LE MYTHE DE PHAÉTON DANS LES MÉTAMORPHOSES (LIVRE II)
« Dans la mythologie grecque, Phaéton ou Phaéthon (qui signifie «
le brillant ») est le fils d'Hélios, le Soleil et (selon certaines sources,
dont Ovide), de l'Océanide Clymène. Il est mort foudroyé pour avoir perdu le
contrôle du char solaire de son père, et avoir manqué d'embraser le monde.
Le mythe de Phaéton, qui ouvre le second livre des Métamorphoses
d’Ovide, s’étend sur quatre épisodes : le premier, nous montre le jeune
Phaéton, fils d’Hélios et de Clymène, se mettre en route pour aller à la
rencontre de son père. En effet, son ascendance divine ayant été contestée, il
veut en demander la preuve à Hélios lui-même.
Le vœu qu’il émet, conduire son char, lui est accordé à contrecœur.
La seconde partie relate la course de Phaéton dans les cieux. Celle-ci
est si catastrophique que dans la troisième, ayant provoqué une véritable
apocalypse, le garçon est foudroyé par Zeus.
Le dernier épisode relate le deuil des proches de Phaéton. »
Je reproduis ici les seconde et troisième parties.
Le
vol catastrophique de Phaéton : Livre II, 153-271
Entre-temps, les rapides chevaux du Soleil, Pyrois, Éous, Éthon, et
Phlégon le quatrième, emplissent les airs de leurs hennissements, ils sont
pleins de feu et frappent de leurs sabots leurs barrières.
Dès que Téthys, ignorant le destin de son petit-fils, eut repoussé ces
barrières (11), leur donnant accès au ciel
Mais le char était d'un poids léger, que ne pouvaient reconnaître les
chevaux du Soleil ; le joug n'avait pas son poids habituel. […] Sentant cela,
les quatre bêtes de l'attelage aussitôt accélèrent, quittent la piste tracée et
ne prennent pas la direction d'avant. Phaéton a peur ; il ne sait ni par où
tirer les rênes qu'il a en mains, ni où est sa route et, s'il savait, il ne
maîtriserait pas les chevaux.
8
L’ambroisie est la nourriture des dieux.
9
Zone la plus haute des cieux, territoire des dieux.
10
Hélios enjoint son fils à renoncer à son projet ; engagé par son serment, le
Soleil ne peut lui-même refuser ce qu’il a promis. Ses mises en garde et ses
implorations montrent la profondeur de l’affliction de ce père, conscient de
mener son fils à sa perte, et pourtant incapable de l’en empêcher.
11
Téthys, déesse de la mer, est la mère de Clymène et donc la grand-mère de
Phaéton.
Alors, pour la première fois, le Septentrion glacé s'échauffa sous les
rayons et tenta, en vain, de plonger dans la mer interdite (12). […]
En fait, dès que, du haut de l'éther, l'infortuné Phaéton aperçut les
terres qui s'étendaient bien loin, tout en bas, il pâlit, ses genoux se mirent
à trembler d'une crainte soudaine, et, au sein de tant de lumière, des ténèbres
couvrirent ses yeux. À présent, il préférerait n'avoir jamais touché les
chevaux de son père ; il regrette de connaître son origine et de voir ses
prières abouties. […]
Ne sachant que faire, il reste figé ; il ne peut ni relâcher, ni
retenir les rênes ; il ignore même les noms des chevaux. Il voit aussi
d'étranges choses éparses en divers points du ciel et, tremblant d'effroi,
découvre des figures de bêtes monstrueuses.
Il est un endroit où le Scorpion creuse ses pinces en arcs jumeaux :
avec sa queue et ses bras fléchis de part et d'autre, il étend ses membres sur
l'espace de deux signes.
Dès qu'il l'aperçut, tout gluant et suant un noir venin, menaçant de
le blesser de son dard recourbé, l'enfant, incapable de penser, glacé d'épouvante,
lâcha les rênes.
Dès que ces brides lâchées touchent le haut de leur échine, les
chevaux sortent de leur route et, rien ne les retenant plus, gagnent des
régions inconnues ; là où les mènent leur élan ils se précipitent au hasard ;
sous le haut éther, ils se heurtent aux étoiles fixes, entraînant le char hors
des chemins tracés ; tantôt ils gagnent les sommets, tantôt pentes et
précipices les emportent vers des zones plus proches de la terre. […]
Les points les plus élevés de la terre sont la proie des flammes ;
elle se fend, se crevasse et se dessèche, privée de sève. Les pâturages
blanchissent, l'arbre avec ses feuilles est en feu et la moisson séchée s'offre
comme matière à sa propre perte. Il y a pire. De grandes cités avec leurs
remparts périssent, des incendies transforment en cendres des territoires
entiers et leurs populations. Des forêts avec les montagnes se consument. […]
Alors Phaéton voit que l'univers en toutes ses parties est en feu et
il ne résiste pas à des chaleurs si excessives ; il respire l'air brûlant comme
s'il sortait d'une fournaise profonde, et sent que son char est en train de
chauffer à blanc ; il ne peut supporter les cendres et le tourbillon de
poussière, enveloppé de toutes parts par une fumée brûlante. Ne sachant ni où
il va ni où il est, couvert d'une obscurité de poix, il se laisse emporter, au
gré de ses chevaux ailés.
C'est alors, croit-on, que les peuples d'Éthiopie sont devenus noirs,
quand leur sang fut attiré à la surface de leurs corps (13) ; alors la Libye devint
aride, une fois l'humidité absorbée par la chaleur. […]
Le sol tout entier s'entrouvre, et la lumière pénètre dans le Tartare
par les crevasses, effrayant le roi des enfers et son épouse ; la mer se retire
et une plaine de sable aride remplace ce qui naguère était l'océan ; […]
12 Les
étoiles le plus haut placées, notamment les constellations connues sous le nom
de Septentriones (dont la Grande Ourse), sont toujours visibles et ne «
plongent jamais sous la mer », comme le dit Homère (Iliade, 18, 487-489). La
mer leur est ainsi « interdite ».
13
Pour les Anciens, le nom « Ethiopiens » désigne tous les peuples de couleur
noire. Ovide donne ici au mythe une fonction étiologique : il expliquerait
l’origine de la couleur de peau des habitants d’Afrique, ainsi que la présence
de déserts sur ce continent.
La
mort de Phaéton : Livre II, 272-332
Toutefois la Terre nourricière était entourée par l'océan, se trouvant
entre les eaux de la mer et les sources partout taries, qui s'étaient enfouies
dans les obscures entrailles maternelles ; desséchée, elle souleva jusqu'au cou
son visage oppressé, posa la main sur son front et, dans un grand tremblement
ébranlant tout, elle s'affaissa légèrement […] puis, de sa voix sainte, se mit
à parler ainsi :
« Si c'est ta volonté, si je l'ai mérité, pourquoi laisser ta foudre
au repos, ô dieu des dieux ? Puisque je vais périr par les forces du feu,
laisse-moi périr par ta foudre et, causant toi-même ma perte, allège-la. C'est
à peine si je peux dénouer ma gorge pour parler ; » - la fumée lui avait fermé
la bouche -, « vois mes cheveux calcinés, et ces cendres brûlantes sur mes yeux
et sur mon visage ! Est-ce cela ma récompense, est-ce là l'honneur que tu me
rends pour ma fertilité et mes services, moi qui subis les blessures du soc
crochu et des herses, qui suis à l'épreuve toute l'année, moi qui assure aux
troupeaux feuillages et suave nourriture et aux humains récoltes, moi qui vous
procure aussi de l'encens ? […] »
Alors le père tout-puissant attesta devant les dieux et devant celui
même qui avait cédé son char que, s'il ne lui portait secours, le monde entier
périrait, écrasé par le destin (14) ; ensuite il gagna le sommet de la haute
citadelle, d'où il déploie d'habitude les nuages sur toute la terre, d'où il
ébranle le tonnerre, brandit et lance la foudre. Mais il ne trouva alors ni
nuages pour couvrir les terres ni pluies à faire tomber du ciel. Il fait
retentir le tonnerre et, balançant sa foudre à hauteur de son oreille droite,
il l'envoie sur l'aurige (15), lui enlevant à la fois sa vie et son char, et
ainsi arrête de ses feux cruels les feux du Soleil.
Les chevaux désemparés bondissent dans des sens opposés, arrachent le
joug de leur cou, brisant et abandonnant leurs rênes. Ici traînent des harnais,
là un essieu détaché du timon, de ce côté, on voit les rayons des roues brisées
et les restes du char déchiqueté épars sur un large espace.
14
L’intervention de la Terre-Mère, divinité révérée, a été décisive.
15
Conducteur de char ; ici, Phaéton.
Phaéton, dont les cheveux rutilants étaient la proie des flammes,
roule tête en avant ; il est emporté, traçant à travers l'espace une longue
traînée ; ainsi parfois, dans un ciel serein, une étoile, même si elle ne tombe
pas, peut sembler tomber.
Loin de sa patrie, dans une tout autre partie du monde, le grand
Éridan (16) le recueille et baigne son visage encore fumant. Les Naïades
d'Hespérie (17) confient à un tombeau son corps consumé par la flamme aux trois
dards ; et elles inscrivent sur la pierre un poème :
« Ci-gît Phaéton, qui fut l'aurige du char de son père ; Il ne put le
maîtriser, mais sa grande témérité le perdit. »
Son malheureux père, malade de douleur, avait voilé son visage et
s'était caché (18) ; et, si du moins nous pouvons croire la tradition, tout un
jour se passa sans soleil ; la lumière venait des incendies, qui, dans ce
malheur, eurent au moins quelque utilité.
16
L’Éridan est un dieu-fleuve, généralement associé au Pô.
17
Sœurs de Phaéton ; la suite du mythe les voit, de chagrin, se métamorphoser en
saules dont les coulées de sève figurent des larmes éternelles.
18
Le deuil d’Hélios est marqué par une éclipse, phénomène qui inquiétait les
hommes dans l’Antiquité. Cette évocation d’un phénomène naturel est à l’origine
d’une théorie selon laquelle le mythe de Phaéton, comme c’est le cas pour le
Déluge, aurait été inspiré par un événement réel qu’il chercherait à expliquer.
Ovide, Les
Métamorphoses, livre II, vers 1-332
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