mercredi 19 septembre 2018

René Guénon sur Padre Pio...


« Ne sème pas dans le jardin des autres, mais cultive le tien. Ne désire rien d’autre que d’être ce que tu es. Mais désire bien être ce que tu es. Concentre tes pensées à te perfectionner en cela et à porter les croix, petites ou grandes, que tu rencontreras. Et crois-moi, ma petite fille, tel est le grand conseil pour mener sa vie spirituellement, même s’il est le plus méconnu. Chacun aime selon son propre désir. Peu aiment selon leur devoir et le désir de notre Seigneur. » 
(Lettre à Maria Gargani, 27 juillet 1917)




La fête de Saint Padre Pio arrivant bientôt (23 septembre) c’était le bon moment pour vous présenter quelques extraits de la correspondance entre René Guénon et Guido Di Giorgio (écrivain italien ésotérique, ami de RG et qui a collaboré avec lui à la rédaction d'articles sur les deux plus grands magazines ésotériques français de l'époque, Le Voile d'Isis et L'initiation) qui en parlent.

J’ai relevé les passages concernant Padre Pio, ceci afin de montrer l’intérêt et la place à part que Guénon lui réservait ; il en est d’ailleurs de même pour Anne Katerine Emmerich et d’autres.
Chacun est libre d’étudier ou non les prédictions tant qu’il ne se leurre pas sur leur provenance et ne leur attribue pas plus d’importance qu’elles n’en méritent, à fortiori par rapport aux Ecritures.

Mais il est abusif d’instrumentaliser le texte sur « la duperie des prophéties » pour s’en servir d’argument alors que RG lui-même acceptait quelques unes d’entre elles comme valables !

Le manque d’intérêt pour ce « domaine » est totalement respectable et même prudent vu les déviances qui y règnent...  
Ce qui l’est moins, ce sont les personnes réfutent les prédictions en bloc au nom de ce texte. C’est faire preuve d’un manque de discernement total et d’un littéralisme basique.
Qu’elles se détournent de cette "étude" par manque de compétences, c’est tout à leur honneur ; mais en ce cas, qu’elles l’avouent honnêtement sans détourner les écrits de René Guénon pour s’en justifier.
Et certains oublient un peu vite que ce qu’ils se targuent de « vivre » n’est au fond pas différend en sa nature que ce qu’ont vécu les « voyants » qu’ils réfutent ; il faudrait être logique...

Donc prudence et discernement s’imposent ainsi qu’une référence permanente aux Écritures... mais il est tout aussi peu judicieux d’accepter les prédictions en totalité que de les réfuter dans leur entier.  




Le 15 novembre 1947 :

Ce que vous me dites de Padre Pio est vraiment bien curieux encore et donne bien l’impression qu’il doit y avoir là quelque chose qui sort de l’ordinaire ; n’oubliez pas de m’en reparler si vous apprenez autre chose, et surtout si vous réussissez à trouver le moyen de le voir. – D’un autre côté, il paraît qu’il y aurait eu, aux environs de Rome, une apparition de la Vierge sur laquelle les autorités ecclésiastiques font le silence ; avez-vous entendu parler de cela ?
On me dit aussi qu’il s’est produit dernièrement en France plusieurs choses du même genre ; je dois dire que tout cela ne me paraît pas très rassurant, car ces manifestations ont trop souvent des “dessous” assez ténébreux ; mais, bien entendu, le cas de Padre Pio fait l’effet d’être quelque chose de tout différent. Je me demande aussi, à propos de ce dernier, si on s’en occupe plus ou moins officiellement à Rome, et si on lui est favorable ou défavorable ; cela ne prouve rien d’ailleurs, mais pourrait donner une indication sur les tendances qui prédominent actuellement dans le monde ecclésiastique. Sur ce qui se passe dans celui-ci, il m’est revenu des choses qui semblent indiquer un assez grand désordre et une pénétration de plus en plus accentuée des idées modernes...


Le 8 mars 1948 :

J’ai été très intéressé par ce que vous me dites de Padre Pio et de la visite que vous lui avez faite ; il est heureux que vous ayez pu arriver finalement à surmonter pour cette fois votre horreur des voyages ! Il semble vraiment qu’il y ait là quelque chose de tout à fait extraordinaire à bien des égards ; cette ressemblance étonnante que vous lui avez trouvée avec Mohammed Kheireddin est bien étrange aussi… Que son rôle, comme vous le dites, soit tout autre que d’enseigner, cela n’a en somme rien d’invraisemblable ; il s’agirait plutôt, si je comprends bien, d’une sorte d’action qui s’exerce autour de lui par le fait de sa seule présence, ce qui fait penser au rôle des afrâd dans l’ésotérisme islamique (et il est bien entendu qu’il peut y avoir quelque chose de semblable dans toutes les formes traditionnelles).


Quant à l’hostilité qui existe contre lui dans le clergé, je n’ai pas besoin de vous dire que je n’en suis nullement étonné ; c’est même plutôt le contraire qui serait surprenant, avec les tendances qui dominent actuellement. D’après tout ce qu’on me dit, les idées modernes gagnent de plus en plus de terrain dans les milieux ecclésiastiques de tous les pays ; croiriez-vous qu’il y a dans le clergé français un mouvement considérable pour demander l’adoption d’une liturgie en langue vulgaire ? Si les choses en arrivaient là, on peut se demander ce qui resterait encore de réellement valable au point de vue rituel… 
Autre symptôme : la revue “Études” des Jésuites français ne fait plus autre chose que de défendre le point de vue scientiste et évolutionniste ; on dit qu’ils ont été rappelés à l’ordre par Rome, mais qu’ils n’en ont tenu aucun compte ; et ce qui est encore pis, ils ont publié récemment une déclaration du cardinal Liénart en faveur de l’évolutionnisme ! Ce ne sont là que quelques exemples parmi beaucoup d’autres, et tout cela n’est malheureusement guère de nature à permettre un trop grand “optimisme” sur ce qui peut s’être conservé consciemment dans l’Église actuelle en plus de ce qu’on y voit extérieurement… Il est vrai qu’on ne sait jamais exactement ce qu’il peut y avoir encore dans certains monastères ; mais, même à cet égard, ce qu’en disent ceux qui sont mieux placés pour s’en rendre compte est loin d’être encourageant (il semblerait y avoir d’avantage à ce point de vue dans l’Église grecque orthodoxe). Au fond, je croirais plus volontiers seulement à l’existence en quelque sorte indépendante, ça et là, de quelques êtres exceptionnels, et ce Padre Pio semble bien en être un ; et tout ce qu’on peut sans doute espérer des autorités ecclésiastiques, c’est que du moins elles les laissent à peu près tranquilles et ne les empêchent pas d’exercer cette “action de présence” dont je parlais…

Pour cette apparition aux environs de Rome, depuis que je vous en avais parlé, on m’en a dit aussi d’un autre côté à peu près la même chose que vous, sauf que, d’après cette autre version, il ne s’agissait pas d’un communiste, mais d’un protestant. Il paraît d’ailleurs que les apparitions se multiplient un peu partout ces temps-ci ; on en a signalé aussi plusieurs en France. Je dois dire que je ne trouve pas cela très rassurant, car ces choses ont trop souvent des “dessous” assez suspects ; l’autorité ecclésiastique, dans les cas de ce genre, a certainement bien raison de se montrer très réservée, et même peut-être pas assez encore, car elle finit souvent, sinon par admettre officiellement, du moins par tolérer des choses qu’elle se laisse en quelque sorte imposer par la foule… – Je vous retourne, comme vous me le demandiez, les 2 coupures qui étaient jointes à votre lettre ; bien entendu, il y a toujours eu des choses de ce genre, mais ce qui est singulier, c’est qu’il y ait en ce moment une recrudescence de ces phénomènes plus ou moins extraordinaires ; faut-il y voir une réaction ou une compensation vis-à-vis du “rationalisme” de notre époque, ou y a-t’il à cela d’autres raisons ? Il est d’ailleurs évident que les phénomènes ne prouvent rien, mais ils frappent la généralité des gens, et c’est en cela qu’ils peuvent être utiles ou nuisibles suivant les cas, et suivant l’intention dans laquelle ils sont dirigés ; il ne faut jamais oublier, en effet, qu’il existe fréquemment une similitude extérieure entre les saints et les sorciers, et que “diabolos est sima Dei” dans ce domaine “phénoménique”…

     Il va de soi que tous les doutes qu’on peut avoir sur l’état actuel de l’Église ne concernent pas une situation contingente, et que cela ne change rien quant à vos réflexions sur le Christianisme en lui-même ; ce sont là deux ordres de choses tout à fait différents. Aussi ne suis-je pas étonné des conséquences qu’a eu pour vous votre visite à Padre Pio, et sans doute cela valait-il mieux ainsi, car la pratique des rites d’une tradition est non seulement importante, mais même essentielle ; cela s’accorde tout à fait, comme vous avez pu le voir, avec ce que j’ai écrit moi-même sur la nécessité de l’exotérisme ; mais que de gens aujourd’hui ne peuvent pas ou ne veulent pas comprendre cela ! – Seulement, pour ceux qui veulent aller plus loin que l’exotérisme, il ne faut pas compter sur une aide quelconque de l’organisation ecclésiastique ; les quelques rares groupements où s’est gardé un ésotérisme chrétien authentique sont totalement ignorés de Rome, même quand ils comptent les prêtres parmi leurs membres ; et je ne parle pas d’une ignorance “officielle” qui pourrait se comprendre, mais d’une ignorance tout à fait réelle !

     Pour ce que vous appelez les “intellectuels” catholiques, je crois que vous avez dû penser en particulier aux néo-thomistes, dont vous signalez par ailleurs l’hostilité à l’égard de Padre Pio ; de ceux-là, il n’y a sûrement rien à attendre comme compréhension profonde. Non seulement leur horizon est borné à un point de vue exclusivement “philosophique”, ce qui ne va pas loin en réalité, mais ils s’écartent de plus en plus du thomisme authentique, dont ils ont abandonné tout ce qui est trop difficile à accorder avec la science moderne, et que maintenant ils cherchent même à concilier avec cette nouvelle ineptie qui s’appelle l’“existentialisme”…


Le 17 janvier 1949 :

Je me demande si, malgré toutes les difficultés du voyage, vous serez retourné voir Padre Pio depuis que vous m’avez écrit ; vous me direz sans doute cela la prochaine fois ; cette histoire de sa disparition pendant 15 jours est vraiment bien étrange !


Le 25 février 1949 :

J’ai été très intéressé par le récit de votre voyage, comme vous pouvez le penser ; mais c’est vraiment dommage que vous ayez dû encore vous faire accompagner par quelqu’un qui semble vous avoir plutôt gêné, et aussi, à un autre point de vue, que Padre Pio soit toujours aussi inabordable à cause de la foule, qui paraît même, d’après ce que vous dites, devenir encore de plus en plus énorme.
Bien entendu, je pense tout à fait comme vous que tous ces gens ne peuvent rien comprendre d’une action profonde et ne voient rien d’autre que l’extérieur ; c’est déjà quelque chose qu’ils en reçoivent une certaine influence ; évidemment, chacun en prend ce qu’il peut, et, puisque la chose est “publique”, il ne serait même pas concevable qu’il puisse en être autrement… 
Mais, pour lui-même, je comprends bien que le courant dirigé vers lui par cette foule fournisse un certain support à son action ; et ne pourrait-on pas dire que l’influence ressentie par ces gens, malgré leur incompréhension, en est comme la réciproque, ou comme une sorte de “choc en retour”, naturellement bénéfique ? – Ces mots ou ces sons qu’il prononce pendant la messe sont vraiment quelque chose de bien étrange ; mais ce qui est peut-être le plus étonnant, c’est qu’on le laisse ainsi libre de faire tout ce qu’il veut, même ce qui pourrait passer extérieurement pour des infractions à la liturgie ; il serait curieux de savoir ce que ses supérieurs peuvent voit réellement dans tout cela… –

Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une “hostilité” qu’il aurait contre vous ; le mot de “méfiance”, que vous employez aussi, serait peut-être plus juste, en ce sens qu’il doit assurément voir qu’il y a chez vous quelque chose de différent des autres à qui il a affaire, et qu’il est possible qu’il en éprouve comme un certain gêne. 
Quant à ce qui vous est arrivé quand vous avez voulu servir sa messe, cela encore est bien singulier, mais pourtant peut-on vraiment le lui attribuer, et qu’est-ce qui vous fait penser cela malgré que lui-même l’ait nié ? Le malaise que vous avez ressenti n’aurait-il pas plutôt été dû à quelque réaction inconsciente du “psychisme” collectif de la foule ? Bien entendu, je ne voudrais rien affirmer, mais je vous dis seulement ce qui me paraît le plus vraisemblable… 
Ce que vous dites de l’impression que vous fait son regard, comparé à celui qu’en ont les autres, me paraît bien aussi indiquer qu’il ne doit pas y avoir chez lui quelque chose d’hostile. Si vous pouviez y retourner avec ce prêtre dont vous parlez, ce serait sans doute mieux qu’avec votre ancien élève ; c’est seulement tout ce monde qui forcément sera toujours gênant pour l’aborder, car il ne semble pas qu’on puisse espérer que cette affluence diminue.


Sources :

6 commentaires:

  1. Bonjour Ligeia,
    L'opinion de Guénon est pertinente, le clergé hostile et cette volonté d'amoindrir sa Juste Préssence!
    Dans le même temps que ta parution https://fr.scribd.com/document/322403530/Chiesa-Viva-Pape-Siri-Gregoire-XVII
    Un Gros Merci!

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  2. Merci beaucoup, grâce à ce texte, je viens d'apprendre un nouveau mot : Thomisme et transverbération en cherchant des infos complémentaires sur Padre Pio.

    D'ailleurs quand Jésus dit :"je ne viens pas apporter la paix, mais l'épée" ne parle t il pas de transverbération ?



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    1. Concernant le symbolisme de l'épée, je viens justement de publier un article qui en parle.... :-)

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  3. Dans la foulée je viens de visionner un documentaire sur Padre Pio par le Père Jean Derobert...je reste sans voix.

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  4. Dans le sens où j'ai en suite, acheté le livre de Père Jean Dérobert que je ferai suivre partout où je vais comme la bible, St Augustin (je fais déjà suivre les 22 tomes de sa "cité de Dieu", je trouverai le moyen d'emporter aussi celui sur Padre Pio), la philocalie et le pèlerin russe.

    Ne sais pas quoi dire d'autre, car reste impressionnée (et émue à la fois) par ce personnage mystique.


    Ne sais pas pourquoi, ne m'étais encore pas vraiment penché sur le personnage de Padre Pio (il est vrai que la souffrance de Jésus m'a longtemps horrifiée et ne l'acceptais pas - n'acceptais pas qu'un homme ait pu souffrir autant pour nous qui sommes toujours aussi mauvais -) ?

    Peut être que tout se fait en temps et en heure ?

    En tout cas, merci, merci et encore merci pour ton article sur lui.


    Serai absente durant quelques jours, pour cause d'anniversaire maternel, dimanche. Mais je lirai le texte que tu viens de publier (suis encore en train de regarder des documentaires sur Padre Pio) en revenant.



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