Chapitre 5 :
Les fondements de l’œuvre
Ce chapitre
est extrait du dernier ouvrage de Charles-André Gilis : « René Guénon 1907-1961
».
Il n'est
pas, à ma connaissance et à ce jour, disponible sur internet.
Vous pouvez vous le procurer sur ce site : Le Turban noir
Si
difficiles qu’elles auront à être admises par les Occidentaux qui s’en tiennent
à une interprétation littérale de l’œuvre de René Guénon, la signification et
les conséquences de ce constat d’échec [la restauration d’une autorité
traditionnelle en Occident] doivent être clairement et complètement établies.
L’Eglise catholique et la
Franc-Maçonnerie furent écartées dés le départ, et sans appel. Toutefois, si
cette tentative avait réussi, la première aurait certainement été appelée à
jouer un rôle dans l’ordre exotérique. Même si l’Ordre du Temple n’était pas, à
proprement parlé, une modalité de l’ésotérisme chrétien, on ne voit pas comment
il aurait exercé son influence, et éventuellement son action, autrement qu’en
s’appuyant sur le Catholicisme.
Quant à la Franc-Maçonnerie, les limitations inhérentes à la nature de
son initiation et à la dérive spéculative la disqualifiaient pour opérer
l’œuvre qu’il convenait d’entreprendre. Jusqu’à nos jours, elle n’a jamais
accepté cette mise à l’écart dont les raisons sont pourtant évidentes.
Les moyens puissants dont elle dispose, et qu’elle utilise pour tenter
de récupérer à son profit la doctrine exposée par René Guénon en lui imposant
des restrictions arbitraires, peuvent expliquer la difficulté qu’elle éprouve à
renoncer à ses prétentions illusoires.
Dés 1910, plus aucun redressement de l’Occident n’était envisageable
par le développement de ses possibilités propres s’effectuant dans le sens d’un
« retour à l’intellectualité vraie et normale » (1). René Guénon le
savait mieux que personne ; et pourtant, jusqu’à son départ pour l’Orient,
il va s’adresser aux Occidentaux comme si ce redressement était encore
possible ; et cela à trois reprises : dans l’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues qui paraît
en 1921, dans Orient et Occident trois
ans plus tard, et dans La Crise du Monde
moderne qui paraît en 1927.
Il faut donc essayer de déterminer, autant que faire se peut, les
motifs pour lesquels il a agi de la sorte, sous peine de ne rien comprendre à
la signification véritable de ce qu’il écrit.
1 –
Introduction générale, Conclusions.
L’œuvre de René Guénon procède de l’ésotérisme, traite de l’ésotérisme
et c’est en mode ésotérique qu’il convient de la lire.
Deuxième constat décisif pour l’avenir : à partir du moment où
aucun redressement proprement « occidental » n’était plus
envisageable, le recours à la tradition islamique, seule forme traditionnelle
réunissant le double avantage d’être de type religieux et de disposer d’une
doctrine complète, s’imposait. Cet aspect apparaît comme la face complémentaire
du premier.
René Guénon s’en est-il immédiatement rendu compte ?
Il est certain que la question islamique était étrangère (du moins
extérieurement) à son rattachement initial et à la rénovation templière, mais
pour la suite on ne peut naturellement avancer quoi que ce soit.
A la question posée, nous serions tenté de répondre par l’affirmative,
si l’on considère que le degré initiatique qui était le sien comportait la
connaissance de nombreux secrets relatifs au moment cyclique où il l’avait
acquis.
Ce qui est en tous cas
vérifiable est que, dès 1910, il reçoit de multiples rattachements islamiques,
culminant (2), au plus tard dans les premiers mois de 1911, avec une
transmission de la baraka akbarienne
par l’intermédiaire d’Abd al-Hâdî, muqaddam
du Cheikh Abd ar-Rahman Elîsh al-Kabîr.
2 –
Sur ce point, on se référera aux remarquables écrits de M. Jean Foucaud sur Abd
al-Hâdî.
Tout se sera donc joué en quatre ans, selon un développement
traditionnel cohérent et harmonieux : initiation aux doctrines hindoues en
1907, rénovation de l’Ordre du Temple de 1908 à 1910, bénédiction akbarienne en
1911.
Cependant, ce dernier aspect n’apparaîtra dans ses écrits que bien
plus tard et René Guénon s’emploiera constamment jusqu’à son départ en Orient,
et même par la suite, à en minimiser l’importance.
Les raisons de sa réticence sont évoquées dans les trois ouvrages que
nous avons cités, mais elles n’y apparaissent que de manière incidente de sorte
que ses lecteurs n’y prêtèrent point attention et prirent pour de l’argent
comptant ce qui relevait, en réalité, d’un plan divin à long terme.
Déjà dans son premier ouvrage, commentant la « seconde
hypothèse » (3) où les peuples Orientaux « pour sauver le monde
occidental de cette déchéance irrémédiable, se l’assimileraient de gré ou de
force », il lançait cet avertissement :
« Il y aurait assurément, dans de telles circonstances, une
période transitoire occupée par des révolutions ethniques fort pénibles, dont
il est difficile de se faire une idée, mais le résultat final serait de nature
à compenser les dommages causés fatalement par une semblable
catastrophe ».
Et comme, dans son esprit, il y avait là tout autre chose qu’une
simple hypothèse, il ajoutait :
« Nous espérons que nul ne sera assez aveuglé par les préjugés
occidentaux pour ne pas reconnaître combien cette hypothèse serait préférable à
la précédente (celle où l’Occident, livré à lui-même, se trouverait dans la
pire barbarie) ».
Trois ans plus tard, dans Orient et Occident, il ne se borne plus à
envisager l’intervention « des peuples orientaux » d’une façon
générale et précise sa pensée à l’égard de la civilisation islamique en
particulier (4).
3 –
Rappelons que l’Introduction générale mentionnait en conclusion trois
hypothèses relatives à l’avenir de l’Occident ; elles sont suffisamment
connues.
4 -
Cf. Le dernier chapitre, intitulé : Entente et non fusion.
Nous reproduisons ce passage dans son intégralité, car il nous parait
capital pour la bonne compréhension de l’attitude qu’il adopte dans la phase
initiale de son œuvre. Il commence à expliquer pourquoi la référence aux
doctrines hindoues lui paraît préférable pour l’exposé de la métaphysique
traditionnelle :
« elles sont relativement plus assimilables, et elles réservent de plus larges possibilités
d’adaptation ».
Pour justifier cette préférence, il ajoute que « l’Inde occupe
une position moyenne dans l’ensemble oriental » et qu’elle n’est « ni
trop loin ni trop près de l’Occident » alors qu’« il y aurait à se
baser sur ce qui est plus rapproché, des inconvénients.... assez graves
« ; et il achève ainsi sa justification :
« peut-être n’y aurait-il pas beaucoup d’avantages réels pour les
compenser [ces inconvénients], car la civilisation islamique est à peu près
aussi mal connue des Occidentaux que les civilisations plus orientales, et
surtout sa partie métaphysique, qui est celle qui nous intéresse ici, leur
échappe entièrement. »
Les doctrines ésotériques de l’islâm sont donc écartées à ce stade
uniquement pour des questions d’opportunité, sans que cela entraîne le moindre
jugement engageant l’avenir.
René Guénon termine son examen de l’« hypothèse islamique » par
quelques lignes qui n’ont rien perdu, on en conviendra aisément, de leur vérité
et de leur actualité :
« Il est vrai que cette civilisation islamique, avec ses deux
faces ésotérique et exotérique, et avec la forme religieuse que revêt cette dernière,
est ce qui ressemble le plus à ce que serait une civilisation traditionnelle
occidentale ; mais la présence même de cette forme religieuse, par laquelle
l’Islam tient en quelque sorte de l’Occident, risque d’éveiller certaines
susceptibilités qui, si peu justifiées qu’elles soient au fond, ne seraient pas
sans danger : ceux qui sont incapables de
distinguer entre les différents domaines croiraient faussement à une
concurrence sur le terrain religieux (5) ; et il y a certainement, dans la
masse occidentale (où nous comprenons la plupart des pseudo-intellectuels),
beaucoup plus de haine à l’égard de tout ce qui est islamique qu’en ce qui
concerne le reste de l’Orient.
La peur entre pour une bonne part dans les mobiles de cette haine, et
cet état d’esprit n’est dû qu’à l’incompréhension, mais, tant qu’il existe, la
plus élémentaire prudence exige qu’on en tienne compte dans une certaine
mesure ».
5 –
C’est nous qui soulignons.
La considération de
l’opportunité s’explique donc par l’ignorance occidentale et celle de la
prudence par les manifestations d’une haine engendrée par la peur.
Nous sommes sans doute mieux placés que quiconque pour savoir à
quelles rancœurs peut conduire l’incompréhension « des
pseudos-intellectuels ». Et si René Guénon indique, pour finir, que le
devoir de prudence ne doit être pris en
compte que « dans une certaine mesure », c’est parce qu’il
sait que, tôt ou tard, tout devra être dit sans qu’il y ait à se préoccuper
exagérément, ni de la fureur des uns, ni de la sotte hostilité des autres.
Un autre
élément essentiel pour la compréhension des conditions, littéralement
extraordinaires, dans lesquelles René Guénon fut amené à exercer sa fonction
doctrinale réside dans la difficulté qu’il y avait pour lui à exprimer un enseignement
procédant d’une autorité universelle dont les Occidentaux ne connaissaient
aucun équivalent et dont ils ne pouvaient avoir aucune idée.
Il lui
fallait donc procéder d’une manière en quelque sorte « négative » et
tenter de leur faire entrevoir qu’en dépit de leurs prétentions ils ignoraient
l’essence profonde des doctrines orientales.
Dans la
Conclusion de son premier ouvrage on trouve une déclaration qui précise
clairement ce point :
« Si
quelques Occidentaux pouvaient, par la lecture du précédent exposé, prendre
conscience de ce qui leur manque intellectuellement, s’ils pouvaient, nous ne
dirons pas même le comprendre, mais seulement l’entrevoir et le pressentir, ce
travail n’aurait pas été fait en vain. »
Cette
difficulté explique pour une grande part les continuels changements et
retournements dans les langages qu’il tient, dans ses attitudes, dans ce qu’il
cache aux uns et déclare aux autres, car il lui faut constamment adapter ses
exposés aux dispositions particulières, aux connaissances partielles et à
l’ignorance généralisée de ses interlocuteurs, tout en évitant, dans la mesure
du possible, toute confrontation directe.
Ceux qui,
plus tard, étudieront cette période en s’en tenant aux apparences seront tentés
de ne voir dans ces revirements que des astuces d’ordre tactique, voire des
tromperies délibérées ; ce qui fut notamment le cas de Marie-France James.
Du reste, il
faut bien reconnaître qu’il y avait souvent de quoi être déconcerté. Sa
préoccupation essentielle, à ce moment, est de ne pas trahir l’autorité qu’il
représente et de préparer les esprits à ce qui sera la révélation majeure de
son œuvre avant son départ pour l’Orient : la doctrine du Roi du Monde.
Après la
fermeture de l’Ordre du Temple Rénové, il ne lui était plus possible d’assumer
cette autorité en mettant lui-même en œuvre le double pouvoir spirituel et
temporel détenu par le Centre suprême.
Sa fonction
relève toujours du « gouvernement ésotérique du monde », désigné en
islâm par le terme tasarruf, mais
elle ne peut plus s’exercer désormais que dans le domaine intellectuel.
L’œuvre
doctrinale de René Guénon est à ce point magistrale que beaucoup admettent
difficilement qu’elle ne correspond
nullement à son intention première et qu’elle n’est pas le fruit d’un choix
délibéré. Elle fut conçue et accomplie comme étant « de second
ordre », à un moment où aucune alternative ne demeurait ouverte pour lui.
On ne peut
la comprendre telle qu’elle est en réalité, si l’on ne voit pas qu’elle est la
conséquence d’un échec, mais aussi, à l’égard de l’Occident, la manifestation
conjointe d’une sanction et d’une miséricorde divines.
Toujours
dans la Conclusion de son Introduction
générale, il indique :
« Le travail à accomplir devrait, au début, s’en tenir au point
de vue purement intellectuel (6), qui est le plus essentiel de tous, puisque
c’est celui des principes, dont tout le reste dépend ; il est évident que les
conséquences s’en étendraient ensuite, plus ou moins rapidement, à tous les
autres domaines, par une répercussion toute naturelle ; modifier la mentalité d’un milieu est le seul moyen d’y produire, même
socialement, un changement profond et durable (7), et vouloir commencer par
les conséquences est une méthode éminemment illogique, qui n’est digne que de
l’agitation impatiente et stérile des Occidentaux actuels. »
6 –
Sous-entendu : la réalisation d’un ordre traditionnel intégram demeure le
but final, mais il ne pourra être accompli que dans un deuxième temps.
7-
C’est nous qui soulignons.
En stigmatisant l’impatience occidentale, René Guénon laisse entrevoir
qu’il entame un processus de longue haleine, appelé à se dérouler avec lenteur,
et qui, de fait, n’aboutira que quarante ans plus tard avec la publication par
Michel Vâlsan de la figure du Triangle de l’Androgyne.
Quant aux « conséquences » qui pourraient en découler, et
qui concerneraient, dans un premier temps la guidance spirituelle, puis, dans
une phase ultérieure, l’exercice effectif du pouvoir temporel, René Guénon s’en
désintéresse dans les écrits qu’il publie.
Le « gouvernement ésotérique » ne lui assigne à ce moment
d’autre but qu’une « modification de la mentalité du milieu » et il
entend se consacrer exclusivement à cette tâche.
Dans un texte intitulé Réflexions
sur le pouvoir occulte et qui paraît, à la veille de la guerre, dans La France chrétienne antimaçonnique (8),
il apporte sur ce sujet quelques précisions décisives :
8 –
Sous la signature du Sphinx.
« Les chefs (du pouvoir occulte) ne s’intéressent pas aux
questions politiques et sociales en tant que telles ; ils pourront même
n’avoir qu’une fort médiocre considération pour ceux qui se consacrent à ce
genre de travaux » ; et encore :
« Les Supérieurs Inconnus,
de quelque sorte qu’ils soient, et quel que soit le domaine où ils veulent
agir, ne cherchent jamais à créer des « mouvements »... ils créent
seulement des « états d’esprits », ce qui est beaucoup plus efficace,
mais peut-être un peu moins à la portée de tout le monde... la mentalité des
individus et des collectivités peut être modifiée par un ensemble systématisé
de suggestions appropriées ; au fond l’éducation elle-même n’est guère
autre chose que cela... un état d’esprit déterminé requiert des conditions
favorable pour s’établir, et il faut savoir,
ou profiter de ces conditions si elles existent déjà, ou en provoquer
soi-même la réalisation. »
Ce texte se rapporte de toute évidence à s propre fonction et c’est à
l’élaboration de conditions nouvelles qu’il s’emploie manifestement. En tant
qu’il est le représentant du Centre suprême, René Guénon est lui-même un
« Supérieur Inconnu » en ce
sens que la source et la nature de son autorité sont ignorées de ceux auxquels
il s’adresse (9).
Selon Michel Vâlsan, la croyance en leur présence agissante et secrète
est une des conditions essentielles de l’orthodoxie maçonniques puisqu’elle
implique la reconnaissance d’une subordination de la Franc-Maçonnerie au Centre
primordial et universel. La couleur symbolique des Supérieurs Inconnus est le
noir qui représente la non-manifestation du principe suprême (10).
9 –
Il est à tout le moins curieux qu’il ait porté ce titre dans le milieu
occultiste. Selon Jean-Pierre Laurant : « L’Ecole hermétique couvrait
diverses organisations dont l’Ordre Martiniste où Guénon fut reçu
« Supérieur Inconnu » (il fit, d’ailleurs, dans l’Initiation deux
comptes-rendus signés R.G.S.I.) » ; cf. p. 44.
10 –
Cf. Les « têtes noires », chap. XVI des Symboles fondamentaux.
Dans l’ésotérisme islamique, ils sont appelés rijâl al-ghayb (les « hommes du mystère »). On les
désigne aussi sous le nom de malâmatî,
les « hommes du blâme » qui, en toutes circonstances, cachent
soigneusement leur fonction et leur état.
En cette qualité, René Guénon était détenteur d’une autorité majeure
au sein du tasawwuf. Le nom divin
correspondant aux Supérieurs Inconnus
est Huwa. Celui-ci est le secret du
Nom de Majesté Allâh (11), le secret
de la sourate al-Ikhlâs (qul Huwa Allâh), le secret du Coran tout
entier qui est destiné à ceux qui « croient au Mystère » (alladhîna yu’minûna bi-l-ghayb ;
Cor. 2, 3).
Toute manifestation de cette autorité suprême suscite inévitablement,
en islâm comme ailleurs, l’incompréhension, voire le rejet et l’hostilité, et
cela aussi bien de la part des exotéristes que des maîtres qui envisagent la
direction spirituelle de façon unilatérale.
La publication du Roi du Monde
en 1927, l’année où il fait paraître aussi La
crise du Monde moderne, apparaît comme l’aboutissement du travail
préparatoire entrepris depuis six ans et comme la révélation majeure de cette
première période de sa carrière de docteur.
De prime abord on peut s’étonner qu’il ait décidé, en parfaite
connaissance de cause et conscient des risques encourus, d’aborder une question
qui le concernait d’une manière aussi directe. Toutefois, on observe que si,
dans les trois ouvrages où il traite du sort de l’Occident, il parle
abondamment de lui-même, précisant ses intentions et indiquant ce qu’il
conviendrait de faire, le Roi du Monde
est écrit de manière beaucoup plus impersonnelle.
Seul fait exception le chapitre premier où il rapporte la circonstance
anecdotique qui fut à l’origine de l’ouvrage, et qui s’est révélée
déterminante : la publication en 1924 de l’ouvrage de Ferdinand
Ossendowski : Bêtes, Hommes et Dieux
qu’il qualifie lui-même de « fait nouveau et quelque peu
inattendu » ; il ajoute : « le bruit qui a été fait autour
de ce livre fournit, croyons-nous, une occasion favorable pour rompre enfin le
silence sur cette question de l’Agarttha. »
L’ « occasion « favorable » est considérée comme
la réponse à une demande d’istikhâra
(12) implicite, tandis que l’adverbe « enfin » indique à quel point
une étude sur cette question lui tenait à cœur, ce qu’un lecteur averti,
attentif et acquis à son enseignement, n’aura aucune peine à comprendre.
12 –
Rite qui consiste en islâm à rechercher ce qu’il convient de faire en accord
avec les dispositions de la sagesse divine.
Pour le reste, l’auteur s’efface explicitement devant son sujet :
« Si nous citons M. Ossendowski et même Saint-Yves, c’est uniquement parce
que ce qu’ils ont dit peut servir de point de départ à des considérations qui
n’ont rien à voir avec ce qu’on pourra penser de l’un et de l’autre, et dont la
portée dépasse singulièrement leurs individualités, aussi bien que la nôtre, qui, en ce domaine, ne doit pas compter
davantage (13). »
En revanche, l’autorité souveraine qu’il représente transparaît
discrètement dans certains passages ; et c’est là un point essentiel dans
la perspective de la présente étude.
D’une part, il indique que ses connaissances proviennent « de
tout autres sources » que les témoignages recueillis par Ossendowski,
sources dont il précise indirectement la nature : il ne s’agit sûrement
pas de sources écrites, mais bien plutôt d’une inspiration directe liée au
degré initiatique atteint et ne comportant aucune référence vérifiable.
Ses adversaires ne s’y sont pas trompés, qui n’ont voulu voir dans cet
ouvrage que le produit de son imagination.
Le Roi du Monde est issu d’une évidence : sa signification ne
peut être saisie que par l’évidence et son autorité ne peut s’imposer que par
l’évidence.
13 –
C’est nous qui soulignons. Ajoutons à cette occasion que ces considérations
présentent un rapport direct avec ce qu’Ibn Arabî a mis au jour huit siècles
auparavant dans la partie initiale du chapitre 73 des Futûhât. Les différences
d’ordre individuel ne doivent pas ici « compter davantage » : il
s’agit bel et bien d’un seul et même enseignement.
D’autre part, il déclare dans ses conclusions :
« Nous en avons dit (sur ce sujet) certainement bien plus qu’on
ne l’avait fait jusqu’ici, et quelques uns seront peut-être tentés de nous le
reprocher. Cependant, nous ne pensons pas que ce soit trop, et nous sommes même
persuadé qu’il n’y a là rien qui ne doive être dit ».
René Guénon juge souverainement de ce qui doit être dit et de ce qui
ne doit pas l’être ; ainsi que des questions d’opportunité qui l’obligent
à le dire.
A l’égard de l’Occident et de ce qui convient à son redressement
traditionnel, il est, et n’a jamais cessé d’être le « Souverain Commandeur
du Temple ».
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