« Il y a encore à ce propos bien d’autres questions
qu’il pourrait être intéressant d’approfondir, par exemple celle-ci : pourquoi
le Paradis terrestre est-il décrit comme un jardin et avec un symbolisme
végétal, tandis que la Jérusalem céleste est décrite comme une ville et avec un
symbolisme minéral ? C’est que la végétation représente l’élaboration des
germes dans la sphère de l’assimilation vitale, tandis que les minéraux
représentent les résultats définitivement fixés, « cristallisés » pour ainsi
dire, au terme du développement cyclique. ».
RG, L'Esotérisme de Dante.
La « solidification » du monde a
encore, dans l’ordre humain et social, d’autres conséquences dont nous n’avons
pas parlé jusqu’ici : elle engendre, à cet égard, un état de choses dans lequel
tout est compté, enregistré et réglementé, ce qui n’est d’ailleurs, au fond,
qu’un autre genre de « mécanisation » ; il n’est que trop facile de constater
partout, à notre époque, des faits symptomatiques tels que, par exemple, la
manie des recensements (qui du reste se relie directement à l’importance
attribuée aux statistiques) (1), et, d’une façon générale, la multiplication
incessante des interventions administratives dans toutes les circonstances de
la vie, interventions qui doivent naturellement avoir pour effet d’assurer une
uniformité aussi complète que possible entre les individus, d’autant plus que
c’est en quelque sorte un « principe » de toute administration moderne de
traiter ces individus comme de simples unités numériques toutes semblables
entre elles, c’est-à-dire d’agir comme si, par hypothèse, l’uniformité « idéale
» était déjà réalisée, et de contraindre ainsi tous les hommes à s’ajuster, si
l’on peut dire, à une même mesure «moyenne».
D’autre part, cette
réglementation de plus en plus excessive se trouve avoir une conséquence fort
paradoxale : c’est que, alors qu’on vante la rapidité et la facilité
croissantes des communications entre les pays les plus éloignés, grâce aux
inventions de l’industrie moderne, on apporte en même temps tous les obstacles
possibles à la liberté de ces communications, si bien qu’il est souvent
pratiquement impossible de passer d’un pays à un autre, et qu’en tout cas cela est
devenu beaucoup plus difficile qu’au temps où il n’existait aucun moyen
mécanique de transport.
C’est encore là un aspect
particulier de la « solidification » : dans un tel monde, il n’y a plus de
place pour les peuples nomades qui jusqu’ici subsistaient encore dans des
conditions diverses, car ils en arrivent peu à peu à ne plus trouver devant eux
aucun espace libre, et d’ailleurs on s’efforce par tous les moyens de les
amener à la vie sédentaire (2), de sorte que, sous ce rapport aussi, le moment
ne semble plus très éloigné où « la roue cessera de tourner » ; par surcroît,
dans cette vie sédentaire, les villes, qui représentent en quelque sorte le
dernier degré de la « fixation », prennent une importance prépondérante et
tendent de plus en plus à tout absorber (3) ; et c’est ainsi que, vers la fin
du cycle, Caïn achève véritablement de tuer Abel.
1 Il
y aurait beaucoup à dire sur les interdictions formulées dans certaines
traditions contre les recensements, sauf dans quelques cas exceptionnels ; si
l’on disait que ces opérations et toutes celles de ce qu’on appelle l’« état
civil » ont, entre autres inconvénients, celui de contribuer à abréger la durée
de la vie humaine (ce qui est d’ailleurs conforme à la marche même du cycle,
surtout dans ses dernières périodes), on ne serait sans doute pas cru, et
pourtant, dans certains pays, les paysans les plus ignorants savent fort bien,
comme un fait d’expérience courante, que, si l’on compte trop souvent les
animaux, il en meurt beaucoup plus que si l’on s’en abstient ; mais évidemment,
aux yeux des modernes soi-disant « éclairés », ce ne peuvent être là que des «
superstitions » !
2 On
peut citer ici, comme exemples particulièrement significatifs, les projets «
sionistes » en ce qui concerne les Juifs, et aussi les tentatives faites
récemment pour fixer les Bohémiens dans certaines contrées de l’Europe
orientale.
3 Il
faut d’ailleurs rappeler à ce propos que la « Jérusalem céleste » elle-même est
symboliquement une « ville », ce qui montre que, là encore, il y a lieu
d’envisager, comme nous le disions plus haut, un double sens de la «
solidification ».
En effet, dans le symbolisme biblique, Caïn est représenté avant tout
comme agriculteur, Abel comme pasteur, et ils sont ainsi les types des deux
sortes de peuples qui ont existé dès les origines de la présente humanité, ou
du moins dès qu’il s’y est produit une première différenciation : les
sédentaires, adonnés à la culture de la terre ; les nomades, à l’élevage des
troupeaux (4).
Ce sont là, il faut y insister, les occupations essentielles et
primordiales de ces deux types humains ; le reste n’est qu’accidentel, dérivé
ou surajouté, et parler de peuples chasseurs ou pêcheurs, par exemple, comme le
font communément les ethnologues modernes, c’est, ou prendre l’accidentel pour
l’essentiel, ou se référer uniquement à des cas plus ou moins tardifs
d’anomalie et de dégénérescence, comme on peut en rencontrer en fait chez
certains sauvages (et les peuples principalement commerçants ou industriels de
l’Occident moderne ne sont d’ailleurs pas moins anormaux, quoique d’une autre
façon) (5).
Chacune de ces deux catégories avait naturellement sa loi
traditionnelle propre, différente de celle de l’autre, et adaptée à son genre
de vie et à la nature de ses occupations ; cette différence se manifestait
notamment dans les rites sacrificiels, d’où la mention spéciale qui est faite
des offrandes végétales de Caïn et des offrandes animales d’Abel dans le récit
de la Genèse (6).
Puisque nous faisons plus particulièrement appel ici au symbolisme
biblique, il est bon de remarquer tout de suite, à ce propos, que la Thorah
hébraïque se rattache proprement au type de la loi des peuples nomades : de là
la façon dont est présentée l’histoire de Caïn et d’Abel, qui, au point de vue
des peuples sédentaires, apparaîtrait sous un autre jour et serait susceptible
d’une autre interprétation ; mais d’ailleurs, bien entendu, les aspects
correspondant à ces deux points de vue sont inclus l’un et l’autre dans son
sens profond, et ce n’est là en somme qu’une application du double sens des
symboles, application à laquelle nous avons du reste fait une allusion
partielle à propos de la « solidification », puisque cette question, comme on
le verra peut-être mieux encore par la suite, se lie étroitement au symbolisme
du meurtre d’Abel par Caïn.
4 On
pourrait ajouter que, Caïn étant désigné comme l’aîné, l’agriculture semble
avoir par là une certaine antériorité, et, en fait, Adam lui-même, dès avant la
« chute », est représenté comme ayant pour fonction de « cultiver le jardin »,
ce qui d’ailleurs se réfère proprement à la prédominance du symbolisme végétal
dans la figuration du début du cycle (d’où une « agriculture » symbolique et
même initiatique, celle-là même que Saturne, chez les Latins, était dit aussi
avoir enseignée aux hommes de l’« âge d’or ») ; mais, quoi qu’il en soit, nous
n’avons à envisager ici que l’état symbolisé par l’opposition (qui est en même
temps un complémentarisme) de Caïn et d’Abel, c’est-à-dire celui où la
distinction des peuples en agriculteurs et pasteurs est déjà un fait accompli.
5
Les dénominations d’Iran et de Turan, dont on a voulu faire des désignations de
races, représentent en réalité respectivement les peuples sédentaires et les
peuples nomades ; Iran ou Airyana vient du mot arya (d’où ârya par
allongement), qui signifie « laboureur » (dérivé de la racine ar, qui se
retrouve dans le latin arare, arator, et aussi arvum, « champ ») ; et l’emploi
du mot ârya comme désignation honorifique (pour les castes supérieures) est,
par suite, caractéristique de la tradition des peuples agriculteurs.
6
Sur l’importance toute particulière du sacrifice et des rites qui s’y
rapportent dans les différentes formes traditionnelles, voir Frithjof Schuon,
Du Sacrifice, dans la revue Études Traditionnelles, n° d’avril 1938, et A. K.
Coomaraswamy, Atmayajna : Self-sacrifice, dans le Harvard Journal of Asiatic
Studies, n° de février 1942.
Du caractère spécial de la tradition hébraïque vient aussi la
réprobation qui y est attachée à certains arts ou à certains métiers qui
conviennent proprement aux sédentaires, et notamment à tout ce qui se rapporte
à la construction d’habitations fixes ; du moins en fut-il effectivement ainsi
jusqu’à l’époque où précisément Israël cessa d’être nomade, tout au moins pour
plusieurs siècles, c’est-à-dire jusqu’au temps de David et de Salomon, et l’on
sait que, pour construire le Temple de Jérusalem, il fallut encore faire appel
à des ouvriers étrangers (7).
Ce sont naturellement les peuples agriculteurs qui, par là même qu’ils
sont sédentaires, en viennent tôt ou tard à construire des villes ; et, en
fait, il est dit que la première ville fut fondée par Caïn lui-même ; cette
fondation n’a d’ailleurs lieu que bien après qu’il a été fait mention de ses
occupations agricoles, ce qui montre bien qu’il y a là comme deux phases
successives dans le « sédentarisme », la seconde représentant, par rapport à la
première, un degré plus accentué de fixité et de « resserrement » spatial.
D’une façon générale, les œuvres des peuples sédentaires sont, pourrait-on
dire, des œuvres du temps : fixés dans l’espace à un domaine strictement
délimité, ils développent leur activité dans une continuité temporelle qui leur
apparaît comme indéfinie. Par contre, les peuples nomades et pasteurs
n’édifient rien de durable, et ne travaillent pas en vue d’un avenir qui leur
échappe ; mais ils ont devant eux l’espace, qui ne leur oppose aucune
limitation, mais leur ouvre au contraire constamment de nouvelles possibilités.
On retrouve ainsi la correspondance des principes cosmiques auxquels se
rapporte, dans un autre ordre, le symbolisme de Caïn et d’Abel : le principe de
compression, représenté par le temps ; le principe d’expansion, par l’espace (8).
À vrai dire, l’un et l’autre de ces deux principes se manifestent à la
fois dans le temps et dans l’espace, comme en toutes choses, et il est
nécessaire d’en faire la remarque pour éviter des identifications ou des
assimilations trop « simplifiées », ainsi que pour résoudre parfois certaines
oppositions apparentes ; mais il n’en est pas moins certain que l’action du
premier prédomine dans la condition temporelle, et celle du second dans la
condition spatiale. Or le temps use l’espace, si l’on peut dire, affirmant
ainsi son rôle de « dévorateur » ; et de même, au cours des âges, les sédentaires
absorbent peu à peu les nomades : c’est là, comme nous l’indiquions plus haut,
un sens social et historique du meurtre d’Abel par Caïn. L’activité des nomades
s’exerce spécialement sur le règne animal, mobile comme eux ; celle des
sédentaires prend au contraire pour objets directs les deux règnes fixes, le
végétal et le minéral (9).
7 La
fixation du peuple hébreu dépendait d’ailleurs essentiellement de l’existence
même du Temple de Jérusalem ; dès que celui-ci est détruit, le nomadisme
reparaît sous la forme spéciale de la « dispersion ».
8
Sur cette signification cosmologique, nous renverrons aux travaux de Fabre
d’Olivet.
9
L’utilisation des éléments minéraux comprend notamment la construction et la
métallurgie ; nous aurons à revenir sur cette dernière, dont le symbolisme
biblique rapporte l’origine à Tubalcaïn, c’est-à-dire à un descendant direct de
Caïn, dont le nom se retrouve même comme un des éléments entrant dans la
formation du sien, ce qui indique qu’il existe entre eux un rapport
particulièrement étroit.
D’autre part, par la force des choses, les sédentaires en arrivent à
se constituer des symboles visuels, images faites de diverses substances, mais
qui, au point de vue de leur signification essentielle, se ramènent toujours
plus ou moins directement au schématisme géométrique, origine et base de toute
formation spatiale. Les nomades, par contre, à qui les images sont interdites
comme tout ce qui tendrait à les attacher en un lieu déterminé, se constituent
des symboles sonores, seuls compatibles avec leur état de continuelle migration
(10).
Mais il y a ceci de remarquable, que, parmi les facultés sensibles, la
vue a un rapport direct avec l’espace, et l’ouïe avec le temps : les éléments
du symbole visuel s’expriment en simultanéité, ceux du symbole sonore en
succession ; il s’opère donc dans cet ordre une sorte de renversement des
relations que nous avons envisagées précédemment, renversement qui est
d’ailleurs nécessaire pour établir un certain équilibre entre les deux
principes contraires dont nous avons parlé, et pour maintenir leurs actions
respectives dans les limites compatibles avec l’existence humaine normale.
Ainsi, les sédentaires créent les arts plastiques (architecture, sculpture,
peinture), c’est-à-dire les arts des formes qui se déploient dans l’espace ;
les nomades créent les arts phonétiques (musique, poésie), c’est-à-dire les
arts des formes qui se déroulent dans le temps ; car, redisons-le encore une
fois de plus à cette occasion, tout art, à ses origines, est essentiellement symbolique
et rituel, et ce n’est que par une dégénérescence ultérieure, voire même très
récente en réalité, qu’il perd ce caractère sacré pour devenir finalement le «
jeu » purement profane auquel il se réduit chez nos contemporains (11).
Voici donc où se manifeste le complémentarisme des conditions
d’existence : ceux qui travaillent pour le temps sont stabilisés dans l’espace
; ceux qui errent dans l’espace se modifient sans cesse avec le temps.
Et voici où apparaît l’antinomie du « sens inverse » : ceux qui vivent
selon le temps, élément changeant et destructeur, se fixent et conservent ;
ceux qui vivent selon l’espace, élément fixe et permanent, se dispersent et
changent incessamment. Il faut qu’il en soit ainsi pour que l’existence des uns
et des autres demeure possible, par l’équilibre au moins relatif qui s’établit
entre les termes représentatifs des deux tendances contraires ; si l’une ou
l’autre seulement de ces deux tendances compressive et expansive était en
action, la fin viendrait bientôt, soit par « cristallisation », soit par «
volatilisation », s’il est permis d’employer à cet égard des expressions
symboliques qui doivent évoquer la « coagulation » et la « solution »
alchimiques, et qui correspondent d’ailleurs effectivement, dans le monde actuel,
à deux phases dont nous aurons encore à préciser dans la suite la signification
respective (12).
10
La distinction de ces deux catégories fondamentales de symboles est, dans la
tradition hindoue, celle du yantra, symbole figuré, et du mantra, symbole
sonore ; elle entraîne naturellement une distinction correspondante dans les
rites où ces éléments symboliques sont employés respectivement, bien qu’il n’y
ait pas toujours une séparation aussi nette que celle qu’on peut envisager
théoriquement, et que, en fait, toutes les combinaisons en proportions diverses
soient ici possibles.
11
Il est à peine besoin de faire remarquer que, dans toutes les considérations
exposées ici, on voit apparaître nettement le caractère corrélatif et en
quelque sorte symétrique des deux conditions spatiale et temporelle envisagées
sous leur aspect qualitatif.
12
C’est pourquoi le nomadisme, sous son aspect « maléfique » et dévié, exerce
facilement une action « dissolvante » sur tout ce avec quoi il entre en contact
; de son côté, le sédentarisme, sous le même aspect, ne peut mener en
définitive qu’aux formes les plus grossières d’un matérialisme sans issue.
Nous sommes ici, en effet, dans un domaine où s’affirment avec une
particulière netteté toutes les conséquences des dualités cosmiques, images ou
reflets plus ou moins lointains de la première dualité, celle même de l’essence
et de la substance, du Ciel et de la Terre, de Purusha et de Prakriti, qui
génère et régit toute manifestation.
Mais, pour en revenir au symbolisme biblique, le sacrifice animal est
fatal à Abel (13), et l’offrande végétale de Caïn n’est pas agréée (14) ; celui
qui est béni meurt, celui qui vit est maudit.
L’équilibre, de part et d’autre, est donc rompu ; comment le rétablir,
sinon par des échanges tels que chacun ait sa part des productions de l’autre ?
C’est ainsi que le mouvement associe le temps et l’espace, étant en
quelque sorte une résultante de leur combinaison, et concilie en eux les deux
tendances opposées dont il a été question tout à l’heure (15) ; le mouvement n’est
lui-même encore qu’une série de déséquilibres, mais la somme de ceux-ci
constitue l’équilibre relatif compatible avec la loi de la manifestation ou du
« devenir », c’est-à-dire avec l’existence contingente elle-même.
Tout échange entre les êtres soumis aux conditions temporelle et
spatiale est en somme un mouvement, ou plutôt un ensemble de deux mouvements
inverses et réciproques, qui s’harmonisent et se compensent l’un l’autre ; ici,
l’équilibre se réalise donc directement par le fait même de cette compensation
(16). Le mouvement alternatif des échanges peut d’ailleurs porter sur les trois
domaines spirituel (ou intellectuel pur), psychique et corporel, en
correspondance avec les « trois mondes » : échange des principes, des symboles
et des offrandes, telle est, dans la véritable histoire traditionnelle de
l’humanité terrestre, la triple base sur laquelle repose le mystère des pactes,
des alliances et des bénédictions, c’est-à-dire, au fond, la répartition même
des « influences spirituelles » en action dans notre monde ; mais nous ne
pouvons insister davantage sur ces dernières considérations, qui se rapportent
évidemment à un état normal dont nous sommes actuellement fort éloignés à tous
égards, et dont le monde moderne comme tel n’est même proprement que la
négation pure et simple (17).
13
Comme Abel a versé le sang des animaux, son sang est versé par Caïn ; il y a là
comme l’expression d’une « loi de compensation », en vertu de laquelle les
déséquilibres partiels, en quoi consiste au fond toute manifestation,
s’intègrent dans l’équilibre total.
14
Il importe de remarquer que la Bible hébraïque admet cependant la validité du
sacrifice non sanglant considéré en lui-même : tel est le cas du sacrifice de
Melchisédech, consistant en l’offrande essentiellement végétale du pain et du
vin ; mais ceci se rapporte en réalité au rite du Soma vêdique et à la
perpétuation directe de la « tradition primordiale », au delà de la forme
spécialisée de la tradition hébraïque et « abrahamique », et même, beaucoup
plus loin encore, au delà de la distinction de la loi des peuples sédentaires
et de celle des peuples nomades ; et il y a là encore un rappel de l’association
du symbolisme végétal avec le « Paradis terrestre », c’est-à-dire avec l’« état
primordial » de notre humanité. – L’acceptation du sacrifice d’Abel et le rejet
de celui de Caïn sont parfois figurés sous une forme symbolique assez curieuse
: la fumée du premier s’élève verticalement vers le ciel, tandis que celle du
second se répand horizontalement à la surface de la terre ; elles tracent ainsi
respectivement la hauteur et la base d’un triangle représentant le domaine de
la manifestation humaine.
15
Ces deux tendances se manifestent d’ailleurs encore dans le mouvement lui-même,
sous les formes respectives du mouvement centripète et du mouvement centrifuge.
16
Équilibre, harmonie, justice, ne sont en réalité que trois formes ou trois
aspects d’une seule et même chose ; on pourrait d’ailleurs, en un certain sens,
les faire correspondre respectivement aux trois domaines dont nous parlons
ensuite, à la condition, bien entendu, de restreindre ici la justice à son sens
le plus immédiat, dont la simple « honnêteté » dans les transactions
commerciales représente, chez les modernes, l’expression amoindrie et dégénérée
par la réduction de toutes choses au point de vue profane et à l’étroite
banalité de la « vie ordinaire ».
17
L’intervention de l’autorité spirituelle en ce qui concerne la monnaie, dans
les civilisations traditionnelles, se rattache immédiatement à ce dont nous venons
de parler ici ; la monnaie elle-même, en effet, est en quelque sorte la
représentation même de l’échange, et l’on peut comprendre par là, d’une façon
plus précise, quel était le rôle effectif des symboles qu’elle portait et qui
circulaient ainsi avec elle, donnant à l’échange une signification tout autre
que ce qui n’en constitue que la simple « matérialité », et qui est tout ce
qu’il en reste dans les conditions profanes qui régissent, dans le monde
moderne, les relations des peuples comme celles des individus.
Source : Le Règne de la Quantité et les Signes des
temps, chapitre XXI
16=Tout simplement le principe Christique
RépondreSupprimerPour les moins retissants le point de vue de Steiner n'est pas si divergent.
ex:"l'évangile de St Jean" par R.Steiner
Salut à toi :-)
SupprimerPeut-être que sur des points précis ils se rejoignent en effet (critique du "modernisme").
Par contre je ne peux partager les conceptions d'un personnage qui donne lui-même à son organisation le nom de « Société Anthroposophique »...
Sur Guénon et Rudolph Steiner, voir cet article : https://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.com/2011/05/sur-rudolf-steiner.html
Merci d'avoir lu ce texte en tous cas.... :-)
En bas de l'article donné en lien ci-dessus, il y a un compte rendu sur le livre dont tu me parles...
SupprimerCe mouvement décrit deux dimensions qui s'opposent et pourtant sont complémentaires : dilatation/rétraction et espace/temps ; changeant/stable.
RépondreSupprimerL'équilibre de ces oppositions rappelle un mouvement vital : la respiration.
Il y a occupation de l'espace : dilatation/rétraction de la cage thoracique, qui s'il n'est pas respecté provoque étouffement (par compression de la cage thoracique), mais aussi on parle de volume inspiratoire et volume expiratoire. Les échanges gazeux se font par différence de pression sur les parois alvéolaires (entre le sang des vaisseaux et le gaz dans l'alvéole).
finalement toute la physiologie respiratoire n'est quasiment qu'une histoire de volume (donc espace pour la cage thoracique, les volumes gazeux sont tout aussi déterminants) et temps (un temps pour inspirer, pour les échanges gazeux, distribution d'O2 ; récupération de CO2 ; et rejet par l'expiration).
la consommation de temps d'inspiration/expiration, s'il n'est pas respecté provoque des troubles cardio/respi. et déséquilibre gazeux, en tout cas un manque d'oxygénation.
En outre, l'équilibre qui permet ce mouvement, qui lui, change dans le temps, permet à la vie de continuer, donc de durer dans le temps.
On parle souvent des "nourritures spirituelles" (comme indispensable à la survie de l'âme), mais la respiration, même dans sa fonction basique, constitue un rappel constant au divin (d'où la prière perpétuelle qui se calque sur le rythme de la respiration et bon nombres de méditations).
D'ailleurs, démon (entités, ou incarnés dans un humain) = sensation d'étouffement sont leur "attaque favorite".
Le rapprochement avec la respiration et Satan est tout-à-fait pertinent Lion ! :-)
SupprimerEn fait je ne voulais pas mentionner cet extrait car il contient des informations « paradoxales » pour le point de vue profane et je ne souhaite pas lancer de polémiques... Mais le fait que tu aies « senti » le symbolisme attaché à tout cela m’incite à le faire finalement.
« Le point équidistant des deux extrémités dont nous venons de parler, c’est-à-dire le centre de la terre, est, comme nous l’avons dit, le point le plus bas, et il correspond aussi au milieu du cycle cosmique, lorsque ce cycle est envisagé chronologiquement, ou sous l’aspect de la succession.
En effet, on peut alors en diviser l’ensemble en deux phases, l’une descendante, allant dans le sens d’une différenciation de plus en plus accentuée, et l’autre ascendante, en retour vers l’état principiel. Ces deux phases, que la doctrine hindoue compare à celles de la respiration, se retrouvent également dans les théories hermétiques, où elles sont appelées « coagulation » et « solution » : en vertu des lois de l’analogie, le « Grand Œuvre » reproduit en abrégé tout le cycle cosmique.
On peut y voir la prédominance respective des deux tendances adverses, tamas et sattwa, que nous avons définies précédemment : la première se manifeste dans toutes les forces de contraction et de condensation, la seconde dans toutes les forces d’expansion et de dilatation ; et nous trouvons encore, à cet égard, une correspondance avec les propriétés opposées de la chaleur et du froid, la première dilatant les corps, tandis que le second les contracte ; c’est pourquoi le dernier cercle de l’Enfer est gelé. Lucifer symbolise l’« attrait inverse de la nature », c’est-à-dire la tendance à l’individualisation, avec toutes les limitations qui lui sont inhérentes ; son séjour est donc « il punto al qual si traggon d’ogni parte i pesi », ou, en d’autres termes, le centre de ces forces attractives et compressives qui, dans le monde terrestre, sont représentées par la pesanteur ; et celle-ci, qui attire les corps vers le bas (lequel est en tout lieu le centre de la terre), est véritablement une manifestation de tamas.
Nous pouvons noter en passant que ceci va à l’encontre de l’hypothèse géologique du « feu central », car le point le plus bas doit être précisément celui où la densité et la solidité sont à leur maximum ; et, d’autre part, ce n’est pas moins contraire à l’hypothèse, envisagée par certains astronomes, d’une « fin du monde » par congélation, puisque cette fin ne peut être qu’un retour à l’indifférenciation. D’ailleurs, cette dernière hypothèse est en contradiction avec toutes les conceptions traditionnelles : ce n’est pas seulement pour Héraclite et pour les Stoïciens que la destruction du monde devait coïncider avec son embrasement ; la même affirmation se retrouve à peu près partout, des Purânas de l’Inde à l’Apocalypse ; et nous devons encore constater l’accord de ces traditions avec la doctrine hermétique, pour laquelle le feu (qui est celui des éléments en lequel sattwa prédomine) est l’agent de la « rénovation de la nature » ou de la « réintégration finale ». »
Extrait du livre « L’Esotérisme de Dante » chap. VIII, les cycles cosmiques.
Lien en pdf ici : https://oeuvre-de-rene-guenon-libre.shost.ca/oeuvre/livres/Rene%20Guenon%20-%201925%20-%20L%27Esoterisme%20de%20Dante%20+%20appendice.pdf
L'association avec l'enfer = densité = froid est intéressante, quand on regarde un corps gelé, il est brûlé, mais reste "pétrifié".
RépondreSupprimerFinalement, il ne perdure que la matière (d'ailleurs le fait de regarder un corps mort, bien conservé constitue, d'une certaine manière, une "violation de son intimité", je trouve).
Alors qu'un corps qui a brulé avec du feu (ou un produit) se dissout ou se pulvérise (sous forme de poudre), s'évapore, en un sens, la densité du corps diminue.
De plus, les constituants de ce corps sont utilisables par d'autres vivants, ce qui n'est pas le cas, d'un corps pétrifié.
Quelle incidence sur l'âme ?
Peut être parvient elle à se libérer plus facilement d'une matière dissoute que d'une autre restée très dense (prison) ?
Donc, pour un retour à la source, le feu semble un meilleur vecteur que la glace.
Même si durant la vie, leurs forces antagonistes sont indispensables pour maintenir celle ci.
D'ailleurs une autre analogie avec un corps pétrifié et le manque d'oxygénation : un corps qui est cyanosé devient vite violacé, puis noir, les traits déjà tirés et yeux révulsés (aspect de "démons" dans l'inconscient collectif)...comme un corps pétrifié.
RépondreSupprimerUne autre caractéristique qui lie la respiration et l'état spirituel, ou juste psychique, est que le manque d'oxygène rend les gens moins "souples" dans leur comportement, ils ne supportent plus rien et même le plus "doux" devient "abominable", "irascible" (bloqué dans la matière et coupé du "souffle de vie" : l'horreur absolue. Il suffit de voir ce que l'on ressent lors de "fausses routes" (quand on avale de travers)).
Si de l'O2 pénètre, avant que le sujet soit totalement mort, tout se recolore : il redevient violacé, puis sa couleur habituelle et son état mental, habituel reviennent.
L'étouffement ou manque d'oxygénation, alors que pas douloureux du tout, est la sensation la plus angoissante (elle tient la place de la sensation de douleur qui accompagne les autres affections, car, contrairement à la douleur, le sujet ne peut pas passer outre une angoisse de cette intensité. Ne peut pas continuer comme si ne rien n'était) qui soit, d'ailleurs angoisse et respiration sont étroitement liées (dans les 14 besoins de Virginia Anderson, référence en matière de "besoins vitaux", la respiration arrive en premier et absolument tout le reste, passe, après).
Donc Abel et Caen seraient sur une échelle supérieure à celle du corps, le mouvement vital de l'esprit, en tout cas pour l'humain (afin qu'il ne se coupe pas de l'Esprit) :
réflexion, rétraction, retour sur soi, voire méditation, relaxation, auto évaluation...
et expansion : découverte, compréhension, échange, coopération...
Le tout dans un mouvement alternatif qui assure l'équilibre nécessaire (homéostasie) au maintient de la connexion ?
Pour la différence entre métempsychose et transmigration (ainsi que pour le devenir des "résidus psychiques") il faudrait que tu lises le chapitre VI dans la seconde partie du livre "l'Erreur spirite" ; il est consultable en ligne ici :
Supprimerhttp://www.lelibrepenseur.org/wp-content/uploads/2012/09/Guenon_Rene_-_L_erreur_spirite.pdf
Ce sont des notions très importantes mais très délicates à "manier" ; elles ont (et continuent) d'ailleurs engendré beaucoup d'incompréhensions et particulièrement chez les adeptes de la réincarnation...
Hello Ligeia et Lion
RépondreSupprimercomme je vois que vous évoquez la respiration, ça m'a fait pensé à quelque chose, effectivement la respiration est à lier au souffle de vie.
La science propre à Jésus est celle du souffle de vie, le pouvoir de l'"insufflation", c'est pour cela qu'il ressuscitaient les morts. Ce souffle est à mettre en rapport avec l'Esprit car à propos de Jésus (Aïssa, sur lui la paix), le Coran 4.171 : "Le Messie Jésus, fils de Marie, n'est qu'un Messager d'Allah, Sa parole qu'Il envoya à Marie, et UN ESPRIT VENANT DE LUI"( Ruhun Min-hû )
il y a tout un chapitre sur la Science "Aïssawi" dans le livre l'Islam et la fonction de René G. de Michel Vâlsan.
j'ajouterais que s'il y a respiration, il y a rythme, donc Science du rythme qu'on peut appliquer lors des prières ou exercices spirituels ( Lion tu en parles dans ton intervention ci-dessus).
RépondreSupprimerDans le Hatha Yoga par exemple, on applique cette science (Guenon en parle quelque part dans ses écrits). Dans le soufisme, le Dhikr "khafi"(l'invocation du Cœur, l'invocation "cachée") chez les Naqshbandis (voir l'article de Amanoullah de Vos dans le blog "Al-Simsimah", où il parle du souffle).
Merci beaucoup Hal pour cet apport ! :-)
SupprimerPour le texte de Michel Vâlsan, est ce qu'il s'agit bien de celui ci ?
http://esprit-universel.over-blog.com/michel-v%C3%A2lsan-r%C3%A9f%C3%A9rences-islamiques-du-%C2%AB-symbolisme-de-la-croix-%C2%BB
Tu as entièrement raison pour le Hatha Yoga ! Mais il y a tellement de déviations dans l'esprit occidental sur ce qu'est réellement le Yoga qu'il a suffit que tu en parles pour voir les trolls débarquer.... Désespérant.
Liens vers l'article (deux parties) de Al-Simsimah :
http://alsimsimah.blogspot.com/2017/01/samanoullah-de-vos-dhikr-khafi.html
et :
http://alsimsimah.blogspot.com/2017/01/samanoullah-de-vos-dhikr-khafi_26.html
Sur le texte de Michel Vâlsan, il me semble qu'il n'est pas entier dans le lien du blog esprit-universel. c'est le chapitre 5 du livre "L'Islam et la fonction de R.G", on peut le trouver sur le blog d'Al Simsimah en pdf:
Supprimerhttps://alsimsimah.blogspot.com/2016/11/avis-de-parution-lislam-et-la-fonction.html
c'est drôle je viens de reconnaître la première représentation que tu as inséré dans ton texte, j'ai un petit livret qui traite de la Tapisserie de l’Apocalypse. Cette image est l'avant dernière et voici son commentaire :
Supprimer"Scène 73: Jean est en extase, les yeux mi-clos, devant cette vision merveilleuse qui le frappe d'une telle stupeur que ses pieds décollent du sol.Dieu apparaît dans la nuée pour lui montrer du doigt l'accès à la Jérusalem Céleste. Si dans les autres scènes, la ville est représentée en ruine ou bien comme élément secondaire, la Jérusalem, en revanche, forme un tout, indépendant de l'environnement, détachée du sol terrestre pour en souligner sa nature supérieure."
Oui c'est exactement cette représentation mais je n'avais pas le commentaire associé... merci ! :-)
SupprimerDans la prière perpétuelle, il s'agit aussi de calquer la prière sur la respiration (d'après ce que j'en ai compris, au bout d'un certain temps, il ne s'agit même plus de réciter en respirant, mais avec un certain état d'esprit : de se purifier (vivifier, air nouveau, cristallin), donc, faire entrer ou régénérer le souffle divin, en inspirant et se débarrasser des "impuretés" et faire sortir tout ce qui tend à posséder l'âme (péchés, confession...) en expirant.
RépondreSupprimerOn voit bien comment le souffle transcende le vivant : lors d'un cauchemar, l'automatisme lors du réveil est de prendre une grande inspiration.
Le sens de "expirer" : signifie "faire ressortir l'air" mais aussi "mourir".
Quant à celui d'"inspiration", il y le fait de "faire entrer l'air" dans le corps, mais aussi des "idées" créatives.
Il semble même que le souffle passe du domaine spirituel directement au domaine corporel en n'étant que très peu modifié (à part dans les exercices de respiration) par le psychisme.
Merci pour vos infos HAL et Ligeia.