Suite de l'article sur "Le Tombeau d'Hermès"....
Commentaires de R. Guénon sur le livre de G.
Barbarin – Le Secret de la Grande Pyramide ou la Fin du Monde adamique
(Éditions Adyar, Paris).
"Qu’il y ait un « secret » de la Grande
Pyramide, soit qu’elle ait été un lieu d’initiation, comme nous le disions plus
haut, soit que, par son orientation et ses proportions, elle représente comme
un résumé de certaines sciences traditionnelles, soit que même les deux choses
soient vraies en même temps, car elles sont loin d’être inconciliables, cela
est très probable, d’autant plus que certaines traditions plus ou moins
déformées, mais dont l’origine remonte sans doute fort loin, semblent bien y
faire allusion : mais que les modernes aient retrouvé ce « secret », c’est là
ce qui semble beaucoup plus douteux.
Il a été beaucoup écrit là-dessus, et
notamment sur les mesures de la Pyramide ; certaines constatations
géométriques, géodésiques, astronomiques, semblent bien acquises et ne manquent
pas d’intérêt, mais elles sont en somme bien fragmentaires, et, à côté de cela,
on a fait aussi bien de la fantaisie ; du reste, est-on même sûr de savoir au
juste ce qu’était l’unité de mesure employée par les anciens Égyptiens ?
L’auteur de ce livre donne d’abord un aperçu de tous ces travaux, y compris les
hypothèses les plus bizarres, comme celle qui veut découvrir une carte des
sources du Nil dans la disposition intérieure de la Pyramide, et celle suivant
laquelle le « Livre des Morts » ne serait pas autre chose qu’une description et
une explication de cette même disposition ; nous ne pouvons d’ailleurs pas être
de son avis lorsqu’il dit que les connaissances géométriques et autres dont on
retrouve là le témoignage « ne sont qu’une expression de la science humaine » et
rien de plus, car cela prouve qu’il ignore la véritable nature des sciences
traditionnelles et qu’il les confond avec les sciences profanes…
Mais laissons cela, car ce n’est pas, en
somme l’objet principal de ce volume : ce dont il s’agit ici surtout, et qui
est d’un caractère bien plus fantastique, ce sont les « prophéties » qu’on a
voulu découvrir en mesurant, d’une façon qui n’est d’ailleurs pas dépourvue
d’arbitraire, les différentes parties des couloirs et des chambres de la
Pyramide, pour faire correspondre les nombres ainsi obtenus à des périodes et à
des dates de l’histoire.
Depuis assez longtemps déjà, il est fait
autour de cette théorie, surtout en Angleterre, une extraordinaire propagande
dont les intentions semblent plutôt suspectes et ne doivent pas être
entièrement désintéressées ; certaines prétentions concernant la descendance
des « tribus perdus d’Israël » et autres choses de ce genre, sur lesquelles
l’auteur passe plutôt rapidement, n’y sont probablement pas tout à fait
étrangères…
Quoi qu’il en soit, il y a dans tout cela
une absurdité qui est tellement manifeste que nous nous étonnons que personne
ne semble s’en apercevoir ; en effet, à supposer que les constructeurs de la
Pyramide y aient réellement inclus des « prophéties », deux choses seraient
plausibles : c’est, ou que ces « prophéties », qui devaient être basées sur une
certaine connaissance des « lois cycliques », se rapportent à l’histoire
générale du monde et de l’humanité, ou qu’elles aient été adaptées de façon à
concerner plus spécialement l’Égypte ; mais ce n’est ni l’un ni l’autre,
puisque tout ce qu’on veut y trouver est ramené exclusivement, au point de vue
du Judaïsme d’abord et du Christianisme ensuite, de sorte qu’il faudrait
logiquement conclure de là que la Pyramide n’est point un monument égyptien,
mais un monument « judéo-chrétien » !
Encore convient-il d’ajouter que tout y
est conçu suivant une soi-disant « chronologie » biblique conforme au «
littéralisme » le plus étroit et, disons-le, le plus protestant ; et il y aurait
encore bien d’autres remarques curieuses à faire : ainsi, depuis le début de
l’ère chrétienne, on n’aurait trouvé aucune date intéressante à marquer avant…
celle des premiers chemins de fer ; il faut croire que ces antiques
constructeurs avaient une perspective bien moderne dans leur appréciation de
l’importance des événements ; cela, c’est l’élément grotesque qui, comme nous
le disons d’autre part, ne manque jamais dans ces sortes de choses, et par
lequel se trahit leur véritable origine…
Maintenant, voici ce qu’il y a peut-être
de plus inquiétant dans toute cette affaire ; la date du 15-16 septembre 1936
est indiquée, avec une étonnante précision, comme devant marquer l’entrée de
l’humanité dans une ère nouvelle et l’« avènement du renouveau spirituel » ; en
fait, il ne semble pas que rien de particulièrement frappant se soit produit à
cette date, mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire au juste ?
L’auteur évoque à ce propos nombre de
prédictions plus ou moins concordantes, et dont la plupart sont bien suspectes
aussi, soit en elles-mêmes, soit surtout par l’usage que veulent en faire ceux
qui les répandent ; il y en a trop pour qu’il s’agisse d’une simple «
coïncidence », mais, pour notre part, nous ne tirons de là qu’une seule
conclusion : c’est que certaines gens cherchent actuellement à créer par ce
moyen un « état d’esprit » favorable à la réalisation prochaine de « quelque
chose » qui rentre dans leurs desseins ; et, comme on pourra s’en douter sans
peine, nous ne sommes certes pas de ceux qui souhaitent la réussite de cette
entreprise « pseudo-spirituelle » !"
[René Guénon, Études Traditionnelles, novembre 1936, compte-rendu du livre de G. Barbarin
– Le
Secret de la Grande Pyramide ou la Fin du Monde adamique(Éditions Adyar, Paris).]
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