alors il n’est plus l’Esprit. En réalité, l’Esprit universel est l’Être, et non tel ou tel être particulier ; mais il est le Principe de tous les êtres, et ainsi il les contient tous ; c’est pourquoi tout est Esprit.


Lorsque l’homme parvient à la connaissance réelle de cette vérité, il identifie lui-même et toutes choses à l’Esprit universel, alors toute distinction disparaît pour lui, de telle sorte qu’il contemple toutes choses comme étant en lui-même, et non plus comme extérieures, car l’illusion s’évanouit devant la Vérité comme l’ombre devant le soleil.

Ainsi, par cette connaissance même, l’homme est affranchi des liens de la Matière et de l’existence individuelle, il n’est plus soumis à la domination du Prince de ce Monde, il n’appartient plus à l’Empire du Démiurge.

(À suivre.)



10 commentaires:

  1. La plus grande ruse de Satan est de faire croire qu'il existe.

    Tous les actes appartiennent à Dieu, tous les noms appartiennent à Dieu, c'est-à-dire à l'Infini.

    Un point de la "Sphère Universelle" bouge, tous les points bougent ensemble. Ainsi, il ne saurait y avoir de "force contraire" à la plénitude de l'activité divine. Satan, tel que conçu, n'a aucune existence en propre. Cette forme n'aura servi qu'à guider par la Main Divine certains actes, certaines pensées. C'est une forme pour mouvoir certains êtres (pour ou contre) dans le sens imparti par la Divinité.

    L'étymologie du mot "Satan" est intéressante à considérer à cet égard. En toutes choses, il est bon de considérer les origines. Deux étymologies viennent éclairer la question :

    1) en hébreu, "Shaytan" désigne l'Adversaire. Une première difficulté apparaît ici : un Adversaire "dans le vide" n'a aucun sens logique. Il conviendrait de savoir de quel adversaire il s'agit. Le mot "Shaytan" désigne une relativité, un type de relation : il n'a pas de substance en propre.

    2) La nature de cet "adversaire" est précisée par une seconde étymologie, tirée d'une autre langue. En sumérien, "Satam" ou "Shatam" désignait un administrateur territorial. En se souvenant de l'épisode de la captivité à Babylone, quelque chose se dessine : "Satan" n'était que l'administrateur territorial qui emmerdait les Juifs captifs...

    Dans une série d'incompréhensions croissantes, avec le jeu des puissances, de ce personnage d'enquiquineur, nous passâmes à une sorte de figure monstrueuse, surpuissante. Qui n'est qu'une hallucination collective, un croquemitaine destiné à faire peur et à asseoir une position de domination sur les faibles d'esprit. Jusqu'à aboutir aux visions démentielles d'Apocalypses diverses : l'humain, par son cerveau symbolique, agit en fonction de sa programmation et de ses conceptions.

    Descendons encore un chaînon plus loin dans le temps. Le mot "Sata" désignait dans la tradition égyptienne un Serpent. Rappelons que Moïse était un Initié égyptien extrêmement puissant et renégat, qui s'est enfui avec une Initiation rarissime qu'il était censé retransmettre selon une loi cyclique. Moïse s'est servi du peuple hébreu présent en Egypte pour asseoir sa volonté de puissance. Il a élu ce peuple pour ses sombres desseins avant que de l'emmener... Il existe dans le Livre des Morts égyptien une incantation fondée sur Sata qui éclaire la dégénérescence et l'adultération que ce Principe a connu. La voici :

    "Je suis Sata le Serpent
    Aux années sans nombre,
    Chaque jour gisant mort, renaissant.
    Je suis Sa-en-ta le Serpent,
    Le Fils de la Terre,
    Gisant dans la mort,
    Renaissant,
    Je suis Vivant, encore."

    Comme tout un chacun peut le voir, aucune notion d'adversaire, de "mal" ou de quoi que ce soit de préjudiciable. Juste un hymne à la régénération de la nature, de l'être humain. Revivifier, raviver, éclairer. Le Serpent n'est pas ce symbole de tentateur, d'adversaire qu'ont imposé certains issus de traditions de tarés, c'est-à-dire de ratés, de personnes refusant toute montée de l'humain vers la Réalisation spirituelle. Des traditions à peine dignes du néolithique, qui embrouillent tout, confondent toutes les notions. Les maîtres du chaos.

    Ce Serpent se manifeste dans le corps humain par exemple dans la forme de la colonne vertébrale : l'axe vertical, menant du Luz à sa base jusqu'au cerveau, siège et symbole de l'Esprit. D'autres exemples se retrouvent dans les neurones ou les spermatozoïdes.

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    1. Tu as lu la note d'introduction que j'avais faite ?

      La Délivrance n'est pas destinée à tout un chacun, devrait-on vivre des siècles. Son "obtention" ne concerne qu'une infime portion de l'humanité et "les germes du cycle futur".

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  2. @Greg David : As-tu supprimé certains de tes comms ? J'ai l'impression qu'il en manque... en tous cas je ne les retrouve plus ?!

    J'ai rajouté cette page... : https://lapieceestjouee.blogspot.com/p/le-poeme-de-ligeia-edgar-allan-poe.html


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    1. Non, je n'y ai pas touché. L'Univers enlève bien ce qu'il veut ! J'en ai peut-être trop dit à certains moments.

      Tiens, bonne occasion d'aller revoir un poème de Poe. La nouvelle qui me correspond est "Quatre bêtes en une"...

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    2. Ok merci Greg... Peut-être ai-je rêvé ! ^ ^

      Je l'ai mise suite à un de tes comms chez Ror.
      Sans doute pas ce soir, mais j'irai lire la nouvelle dont tu parles, merci. :-)

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    3. j'espère que ce n'était pas un cauchemar ! Mdrrr

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    4. Non ! ^ ^
      Mais fais attention à qui rode autour de toi...
      Il est des personnes venimeuses qui ne demandent qu'à t'entraîner dans leurs illusions, ne supportant pas qu'on accorde de l'intérêt à d'autres.

      C'est toi qui verra... en toute liberté ! :-)

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    5. Mon premier prénom a, parmi de multiples sens, celui de Vigilant, donc pas de souci de ce côté-là. Je n'ai rien à craindre, ce sont les autres qui ont peur. Comme dit Rorschach dans les Watchmen : "Ce n'est pas moi qui suis enfermé avec vous, c'est vous qui êtes enfermés avec moi".

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    6. Bonne façon d'appréhender les choses....
      Ma préférée étant cette réplique : « Jamais de compromis, pas même face a l'apocalypse. C'est ça la différence entre toi et moi Daniel. »

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    7. Oui, les compromis un temps, la moitié d'un temps, puis plus du tout puisqu'ils ne servent à rien.

      Bonne référence à la Prophétie de Daniel !

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