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Symboles de la Science sacrée, chapitre XXXV.
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publié dans les Études Traditionnelles, mai 1938
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Les chapitres précédents sur le symbolisme de la forme cosmique :
Article complémentaire :
Nous avons dit que les deux
portes zodiacales, qui sont respectivement l’entrée et la sortie de la «
caverne cosmique », et que certaines traditions désignent comme la « porte des
hommes » et la « porte des dieux », doivent correspondre aux deux solstices ;
il nous faut maintenant préciser que la première correspond au solstice d’été,
c’est-à-dire au signe du Cancer, et la seconde au solstice d’hiver,
c’est-à-dire au signe du Capricorne.
Pour en comprendre la raison, il
faut se référer à la division du cycle annuel en deux moitiés, l’une «
ascendante » et l’autre « descendante » : la première est la période de la
marche du soleil vers le nord (uttarâyana), allant du solstice d’hiver au
solstice d’été ; la seconde est celle de la marche du soleil vers le sud
(dakshinâyana), allant du solstice d’été au solstice d’hiver (1).
Dans la tradition hindoue, la
phase « ascendante » est mise en rapport avec le dêva-yâna, et la phase «
descendante » avec le pitri-yâna (2), ce qui coïncide exactement avec les
désignations des deux portes que nous venons de rappeler : la « porte des
hommes » est celle qui donne accès au pitri-yâna, et la « porte des dieux » est
celle qui donne accès au dêvayâna ; elles doivent donc se situer respectivement
au début des deux phases correspondantes, c’est-à-dire que la première doit
bien être au solstice d’été et la seconde au solstice d’hiver.
Seulement, dans
ce cas, il s’agit proprement, non d’une entrée et d’une sortie, mais de deux
sorties différentes : cela tient à ce que le point de vue est autre que celui
qui se rapporte d’une façon spéciale au rôle initiatique de la caverne, tout en
se conciliant d’ailleurs parfaitement avec celui-ci.
1 Il
y a lieu de remarquer que le Zodiaque figuré fréquemment au portail des églises
du moyen âge est disposé de façon à marquer nettement cette division du cycle
annuel.
2
Voir notamment Bhagavad-Gîtâ, VIII, 23 à 26 ; cf. L’Homme et son devenir selon
le Vêdânta, ch. XXI. Ŕ Une correspondance analogue se retrouve dans le cycle
mensuel, la période de la lune croissante étant de même en rapport avec le
dêva-yâna, et celle de la lune décroissante avec le pitri-yâna ; on peut dire
que les quatre phases lunaires correspondent, dans un cycle plus restreint, aux
quatre phases solaires qui sont les quatre saisons de l’année.
En effet, la « caverne cosmique » est ici considérée comme le lieu de
manifestation de l’être : après s’y être manifesté dans un certain état, tel
que l’état humain par exemple, cet être, suivant le degré spirituel auquel il
sera parvenu, en sortira par l’une ou l’autre des deux portes ; dans un cas,
celui du pitri-yâna, il devra revenir à un autre état de manifestation, ce qui
sera représenté naturellement par une rentrée dans la « caverne cosmique »
ainsi envisagée ; au contraire, dans l’autre cas, celui du dêva-yâna, il n’y a
plus de retour au monde manifesté.
Ainsi, l’une des deux portes est à la fois une entrée et une sortie,
tandis que l’autre est une sortie définitive ; mais, en ce qui concerne
l’initiation, c’est précisément cette sortie définitive qui est le but final,
de sorte que l’être, qui est entré par la « porte des hommes », doit, s’il a
effectivement atteint ce but, sortir par la « porte des dieux (3) ».
Nous avons expliqué précédemment que l’axe solsticial du Zodiaque,
relativement vertical par rapport à l’axe équinoxial, doit être regardé comme
la projection, dans le cycle solaire annuel, de l’axe polaire nord-sud ;
suivant la correspondance du symbolisme temporel avec le symbolisme spatial des
points cardinaux, le solstice d’hiver est en quelque sorte le pôle nord de
l’année, et le solstice d’été son pôle sud, tandis que les deux équinoxes de
printemps et d’automne correspondent de même respectivement à l’est et à
l’ouest (4).
Cependant, dans le symbolisme vêdique, la porte du dêva-loka est
située au nord-est, et celle du pitriloka au sud-ouest ; mais ceci doit être
considéré seulement comme une indication plus explicite du sens suivant lequel
s’effectue la marche du cycle annuel. En effet, conformément à la
correspondance que nous venons de mentionner, la période « ascendante » se
déroule en allant du nord à l’est, puis de l’est au sud ; de même, la période «
descendante » se déroule en allant du sud à l’ouest, puis de l’ouest au nord (5)
; on pourrait donc dire, avec plus de précision encore, que la « porte des
dieux » est située au nord et tournée vers l’est, qui est toujours regardé
comme le côté de la lumière et de la vie, et que la « porte des hommes » est
située au sud et tournée vers l’ouest, qui est pareillement regardé comme le côté
de l’ombre et de la mort ; et ainsi sont exactement déterminées « les deux
voies permanentes, l’une claire, l’autre obscure, du monde manifesté ; par
l’une il n’est pas de retour (du non-manifesté au manifesté) ; par l’autre on
revient en arrière (dans la manifestation) » (6).
3 La
« porte des dieux » ne peut être une entrée que dans le cas de descente
volontaire, dans le monde manifesté, soit d’un être déjà « délivré », soit d’un
être représentant l’expression directe d’un principe « supracosmique » [Sur ce
point, voir Initiation et réalisation spirituelle, ch. XXXII : Réalisation
ascendante et descendante.]. Mais il est évident que ces cas exceptionnels ne
rentrent pas dans les processus « normaux » que nous envisageons ici. Nous
ferons seulement remarquer qu’on peut facilement comprendre par là la raison
pour laquelle la naissance de l’Avatâra est considérée comme ayant lieu à
l’époque du solstice d’hiver, époque qui est celle de la fête de Noël dans la
tradition chrétienne.
4
Dans la journée, la moitié ascendante est de minuit à midi, la moitié
descendante de midi à minuit ; minuit correspond à l’hiver et au nord, midi à
l’été et au sud ; le matin correspond au printemps et à l’est (côté du lever du
soleil), le soir à l’automne et à l’ouest (côté du coucher du soleil). Ainsi,
les phases du jour, comme celles du mois, mais à une échelle encore plus
réduite, reproduisent analogiquement celles de l’année, il en est de même, plus
généralement, pour un cycle quelconque, qui, quelle que soit son étendue, se
divise toujours naturellement suivant la même loi quaternaire. Suivant le
symbolisme chrétien, la naissance de l’Avatâra a lieu non seulement au solstice
d’hiver, mais aussi à minuit ; elle est donc ainsi doublement en correspondance
avec la « porte des dieux ». D’autre part, suivant le symbolisme maçonnique, le
travail initiatique s’accomplit « de midi à minuit », ce qui n’est pas moins
exact si l’on considère ce travail comme une marche s’effectuant de la « porte
des hommes » à la « porte des dieux » ; l’objection qu’on pourrait être tenté
de faire en raison du caractère « descendant » de cette période se résout par
une application du « sens inverse » de l’analogie, ainsi qu’on le verra plus
loin.
5
Ceci est en relation directe avec la question du sens des « circumambulations »
rituelles dans les différentes formes traditionnelles : suivant la modalité «
solaire » du symbolisme, ce sens est celui que nous indiquons ici, et la «
circumambulation » s’accomplit ainsi en ayant constamment à sa droite le centre
autour duquel on tourne ; suivant la modalité « polaire », elle s’accomplit en
sens inverse de celui-là, donc en ayant le centre à gauche. Le premier cas est
celui de la pradakshinâ, telle qu’elle est en usage dans les traditions hindoue
et thibétaine ; le second cas se rencontre notamment dans la tradition
islamique ; il n’est peut-être pas sans intérêt de remarquer que le sens de ces
« circumambulations », allant respectivement de gauche à droite et de droite à
gauche, correspond également à la direction de l’écriture dans les langues
sacrées de ces mêmes formes traditionnelles. Ŕ Dans la maçonnerie, sous sa
forme actuelle, le sens des « circumambulations » est « solaire » ; mais il
parait avoir au contraire été « polaire » dans l’ancien rituel « opératif »,
selon lequel le « trône de Salomon » était d’ailleurs placé à l’occident et non
à l’orient.
6
Bhagavad-Gitâ, VIII, 26. Ŕ On peut remarquer que la « clarté » et l’« obscurité
», caractérisant respectivement ces deux voies, correspondent exactement aux deux
principes complémentaires yang et yin de la tradition extrême-orientale.
Il reste pourtant encore à résoudre une apparence de contradiction,
qui est celle-ci : le nord est désigné comme le point le plus haut (uttara), et
c’est d’ailleurs vers ce point qu’est dirigée la marche ascendante du soleil,
tandis que sa marche descendante est dirigée vers le sud, qui apparaît ainsi
comme le point le plus bas ; mais, d’autre part, le solstice d’hiver, qui
correspond au nord dans l’année, marquant le début du mouvement ascendant, est
en un certain sens le point le plus bas, et le solstice d’été, qui correspond
au sud, et où se termine ce mouvement ascendant, est sous le même rapport le
point le plus haut, à partir duquel commencera ensuite le mouvement descendant,
qui s’achèvera au solstice d’hiver.
La solution de cette difficulté réside dans la distinction qu’il y a
lieu de faire entre l’ordre « céleste », auquel appartient la marche du soleil,
et l’ordre « terrestre », auquel appartient au contraire la succession des
saisons ; selon la loi générale de l’analogie, ces deux ordres doivent, dans
leur corrélation même, être inverses l’un de l’autre, de telle sorte que ce qui
est le plus haut suivant l’un devient le plus bas suivant l’autre, et
réciproquement ; et c’est ainsi que, selon la parole hermétique de la Table
d’Émeraude, « ce qui est en haut (dans l’ordre céleste) est comme ce qui est en
bas (dans l’ordre terrestre) », ou encore que, selon la parole évangélique, «
les premiers (dans l’ordre principiel) sont les derniers (dans l’ordre
manifesté) (7)».
Il n’en est d’ailleurs pas moins vrai que, en ce qui concerne les «
influences » attachées à ces points, c’est toujours le nord qui demeure «
bénéfique », qu’on le considère comme le point vers lequel se dirige la marche
ascendante du soleil dans le ciel, ou, par rapport au monde terrestre, comme
l’entrée du dêva-loka ; et, de même, le sud demeure toujours « maléfique »,
qu’on le considère comme le point vers lequel se dirige la marche descendante
du soleil dans le ciel, ou, par rapport au monde terrestre, comme l’entrée du
pitri-loka (8).
Il faut ajouter que le monde terrestre peut être regardé comme
représentant ici, par transposition, tout l’ensemble du « cosmos » et qu’alors
le ciel représentera, suivant la même transposition, le domaine «
extra-cosmique » ; à ce point de vue, c’est à l’ordre « spirituel », entendu
dans son acception la plus élevée, que devra s’appliquer la considération du «
sens inverse » par rapport, non seulement à l’ordre sensible, mais à l’ordre
cosmique tout entier (9).
7 À
ce double point de vue correspond, entre autres applications, le fait que, dans
des figurations géographiques ou autres, le point placé en haut peut être le
nord ou le sud ; en Chine, c’est le sud et, dans le monde occidental, il en fut
de même chez les Romains et même pendant une partie du moyen âge ; cet usage
est d’ailleurs en réalité, d’après ce que nous venons de dire, le plus correct
en ce qui concerne la représentation des choses terrestres, tandis que par
contre, quand il s’agit des choses célestes, c’est le nord qui doit normalement
être placé en haut ; mais il va de soi que la prédominance de l’un ou de
l’autre des deux points de vue, suivant les formes traditionnelles ou suivant
les époques, peut déterminer l’adoption d’une disposition unique pour tous les
cas indistinctement ; et, à cet égard, le fait de placer le nord ou le sud en
haut apparaît généralement comme lié surtout à la distinction des deux
modalités « polaire » et « solaire », le point qu’on place en haut étant celui
qu’on a devant soi en s’orientant suivant l’une ou l’autre de celles-ci, ainsi
que nous l’expliquerons dans la note suivante.
8
Signalons incidemment, à ce propos, un autre cas où un même point garde aussi
une signification constante à travers certains changements qui constituent des
renversements apparents : l’orientation peut être prise suivant l’une ou
l’autre des deux modalités « polaire » et « solaire » du symbolisme ; dans la
première, en regardant l’étoile polaire, c’est-à-dire en se tournant vers le
nord, on a l’est à sa droite ; dans la seconde, en regardant le soleil au
méridien, c’est-à-dire en se tournant vers le sud, on a au contraire l’est à sa
gauche ; ces deux modalités ont été notamment en usage en Chine à des époques
différentes ; ainsi, le côté auquel a été donnée la prééminence a été parfois
la droite et parfois la gauche, mais en fait, il a toujours été l’est,
c’est-à-dire le « côté de la lumière ». Ajoutons qu’il existe encore d’autres
modes d’orientation, par exemple en se tournant vers le soleil levant ; c’est à
celui-ci que se réfère la désignation sanscrite du sud comme dakshina ou le «
côté de la droite » ; et c’est également celui qui, en Occident, était pratiqué
par les constructeurs du moyen âge pour l’orientation des églises. [cf. La
Grande Triade, ch. VII]
9
Pour donner un exemple de cette application, d’ailleurs en relation assez
étroite avec ce dont il s’agit ici, la « culmination » du soleil visible ayant
lieu à midi, celle du « soleil spirituel » pourra être envisagée symboliquement
comme ayant lieu à minuit ; c’est pourquoi il est dit que les initiés aux «
grands mystères » de l’antiquité « contemplaient le soleil à minuit » ; à ce
point de vue, la nuit représente, non plus l’absence ou la privation de la
lumière, mais son état principiel de non-manifestation, ce qui correspond
d’ailleurs strictement à la signification supérieure des ténèbres ou de la
couleur noire comme symbole du non-manifesté ; et c’est aussi en ce sens que
doivent être entendus certains enseignements de l’ésotérisme islamique, suivant
lesquels « la nuit est préférable au jour ». On peut remarquer en outre que, si
le symbolisme « solaire » a un rapport évident avec le jour, le symbolisme «
polaire » a, de son côté, un certain rapport avec la nuit ; et il est encore
assez significatif, à cet égard que le « soleil de minuit » ait littéralement,
dans l’ordre des phénomènes sensibles, sa représentation dans les régions
hyperboréennes, c’est-à-dire là même où se situe l’origine de la tradition
primordiale.
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