Quatrième et dernière partie : Bilocation, lévitation et "influences errantes"...
Dans le feu, la lumière représente l’aspect supérieur, et la chaleur l’aspect inférieur... |
L’ «état subtil» dont nous parlons, et
auquel doivent être rapportées en général, non seulement les «matérialisations»,
mais aussi toutes les autres manifestations qui supposent une «extériorisation»
à un degré quelconque, cet état, disons-nous, porte le nom de taijasa dans la doctrine hindoue, parce
que celle-ci regarde le principe correspondant comme étant de la nature de
l’élément igné (têjas), qui est à la
fois chaleur et lumière. Cela pourrait être mieux compris par un exposé de la
constitution de l’être humain telle que cette doctrine l’envisage ; mais nous
ne pouvons songer à l’entreprendre ici, car cette question exigerait toute une
étude spéciale, que nous avons d’ailleurs l’intention de faire quelque jour.
Pour le moment, nous devons nous borner à signaler très sommairement
quelques-unes des possibilités de cet « état subtil », possibilités qui dépassent
d’ailleurs de beaucoup tous les phénomènes du spiritisme, et auxquelles ceux-ci
ne sont même plus comparables ; telles sont par exemple les suivantes :
possibilité de transférer dans cet état l’intégralité de la conscience
individuelle, et non plus seulement une portion de « subconscience » comme cela
a lieu dans le sommeil ordinaire et dans les états hypnotiques et médiumniques
; possibilité de « localiser » cet état en un endroit quelconque, ce qui est l’
« extériorisation » proprement dite, et de condenser en cet endroit, par son
moyen, une apparence corporelle qui est analogue à la « matérialisation » des
spirites, mais sans l’intervention d’aucun médium ; possibilité de donner à
cette apparence, soit la forme même du corps (et alors elle mériterait vraiment
le nom de « double »), soit toute autre forme correspondant à une image mentale
quelconque ; enfin, possibilité de « transposer » dans cet état, si l’on peut
ainsi s’exprimer, les éléments constitutifs du corps lui-même, ce qui semblera
sans doute plus extraordinaire encore que tout le reste.
On remarquera qu’il y a là de quoi expliquer, entre autres choses, les phénomènes de « bilocation », qui sont de ceux
auxquels nous faisions allusion lorsque nous disions qu’il y a des phénomènes
dont on trouve des exemples, extérieurement semblables, chez des saints et chez
des sorciers ; on y trouve également l’explication de ces histoires, trop
répandues pour être sans fondement, de sorciers qui ont été vus errant sous des
formes animales, et l’on pourrait encore y voir pourquoi les coups portés à ces
formes ont leur répercussion, en blessures réelles, sur le corps même du
sorcier, aussi bien que lorsque le fantôme de celui-ci se montre sous sa forme
naturelle, qui peut d’ailleurs n’être pas visible pour tous les assistants ;
sur ce dernier point comme sur bien d’autres, le cas de Cideville est
particulièrement frappant et instructif.
D’un autre côté, c’est à des réalisations très incomplètes et très
rudimentaires de la dernière des possibilités que nous avons énumérées qu’il
faudrait rattacher les phénomènes de « lévitation », dont nous n’avions pas
parlé précédemment (et pour lesquels il faudrait répéter la même observation
que pour la « bilocation »), les changements de poids constatés chez les médiums
(et qui ont donné à certains psychistes l’illusion absurde de pouvoir « peser
l’âme »), et aussi ces « changements d’état », ou tout au moins de modalité,
qui doivent se produire dans les « apports ». Il y a de même des cas que l’on
pourrait regarder comme représentant une « bilocation » incomplète : tels sont
tous les phénomènes de « télépathie », c’est-à-dire les apparitions d’êtres
humains à distance, se produisant pendant leur vie ou au moment même de leur
mort, apparitions qui peuvent d’ailleurs présenter des degrés de consistance
extrêmement variables.
Les possibilités dont il s’agit, étant bien au delà du domaine du
psychisme ordinaire, permettent d’expliquer « a fortiori » beaucoup des
phénomènes qu’étudie celui-ci ; mais ces phénomènes, comme on vient de le voir,
n’en représentent que des cas atténués, réduits aux proportions les plus
médiocres. Nous ne parlons d’ailleurs en tout cela que de possibilités, et nous
convenons qu’il est des choses sur lesquelles il serait assez difficile
d’insister, étant donnée surtout la tournure de la mentalité dominante à notre
époque ; à qui ferait-on croire, par exemple, qu’un être humain, dans certaines
conditions, peut quitter l’existence terrestre sans
laisser un cadavre derrière lui ?
Pourtant, nous en appellerons encore au témoignage de la Bible :
Hénoch « ne parut plus, parce que Dieu l’avait pris » (1) ; Moïse « fut
enseveli par le Seigneur, et personne n’a connu son sépulcre » (2) ; Elie monta
aux cieux sur un « char de feu » (3), qui rappelle étrangement le « véhicule
igné » de la tradition hindoue ; et, si ces exemples impliquent l’intervention
d’une cause d’ordre transcendant, il n’en est pas moins vrai que cette
intervention même présuppose certaines possibilités dans l’être humain.
Quoi qu’il en soit, nous n’indiquons tout cela que pour donner à
réfléchir à ceux qui en sont capables, et pour leur faire concevoir jusqu’à un
certain point l’étendue de ces possibilités de l’être humain, si complètement
insoupçonnées du plus grand nombre ; pour ceux-là aussi, nous ajouterons que
tout ce qui se rapporte à cet « état subtil » touche de très près à la nature
même de la vie, que des anciens comme Aristote, d’accord en cela avec les
Orientaux, assimilaient à la chaleur même, propriété spécifique de l’élément têjas (4).
1 –
Genèse, V, 24.
2 –
Deutéronome, XXXIV, 6.
3 –
II Rois, II, 11.
4 –
Il ne s’agit pas pour cela d’un « principe vital » au sens de certaines
théories modernes, qui ne sont guère moins déformées que celle du « corps astral
» ; nous ne savons dans quelle mesure le « médiateur plastique » de Cudworth
peut échapper à la même critique.
En outre, cet élément est en quelque sorte polarisé en chaleur et
lumière, d’où il résulte que l’ « état subtil », est lié à l’état corporel de
deux façons différentes et complémentaires, par le système nerveux quant à la
qualité lumineuse, et par le sang quant à la qualité calorique ; il y a là les
principes de toute une « psycho-physiologie » qui n’a aucun rapport avec celle
des Occidentaux modernes, et dont ceux-ci n’ont pas la moindre notion.
Ici, il faudrait encore rappeler le rôle du sang dans la production de
certains phénomènes, son emploi dans divers rites magiques et même religieux,
et aussi son interdiction, en tant qu’aliment, par des législations
traditionnelles comme celle des Hébreux ; mais cela pourrait nous entraîner
bien loin, et d’ailleurs ces choses ne sont pas de celles dont il est
indifférent de parler sans réserve.
Enfin, l’ « état subtil » ne doit pas être envisagé seulement dans les
êtres vivants individuels, et, comme tout autre état, il a sa correspondance
dans l’ordre cosmique ; c’est à quoi se réfèrent les mystères de l’ « Œuf du
Monde », cet antique symbole commun aux Druides et aux Brâhmanes. Il semble que
nous soyons bien loin des phénomènes du spiritisme ; cela est vrai, mais c’est
pourtant la dernière remarque que nous venons de faire qui va nous y ramener,
en nous permettant de compléter l’explication que nous en proposons, et à
laquelle il manquait encore quelque chose.
L’être vivant, en chacun de ses états, est en rapport avec le milieu
cosmique correspondant ; cela est évident pour l’état corporel, et, pour les
autres, l’analogie doit être observée ici comme en toutes choses ; la véritable
analogie, correctement appliquée, ne saurait, cela va sans dire, être rendue
responsable de ces abus de la fausse analogie que l’on relève à chaque instant
chez les occultistes.
Ceux-ci, sous le nom de « plan astral », ont dénaturé, caricaturé pour
ainsi dire, le milieu cosmique qui correspond à l’ « état subtil », milieu
incorporel, dont un « champ de forces » est la seule image que puisse se faire
un physicien, et encore sous la réserve que ces forces sont tout autres que
celles qu’il est habitué à manier.
Voilà donc de quoi expliquer les actions étrangères qui peuvent, dans
certains cas, venir s’adjoindre à l’action des êtres vivants, s’y combiner en
quelque sorte pour la production des phénomènes ; et, là encore, ce qu’il faut
craindre le plus en formulant des théories, c’est de limiter arbitrairement des
possibilités que l’on peut dire proprement indéfinies (nous ne disons pas
infinies).
Les forces susceptibles d’entrer en jeu sont diverses et multiples ;
qu’on doive les regarder comme provenant d’êtres spéciaux, ou comme de simples
forces dans un sens plus voisin de celui où le physicien entend ce mot, peu
importe quand on s’en tient aux généralités, car l’un et l’autre peuvent être
vrais suivant les cas.
Parmi ces forces, il en est qui sont, par leur nature, plus
rapprochées du monde corporel et des forces physiques, et qui, par conséquent,
se manifesteront plus aisément en prenant contact avec le domaine sensible par
l’intermédiaire d’un organisme vivant (celui d’un médium) ou par tout autre
moyen.
Or ces forces sont précisément les plus inférieures de toutes, donc
celles dont les effets peuvent être les plus funestes et devraient être évités
le plus soigneusement ; elles correspondent, dans l’ordre cosmique, à ce que
sont les plus basses régions du « subconscient » dans l’être humain.
C’est dans cette catégorie qu’il faut ranger toutes les forces
auxquelles la tradition extrême-orientale donne la dénomination générique d’ «
influences errantes », forces dont le maniement constitue la partie la plus
importante de la magie, et dont les manifestations, parfois spontanées, donnent
lieu à tous ces phénomènes dont la « hantise » est le type le plus connu ; ce
sont, en somme, toutes les énergies non individualisées, et il y en a
naturellement de bien des sortes.
Certaines de ces forces peuvent être dites vraiment « démoniaques » ou
« sataniques » ; ce sont celles-là, notamment, que met en jeu la sorcellerie,
et les pratiques spirites peuvent aussi les attirer souvent, quoique
involontairement ; le médium est un être que sa malencontreuse constitution met
en rapport avec tout ce qu’il y a de moins recommandable en ce monde, et même
dans les mondes inférieurs.
Dans les « influences errantes » doit être également compris tout ce
qui, provenant des morts, est susceptible de donner lieu à des manifestations
sensibles, car il s’agit là d’éléments qui ne sont plus individualisés ; tel
est l’ob lui-même, et tels sont à plus forte raison tous ces éléments
psychiques de moindre importance qui représentent « le produit de la désintégration
de l’inconscient (ou mieux du « subconscient ») d’une personne morte » (1) ;
ajoutons que, dans les cas de mort violente, l’ob conserve pendant un certain
temps un degré tout spécial de cohésion et de quasi-vitalité, ce qui permet de
rendre compte de bon nombre de phénomènes.
Nous ne donnons là que quelques exemples, et d’ailleurs, nous le
répétons, il n’y a point à indiquer une source nécessaire de ces influences ;
d’où qu’elles viennent, elles peuvent être captées suivant certaines lois ;
mais les savants ordinaires, qui ne connaissent absolument rien de ces lois, ne
devraient pas s’étonner d’avoir quelques déconvenues et de ne pouvoir se faire
obéir de la « force psychique », qui paraît quelquefois se plaire à déjouer les
plus ingénieuses combinaisons de leur méthode expérimentale ; ce n’est pas que
cette force (qui d’ailleurs n’est pas une) soit plus « capricieuse » qu’une
autre, mais encore faut-il savoir la diriger ; malheureusement, elle a d’autres
méfaits à son actif que les tours qu’elle joue aux savants.
Le magicien, qui connaît les lois des « influences errantes », peut
les fixer par divers procédés, par exemple en prenant pour support certaines
substances ou certains objets agissant à la façon de « condensateurs » ; il va
sans dire qu’il n’y a qu’une ressemblance purement extérieure entre les
opérations de ce genre et l’action des « influences spirituelles » dont il a
été question précédemment.
Inversement, le magicien peut aussi dissoudre les « conglomérats » de
force subtile, qu’ils aient été formés volontairement par lui ou par d’autres,
ou qu’ils se soient constitués spontanément ; à cet égard, le pouvoir des
pointes a été connu de tout temps.
1 –
Article déjà cité de Donald Mac-Nab : Le Lotus, mars 1889, p. 742.
Ces deux actions inverses sont analogues à ce que l’alchimie appelle «
coagulation » et « solution » (nous disons analogues et non identiques, car les
forces mises en œuvre par l’alchimie et par la magie ne sont pas exactement du
même ordre) ; elles constituent l’ « appel » et le « renvoi » par lesquels
s’ouvre et se ferme toute opération de la « magie cérémonielle » occidentale ;
mais celle-ci est éminemment symbolique, et, en prenant à la lettre la façon
dont elle « personnifie » les forces, on en arriverait aux pires absurdités ;
c’est d’ailleurs ce que font les occultistes.
Ce qu’il y a de vrai sous ce symbolisme, c’est surtout ceci : les
forces en question peuvent être réparties en différentes classes, et la
classification adoptée dépendra du point de vue où l’on se place ; celle de la
magie occidentale distribue les forces, suivant leurs affinités, en quatre «
royaumes élémentaires », et il ne faut pas chercher d’autre origine ni d’autre
signification réelle à la théorie moderne des « élémentals » (1).
D’autre part, dans l’intervalle compris entre les deux phases inverses
qui sont les deux extrêmes de son opération, le magicien peut prêter aux forces
qu’il a captées une sorte de conscience, reflet ou prolongement de la sienne
propre, qui leur constitue comme une individualité temporaire ; et c’est cette
individualisation factice qui, à ceux que nous appelons des empiriques et qui
appliquent des règles incomprises, donne l’illusion d’avoir affaire à des êtres
véritables.
Le magicien qui sait ce qu’il fait, s’il interroge ces
pseudo-individualités qu’il a lui-même suscitées aux dépens de sa propre
vitalité, ne peut voir là qu’un moyen de faire apparaître, par un développement
artificiel, ce que son « subconscient » contenait déjà à l’état latent ; la
même théorie est d’ailleurs applicable, avec les modifications voulues, à tous
les procédés divinatoires quels qu’ils soient.
C’est là aussi que réside, lorsque la simple extériorisation des
vivants n’y suffit pas entièrement, l’explication des « communications »
spirites, avec cette différence que les influences, n’étant dirigées dans ce
cas par aucune volonté, s’y expriment de la façon la plus incohérente et la
plus désordonnée ; il y a bien aussi une autre différence, qui est dans les
procédés mis en œuvre, car l’emploi d’un être humain comme « condensateur »,
antérieurement au spiritisme, était l’apanage des sorciers de la plus basse
classe ; et il y en a même encore une troisième, car, nous l’avons déjà dit,
les spirites sont plus ignorants que le dernier des sorciers, et aucun de
ceux-ci na jamais poussé l’inconscience jusqu’à prendre les « influences
errantes » pour les « esprits des morts ».
1 –
La magie utilise aussi, en outre, des classifications à base astrologique ;
mais nous n’avons pas à nous en occuper ici.
Avant de quitter ce sujet, nous tenons à ajouter encore que, outre le
mode d’action dont nous venons de parler et qui est le seul connu des magiciens
ordinaires, du moins en Occident, il en est un autre tout différent, dont le
principe consiste à condenser les influences en soi-même, de façon à pouvoir
s’en servir à volonté et à avoir ainsi à sa disposition une possibilité
permanente de produire certains phénomènes ; c’est à ce mode d’action que
doivent être rapportés les phénomènes des fakirs ; mais qu’on n’oublie pas que
ceux-ci ne sont encore que des ignorants relatifs, et que ceux qui connaissent
le plus parfaitement les lois de cet ordre de choses sont en même temps ceux
qui se désintéressent le plus complètement de leur application.
Nous ne prétendons pas que les indications qui précèdent constituent,
sous la forme très abrégée que nous leur avons donnée, une explication
absolument complète des phénomènes du spiritisme ; cependant, elles contiennent
tout ce qu’il faut pour fournir cette explication, dont nous avons tenu à
montrer au moins la possibilité avant d’apporter les vraies preuves de
l’inanité des théories spirites.
Nous avons dû condenser dans ce chapitre des considérations dont le
développement demanderait plusieurs volumes ; encore y avons-nous insisté plus
qu’il ne nous aurait convenu de le faire si les circonstances actuelles ne nous
avaient prouvé la nécessité d’opposer certaines vérités au flot montant des
divagations « néo-spiritualistes ».
Ces choses, en effet, ne sont pas de celles sur lesquelles il nous
plaît de nous arrêter, et nous sommes loin d’éprouver, pour le « monde
intermédiaire » auquel elles se rapportent, l’attrait que témoignent les
amateurs de « phénomènes » ; aussi ne voudrions-nous pas avoir, dans ce
domaine, à aller au delà de considérations tout à fait générales et
synthétiques, les seules d’ailleurs dont l’exposé ne puisse présenter aucun
inconvénient.
Nous avons la conviction que ces explications, telles qu’elles sont,
vont déjà beaucoup plus loin que tout ce qu’on pourrait trouver ailleurs sur le
même sujet ; mais nous tenons à avertir expressément qu’elles ne sauraient être
d’aucune utilité à ceux qui voudraient entreprendre des expériences ou tenter
de se livrer à des pratiques quelconques, choses qui, loin de devoir être
favorisées si peu que ce soit, ne seront jamais déconseillées assez
énergiquement.
Source :
RENÉ GUÉNON
- L’ERREUR SPIRITE, Chapitre VII : L’explication des phénomènes
Sur la bilocation, de tous temps il y a eu des récits de Saints. En Algérie, il y a un saint qu'on appelle "l'Homme au deux tombeaux". l'histoire relève qu'après sa mort, ses disciples se sont disputés le corps dans deux régions différentes (Alger et la Kabylie). les uns sont venus dérober le corps la nuit pour l'enterrer dans la région d'Alger, quand ceux de la Kabylie sont allés vérifier la tombe, son corps y était encore..
RépondreSupprimerSur wikipedia, on parle de "légende" bien sûr:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sidi_M%27hamed_Bou_Qobrine
Merci pour cette info Hal, j'ignorais...! :-)
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