Voici la dernière partie de cette trilogie...
Les deux premières parties sont consultables ici :
Partie 1
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Partie 1
Etant donné la fonction traditionnelle de la Pucelle, il y a lieu de se demander comment s'explique sa grave défaillance, sous le rapport divin. Une précision soulignera davantage l'intérêt de cette question : l'abjuration consentie par Jeanne ne fut pas une chose qui ait prit au dépourvu son Conseil céleste. Celui-ci savait que l'héroïne commettrait cette faute et l'en avait même prévenue. Elle-même déclare à ce sujet, le lundi 28 mai : « Avant ce jeudi (24 mai, jour de l'abjuration), mes voix m'avaient prévenue de ce que je ferais, comme cela s'est passé. » L'explication de sa défaillance réside alors dans une certaine limitation des possibilités personnelles de Jeanne dont le cas restait, cependant, du fait de ses autres qualités, nécessaire et irremplaçable pour l'œuvre traditionnelle à réaliser. Il y avait là donc, on s'en aperçoit, le signe de certaines limitations traditionnelles de la France elle-même et de toute la civilisation occidentale.
Et cependant la cas de Jehanne la Pucelle est plus intéressant qu'on ne le pense, à commencer par sa naissance même. Lors du départ de Vaucouleurs elle déclare : « Je ne crains point les gens de guerre, car ils ne m'arrêteront pas. S'ils me barrent le chemin, j'ai mon Dieu qui m'ouvrira un passage jusqu'à mon seigneur le Dauphin ; c'est pour cela que je suis née ».
Et cependant la cas de Jehanne la Pucelle est plus intéressant qu'on ne le pense, à commencer par sa naissance même. Lors du départ de Vaucouleurs elle déclare : « Je ne crains point les gens de guerre, car ils ne m'arrêteront pas. S'ils me barrent le chemin, j'ai mon Dieu qui m'ouvrira un passage jusqu'à mon seigneur le Dauphin ; c'est pour cela que je suis née ».
On racontait d'autre part, de son vivant même, que des faits plus ou moins extraordinaires avaient accompagné sa naissance à Domrémy, événements situé à une date particulièrement symbolique : à l'Epiphanie, le 6 janvier. « Cette nuit-là les habitants furent saisis d'une joie extraordinaire. Sans rien savoir de la naissance de la Pucelle, ils couraient çà et là en se demandant les uns aux autres : Qu'est-il arrivé de nouveau ? Quelques-uns ressentirent au fond de leur cœur une impression de bonheur tout à fait singulière... Les coqs eux-mêmes furent les hérauts de cette nouvelle fête et firent entendre un chant étrange et tel qu'on n'en avait jamais ouï de semblable : ils crièrent ainsi pendant deux heures en agitant leurs ailes... » (Lettre de Perceval de Boulainvilliers écrite au moment où la Pucelle se dirigeait avec le Dauphin vers Reims pour le sacre).
En outre, on avait appliqué à Jeanne la Pucelle, dès qu'elle eut manifesté sa mission, certaine prophétie selon laquelle le Royaume de France, perdu par une femme, sera sauvé par une vierge venu des marches de Lorraine. Des témoins du procès de Réhabilitation ont affirmé que Jeanne se réclamait elle-même de cet oracle, et l'on comprenait en même temps que la femme par laquelle le Royaume avait été perdu était naturellement Isabeau de Bavière, la mère de Charles VII.
Toutes proportions gardées, son cas se présente donc avec certaines particularités « avatâriques », pourrait-on dire (24).
(24) Il n'est pas sans intérêt d'ajouter ici que le chevalier d'Aulon « a oui dire à plusieurs femmes, que la dite Pucelle ont vue plusieurs fois nue, et su de ses secrets, qu'oncques n'avait eu la secrète maladie des femmes (les règles) et que jamais nul n'en put rien connaître ou apercevoir par ses habillements ni autrement ». Comme à part cela, Jeanne était parfaitement normale au point de vue féminin, on peut voir que, dans sa condition physiologique même, elle gardait la pureté des natures primordiales.
Nous dirons encore dans cet ordre de choses que, si l'on veut bien comprendre l'histoire de Jeanne d'Arc, il faut situer son cas au centre d'une vaste entreprise divine où les forces spirituelles et temporelles du monde, aussi bien célestes que terrestres, se conjuguent pour une œuvre de reconstruction traditionnelle aux multiples côtés et aspects, tout en prenant appui visible sur un être humain préparé de longue date pour cela. Sans nous engager à un travail trop poussé en ce sens, nous proposerons quelques données puisées dans les paroles de l'héroïne. Tout d'abord ceci : « Je suis venue au Roi de France, de par Dieu, la vierge Marie, tous les benoîts saints et saintes du Paradis, l'Eglise victorieuse de Là-haut et de par leur commandement ». Comme elle le déclarait encore, « c'est à cette Eglise-là qu'elle considérait avoir à soumettre ses actes faits ou à faire ». Sa mission en dépendait directement et en recevait toute inspiration, aide et protection. C'est pour avoir renoncé à s'en réclamer et avoir accepté par contre comme juge de son message et de ses révélations le Tribunal terrestre, qu'elle perdit l'aide et la protection au moment le plus grave, et à deux pas de la « grande victoire ».
D'après ce qui précède, on peut dire que, dans un sens plus technique, Jeanne apparaît plus précisément comme un instrument de l'Assemblée des Saints qui veille sur les destinées de la communauté traditionnelle. Cet aspect des choses se trouve corroboré par une autre déclaration que la Pucelle a fait à Dunois lorsqu'elle arrivait à Orléans pour commencer le combat pour la levée du siège : « Je vous apporte meilleur secours qu'eut jamais capitaine ou cité : le secours du Roi du Ciel. Non par amour de moi, mais par le plaisir de Dieu lui-même qui, à la prière de saint Louis et saint Charlemagne, a eu pitié de la Ville d'Orléans, et n'a pas voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du Sire d'Orléans et sa cité ». La mention, à côté de Saint Louis, roi de France, de saint Charlemagne (et on s'aperçoit que sa canonisation est ainsi bien confirmé) qui représente l'empire, montre que l'œuvre de redressement de la France était placée providentiellement dans le cadre général du monde occidental, et qu'elle ne doit pas être comprise comme une simple affaire nationale française.
Ces deux entités de nature humaine – ceci dit pour les différencier bien d'avec les anges – n'interviennent pas dans le travail personnel de la Pucelle. En tant que formes masculines il est probable que si elles ont eu à se manifester autrement dans les affaires dont il s'agit c'est au roi Charles qui avait de son côté ses « révélations » qu'elles s'adressaient. Quant à la Pucelle, le « conseil » qui soutenait son travail quotidien était constitué au degré humain par des entités féminines : sainte Catherine et sainte Marguerite. Ce sont les deux saintes qui avaient pris la charge de former Jeanne depuis son enfance : c'est l'archange Michel qui les avait préposées à cette besogne (25).
(25) La présence de ces deux saintes dans le conseil de la Pucelle paraît s'expliquer par certains apparentements spirituels et aussi de cas historique. Sainte Marguerite d'Antioche, de Pisidie, vierge et martyre (3e siècle), fille d'un prêtre des idoles païen, préféra mourir chrétienne plutôt que de se marier à un préfet païen : elle fut torturée et décapitée. Sainte Catherine d'Alexandrie, vierge et martyre également (morte début du 4e siècle), éloquente, réfutait devant les portes du temple D’Alexandrie les sophismes des rhéteurs, refusa de sacrifier aux idoles et fut décapitée.
Comme on sait, c'est dans une église dédiée à Sainte Catherine à Fierbois, que se trouvait l'épée mystérieuse qui y fut découverte selon une indication de la Pucelle avant son entrée en campagne. Cette épée, que l'on croit, à tort être celle cassée sur le dos des mauvaises femmes qui accompagnaient les armées à Saint Denis, la Pucelle l'avait encore plus tard à Lagny, ainsi qu'elle l'a déclaré sous serment au procès. Elle n'a pas voulu dire ce que cette épée est devenue, mais comme sa disparition correspond avec la fin de la phase guerrière de l'héroïne, il est probable qu'elle fut à nouveau « occultée ».
Chose significative, quand Jeanne parlait de la mort comme issue préférée au lieu de se rétracter, elle envisageait d'habitude la décapitation, comme dans le cas de ses deux conseillères.
Chose significative, quand Jeanne parlait de la mort comme issue préférée au lieu de se rétracter, elle envisageait d'habitude la décapitation, comme dans le cas de ses deux conseillères.
Voici quelques données éparses concernant la façon dont était organisé cet office spirituel. Dans une confidence faite par Jeanne au Chevalier d'Aulon, son intendant, qui lui avait demandé qui était son Conseil, « elle lui répondit que ses conseillers étaient trois, desquels l'un était toujours résidamment avec elle, l'autre allait et venait souventes fois avec elle est la visitait, et le troisième était celui avec lequel les deux autres délibéraient ». D'autre part, dans les interrogatoires du procès on trouve une précision qui éclaire bien la confidence rapportée ci-dessus. Le juge lui ayant demandé : « Vos voix vous demandent-elles un délai pour répondre ? », Jeanne explique : « Sainte Catherine me répond d'emblée, mais quelque fois, je n'arrive pas à l'entendre à cause de l'agitation des prisons et des tracasseries de mes gardes. Quand je fais requête à sainte Catherine, tout de suite elle et sainte Marguerite font requête à Notre Seigneur, et puis par commandement de Notre Seigneur elles me donnent la réponse ».
Une autre fois sur sollicitation du Roi même qui était accompagné de quelques intimes, elle expliqua comment elle faisait sa requête. C'est Dunois qui raconte : « Quand elle était mécontente qu'on ne crut pas d'emblée ce qu'elle déclarait de par Dieu, elle se retirait à part et s'en plaignait à Dieu. Alors sa prière faite, elle entendait une voix lui dire : « Fille-Dé, va, va, va, je serai ton aide, va ! ». Quand elle entendait cette voix, elle était en joie, et souhaitait de toujours demeurer dans cet état ; et, ce qui est plus fort encore, en répétant les paroles de ses voix, elle était dans une extase extraordinaire, et levait ses yeux vers le ciel ».
Fille-Dé, qualificatif que l'on traduit par « Fille de Dieu » (certains le rendent par « Fille-Dieu ») devait être un titre initiatique (26) ; chose curieuse les juges du procès qui ont pris acte avec quelque ironie de cette désignation de la Pucelle ne lui ont pas fait de difficulté à cet égard : cela doit s'expliquer par le fait que ce terme peut avoir des appuis évangéliques (26bis).
Comme on peut se rendre compte d'après le caractère technique et actif des moyens mis en œuvre pour la Pucelle et par elle, il n'y a rien de « mystique » au sens péjoratif de ce terme, il n'y a rien de « médiumnique », dans son cas. Au contraire les indices, on l'a vu, sont nombreux qui montrent que le cas de Jeanne d'Arc est véritablement initiatique.
Cependant les données que l'on a à ce sujet se rapportent surtout au côté opératif et intime de la fonction de Jeanne. Pour ce qui est de l'ordre de la connaissance pure on manque de précisions formelles et explicites. Nous avons relevé toutefois un indice particulièrement précieux : Jeanne affirme connaître le « langage des anges ». Les juges qui la questionnaient sur ses visions lui demandèrent à un moment : « Comment savez-vous que c'était saint Michel ? » Elle répondit : « Par le parler et le langage des anges ! ».
Or la connaissance qui correspond à ce langage est celle des états supérieurs de l'être (26ter). Cela peut sembler insuffisant parce que trop concis, mais en même temps, Jeanne affirme qu'elle a été instruite à ce sujet, comme a beaucoup d'autres, par saint Michel lui-même, depuis sa première jeunesse. Si on se rappelle que l'Ange Mikaël est l'aspect lumineux et bénéfique de Metatron on voit à l'occasion que la Pucelle a bénéficié de l'enseignement du Maître qui instruit le Pôle (26quater). En tout cas, ce n'est pas le fait qu'on n'a pas à l'occasion des précisions plus explicites qui ferait une difficulté spéciale, car nous sommes-là dans un domaine proprement ésotérique, où les choses, surtout confiées au monde exotérique, ne peuvent être dites que par symbole et allusion.
(26) Le terme Dé pourrait être pris comme la forme génétivale du celtique dia qui signifie « dieu » (mais aussi « déesses », tel qu'on le trouve dans la désignation des Tuatha Dé Danann, « Tribus de la Déesse Dana », selon la traduction de Fr. Le Roux), et en ce cas l'épithète Fille-Dé serait un élément initiatique d'origine celtique, intégré ésotériquement au Christianisme. Il est de toute façon opportun de rappeler ici une autre prophétie, sûrement celtique celle-là, qu'on a appliqué également à la Pucelle, celle de Merlin disant : Descendet virgo dorsum sagittarii, et flores virgines obscultabit... – Le cas de Jeanne d'Arc, comme celui de sa race et de son pays natal, présentait des attaches ancestrales, encore visibles à l'époque, avec la tradition celtique. Le village de Domremy gardait encore des rites populaires avec ce passé lointain, au point que les juges de Rouen voulurent découvrir là aux influences spirituelles, et véritablement célestes, qui animaient Jeanne, une origine magique et anti-chrétienne ? En répondant au sujet des fêtes et jeux qu'on faisait sous l'Arbre des Fées appelé aussi « Loge les Dames » (que les juges appelaient « Arbre charminé faé »), auprès duquel il y avait une fontaine à vertus thérapeutiques, l'accusée reconnaît qu'elle y allait en son enfance s'y promener ou danser avec les autres jeunes filles et faisait à cet arbre des guirlandes pour l'image de Notre-Dame de Domremy...Mais cela montre que ces pratiques populaires, elles-mêmes, étaient régulièrement – comme en d'autres endroits de l'Europe christianisée - axées et intégrées à la vie chrétienne. En tout cas, ce n'est pas en ce domaine exotérique que nous plaçons l'intégration initiatique dont nous envisageons ici la possibilité.
(26bis) Cf. Notre article L'Initiation chrétienne, E.T. n° 389-390, mai-juin et juillet-août 1965.
(26 ter) Cf. René Guénon, Symboles fondamentaux de la Science sacrée, ch. VII : la Langue des Oiseaux.
(26 quater) Cf. René Guénon, Le Roi du Monde, ch. IV.
(26 quater) Cf. René Guénon, Le Roi du Monde, ch. IV.
Pour revenir à la partie critique de la carrière de l'héroïne en toute logique, étant donné la promesse céleste de délivrance par « une grande victoire », si Jeanne avait tenu bon jusqu'à la fin de son témoignage judiciaire, elle aurait dû être sauvée d'une façon plus ou moins miraculeuse. Elle-même l'envisageait ainsi quand elle disait : « Sainte Catherine m'a dit que j'aurai secours. Je ne sais pas si ce sera d'être délivrée [légalement] de la prison, ou si pendant le procès surviendra quelque trouble, par quoi je puisse être délivrée ; je pense que ce sera l'un ou l'autre ». (Interrogatoire du 14 mars) ; ou comme il est rapporté encore : « Elle croit fermement que notre Seigneur ne laissera déjà advenir de la mettre si bas, par chose qu'elle n'ait secours bientôt de Dieu et par miracle » (Interrogatoire du 17 mars).
En tout cas, le moment final de sa mission était bien, comme il se devait, celui des sommets : d'où aussi la gravité de toute glissade. Quant au délai, il était prévu pour la fin de mai 1431, car dans l'audience publique du 1er mars, lorsque les juges lui demandent : « Votre Conseil (la Voix) vous a-t-il dit que vous seriez délivrée de votre prison actuelle ? », Jeanne répond : « Reparlez-moi dans trois mois et je vous répondrai ! ». Ce délai de trois se vérifie avec précision dans la conclusion du procès inquisitorial, et enfin dans le supplice qui s'ensuivit le 30 mai suivant, à la place duquel dans l'éventualité optime, il y aurait eu la délivrance de l'héroïne par la grande victoire promise à la vertu inaltérée.
Quant à la probabilité d'une issue plus ou moins miraculeuse en ce dernier cas, nous pouvons faire remarquer que même avec l'issue tragique qui eut lieu en fait, il y eut des signes qui montraient que le tout baignaient alors dans une atmosphère propre aux grands jours spirituels de l'histoire : le soldat anglais qui avait juré de mettre de sa propre main un fagot au bûcher de son ennemie, tout en le faisant, entendit Jeanne invoquer le nom de jésus et tomba soudain pétrifié, comme en extase. Il confessa avoir vu, tandis qu'elle rendait l'âme, une colombe blanche jaillir des flammes du côté de la France » ; plusieurs assistants virent le nom de Jésus inscrit parmi les flammes du bûcher. Le bourreau n'arriva pas à brûler le cœur de la Pucelle malgré la combustion du corps, bientôt réduit en cendres ; on lui dit de rassembler les cendres et ce qui restait d'elle et jeter tout cela à la Seine, ce qu'il fit (27).
(27) Ce détail ne suggère-t-il pas, en marge de nos autres considérations, l'idée que la non-combustion du cœur de Jeanne était comme l'effet et le signe de sa fidélité de fond à son message, ce fond qui ne fut pas en cause quand elle céda à faire l'acte juridique de l'abjuration ? Et alors n'est-on pas justifié de penser encore que, si Jeanne avait pu observer aussi sa fidélité de « forme » – c'est-à-dire si elle avait pu, conformément à son devoir, soutenir toujours extérieurement même la vérité dont elle était la messagère ainsi que le principal instrument – son corps entier, dont la forme visible correspondrait dans la même conception, au témoignage extérieur et manifeste, aurait échappé aux flammes ? Quand on sait, d'après d'autres données sûres de l'histoire de la Pucelle, que des armées célestes généralement invisibles pour les autres intervenaient dans ses combats inspirés d'en haut, on peut admettre qu'il n'y a vraiment pas de supputation gratuite en cette pensée.
Chose étrange, le 24 mai au cimetière de St-Ouen à Rouen, avant la lecture de la sentence définitive du procès d'hérésie, Maître Guillaume Erard, ancien recteur de l'Université de Paris, adressant à l'accusée l'admonition par laquelle il lui demandait de se soumettre à l'autorité de l'Eglise et de se rétracter, avait pris comme thème ces paroles du Christ (Saint Jean, XV) : « Le sarment ne peut, lui-même, porter fruit s'il ne demeure attaché au cep. Ainsi, vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits, car séparé de moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, on le jette dehors, comme le sarment, et il sèche, Puis on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent... ».
Cela s'applique à la situation mais d'une façon tout autre que celle qu'imaginait le prédicateur : si Jeanne était restée indéfectiblement attachée au cep de sa mission qui est le Verbe, elle aurait porté le fruit attendu et n'aurait pu être brûlée... De fait ne fut brûlé que ce qui s'était écarté un instant non pas tout le sarment.
Cette observation est utile pour déterminer plus exactement la portée de l'échec enregistré sur ce point. Car en vérité il s'agit plutôt d'une issue faussée plutôt que d'un échec complet, et il apparaît ainsi que cela ne pouvait changer de toute façon les conditions générales et les résultats de l’œuvre divine entreprise par l'intermédiaire de la Pucelle et de Charles VII. A part un côté qui concerne spécialement l'Eglise, cet échec a surtout compromis la réalisation de certaines possibilités traditionnelles du côté anglais et qui touchent au caractère propre de la deuxième mission de Jeanne.
Mais enfin qu'en a-t-il été après tout de cette dernière mission ? Tout d'abord, puisqu'il y avait là le seul point de cette mission, a-t-elle réussi à voir le « roi des Anglais » ? Personne ne l'a affirmé ? Les divers auteurs de toutes tendances d'ailleurs, préoccupés surtout par les péripéties du procès et par la fin de Jeanne, n'attachent aucun intérêt à ce côté de l'histoire. En tout cas, pendant le procès même, cette rencontre était la chose la plus facile, car à Rouen, Jeanne était détenue dans une des pièces du château de bouvreuil, c'est-à-dire à la résidence habituelle en France du roi d'Angleterre. Celui-ci s'y trouvait d'ailleurs depuis le 29 juillet 1430 et Jeanne y fut amenée en décembre de la même année ; il n'est pas impossible que cette proximité ait été même l'effet d'une déclaration de Jeanne antérieure à son arrivée à Rouen, d'où il résultait qu'elle avait un message pour le jeune Henri VI. De toute façon le tribunal même y fut installé.
Mais le fait est que les pièces des procès de condamnation et de réhabilitation ne font état d'aucune suite donnée à cette déclaration de la prisonnière, ni même d'aucune demande d'explication, ce qui est bien étonnant de la part de juges autrement curieux de tout. Si la rencontre de Jeanne avec le jeune roi, et inévitablement avec le régent Jean, duc de Bedford, a eu lieu en secret, on n'avait vraisemblablement aucun intérêt à en prendre acte au procès. Mais il est probable que, craignant un résultat défavorable à leur cause, ceux du parti anglais aient tout fait pour que cette rencontre, si elle a eu lieu, soit dénaturée en elle-même et en ses effets (28). En tout cas, les lettres que le Roi d'Angleterre envoyait après le bûcher de Rouen à l'Empereur Sigismond, aux prélats de l'Eglise, aux Ducs aux Comtes et autres nobles ainsi qu'aux bonnes villes de son Royaume d'Angleterre et de France , annonçaient avec joie la condamnation de Jeanne comme hérétique et relapse, etc. et sa mort sur le bûcher. Cette issue du procès de Jeanne voulant signifier en même temps la vanité du titre royal venu à Charles VII avec l'aide de la Pucelle, le roi d'Angleterre alla se faire couronner roi de France, à Paris, en décembre 1431 (28 bis). On peut donc dire que sur le point de la rencontre avec le souverain anglais, la mission de Jeanne semble avoir de toute façon échoué (29).
28 – Car pour tout dire, ceux qui dirigeaient directement ou indirectement ce procès, étaient manifestement des agents de la contre-initiation. Nous pensons plus spécialement à Pierre Cauchon, évêque de Bauvais, qui présidait le Tribunal, et que d'ailleurs Jeanne désigna ouvertement comme « son ennemi capital ». Au sujet de ce personnage, on peut citer un très instructif incident de séance. Un jour, Jeanne, suivant en cela la suggestion d'un de ses assesseurs, déclara accepter de se soumettre au jugement du Concile général de l'Eglise, réuni alors à Bâle. Cauchon, sachant que si on prenait acte de cette déclaration, le Tribunal devait se dessaisir de l'affaire et la renvoyer au Concile, cria à l'assesseur : « Taisez-vous, au nom du Diable ! » (Taceatis, in nomine Diabolis), et il interdit au « notaire » de consigner la déclaration de l'accusée dans le procès-verbal de séance. Ce n'était même pas autant se trahir, c'était plutôt proclamer sans vergogne de quelle force l'évêque, et à sa suite, le Tribunal étaient en réalité les instruments.
Du côté Anglais on peut désigner plus spécialement Henri de Beaufort, cardinal de Winchester, Chancelier du Royaume. On note qu'au moment de sa mort survenue seize ans plus tard, « son visage était à ce point terrible à voir que pas un fidèle venu lui jeter l'eau bénite ne douta de sa damnation » (cf. Ph. Erlanger, Charles VII et son mystère, p. 133). Son cas apparaît sinistre même dans un document anglais comme la tragédie (indûment attribuée) à Shakespeare, et peu favorable cependant à la Pucelle, Henri VI, 1ère partie : Glocester y réplique ainsi à Henri de Beaufort : « Tu ne vas jamais à l'église si ce n'est pour prier contre tes ennemis ! » et le Maire de Londres déclare à son sujet : « Le cardinal est plus hautain que Satan ! ».
28 (bis) – Naturellement ce couronnement qui n'avait aucune base traditionnelle ne pouvait bénéficier des influences spirituelles attachées à la fonction royale propre au « Saint Royaume de France », parce que cette fonction était détenue alors par Charles VII depuis le sacre et le couronnement de Reims.
Cet échec particulier a cependant une valeur autrement significative, tout comme la fin missionnée sur le bûcher, dont il est certainement solidaire : car tout cela qui représentait au premier chef une perte de certaines ressources traditionnelles du côté anglais se répercuta ensuite, sur l'Occident dans son ensemble.
Depuis le 14e siècle les malheurs s'abattaient sur la France, conséquence probable de la part que son régime avait pris dans la destruction des Templiers. L'invasion anglaise – tout comme la Peste Noire qui avait réduit à peu près de moitié la population de la France, ainsi que les famines continentales et les dévastations de la Jacquerie et des Grandes Compagnies – pouvaient être considérée comme un châtiment divin, et les Anglais pouvaient avoir la conscience d'accomplir en France une œuvre cruelle mais assistée par la Providence. En tout cas, Henri V le déclarait volontiers après la victoire d'Azincourt (30), et plus tard au procès de Rouen la Pucelle elle-même inclinait vers un tel avis : au juge qui lui objectait : « Mais Dieu était-il pour les Anglais quand ils prospéraient en France ? », elle répondait : « Je ne sais si Dieu haïssait les Français, mais je crois qu'Il voulait les laisser battre pour leurs péchés, s'ils étaient en péchés. » La situation changea quand après tant que calamités, les Anglais firent d'autres excès, ravagèrent qui leur résistait, et voulurent annexer toute la France.
30 – Citons parmi d'autres propos en ce sens, celui-ci. Dans les jours qui suivirent ce combat il dit à Charles d'Orléans qu'on emmenait comme prisonnier : « Beau cousin... je connais que Dieu m'a donné la grâce d'avoir la victoire sur les Français. Non pas que je les vailles, mais je crois certainement que Dieu les a voulu punir, et, s'il est vray que j'en ai ouy dire, ceci n'est merveille, car on dit que oncques plus grand desroy (désarroi), ni désordonnance de volupté, de péché et de mauvais vice ne furent vu que règnent en France aujourd'huy».
Après Jeanne d’Arc, la guerre allait continuer à l’avantage des Français, l’Angleterre devait finalement perdre et la guerre et la France pour se déchirer en conséquence elle-même dans la longue guerre intérieure dite des Deux Roses qui anéantit une grande part de sa noblesse. Mais c’est le catholicisme qui sera par la suite la principale victime du principe dissolutif de la Réforme commencé dans le monde anglo-saxon.
Quant à Charles VII, il recueillit très régulièrement les fruits de Jeanne d'Arc et s'acquitta lui-même jusqu'au bout de son propre mandat traditionnel (31). L'œuvre d'unification politique de la France commencée avec lui fut presqu'achevée sous son fils Louis XI et les Beaujeu.
31 – Ajoutons que c'est également Charles VII qui obtint la libération du duc d'Orléans, en posant cela comme condition de la signature du traité d'Arras (1435) ; le duc n'eut cependant, en fait, sa liberté, qu'en 1440, après 25 ans de captivité.
Dans le même ordre de considérations on peut encore ajouter que si la « grande victoire » nous restera inconnue quant à sa forme concrète, comme tout ce qui n'est pas descendu du plan indéterminé du possible, il est certain au moins qu'elle n'aurait pu signifier une victoire militaire ayant pour effet immédiat l'expulsion complète des Anglais des terres continentales : ce résultat de la guerre séculaire entre la France et l'Angleterre annoncé fermement, mais sans assignation de date précise devait se situer bien plus tard, car, avant cela même, « avant sept ans » selon l'annonce faite par Jeanne au procès (1431), les Anglais devaient perdre le « plus grand gage » qu'ils aient eu en France. Il s'agissait de Paris que les Anglais quittèrent an avril 1436 et où Charles VII entra en novembre 1437.
Cette observation est utile pour déterminer plus exactement la portée de l'échec enregistré sur ce point. Car en vérité il s'agit plutôt d'une issue faussée plutôt que d'un échec complet, et il apparaît ainsi que cela ne pouvait changer de toute façon les conditions générales et les résultats de l’œuvre divine entreprise par l'intermédiaire de la Pucelle et de Charles VII. A part un côté qui concerne spécialement l'Eglise, cet échec a surtout compromis la réalisation de certaines possibilités traditionnelles du côté anglais et qui touchent au caractère propre de la deuxième mission de Jeanne.
Mais enfin qu'en a-t-il été après tout de cette dernière mission ? Tout d'abord, puisqu'il y avait là le seul point de cette mission, a-t-elle réussi à voir le « roi des Anglais » ? Personne ne l'a affirmé ? Les divers auteurs de toutes tendances d'ailleurs, préoccupés surtout par les péripéties du procès et par la fin de Jeanne, n'attachent aucun intérêt à ce côté de l'histoire. En tout cas, pendant le procès même, cette rencontre était la chose la plus facile, car à Rouen, Jeanne était détenue dans une des pièces du château de bouvreuil, c'est-à-dire à la résidence habituelle en France du roi d'Angleterre. Celui-ci s'y trouvait d'ailleurs depuis le 29 juillet 1430 et Jeanne y fut amenée en décembre de la même année ; il n'est pas impossible que cette proximité ait été même l'effet d'une déclaration de Jeanne antérieure à son arrivée à Rouen, d'où il résultait qu'elle avait un message pour le jeune Henri VI. De toute façon le tribunal même y fut installé.
Mais le fait est que les pièces des procès de condamnation et de réhabilitation ne font état d'aucune suite donnée à cette déclaration de la prisonnière, ni même d'aucune demande d'explication, ce qui est bien étonnant de la part de juges autrement curieux de tout. Si la rencontre de Jeanne avec le jeune roi, et inévitablement avec le régent Jean, duc de Bedford, a eu lieu en secret, on n'avait vraisemblablement aucun intérêt à en prendre acte au procès. Mais il est probable que, craignant un résultat défavorable à leur cause, ceux du parti anglais aient tout fait pour que cette rencontre, si elle a eu lieu, soit dénaturée en elle-même et en ses effets (28). En tout cas, les lettres que le Roi d'Angleterre envoyait après le bûcher de Rouen à l'Empereur Sigismond, aux prélats de l'Eglise, aux Ducs aux Comtes et autres nobles ainsi qu'aux bonnes villes de son Royaume d'Angleterre et de France , annonçaient avec joie la condamnation de Jeanne comme hérétique et relapse, etc. et sa mort sur le bûcher. Cette issue du procès de Jeanne voulant signifier en même temps la vanité du titre royal venu à Charles VII avec l'aide de la Pucelle, le roi d'Angleterre alla se faire couronner roi de France, à Paris, en décembre 1431 (28 bis). On peut donc dire que sur le point de la rencontre avec le souverain anglais, la mission de Jeanne semble avoir de toute façon échoué (29).
28 – Car pour tout dire, ceux qui dirigeaient directement ou indirectement ce procès, étaient manifestement des agents de la contre-initiation. Nous pensons plus spécialement à Pierre Cauchon, évêque de Bauvais, qui présidait le Tribunal, et que d'ailleurs Jeanne désigna ouvertement comme « son ennemi capital ». Au sujet de ce personnage, on peut citer un très instructif incident de séance. Un jour, Jeanne, suivant en cela la suggestion d'un de ses assesseurs, déclara accepter de se soumettre au jugement du Concile général de l'Eglise, réuni alors à Bâle. Cauchon, sachant que si on prenait acte de cette déclaration, le Tribunal devait se dessaisir de l'affaire et la renvoyer au Concile, cria à l'assesseur : « Taisez-vous, au nom du Diable ! » (Taceatis, in nomine Diabolis), et il interdit au « notaire » de consigner la déclaration de l'accusée dans le procès-verbal de séance. Ce n'était même pas autant se trahir, c'était plutôt proclamer sans vergogne de quelle force l'évêque, et à sa suite, le Tribunal étaient en réalité les instruments.
Du côté Anglais on peut désigner plus spécialement Henri de Beaufort, cardinal de Winchester, Chancelier du Royaume. On note qu'au moment de sa mort survenue seize ans plus tard, « son visage était à ce point terrible à voir que pas un fidèle venu lui jeter l'eau bénite ne douta de sa damnation » (cf. Ph. Erlanger, Charles VII et son mystère, p. 133). Son cas apparaît sinistre même dans un document anglais comme la tragédie (indûment attribuée) à Shakespeare, et peu favorable cependant à la Pucelle, Henri VI, 1ère partie : Glocester y réplique ainsi à Henri de Beaufort : « Tu ne vas jamais à l'église si ce n'est pour prier contre tes ennemis ! » et le Maire de Londres déclare à son sujet : « Le cardinal est plus hautain que Satan ! ».
28 (bis) – Naturellement ce couronnement qui n'avait aucune base traditionnelle ne pouvait bénéficier des influences spirituelles attachées à la fonction royale propre au « Saint Royaume de France », parce que cette fonction était détenue alors par Charles VII depuis le sacre et le couronnement de Reims.
29 – La seule chose positive que l'on puisse situer en quelque sorte du côté d'Henri VI, c'est que l'un de ses secrétaires, Maître Jean Tressart, « au retour du supplice se lamentait en chemin de ce qu'on avait fait à Jeanne et de ce qu'il venait de voir : « Nous sommes tous perdus, disait-il, nous avons brûlé une sainte ! » (Déclaration de Pierre Cusquel au procès de Réhabilitation).
Cet échec particulier a cependant une valeur autrement significative, tout comme la fin missionnée sur le bûcher, dont il est certainement solidaire : car tout cela qui représentait au premier chef une perte de certaines ressources traditionnelles du côté anglais se répercuta ensuite, sur l'Occident dans son ensemble.
Depuis le 14e siècle les malheurs s'abattaient sur la France, conséquence probable de la part que son régime avait pris dans la destruction des Templiers. L'invasion anglaise – tout comme la Peste Noire qui avait réduit à peu près de moitié la population de la France, ainsi que les famines continentales et les dévastations de la Jacquerie et des Grandes Compagnies – pouvaient être considérée comme un châtiment divin, et les Anglais pouvaient avoir la conscience d'accomplir en France une œuvre cruelle mais assistée par la Providence. En tout cas, Henri V le déclarait volontiers après la victoire d'Azincourt (30), et plus tard au procès de Rouen la Pucelle elle-même inclinait vers un tel avis : au juge qui lui objectait : « Mais Dieu était-il pour les Anglais quand ils prospéraient en France ? », elle répondait : « Je ne sais si Dieu haïssait les Français, mais je crois qu'Il voulait les laisser battre pour leurs péchés, s'ils étaient en péchés. » La situation changea quand après tant que calamités, les Anglais firent d'autres excès, ravagèrent qui leur résistait, et voulurent annexer toute la France.
30 – Citons parmi d'autres propos en ce sens, celui-ci. Dans les jours qui suivirent ce combat il dit à Charles d'Orléans qu'on emmenait comme prisonnier : « Beau cousin... je connais que Dieu m'a donné la grâce d'avoir la victoire sur les Français. Non pas que je les vailles, mais je crois certainement que Dieu les a voulu punir, et, s'il est vray que j'en ai ouy dire, ceci n'est merveille, car on dit que oncques plus grand desroy (désarroi), ni désordonnance de volupté, de péché et de mauvais vice ne furent vu que règnent en France aujourd'huy».
Après Jeanne d’Arc, la guerre allait continuer à l’avantage des Français, l’Angleterre devait finalement perdre et la guerre et la France pour se déchirer en conséquence elle-même dans la longue guerre intérieure dite des Deux Roses qui anéantit une grande part de sa noblesse. Mais c’est le catholicisme qui sera par la suite la principale victime du principe dissolutif de la Réforme commencé dans le monde anglo-saxon.
Quant à Charles VII, il recueillit très régulièrement les fruits de Jeanne d'Arc et s'acquitta lui-même jusqu'au bout de son propre mandat traditionnel (31). L'œuvre d'unification politique de la France commencée avec lui fut presqu'achevée sous son fils Louis XI et les Beaujeu.
L'importance historique de ce résultat est connue de tout le monde : il convient d'en souligner ici la valeur sous le rapport spécifiquement traditionnel. La dissociation d'avec le régime anglais eut pour effet de soustraire à temps la France au processus réformiste anti-papal et anti-catholique déjà commencé en Angleterre avec Wiclef dont les doctrinaires avaient déjà ouvert un foyer d'hérésie sur le continent, en Bohème (les Hussites). Certes, si pendant que le Protestantisme se dressait partout, l'Eglise catholique eut à la longue dans la royauté française une puissance fidèle et protectrice, ce fut aussi au prix de l'acceptation de fait du gallicanisme : mais celui-ci ne fut que l'expression sur le plan ecclésial du privilège qu'avait la France d'être un Saint Royaume régi par un roi de droit divin, consacré comme tel par un Chrême céleste, spécialement descendu pour assurer historiquement cette investiture.
31 – Ajoutons que c'est également Charles VII qui obtint la libération du duc d'Orléans, en posant cela comme condition de la signature du traité d'Arras (1435) ; le duc n'eut cependant, en fait, sa liberté, qu'en 1440, après 25 ans de captivité.
Michel Vâlsan.