A mettre en lien avec l’article
sur Caïn et Abel :
Coran, Sourate
57 : 25. « ... Et Nous avons fait descendre le fer, dans
lequel il y a une force redoutable, aussi bien que des utilités pour les gens,
et pour qu'Allah reconnaisse qui, dans l'Invisible, défendra Sa cause et celle
de Ses Messagers. »
Nous avons dit que les arts ou
les métiers qui impliquent une activité s’exerçant sur le règne minéral
appartiennent proprement aux peuples sédentaires, et que, comme tels, ils
étaient interdits par la loi traditionnelle des peuples nomades, dont la loi
hébraïque représente l’exemple le plus généralement connu ; il est évident, en
effet, que ces arts tendent directement à la « solidification », qui, dans le
monde corporel tel qu’il se présente à nous, atteint effectivement son degré le
plus accentué dans le minéral lui-même.
D’ailleurs, ce minéral, sous sa forme
la plus commune qui est celle de la pierre, sert avant tout à la construction
d’édifices stables (1) ; une ville surtout, par l’ensemble des édifices qui la
composent, apparaît en quelque sorte comme une agglomération artificielle de
minéraux ; et, comme nous l’avons déjà dit, la vie dans les villes correspond à
un sédentarisme encore plus complet que la vie agricole, de même que le minéral
est plus fixe et plus « solide » que le végétal. Mais il y a encore autre chose
: les arts ayant pour objet le minéral comprennent aussi la métallurgie sous
toutes ses formes ; or, si l’on observe que, à notre époque, le métal tend de
plus en plus à se substituer à la pierre elle-même dans la construction, comme
la pierre s’était autrefois substituée au bois, on est tenté de penser qu’il
doit y avoir là un symptôme caractéristique d’une phase plus « avancée » dans
la marche descendante du cycle ; et cela est confirmé par le fait que, d’une façon
générale, le métal joue un rôle toujours grandissant dans la civilisation
moderne « industrialisée » et « mécanisée », et cela aussi bien au point de vue
destructif, si l’on peut dire, qu’au point de vue constructif, car la
consommation de métal qu’entraînent les guerres contemporaines est
véritablement prodigieuse.
Cette remarque s’accorde d’ailleurs avec une
particularité qu’on rencontre dans la tradition hébraïque : dès le début, quand
l’emploi des pierres était permis dans certains cas tels que la construction
d’un autel, il était néanmoins spécifié que ces pierres devaient être «
entières » et « non touchées par le fer » (2) ; d’après les termes mêmes de ce
passage, l’insistance porte moins sur le fait de ne pas travailler la pierre
que sur celui de ne pas y employer le métal ; l’interdiction concernant le
métal était donc plus rigoureuse, surtout pour tout ce qui était destiné à un
usage plus spécialement rituel (3).
1 Il
est vrai que, chez beaucoup de peuples, les constructions des époques les plus
anciennes étaient en bois, mais, évidemment, de tels édifices n’étaient ni
aussi durables, ni par conséquent aussi fixes, que des édifices en pierre ;
l’emploi du minéral dans la construction implique donc en tout cas un plus
grand degré de « solidité » dans tous les sens de ce mot.
2
Deutéronome, XXVII, 5-6.
3 De là aussi l’emploi persistant des couteaux de pierre pour le rite de la circoncision.
Il
subsista même des traces de cette interdiction quand Israël eut cessé d’être
nomade et construisit ou fit construire des édifices stables : quand on bâtit
le Temple de Jérusalem, « les pierres furent amenées toutes telles qu’elles
devaient être, de sorte que, en bâtissant la maison, on n’entendît ni marteau,
ni hache, ni aucun outil de fer » (4).
Ce fait n’a d’ailleurs en réalité rien
d’exceptionnel, et on pourrait trouver, en ce sens, une foule d’indices
concordants : ainsi, dans bien des pays, une sorte d’exclusion partielle de la
communauté, ou tout au moins de « mise à l’écart », a existé et existe même
encore contre les ouvriers travaillant les métaux, surtout les forgerons, dont
le métier s’associe du reste souvent avec la pratique d’une magie inférieure et
dangereuse, dégénérée finalement, dans la plupart des cas, en sorcellerie pure
et simple.
Pourtant, d’un autre côté, la métallurgie, dans certaines formes
traditionnelles, a été au contraire particulièrement exaltée et a même servi de
base à des organisations initiatiques fort importantes ; nous nous contenterons
de citer à cet égard l’exemple des Mystères kabiriques, sans pouvoir d’ailleurs
insister ici sur ce sujet très complexe et qui nous entraînerait beaucoup trop
loin ; ce qu’il faut en retenir pour le moment, c’est que la métallurgie a à la
fois un aspect « sacré » et un aspect « exécré », et, au fond, ces deux aspects
procèdent d’un double symbolisme inhérent aux métaux eux-mêmes.
Héphaistos/Vulcain... |
Pour comprendre
ceci, il faut avant tout se souvenir que les métaux, en raison de leurs
correspondances astrales, sont en quelque sorte les « planètes du monde
inférieur » ; ils doivent donc naturellement avoir, comme les planètes
elles-mêmes dont ils reçoivent et condensent pour ainsi dire les influences
dans le milieu terrestre, un aspect « bénéfique » et un aspect « maléfique » (5).
De plus, puisqu’il s’agit en somme d’un reflet inférieur, ce que représente
nettement la situation même des mines métalliques à l’intérieur de la terre, le
côté « maléfique » doit facilement devenir prédominant ; il ne faut pas oublier
que, au point de vue traditionnel, les métaux et la métallurgie sont en
relation directe avec le « feu souterrain », dont l’idée s’associe sous bien des
rapports à celle du « monde infernal » 6 .
4 I
Rois, VI, 7. – Le Temple de Jérusalem contenait cependant une grande quantité
d’objets métalliques, mais l’usage de ceux-ci se rapporte à l’autre aspect du
symbolisme des métaux, qui est en effet double comme nous le dirons tout à
l’heure ; il semble d’ailleurs que l’interdiction ait fini par être en quelque
sorte « localisée » principalement sur l’emploi du fer, qui est précisément, de
tous les métaux, celui dont le rôle est le plus important à l’époque moderne.
5
Dans la tradition zoroastrienne, il semble que les planètes soient envisagées
presque exclusivement comme « maléfiques » ; ceci peut résulter d’un point de
vue particulier à cette tradition, mais d’ailleurs ce qui est connu comme
subsistant actuellement de celle-ci n’en représente que des fragments trop
mutilés pour qu’il soit possible de se prononcer exactement sur des questions
de ce genre.
6 En
ce qui concerne cette relation avec le « feu souterrain », la ressemblance
manifeste du nom de Vulcain avec celui du Tubalcaïn biblique est
particulièrement significative ; tous deux sont d’ailleurs représentés
également comme des forgerons ; et, précisément au sujet des forgerons, nous
ajouterons que cette association avec le « monde infernal » explique
suffisamment ce que nous disions plus haut sur le côté « sinistre » de leur
métier. – Les Kabires, d’autre part, tout en étant aussi des forgerons, avaient
un double aspect terrestre et céleste, les mettant en rapport à la fois avec
les métaux et avec les planètes correspondantes.
Bien entendu, les influences métalliques, si on les prend par le côté « bénéfique » en les utilisant d’une façon vraiment « rituelle » au sens le plus complet de ce mot, sont susceptibles d’être « transmuées » et « sublimées », et elles peuvent même d’autant mieux devenir alorsun « support » spirituel que ce qui est au niveau le plus bas
correspond, par analogie inverse, à ce qui est au niveau le plus élevé ; tout
le symbolisme minéral de l’alchimie est en définitive fondé là-dessus, aussi
bien que celui des anciennes initiations kabiriques (7).
Par contre, quand il ne
s’agit que d’un usage profane des métaux, et étant donné que le point de vue
profane lui-même a nécessairement pour effet de couper toute communication avec
les principes supérieurs, il n’y a plus guère que le côté « maléfique » des
influences correspondantes qui puisse agir effectivement, et qui se développera
d’ailleurs d’autant plus qu’il se trouvera ainsi isolé de tout ce qui pourrait
le restreindre et lui faire équilibre ; et ce cas d’un usage exclusivement
profane est évidemment celui qui, dans le monde moderne, se réalise dans toute
son ampleur (8).
Nous nous sommes surtout placé jusqu’ici au point de vue de la «
solidification » du monde, qui est d’ailleurs celui qui aboutit proprement au «
règne de la quantité », dont l’usage actuel des métaux n’est encore qu’un
aspect ; ce point de vue est, en fait, celui qui s’est manifesté en toutes
choses de la façon la plus apparente jusqu’au point où le monde en est arrivé
présentement.
Mais les choses peuvent aller plus loin encore, et les métaux, du
fait des influences subtiles qui y sont attachées, peuvent aussi jouer un rôle
dans une phase ultérieure tendant plus immédiatement vers la dissolution finale
; assurément, ces influences subtiles, dans tout le cours de la période qu’on
peut qualifier de matérialiste, sont en quelque sorte passées à l’état latent,
comme tout ce qui est en dehors de l’ordre corporel pur et simple ; mais cela
ne veut point dire qu’elles aient cessé d’exister, ni même qu’elles aient cessé
entièrement d’agir, quoique d’une façon dissimulée, dont le côté « satanique »
qui existe dans le « machinisme » lui-même, surtout (mais non pas uniquement)
dans ses applications destructives, n’est en somme qu’une manifestation,
quoique les matérialistes soient naturellement incapables d’en rien soupçonner.
Ces mêmes influences peuvent donc n’attendre qu’une occasion favorable pour
affirmer leur action plus ouvertement, et, naturellement, toujours dans le même
sens « maléfique », puisque, pour ce qui est des influences d’ordre « bénéfique
», ce monde leur a été pour ainsi dire fermé par l’attitude profane de
l’humanité moderne ; or cette occasion peut même n’être plus très éloignée, car
l’instabilité qui va actuellement en croissant dans tous les domaines montre
bien que le point correspondant à la plus grande prédominance effective de la «
solidité » et de la « matérialité » a été déjà dépassé.
7 Il
convient de dire que l’alchimie proprement dite s’arrêtait au « monde intermédiaire
» et s’en tenait au point de vue qu’on peut appeler « cosmologique » ; mais son
symbolisme n’en était pas moins susceptible d’une transposition lui donnant une
valeur véritablement spirituelle et initiatique.
8 Le
cas de la monnaie, telle qu’elle est actuellement, peut encore servir ici
d’exemple caractéristique : dépouillée de tout ce qui pouvait, dans des
civilisations traditionnelles, en faire comme un véhicule d’« influences
spirituelles », non seulement elle est réduite à n’être plus, en elle-même,
qu’un simple signe « matériel » et quantitatif, mais encore elle ne peut plus
jouer qu’un rôle véritablement néfaste et « satanique », qu’il n’est que trop
facile de constater effectivement à notre époque.
On comprendra peut-être mieux ce que nous venons de dire si l’on remarque que les métaux, suivant le symbolisme traditionnel, sont en relation non seulement avec le « feu souterrain » comme nous l’avons indiqué, mais encore
avec les « trésors cachés », tout cela étant d’ailleurs assez étroitement
connexe, pour des raisons que nous ne pouvons songer à développer davantage en
ce moment, mais qui peuvent notamment aider à l’explication de la façon dont
des interventions humaines sont susceptibles de provoquer ou plus exactement de
« déclencher » certains cataclysmes naturels.
Quoi qu’il en soit, toutes les «
légendes » (pour parler le langage actuel) qui se rapportent à ces « trésors »
montrent clairement que leurs « gardiens », c’est-à-dire précisément les
influences subtiles qui y sont attachées, sont des « entités » psychiques qu’il
est fort dangereux d’approcher sans posséder les « qualifications » requises et
sans prendre les précautions voulues ; mais, en fait, quelles précautions des
modernes, qui sont complètement ignorants de ces choses, pourraient-ils bien
prendre à cet égard ?
Ils sont trop évidemment dépourvus de toute «
qualification », ainsi que de tout moyen d’action dans ce domaine, qui leur
échappe en conséquence de l’attitude même qu’ils ont prise vis-à-vis de toutes
choses ; il est vrai qu’ils se vantent constamment de « dompter les forces de
la nature », mais ils sont certes bien loin de se douter que, derrière ces
forces mêmes, qu’ils envisagent en un sens exclusivement corporel, il y a
quelque chose d’un autre ordre, dont elles ne sont réellement que le véhicule
et comme l’apparence extérieure ; et c’est cela qui pourrait bien quelque jour
se révolter et se retourner finalement contre ceux qui l’ont méconnu.
À ce
propos, nous ajouterons incidemment une autre remarque qui ne semblera
peut-être que singulière ou curieuse, mais que nous aurons l’occasion de
retrouver par la suite : les « gardiens des trésors cachés », qui sont en même
temps les forgerons travaillant dans le « feu souterrain », sont, dans les «
légendes », représentés à la fois, et suivant les cas, comme des géants et
comme des nains.
Quelque chose de semblable existait aussi pour les Kabires, ce
qui indique que tout ce symbolisme est encore susceptible de recevoir une
application se référant à un ordre supérieur ; mais, si l’on s’en tient au
point de vue où, du fait des conditions mêmes de notre époque, nous devons nous
placer présentement, on ne peut en voir que la face en quelque sorte «
infernale », c’est-à-dire qu’il n’y a là, dans ces conditions, qu’une
expression d’influences appartenant au côté inférieur et « ténébreux » de ce
qu’on peut appeler le « psychisme cosmique » ; et, comme nous le verrons mieux
en poursuivant notre étude, ce sont effectivement les influences de cette sorte
qui, sous leurs formes multiples, menacent aujourd’hui la « solidité » du
monde.
Pour compléter cet aperçu, nous noterons encore, comme se rapportant
évidemment au côté « maléfique » de l’influence des métaux, l’interdiction
fréquente de porter sur soi des objets métalliques pendant l’accomplissement de
certains rites, soit dans le cas de rites exotériques (9), soit dans celui de
rites proprement initiatiques (10).
9
Cette interdiction existe notamment, du moins en principe, pour les rites
islamiques du pèlerinage, bien que, en fait, elle ne soit plus rigoureusement
observée aujourd’hui ; de plus, celui qui a accompli entièrement ces rites, y
compris ce qui en constitue le côté le plus « intérieur », doit s’abstenir
désormais de tout travail où le feu est mis en œuvre, ce qui exclut en
particulier les forgerons et autres métallurgistes.
10
Dans les initiations occidentales, ceci se traduit, dans la préparation
rituelle du récipiendaire, par ce qui est désigné comme le « dépouillement des
métaux ». On pourrait dire que, dans un cas comme celui-là, les métaux, outre
qu’ils peuvent nuire effectivement à la transmission des « influences
spirituelles », sont pris comme représentant en quelque sorte ce que la Kabbale
hébraïque appelle les « écorces » ou les « coquilles » (qlippoth), c’est-à-dire
ce qu’il y a de plus inférieur dans le domaine subtil, constituant, s’il est
permis de s’exprimer ainsi, les « bas-fonds » infra-corporels de notre monde
Sans doute, toutes les prescriptions de ce genre ont avant tout un
caractère symbolique, et c’est même ce qui en fait la valeur profonde ; mais ce
dont il faut bien se rendre compte, c’est que le véritable symbolisme
traditionnel (qu’on doit bien se garder de confondre avec les contrefaçons et
les fausses interprétations auxquelles les modernes appliquent parfois
abusivement le même nom) (11) a toujours une portée effective, et que ses
applications rituelles, en particulier, ont des effets parfaitement réels, bien
que les facultés étroitement limitées de l’homme moderne ne puissent
généralement les percevoir.
Il ne s’agit point là de choses vaguement « idéales
», mais, bien au contraire, de choses dont la réalité se manifeste parfois
d’une façon en quelque sorte « tangible » ; s’il en était autrement, comment
pourrait-on expliquer, par exemple, le fait qu’il y a des hommes qui, dans
certains états spirituels, ne peuvent souffrir le moindre contact même indirect
des métaux, et cela même si ce contact a été opéré à leur insu et dans des
conditions telles qu’il leur soit impossible de s’en apercevoir par le moyen de
leurs sens corporels, ce qui exclut forcément l’explication psychologique et «
simpliste » par l’« autosuggestion » (12) ?
Si nous ajoutons que ce contact peut aller, en pareil cas, jusqu’à
produire extérieurement les effets physiologiques d’une véritable brûlure, on
conviendra que de tels faits devraient donner à réfléchir si les modernes en
étaient encore capables ; mais l’attitude profane et matérialiste et le parti
pris qui en résulte les ont plongés dans un incurable aveuglement.
11
Ainsi, les « historiens des religions », dans la première moitié du XIXe
siècle, avaient inventé quelque chose à quoi ils avaient donné le nom de «
symbolique », et qui était un système d’interprétation n’ayant avec le vrai
symbolisme que des rapports extrêmement lointains ; quant aux abus simplement «
littéraires » du mot « symbolisme », il est évident qu’il ne vaut même pas la
peine d’en parler.
12
Nous pouvons citer ici, comme exemple connu, le cas de Shrî Râmakrishna.
Source :
Le Règne de
la Quantité et les Signes des temps
Chapitre
XXII – Signification de la métallurgie
Hello,
RépondreSupprimerLes mystères kabiriques m'ont amené vers ce site très instructif:
http://aguilar-de-jean.blogspot.com/2018/
Salut à toi zul :-)
SupprimerL'auteur de ce blog évoque Gilis, Guénon et Ibn Arabî ce qui semble un gage de bonne foi et de sérieux...au moins à première vue. Merci pour ce lien ! :-)
J't'en prie; Oui,en effet, mais je t'avouerai qu'après l'avoir un peu parcouru, il me semble relativement pointu pour moi sur certains aspects même en ayant pas mal de lectures à mon actif dont beaucoup d'ésotérisme.
RépondreSupprimerC'est pareil pour moi zul... ;-) Il y a des domaines dans lesquels je suis plus "à l'aise" que d'autres... ^ ^
Supprimer@zul69 :
SupprimerLe "hic" avec ce blog c'est qu'il semble renier l'enseignement de M. Vâlsan.
J'ai recherché des infos sur les Mystères kabiriques et je prépare un article dessus....
Un peu de patience car il faut que je le tape moi-même, il n'est pas "récupérable" sur internet. :-)