dimanche 13 janvier 2019

Gilis : Le figuier, le cheval ailé et les grues couronnées... partie 1


Chapitre VII "Les grues couronnées" du livre de Charles André Gilis, Le Maître de l’Or.
(Egalement publié dans Vers la Tradition, n°78, déc. 1999 – janv.-fév. 2000)


Pas de lien à vous donner sur Internet, le livre étant trop récent, mais vous pouvez vous le procurer ici :


Pour information, le chapitre suivant (et dernier) du livre a déjà été publié ici :

Les mystères kabiriques – chapitre VIII


Nous compléterons ces aperçus sur le Wagadu par l’étude de quelques « symboles fondamentaux » qui s’y rapportent : le figuier, le cheval ailé et la grue couronnée.

Le figuier, arbre sacré qui est un attribut de Dinga (2), intervient également dans le culte du Bida dont on dit  qu’il a persisté jusqu’à nos jours d’une façon plus ou moins secrète (3).
Selon M. Tata Cissé, les lieux de culte qui lui sont consacrés se reconnaissent à la réunion de trois éléments (en relation, eux aussi, avec les trois gunas) : un puits, une mare sacrée et un figuier.  La présence du figuier auprès du fondateur de l’Empire et du centre subtil qui assura sa préservation et sa prospérité pendant des siècles est un autre gage de son orthodoxie traditionnelle car, le figuier est, par excellence, le symbole de l’Arbre du Monde.


On oublie trop souvent qu’il figure dans le récit biblique sur le Paradis terrestre : lorsque les yeux d’Adam et Eve s’ouvrirent et qu’ils virent qu’ils étaient nus, « ils se couvrirent de feuilles de figuier » (Genèse, 3, 7).

2 – Qualifié de « maître du figuier de l’abondance » ; voir supra, p.68.
3 – Sans entraîner toutefois le sacrifice humain qu’il comportait au temps de l’Empire.

Ce rôle protecteur et réparateur du figuier permet de l’identifier, du moins sous un certain rapport, à l’Arbre de Vie, et c’est pourquoi l’art ancien représentait l’Arbre du Paradis terrestre sous la forme d’un figuier.
Du reste, René Guénon a rappelé lui-même que « dans la tradition hindoue, l’ « Arbre du Monde » est représenté par le figuier » (4).

Il est donc permis de penser que le fameux « fruit défendu » n’était pas la pomme, ainsi qu’on se l’imagine couramment, mais bien la figue.
Une fois de plus, c’est la tradition islamique qui fournit les clés nécessaires à la bonne compréhension de ce symbolisme. En effet, la sourate 95 du Coran, appelée précisément la sourate du Figuier, commence par ces mots :
« Par le Figuier et l’Olivier. Et par la Montagne du Sinaï » (5).

On remarque tout d’abord qu’il s’agit ici d’un serment divin. Cette particularité revêt un grand intérêt du point de vue du tasarruf et du Califat muhammadien universel, car, selon un enseignement ésotérique de l’islâm, Allâh ne jure jamais que par Lui-même.
Le Figuier apparaît ainsi comme une théophanie essentielle qui justifie pleinement le culte dont il est l’objet dans les traditions antérieures : celles-ci sont abrogées par la loi islamique en tant qu’elles comportent des offrandes ou des prescriptions rituelles spécifiques, mais confirmées et intégrées au sen de la Révélation muhammadienne par les vérités archétypales qu’elles renferment.
On a là un excellent exemple de la façon dont l’islâm a la capacité d’assimiler dans une synthèse finale les vérités essentielles et les symboles contenus dans les formes traditionnelles qui l’ont précédé. En l’occurrence, la haqîqa (vérité essentielle) est liée à la nature du fruit produit par l’arbre, autrement dit la figue.

4 – Voir le symbolisme de la Croix, chap. IX, n. 9 ; ainsi que la déclaration catégorique du Cheikh ad-Dabbâgh dans le Kitâb al-Ibrîz, p. 502.
5 – Cor., 95, I-2.

En effet, le serment initial de la sourate du Figuier évoque la fonction de l’Homme Universel en tant quelle se diversifie dans les « trois mondes » : la Montagne du Sinaï symbolise le Royaume ou la manifestation corporelle, l’Olivier le monde intermédiaire et le Figuier l’ordre principiel.
La signification « intermédiaire »de l’olive tient au fait qu’elle contient une chair et un noyau, un extérieur et un intérieur. Ceci explique le rôle essentiel de l’huile qui en est tirée, aussi bien dans l’initiation royale que dans les rites fondamentaux du christianisme (6).


En revanche, la figue est « simple » et sans parties. Son homogénéité fait dire à Qâchânî, dans le commentaire qu’il donne de cette sourate, qu’elle est tout entière « centre » (7), c’est-à-dire « cœur » et « réalité divine ».
Par là, la figue convient mieux que la pomme pour expliquer la parole du serpent au début de la Genèse :
« Le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » ; c’est donc bien elle qui doit être considérée comme le véritable « fruit défendu ».

Nous ne nous arrêterons que brièvement au cheval ailé, en dépit du rôle majeur qui lui est attribué dans la tradition des Soninké qui le considèrent comme l’ancêtre des chevaux de guerre. Il apparaît pour la première fois chevauché par une femme, Niamey (8), elle-même ancêtre de Dinga et héroïne de ce que M. Tata Cissé appelle « le premier Wagadu ».

6 – Où l’écorce et le noyau représentent les deux natures du Christ.
7 – Huwa lubbu kullu-hu.
8 – Dont la capitale du Niger tire son nom.

Il est caractéristique que son intervention n’entraîne pas la victoire au combat mené par Niamey, mais plutôt qu’il la consacre :
«Jusqu’à minuit, on tailla en pièces les pillards invétérés et les gueux quand, soudain, le ciel se fendit avec fracas et laissa  passer un cheval ailé dit Sambadyimbe, l’ « alezan sorti des profondeurs du Grand Ciel ». il vint se poser en douceur, puis s’agenouilla près de Niamey, qui l’enfourcha aussitôt ». (9)


Le cheval ailé apparaît ainsi comme une sorte de « protecteur céleste » des Soninké et de leur empire, et c’est du reste ainsi qu’il est encore perçu de nos jours. Selon le même auteur (10) :
« (...) dans les villages fondés par les Soninké ou ayant subi leur influence au cours de l’histoire, on retrouve partout la croyance en un cheval ailé ou « génie-cheval » d’un blanc immaculé, parcourant les rues à partir de minuit monté par un cavalier blanc d’entre le jinns qui tient dans sa main une lance phosphorescente. »

9 – Cavaliers et chevaux de guerre au Mali, dans Chasseurs et guerriers, Musée Dapper, p. 74-75.
10 – Actes du premier séminaire international de l’Association SCOA, p. 72-73.

Cette mention des jinns, qui représentent le domaine de la manifestation subtile, indique bien la nature et la fonction de cette monture céleste, que l’on retrouve aussi dans d’autres formes traditionnelles, notamment dans la Grèce ancienne avec le mythe de Pégase.

Toutefois, ici encore, c’est la tradition islamique qui fournit la doctrine la plus complète et la plus précise. Le cheval céleste, qui porte en arabe le nom d’al-Burâq, est souvent représenté avec des ailes dans l’iconographie traditionnelle. Celles-ci lui servent à s’élever dans les sept Cieux planétaires, qui correspondent au domaine subtil, alors que les ailes des anges dépassent ce degré en leur conférant la maîtrise des états supra-individuels.



Al-Burâq est issu du Paradis : c’est le cheval de l’Ange Gabriel et la monture emblématique des prophètes ; plus spécialement de deux d’entre eux.
Le premier est Abraham dont la fonction, ainsi que nous l’avons montré à plusieurs reprises, concerne une période marquée par la prédominance de l’esprit guerrier ; or, c’est al-Burâq qui lui est donné pour qu’il puisse rejoindre son fils Ismâ’îl qui était à ce moment à la Kaaba de La Mekke.

Le second prophète est Muhammad, qui monta le cheval ailé pendant toute la première partie du Voyage Nocturne, celle qui se termine au Lotus de la Limite, c’est-à-dire à l’extrémité du domaine de la manifestation formelle. La fonction d’al-Burâq, dont l’éclat rappelle celui de la foudre et la blancheur celle de l’éclair (évoqué par le terme barq qui est de la même racine), concerne effectivement le degré de l’homme véritable et la réalisation des « petits mystères », ce qui, par ailleurs, explique sa présence dans les données traditionnelles relatives au Wagadu. »


A suivre...

2 commentaires:

  1. Je ne savais pas pour le figuier, mais à la lumière de ce qu'il dit, cet arbre et son fruit, si particulier, semblent de meilleurs candidats que la pomme pour symboliser le fruit défendu.

    En allant me renseigner sur ce fruit, il est dit ceci : "Un ficu est également un détail anatomique, à savoir la pomme d'Adam."

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Figue



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