Voici un article de Guénon qui exprime encore une fois la
dégénérescence actuelle démontrée cette fois dans ce qu’on appelle le
« monde du travail ».
Nul besoin d’aller chercher ailleurs le mal-être ressenti par certains
et la sensation d’être « à l’écart du monde ». Je pense qu’on peut
aussi y voir la source des pathologies modernes qui frappent les individus dans
ce « monde du travail » tel qu’il nous est imposé actuellement.
Dans l’organisation traditionnelle de la société, chacun étant à sa
place et ce, en accord avec sa nature propre, ce genre de maux n’auraient pas
lieu d’être.
Mais ceux qui imputent à Dieu une « mauvaise gestion »
(sic !) de ce mal-être, devraient se sortir la tête du sable et réfléchir
un peu plus profondément aux causes.
A s’agiter, pester et blasphémer, ils ne font que s’enliser davantage
dans le bourbier qu’on leur a aimablement préparé et ils se coupent de la seule
Source qui pouvait leur offrir quelques secours.
Nous avons dit souvent que la conception
« profane » des sciences et des arts, telle qu’elle a cours
actuellement en Occident, est chose très moderne et implique une dégénérescence
par rapport à un état antérieur où les uns et les autres présentaient un
caractère tout différent. La même chose peut être dite aussi des métiers ;
et, d’ailleurs, la distinction entre les arts et les métiers, ou entre
« artiste » et « artisan », est, elle aussi, spécifiquement
moderne, comme si elle était née de cette déviation profane et n’avait de sens
que par elle.
L’artifex, pour les anciens, c’est, indifféremment, l’homme qui
exerce un art ou un métier ; mais ce n’est, à vrai dire, ni l’artiste ni
l’artisan au sens que ces mots ont aujourd’hui ; c’est quelque chose de
plus que l’un et que l’autre, parce que, originairement tout au moins, son
activité est rattachée à des principes d’un ordre beaucoup plus profond.
Dans toute civilisation traditionnelle, en effet, toute activité de l’homme, quelle qu’elle soit, est toujours considérée comme dérivant essentiellement des principes ; par là, elle est comme « transformée », pourrait-on dire, et, au lieu d’être réduite à ce qu’elle est en tant que simple manifestation extérieure (ce qui est en somme le point de vue profane), elle est intégrée à la tradition et constitue, pour celui qui l’accomplit, un moyen de participer effectivement à celle-ci.
Il en est ainsi même au simple point de vue exotérique ; si l’on
envisage, par exemple, une civilisation telle que la civilisation islamique, ou
la civilisation chrétienne du moyen âge, rien n'est plus facile que de se
rendre compte du caractère « religieux » qu’y revêtent les actes les plus
ordinaires de l’existence.
C'est que, là, la religion n'est point quelque chose qui occupe une
place à part, sans aucun rapport avec tout le reste, comme elle l’est pour les
Occidentaux modernes (pour ceux du moins qui consentent encore à admettre une
religion) ; au contraire, elle pénètre toute l’existence de l’être humain, ou,
pour mieux dire, tout ce qui constitue cette existence, et en particulier la
vie sociale, se trouve comme englobé dans son domaine, si bien que, dans de
telles conditions, il ne peut y avoir en réalité rien de « profane », sauf pour
ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont en dehors de la tradition, et
dont le cas représente alors une simple anomalie.
Ailleurs, où il n'y a rien à quoi s applique proprement le nom de «
religion », il n y en a pas moins une législation traditionnelle et « sacrée »
qui, tout en ayant des caractères différents, remplit exactement le même rôle ;
ces considérations peuvent donc s’appliquer à toute civilisation traditionnelle
sans exception.
Mais il y a encore quelque chose de plus : si nous passons de
l’exotérisme à l'ésotérisme (nous employons ici ces mots pour plus de
commodité, bien qu’ils ne conviennent pas avec une égale rigueur à tous les
cas), nous constatons, très généralement, l’existence d’une initiation liée aux
métiers et prenant ceux-ci pour base ; c’est donc que ces métiers sont encore
susceptibles d’une signification supérieure et plus profonde ; et nous
voudrions indiquer comment ils peuvent effectivement fournir une voie d’accès
au domaine initiatique.
Ce qui permet le mieux de le comprendre, c'est la notion de ce que la
doctrine hindoue appelle swadharma,
c'est-à-dire l’accomplissement par chaque être d'une activité conforme à sa
nature propre ; et c'est aussi par cette notion, ou plutôt par son absence, que
se marque le plus nettement le défaut de la conception profane.
Dans celle-ci, en effet, un homme peut adopter une profession
quelconque, et il peut même en changer à son gré, comme si cette profession
était quelque chose de purement extérieur à lui, sans aucun lien réel avec ce
qu’il est vraiment, avec ce qui fait qu’il est lui-même et non pas un autre.
Dans la conception traditionnelle, au contraire, chacun doit
normalement remplir la fonction à laquelle il est destiné par sa nature même ;
et il ne peut en remplir une autre sans qu'il y ait là un grave désordre, qui
aura sa répercussion sur toute l'organisation soci.de dont il fait partie ;
bien plus, si un tel désordre vient à se généraliser, il en arrivera à avoir
des effets sur le milieu cosmique lui-même, toutes choses étant liées entre
elles selon de rigoureuses correspondances.
Sans insister davantage sur ce dernier point, qui pourrait cependant
trouver assez facilement son application aux conditions de l'époque actuelle,
nous ferons remarquer que l'opposition des deux conceptions peut, tout au moins
sous un certain rapport, être ramenée à celle d un point de vue « qualitatif »
et d’un point de vue « quantitatif » : dans la conception traditionnelle, ce
sont les qualités essentielles des êtres qui déterminent leur activité ; dans
la conception profane, les individus ne sont plus considérés que comme des «
unités » interchangeables, comme s’ils étaient, en eux-mêmes, dépourvus de
toute qualité propre.
Cette dernière conception, qui tient manifestement de près aux idées
modernes d' « égalité » et d’ « uniformité » (celle-ci étant littéralement au
rebours de l’unité véritable, car elle implique la multiplicité pure et «
inorganique » d’une sorte d' « atomisme » social), ne peut logiquement aboutir
qu'à l’exercice d'une activité purement « mécanique », dans laquelle il ne
subsiste plus rien de proprement humain ; et c’est bien là, en effet, ce que
nous pouvons constater de nos jours.
Il doit donc être bien entendu que les métiers « mécaniques » des
modernes, n’étant qu’un produit de la déviation profane, ne sauraient
aucunement offrir les possibilités dont nous entendons parler ici ; à vrai
dire, ils ne peuvent même pas être considérés comme des métiers, si l’on veut
garder à ce mot son sens traditionnel, le seul qui nous intéresse présentement.
Si le métier est quelque chose de l'homme même, et comme une
manifestation ou une expansion de sa propre nature, il est facile de comprendre
qu'il puisse, comme nous le disions tout à l’heure, servir de base à une
initiation, et même qu’il soit, dans la généralité des cas, ce qu’il y a de
mieux adapté à cette fin. En effet, si l’initiation a essentiellement pour but
de dépasser les possibilités de l'individu humain, il n’en est pas moins vrai
qu’elle ne peut prendre pour point de départ que cet individu tel qu’il est ; de
là la diversité des voies initiatiques, c’est-à-dire en somme des moyens mis en
œuvre à titre de « supports », en conformité avec la différence des natures
individuelles, cette différence intervenant d’ailleurs d’autant moins, par la
suite, que l'être avancera davantage dans sa voie. Les moyens ainsi employés ne
peuvent avoir d'efficacité que s’ils correspondent à la nature même des
êtres auxquels ils s'appliquent ; et, comme il faut nécessairement
procéder du plus accessible au moins accessible, de l’extérieur à l’intérieur,
il est normal de les prendre dans l’activité par laquelle cette nature se
manifeste au dehors.
Mais il va de soi que cette activité ne peut jouer un tel rôle qu’en
tant qu'elle traduit réellement la nature intérieure ; il y a donc là une
véritable question de « qualification », au sens initiatique de ce terme ; et,
dans des conditions normales, cette « qualification » devrait être requise pour
l’exercice même du métier. Ceci touche en même temps à la différence
fondamentale qui sépare l’enseignement initiatique de l’enseignement profane :
ce qui est simplement « appris » de l'extérieur
est ici sans aucune valeur ; ce dont il s'agit, c’est d’« éveiller » les
possibilités latentes que l'être porte en lui-même (et c’est là, au fond, la véritable
signification de la « réminiscence » platonicienne).
On peut encore comprendre, par ces dernières considérations, comment
l’initiation, prenant le métier pour « support », aura en même temps, et
inversement en quelque sorte, une répercussion sur l’exercice de ce métier.
L’être, en effet, ayant pleinement réalisé les possibilités dont son activité
professionnelle n'est qu'une expression extérieure, et possédant ainsi la
connaissance effective de ce qui est le principe même de cette activité, accomplira
dès lors consciemment ce qui n’était d’abord qu’une conséquence tout «
instinctive » de sa nature ; et ainsi, si la connaissance initiatique est, pour
lui, née du métier, celui-ci, à son tour, deviendra le champ d’application de
cette connaissance, dont il ne pourra plus être séparé. Il y aura alors
correspondance parfaite entre l’intérieur et l'extérieur, et l’œuvre produite
pourra être, non plus seulement l'expression à un degré quelconque et d’une
façon plus ou moins superficielle, mais l’expression réellement adéquate de
celui qui l’aura conçue et exécutée, ce qui constituera le « chef-d’œuvre » au
vrai sens de ce mot.
Ceci, on le voit, est bien loin de la prétendue « inspiration »
inconsciente, ou subconsciente si l'on veut, où les modernes veulent voir la
marque du véritable artiste, tout en regardant celui-ci comme supérieur à
l’artisan, suivant la distinction plus que contestable dont ils ont pris
l’habitude.
Artiste ou artisan, celui qui agit sous une telle « inspiration »
n’est en tout cas qu’un profane ; il montre sans doute par là qu'il porte en
lui certaines possibilités, mais, tant qu’il n'en aura pas pris effectivement
conscience, même s'il atteint à ce qu'on est convenu d’appeler le « génie »,
cela n’y changera rien ; et, faute de pouvoir exercer un contrôle sur ces
possibilités, ses réussites ne seront en quelque sorte qu’accidentelles, ce
qu’on reconnaît d’ailleurs communément en disant que 1' # inspiration » fait
parfois défaut.
Tout ce qu'on peut accorder, pour rapprocher le cas dont il s agit de
celui où intervient une véritable connaissance, c est que l’œuvre qui,
consciemment ou inconsciemment, découle vraiment de la nature de celui qui
l’exécute, ne donnera jamais l'impression d'un effort plus ou moins pénible,
qui entraîne toujours quelque imperfection, parce qu’il est chose anormale ; au
contraire, elle tirera sa perfection même de sa conformité à la nature, qui
impliquera d'ailleurs, d’une façon immédiate et pour ainsi dire nécessaire, son
exacte adaptation à la fin à laquelle elle est destinée.
Si maintenant nous voulons définir plus rigoureusement le domaine de
ce qu’on peut appeler les initiations de métier, nous dirons qu’elles
appartiennent à l'ordre des « petits mystères », se rapportant au développement
des possibilités qui relèvent proprement de l'état humain, ce qui n’est pas le
but dernier de l’initiation, mais en constitue du moins obligatoirement la
première phase.
Il faut, en effet, que ce développement soit tout d’abord accompli
dans son intégralité, pour permettre ensuite de dépasser cet état humain ;
mais, au delà de celui-ci, il est évident que les différences individuelles,
sur lesquelles s’appuient ces initiations de métier, disparaissent entièrement
et ne sauraient plus jouer aucun rôle.
Comme nous l'avons expliqué en d’autres occasions, les « petits
mystères » conduisent à la restauration de ce que les doctrines traditionnelles
désignent comme l' « état primordial » ; mais, dès que l’être est parvenu à cet
état, qui appartient encore au domaine de l’individualité humaine (et qui est
le point de communication de celle-ci avec les états supérieurs), les
différenciations qui donnent naissance aux diverses fonctions « spécialisées »
ont disparu, bien que toutes ces fonctions y aient également leur source, ou
plutôt par cela même ; et c’est bien à cette source commune qu’il s’agit en effet
de remonter pour posséder dans sa plénitude tout ce qui est impliqué par
l’exercice d'une fonction quelconque.
Si nous envisageons l’histoire de l’humanité telle que l’enseignent
les doctrines traditionnelles, en conformité avec les lois cycliques, nous
devons dire que, à l’origine, l’homme ayant la pleine possession de son état
d’existence, avait naturellement les possibilités correspondant à toutes les
fonctions, antérieurement à toute distinction de celles-ci. La division de ces
fonctions se produisit dans un stade ultérieur, représentant un état déjà
inférieur à l’ « état primordial », mais dans lequel chaque être
humain, tout en n’ayant plus que certaines possibilités déterminées, avait
encore spontanément la conscience effective de ces possibilités.
C’est seulement dans une période de plus grande obscuration que cette
conscience vint à se perdre ; et, dès lors, l’initiation devint nécessaire pour
permettre à l’homme de retrouver, avec cette conscience, l'état antérieur
auquel elle est inhérente ; tel est en effet le premier de ses buts, celui
qu’elle se propose le plus immédiatement.
Cela, pour être possible, implique une transmission remontant, par une
« chaîne » ininterrompue, jusqu'à l'état qu’il s’agit de restaurer, et ainsi,
de proche en proche, jusqu’à l’ « état primordial » lui-même ; et encore,
l’initiation ne s'arrêtant pas là, et les petits mystères » n’étant que la
réparation aux « grands mystères », c’est-à-dire à la prise de possession des
états supérieurs de l’être, il faut remonter au delà même des origines de
l'humanité.
En effet, il n’y a pas de véritable initiation, même au degré le plus
inférieur et le plus élémentaire, sans intervention d'un élément « non-humain
», qui est, suivant ce que nous avons exposé précédemment en d'autres articles,
l’ « influence spirituelle » communiquée régulièrement par le rite initiatique.
S’il en est ainsi, il n'y a évidemment pas lieu de rechercher «
historiquement » l’origine de l’initiation, question qui apparaît dès lors
comme dépourvue de sens, ni d’ailleurs l’origine des métiers, des arts et des
sciences, envisagés dans leur conception traditionnelle et « légitime », car
tous, à travers des différenciations et des adaptations multiples, mais
secondaires, dérivent pareillement de l’ « état primordial », qui les
contient tous en principe, et, par là, ils se relient aux autres ordres d’existence,
au delà de l’humanité même, ce qui est d'ailleurs nécessaire pour qu’ils
puissent, chacun à son rang et selon sa mesure, concourir effectivement à la
réalisation du plan du Grand Architecte de l’Univers.
Mélanges, partie
deux, chapitre premier : L’Initiation et les métiers
Et je crois que ça ne va pas aller en s'arrangeant.
RépondreSupprimerRécemment je répondais à quelqu'un qui me parlait de machine à tricoter qui se programme. Désormais, que l'on soit garagiste, couturière ou cuisiner on fait le même travail : programmation d'un ordinateur.
Le garagiste n'est quasiment plus obligé de toucher un boulon, la couturière un fil et le cuisinier place tous les ingrédients dans un nouveau robot (dont j'entendais parler les collègues) et il fait le plat, pareil pour le pétrissage de tout ce qui est pâtes, pain on ne touche plus à rien.
Or, il y a toujours passage de la main à la matière et il est très connu en cuisine que la cuisinière ne doit pas oeuvrer en colère ou dans un état d'esprit sombre.
De plus, tous les ingrédients ne cuisent pas à la même vitesse.
Rien de plus attendrissant et attachant qu'un pull avec quelques mailles qui ne sont pas parfaitement alignées, au lieu de ces tristes pulls sans âme.
De plus, ces activités ont un caractère méditatif : plongé dans une confection, on ne pense plus à rien d'autre.
Dans ce texte, dit ce que que je ressens depuis toujours :
alors que tu prends toute la mesure, l'intensité des matériaux, prépare et planifie tout, puis rentre en toi pour débuter, en ne faisant qu'un avec les matériaux et les outils, tu as l'autre, qui arrive en te disait "j'ai déjà fini, t'en est que là ?".
Cet autre vient de commettre un double sacrilège, d'abord envers sa réalisation, puis, envers TON moment de paix, mais il (ou elle) ne le sait même pas et n'est même pas en mesure de le savoir un jour.
le pire, est que cet "autre", n'est même pas fier, de ce qu'il ou elle a fait, mais juste, il a "fini" pour avoir fini.
Et trouve des qualités à sa production, après coup, qui, parfois correspondent ou pas à une réalité, mais à qualité égale, le chemin ne fut pas le même, quand l'un est arrivé à destination, sans rien voir, l'autre se "baigne" dans le sentier, et une fois arrivé, il a fait un voyage de plusieurs années, il connaît, les moindres recoins de ce sentier.
Chacun ne pourra transmettre les mêmes choses ni par le biais de la réalisation, ni par le biais de l'apprentissage envers un autre.
L'expérience, ce n'est pas le temps passé dans une activité, mais ce que l'on en a exploré.
C'est exactement le propos du film "le maître de musique"(évidemment, il vaut mieux aimer la musique classique, mais, même si l'on n'aime pas, les morceaux ont été choisis judicieusement pour leur pureté ou leur pertinence en fonction des scènes).
le streaming :
https://www.youtube.com/watch?v=BPFh0nUWeG0
Dans un autre article de Guénon sur le sujet, il est dit ceci :
Supprimer"Dans le travail industriel, l’ouvrier n’a rien à mettre de lui-même, et on aurait même grand soin de l’en empêcher s’il pouvait en avoir la moindre velléité ; mais cela même est impossible, puisque toute son activité ne consiste qu’à faire mouvoir une machine, et que d’ailleurs il est rendu parfaitement incapable d’initiative par la « formation » ou plutôt la déformation professionnelle qu’il a reçue, qui est comme l’antithèse de l’ancien apprentissage, et qui n’a pour but que de lui apprendre à exécuter certains mouvements « mécaniquement » et toujours de la même façon, sans avoir aucunement à en comprendre la raison ni à se préoccuper du résultat, car ce n’est pas lui, mais la machine, qui fabriquera en réalité l’objet ; serviteur de la machine, l’homme doit devenir machine lui-même, et son travail n’a plus rien de vraiment humain, car il n’implique plus la mise en œuvre d’aucune des qualités qui constituent proprement la nature humaine.
Tout cela aboutit à ce qu’on est convenu d’appeler, dans le jargon actuel, la fabrication « en série », dont le but n’est que de produire la plus grande quantité d’objets possible, et des objets aussi exactement semblables que possible entre eux, et destinés à l’usage d’hommes que l’on suppose tous semblables également ; c’est bien là le triomphe de la quantité, comme nous le disions plus haut, et c’est aussi, et par là même, celui de l’uniformité.
On peut remarquer que la machine est, en un certain sens, le contraire de l’outil, et non point un « outil perfectionné » comme beaucoup se l’imaginent, car l’outil est en quelque sorte un « prolongement » de l’homme lui-même, tandis que la machine réduit celui-ci à n’être plus que son serviteur ; et, si l’on a pu dire que « l’outil engendra le métier », il n’est pas moins vrai que la machine le tue ; les réactions instinctives des artisans contre les premières machines s’expliquent par là d’elles-mêmes." Le Règne, chap. 8
C'est tout à fait ce que tu ressentais.... :-)
Il y a un texte consacré aux arts dans lequel RG parle de la musique justement... :-)
https://archive.org/stream/RG-VI-articles/1935/Les%20arts%20et%20leur%20conception%20traditionnelle#page/n0
merci pour ce lien (c'est tout à fait ça).
RépondreSupprimerIl est possible que lorsqu'il dit :"L'art traditionnel n'est certes pas un "jeu", selon l'expression chère à certains psychologues...." il s'agisse de D.Winnicott ("jeu et réalité, l'espace potentiel" ou "les objets transitionnels").
Selon Winnicott, l'espace transitionnel est ce lieu "virtuel" qui incarne une transition entre l'intérieur de l'individu et l'extérieur. Le sujet interagit avec l'extérieur dans cet espace (transformant l'inconnu à un connu à lui, donc subjectif, pour percevoir cet "inimaginable").
Pour la musique, un exemple pour illustrer cette différence entre "préférences esthétiques individuelles" et "expression d'une toute autre nature" :
(forcément personnel, dans tout ce qui concerne le travail intérieur, c'est encore l'illustration dont on peut répondre le mieux, à défaut de la connaître parfaitement. Ce qui n'est pas le cas, quand on présume de ce qui se passe dans "un autre").
La musique, longtemps, je fus une inconditionnelle de Chopin, grand romantique, coincé entre la beauté/laideur ; coincé entre plaisir dématérialisé/déplaisir lui aussi dématérialisé. Correspondait, comme le dit R.Guénon, à une période d'appréciation subjective.
Et correspondait à une période de grande confusion (voire puissante confusion).
Chopin n'est pas l'auteur qui parle le mieux de principe infini, mais le plus proche d'un état d'esprit du moment (qui tend à errer tantôt dans un bonheur infini, tantôt emporté par un vague à l'âme).
Alors que Mozart, m'agaçait passablement, j'ai compris, plus tard, pourquoi.
Quant à Beethoven il passait mieux, à cause de son volet "romantique" c'est à dire, pas gnangnan, mais "paumé" entre les deux pôles extrême dont j'ai parlé (pouvant trouver du plaisir dans la souffrance, et rejeter des situations de pure volupté. Comme par exemple sa "sonate au clair de lune").
Car, Mozart et quelques musiques de Beethoven, sont des témoignages de messages qui dépassent le simple ressenti humain.
Ce n'est que des années plus tard, emportée, poussé par la faim et la soif de contrastes et de nuances, de multiplicité, des impressionnistes musicaux : comme Malher, ou certaines musiques de Beethnoven, qu'il fut possible d'envisager Mozart.
Wagner, malgré sa déplorable réputation, a créé une musique qui "peint" la création (de la vie).
L'ennui : ce fameux morceau est l'introduction d'un opéra (l'Anneau de Nibelung), qui comporte, plus loin la fameuse "chevauchée des Walkyrie".
La création du monde (la première minute de l'introduction se fait dans un silence total et la musique arrive peu à peu. Cette intro. dure 4 mn en tout) :
Dans cette musique on "entend" (on la voit presque) l'énergie se densifier de plus en plus :
https://www.youtube.com/watch?v=cjkjF9OfMe0