vendredi 4 mai 2018

Sur le « Secret » de la Grande Pyramide...



Suite de l'article sur "Le Tombeau d'Hermès"....
Commentaires de R. Guénon sur le livre de G. Barbarin – Le Secret de la Grande Pyramide ou la Fin du Monde adamique (Éditions Adyar, Paris).


"Qu’il y ait un « secret » de la Grande Pyramide, soit qu’elle ait été un lieu d’initiation, comme nous le disions plus haut, soit que, par son orientation et ses proportions, elle représente comme un résumé de certaines sciences traditionnelles, soit que même les deux choses soient vraies en même temps, car elles sont loin d’être inconciliables, cela est très probable, d’autant plus que certaines traditions plus ou moins déformées, mais dont l’origine remonte sans doute fort loin, semblent bien y faire allusion : mais que les modernes aient retrouvé ce « secret », c’est là ce qui semble beaucoup plus douteux. 

Il a été beaucoup écrit là-dessus, et notamment sur les mesures de la Pyramide ; certaines constatations géométriques, géodésiques, astronomiques, semblent bien acquises et ne manquent pas d’intérêt, mais elles sont en somme bien fragmentaires, et, à côté de cela, on a fait aussi bien de la fantaisie ; du reste, est-on même sûr de savoir au juste ce qu’était l’unité de mesure employée par les anciens Égyptiens ? L’auteur de ce livre donne d’abord un aperçu de tous ces travaux, y compris les hypothèses les plus bizarres, comme celle qui veut découvrir une carte des sources du Nil dans la disposition intérieure de la Pyramide, et celle suivant laquelle le « Livre des Morts » ne serait pas autre chose qu’une description et une explication de cette même disposition ; nous ne pouvons d’ailleurs pas être de son avis lorsqu’il dit que les connaissances géométriques et autres dont on retrouve là le témoignage « ne sont qu’une expression de la science humaine » et rien de plus, car cela prouve qu’il ignore la véritable nature des sciences traditionnelles et qu’il les confond avec les sciences profanes…
Mais laissons cela, car ce n’est pas, en somme l’objet principal de ce volume : ce dont il s’agit ici surtout, et qui est d’un caractère bien plus fantastique, ce sont les « prophéties » qu’on a voulu découvrir en mesurant, d’une façon qui n’est d’ailleurs pas dépourvue d’arbitraire, les différentes parties des couloirs et des chambres de la Pyramide, pour faire correspondre les nombres ainsi obtenus à des périodes et à des dates de l’histoire.
Depuis assez longtemps déjà, il est fait autour de cette théorie, surtout en Angleterre, une extraordinaire propagande dont les intentions semblent plutôt suspectes et ne doivent pas être entièrement désintéressées ; certaines prétentions concernant la descendance des « tribus perdus d’Israël » et autres choses de ce genre, sur lesquelles l’auteur passe plutôt rapidement, n’y sont probablement pas tout à fait étrangères…
Quoi qu’il en soit, il y a dans tout cela une absurdité qui est tellement manifeste que nous nous étonnons que personne ne semble s’en apercevoir ; en effet, à supposer que les constructeurs de la Pyramide y aient réellement inclus des « prophéties », deux choses seraient plausibles : c’est, ou que ces « prophéties », qui devaient être basées sur une certaine connaissance des « lois cycliques », se rapportent à l’histoire générale du monde et de l’humanité, ou qu’elles aient été adaptées de façon à concerner plus spécialement l’Égypte ; mais ce n’est ni l’un ni l’autre, puisque tout ce qu’on veut y trouver est ramené exclusivement, au point de vue du Judaïsme d’abord et du Christianisme ensuite, de sorte qu’il faudrait logiquement conclure de là que la Pyramide n’est point un monument égyptien, mais un monument « judéo-chrétien » !
Encore convient-il d’ajouter que tout y est conçu suivant une soi-disant « chronologie » biblique conforme au « littéralisme » le plus étroit et, disons-le, le plus protestant ; et il y aurait encore bien d’autres remarques curieuses à faire : ainsi, depuis le début de l’ère chrétienne, on n’aurait trouvé aucune date intéressante à marquer avant… celle des premiers chemins de fer ; il faut croire que ces antiques constructeurs avaient une perspective bien moderne dans leur appréciation de l’importance des événements ; cela, c’est l’élément grotesque qui, comme nous le disons d’autre part, ne manque jamais dans ces sortes de choses, et par lequel se trahit leur véritable origine…

Maintenant, voici ce qu’il y a peut-être de plus inquiétant dans toute cette affaire ; la date du 15-16 septembre 1936 est indiquée, avec une étonnante précision, comme devant marquer l’entrée de l’humanité dans une ère nouvelle et l’« avènement du renouveau spirituel » ; en fait, il ne semble pas que rien de particulièrement frappant se soit produit à cette date, mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire au juste ?
L’auteur évoque à ce propos nombre de prédictions plus ou moins concordantes, et dont la plupart sont bien suspectes aussi, soit en elles-mêmes, soit surtout par l’usage que veulent en faire ceux qui les répandent ; il y en a trop pour qu’il s’agisse d’une simple « coïncidence », mais, pour notre part, nous ne tirons de là qu’une seule conclusion : c’est que certaines gens cherchent actuellement à créer par ce moyen un « état d’esprit » favorable à la réalisation prochaine de « quelque chose » qui rentre dans leurs desseins ; et, comme on pourra s’en douter sans peine, nous ne sommes certes pas de ceux qui souhaitent la réussite de cette entreprise « pseudo-spirituelle » !"


[René Guénon, Études Traditionnelles, novembre 1936, compte-rendu du livre de G. Barbarin – Le Secret de la Grande Pyramide ou la Fin du Monde adamique(Éditions Adyar, Paris).]

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