Cet article fait suite à celui concernant « Les
fissures de la Grande Muraille » que vous pourrez trouver ICI et que je vous conseille de (re)lire avant.
Ces textes sont extraits du livre « Le Règne de la Quantité
et les Signes des Temps », consultable en en pdf sur ce lien :
Chapitre XXVI – Chamanisme et sorcellerie
Il est étrange de constater aussi la recrudescence dans les films hollywoodiens de "personnages" inter-espèces ainsi que la présence d'entités "d'autres mondes" : orques, fées, lutins.... et avec les "élémentals", "esprits" de la nature. Cf la subversion totale véhiculée par le film "Avatar".
Bien entendu, ces entités sont toujours victimes de l'incompréhension des hommes.... Une sorte de variation du fameux "vivre ensemble" appliquée à une autre échelle !
L’époque actuelle, par là même qu’elle correspond aux dernières phases d’une manifestation cyclique, doit en épuiser les possibilités les plus inférieures ; c’est pourquoi elle utilise en quelque sorte tout ce qui avait été négligé par les époques antérieures : les sciences expérimentales et quantitatives des modernes et leurs applications industrielles, notamment, n’ont, au fond, pas d’autre caractère que celui-là ; de là vient que les sciences profanes, comme nous l’avons dit, constituent souvent, et cela même historiquement aussi bien qu’au point de vue de leur contenu, de véritables « résidus » de quelques-unes des anciennes sciences traditionnelles (1) .
Un autre fait qui concorde encore
avec ceux-là, pour peu qu’on en saisisse la véritable signification, c’est
l’acharnement avec lequel les modernes ont entrepris d’exhumer les vestiges
d’époques passées et de civilisations disparues, auxquels ils sont d’ailleurs
incapables de rien comprendre en réalité ; et c’est même là un symptôme assez
peu rassurant, à cause de la nature des influences subtiles qui restent
attachées à ces vestiges et qui, sans que les investigateurs s’en doutent
aucunement, sont ainsi ramenées au jour avec eux et mises pour ainsi dire en
liberté par cette exhumation même.
Pour que ceci puisse être mieux
compris, nous allons être obligé de parler tout d’abord quelque peu de
certaines choses qui, en elles-mêmes, sont, à vrai dire, tout à fait en dehors
du monde moderne, mais qui n’en sont pas moins susceptibles d’être employées
pour exercer, par rapport à celui-ci, une action particulièrement «
désagrégeante » ; ce que nous en dirons ne sera donc une digression qu’en
apparence, et ce sera d’ailleurs, en même temps, une occasion d’élucider
certaines questions trop peu connues. Il nous faut ici, avant tout, dissiper
encore une confusion et une erreur d’interprétation dues à la mentalité moderne
: l’idée qu’il existe des choses purement « matérielles », conception
exclusivement propre à celle-ci, n’est au fond, si on la débarrasse de toutes
les complications secondaires qu’y ajoutent les théories spéciales des
physiciens, rien d’autre que l’idée qu’il existe des êtres et des choses qui ne
sont que corporels, et dont l’existence et la constitution n’impliquent aucun
élément d’un ordre autre que celui-là.
1 Nous disons de quelques-unes, car il y a
aussi d’autres sciences traditionnelles dont il n’est pas même resté dans le
monde moderne la moindre trace, si déformée et déviée qu’elle puisse être. Il
va de soi, d’autre part, que toutes les énumérations et classifications des
philosophes ne concernent que les seules sciences profanes, et que les sciences
traditionnelles ne sauraient aucunement rentrer dans ces cadres étroits et «
systématiques » ; on peut assurément, mieux que jamais en d’autres temps,
appliquer à notre époque le dicton arabe suivant lequel « il existe beaucoup de
sciences, mais peu de savants » (el-ulûm kathîr, walaken el-ulamâ balîl)
Cette idée est en somme liée directement au point de vue profane tel
qu’il s’affirme, sous sa forme en quelque sorte la plus complète, dans les
sciences actuelles, car, celles-ci se caractérisant par l’absence de tout
rattachement à des principes d’ordre supérieur, les choses qu’elles prennent
pour objet de leur étude doivent être elles-mêmes conçues comme dépourvues d’un
tel rattachement (en quoi se montre du reste encore le caractère « résiduel »
de ces sciences) ; c’est là, pourrait on dire, une condition pour que la
science soit adéquate à son objet, puisque, si elle admettait qu’il en fût
autrement, elle devrait par là même reconnaître que la vraie nature de cet
objet lui échappe.
Peut-être ne faut-il pas chercher ailleurs la raison pour laquelle les
« scientistes » se sont tant acharnés à discréditer toute conception autre que
celle-là, en la présentant comme une « superstition » due à l’imagination des «
primitifs », lesquels, pour eux, ne peuvent être autre chose que des sauvages
ou des hommes de mentalité enfantine, comme le veulent les théories «
évolutionnistes » ; et, que ce soit de leur part incompréhension pure et simple
ou parti pris volontaire, ils réussissent en fait à en donner une idée
suffisamment caricaturale pour qu’une telle appréciation paraisse entièrement
justifiée à tous ceux qui les croient sur parole, c’est-à-dire à la grande
majorité de nos contemporains.
Il en est ainsi, en particulier, en ce qui concerne les théories des
ethnologues sur ce qu’ils sont convenus d’appeler l’« animisme » ; un tel terme
pourrait d’ailleurs, à la rigueur, avoir un sens acceptable, mais, bien
entendu, à la condition de le comprendre tout autrement qu’ils ne le font et de
n’y voir que ce qu’il peut signifier étymologiquement. En effet, le monde
corporel, en réalité, ne peut pas être considéré comme un tout se suffisant à
lui-même, ni comme quelque chose d’isolé dans l’ensemble de la manifestation
universelle ; au contraire, et quelles que puissent être les apparences dues
actuellement à la « solidification », il procède tout entier de l’ordre subtil,
dans lequel il a, peut-on dire, son principe immédiat, et par l’intermédiaire
duquel il se rattache, de proche en proche, à la manifestation informelle, puis
au non-manifesté ; s’il en était autrement, son existence ne pourrait être
qu’une illusion pure et simple, une sorte de fantasmagorie derrière laquelle il
n’y aurait rien, ce qui, en somme, revient à dire qu’il n’existerait en aucune
façon.
Dans ces conditions, il ne peut y avoir, dans ce monde corporel,
aucune chose dont l’existence ne repose en définitive sur des éléments d’ordre
subtil, et, au delà de ceux-ci, sur un principe qui peut être dit « spirituel »,
et sans lequel nulle manifestation n’est possible, à quelque degré que ce soit.
Si nous nous en tenons à la considération des éléments subtils, qui
doivent être ainsi présents en toutes choses, mais qui y sont seulement plus ou
moins cachés suivant les cas, nous pouvons dire qu’ils y correspondent à ce qui
constitue proprement l’ordre « psychique » dans l’être humain ; on peut donc,
par une extension toute naturelle et qui n’implique aucun « anthropomorphisme
», mais seulement une analogie parfaitement légitime, les appeler aussi «
psychiques » dans tous les cas (et c’est pourquoi nous avons déjà parlé
précédemment de « psychisme cosmique »), ou encore « animiques », car ces deux
mots, si l’on se reporte à leur sens premier, suivant leur dérivation respectivement
grecque et latine, sont exactement synonymes au fond. Il résulte de là qu’il ne
saurait exister réellement d’objets « inanimés », et c’est d’ailleurs pourquoi
la « vie » est une des conditions auxquelles est soumise toute existence
corporelle sans exception ; c’est aussi pourquoi personne n’a jamais pu arriver
à définir d’une façon satisfaisante la distinction du « vivant » et du «
non-vivant », cette question, comme tant d’autres dans la philosophie et la
science modernes, n’étant insoluble que parce qu’elle n’a aucune raison de se
poser vraiment, puisque le « non-vivant » n’a pas de place dans le domaine
envisagé, et qu’en somme tout se réduit à cet égard à de simples différences de
degrés.
On peut donc, si l’on veut, appeler « animisme » une telle façon
d’envisager les choses, en n’entendant par ce mot rien de plus ni d’autre que
l’affirmation qu’il y a dans celles-ci des éléments « animiques » ; et l’on
voit que cet « animisme » s’oppose directement au mécanisme, comme la réalité
même s’oppose à la simple apparence extérieure ; il est d’ailleurs évident que
cette conception est « primitive », mais tout simplement parce qu’elle est
vraie, ce qui est à peu près exactement le contraire de ce que les «
évolutionnistes » veulent dire quand ils la qualifient ainsi. En même temps, et
pour la même raison, cette conception est nécessairement commune à toutes les
doctrines traditionnelles ; nous pourrions donc dire encore qu’elle est «
normale », tandis que l’idée opposée, celle des choses « inanimées » (qui a
trouvé une de ses expressions les plus extrêmes dans la théorie cartésienne des
« animaux-machines »), représente une véritable anomalie, comme il en est du
reste pour toutes les idées spécifiquement modernes et profanes.
Mais il doit être bien entendu qu’il ne s’agit aucunement, en tout
cela, d’une « personnification » des forces naturelles que les physiciens
étudient à leur façon, et encore moins de leur « adoration », comme le
prétendent ceux pour qui l’« animisme » constitue ce qu’ils croient pouvoir
appeler la « religion primitive » ; en réalité, ce sont des considérations qui
relèvent uniquement du domaine de la cosmologie, et qui peuvent trouver leur
application dans diverses sciences traditionnelles.
Il va de soi aussi que, quand il est question d’éléments « psychiques
» inhérents aux choses, ou de forces de cet ordre s’exprimant et se manifestant
à travers celles-ci, tout cela n’a absolument rien de « spirituel » ; la
confusion de ces deux domaines est, elle encore, purement moderne, et elle
n’est sans doute pas étrangère à l’idée de faire une « religion » de ce qui est
science au sens le plus exact de ce mot ; en dépit de leur prétention aux «
idées claires » (héritage direct, d’ailleurs, du mécanisme et du « mathématisme
universel » de Descartes), nos contemporains mélangent de bien singulière façon
les choses les plus hétérogènes et les plus essentiellement distinctes !
Maintenant, il importe, pour ce à quoi nous voulons en venir
présentement, de remarquer que les ethnologues ont l’habitude de considérer
comme « primitives » des formes qui, au contraire, sont dégénérées à un degré
ou à un autre ; pourtant, bien souvent, elles ne sont pas réellement d’un
niveau aussi bas que leurs interprétations le font supposer ; mais, quoi qu’il
en soit, ceci explique que l’« animisme », qui ne constitue en somme qu’un
point particulier d’une doctrine, ait pu être pris pour caractériser celle-ci
tout entière.
En effet, dans les cas de dégénérescence, c’est naturellement la
partie supérieure de la doctrine, c’est-à-dire son côté métaphysique et «
spirituel », qui disparaît toujours plus ou moins complètement ; par suite, ce
qui n’était originairement que secondaire, et notamment le côté cosmologique et
« psychique », auquel appartiennent proprement l’« animisme » et ses
applications, prend inévitablement une importance prépondérante ; le reste, même
s’il subsiste encore dans une certaine mesure, peut facilement échapper à
l’observateur du dehors, d’autant plus que celui-ci, ignorant la signification
profonde des rites et des symboles, est incapable d’y reconnaître ce qui relève
d’un ordre supérieur (pas plus qu’il ne le reconnaît dans les vestiges des
civilisations entièrement disparues), et croit pouvoir tout expliquer
indistinctement en termes de « magie », voire même parfois de « sorcellerie »
pure et simple.
On peut trouver un exemple très net de ce que nous venons d’indiquer
dans un cas comme celui du « chamanisme », qui est généralement regardé comme
une des formes typiques de l’« animisme » ; cette dénomination, dont la
dérivation est d’ailleurs assez incertaine, désigne proprement l’ensemble des
doctrines et des pratiques traditionnelles de certains peuples mongols de la
Sibérie ; mais certains l’étendent à ce qui, ailleurs, présente des caractères
plus ou moins similaires.
Pour beaucoup, « chamanisme » est presque synonyme de sorcellerie, ce
qui est certainement inexact, car il y a là bien autre chose ; ce mot a subi
ainsi une déviation inverse de celle de « fétichisme », qui, lui, a bien
étymologiquement le sens de sorcellerie, mais qui a été appliqué à des choses
dans lesquelles il n’y a pas que cela non plus.
Signalons, à ce propos, que la distinction que certains ont voulu
établir entre « chamanisme » et « fétichisme », considérés comme deux variétés
de l’« animisme », n’est peut-être pas aussi nette ni aussi importante qu’ils
le pensent : que ce soient des êtres humains, comme dans le premier, ou des
objets quelconques, comme dans le second, qui servent principalement de «
supports » ou de « condensateurs », si l’on peut dire, à certaines influences
subtiles, c’est là une simple différence de modalités « techniques », qui, en
somme, n’a rien d’absolument essentiel (2).
Si l’on considère le « chamanisme » proprement dit, on y constate
l’existence d’une cosmologie très développée, et qui pourrait donner lieu à des
rapprochements avec celles d’autres traditions sur de nombreux points, à
commencer par la division des « trois mondes » qui semble en constituer la base
même.
D’autre part, on y rencontre également des rites comparables à
quelques-uns de ceux qui appartiennent à des traditions de l’ordre le plus
élevé : certains, par exemple, rappellent d’une façon frappante des rites
vêdiques, et qui sont même parmi ceux qui procèdent le plus manifestement de la
tradition primordiale, comme ceux où les symboles de l’arbre et du cygne jouent
le rôle principal. Il n’est donc pas douteux qu’il y ait là quelque chose qui,
à ses origines tout au moins, constituait une forme traditionnelle régulière et
normale ; il s’y est d’ailleurs conservé, jusqu’à l’époque actuelle, une
certaine « transmission » des pouvoirs nécessaires à l’exercice des fonctions
du « chamane » ; mais, quand on voit que celui-ci consacre surtout son activité
aux sciences traditionnelles les plus inférieures, telles que la magie et la
divination, on peut soupçonner par là qu’il y a une dégénérescence très réelle,
et même se demander si parfois elle n’irait pas jusqu’à une véritable
déviation, à laquelle les choses de cet ordre, lorsqu’elles prennent un
développement aussi excessif, ne peuvent que trop facilement donner lieu.
2 Nous empruntons, dans ce qui suit, un
certain nombre d’indications concernant le « chamanisme » à un exposé intitulé
Shamanism of the Natives of Siberia, par I. M. Casanowicz (extrait du
Smithsonian Report for 1924), dont nous devons la communication à l’obligeance
de A. K. Coomaraswamy.
À vrai dire, il y a, à cet égard,
des indices assez inquiétants : l’un d’eux est le lien établi entre le «
chamane » et un animal, lien concernant exclusivement un individu, et qui, par
conséquent, n’est aucunement assimilable au lien collectif qui constitue ce
qu’on appelle à tort ou à raison le « totémisme ». Nous devons dire d’ailleurs
que ce dont il s’agit ici pourrait, en soi-même, être susceptible d’une
interprétation tout à fait légitime et n’ayant rien à voir avec la sorcellerie ;
mais ce qui lui donne un caractère plus suspect, c’est que, chez certains
peuples, sinon chez tous, l’animal est alors considéré en quelque sorte comme
une forme du « chamane » lui-même ; et, d’une semblable identification à la «
lycanthropie », telle qu’elle existe surtout chez des peuples de race noire (3),
il n’y a peut-être pas extrêmement loin.
Cependant, il n’en est pas moins
vrai que, quelle qu’en puisse être l’intention première, le maniement
d’influences de ce genre, sans qu’il soit fait aucun appel à des influences
d’un ordre supérieur (et encore bien moins à des influences proprement
spirituelles), en arrive, par la force même des choses, à constituer une
véritable sorcellerie, bien différente d’ailleurs de celle des vulgaires «
sorciers de campagne » occidentaux, qui ne représente plus que les derniers
débris d’une connaissance magique aussi dégénérée et réduite que possible et
sur le point de s’éteindre entièrement. La partie magique du « chamanisme »,
assurément, a une tout autre vitalité, et c’est pourquoi elle représente
quelque chose de véritablement redoutable à plus d’un égard ; en effet, le
contact pour ainsi dire constant avec ces forces psychiques inférieures est des
plus dangereux, d’abord pour le « chamane » lui-même, cela va de soi, mais
aussi à un autre point de vue dont l’intérêt est beaucoup moins étroitement «
localisé ».
3 D’après des témoins dignes de foi, il y a
notamment, dans une région reculée du Soudan, toute une peuplade « lycanthrope
» comprenant au moins une vingtaine de mille individus ; il y a aussi, dans
d’autres contrées africaines, des organisations secrètes, telles que celle à
laquelle on a donné le nom de « Société du Léopard », où certaines formes de «
lycanthropie » jouent un rôle prédominant.
En effet, il peut arriver que
certains, opérant de façon plus consciente et avec des connaissances plus
étendues, ce qui ne veut pas dire d’ordre plus élevé, utilisent ces mêmes
forces pour de tout autres fins, à l’insu des « chamanes » ou de ceux qui
agissent comme eux, et qui ne jouent plus en cela que le rôle de simples
instruments pour l’accumulation des forces en question en des points
déterminés.
Nous savons qu’il y a ainsi, par
le monde, un certain nombre de « réservoirs » d’influences dont la répartition
n’a assurément rien de « fortuit », et qui ne servent que trop bien aux
desseins de certaines « puissances » responsables de toute la déviation moderne
; mais cela demande encore d’autres explications, car on pourrait, à première
vue, s’étonner que les restes de ce qui fut autrefois une tradition authentique
se prêtent à une « subversion » de ce genre.
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