Texte pertinent mais une précision pour ma part :
« Guénon n’a pas laissé derrière lui de représentants
attitrés »
Cela est vrai puisque Guénon a toujours refusé d’avoir des
adeptes et aussi que telle n’était pas sa mission.
Pour autant, Michel Vâlsan, dont la mission était de rendre
explicite des données non abordées ou survolées par R. Guénon d'un point de vue
islamique, et Charles-André Gilis (initié par le précédent dans la même tariqa)
restent dans le stricte cadre de l’enseignement transmis par RG et peuvent être
considérés comme ses dignes successeurs, même si beaucoup de pseudo- « guénoniens »
ont refusé de reconnaître leur autorité spirituelle.
Ce texte assez ancien de Monsieur Abdallah Penot en dit long
sur la réalité de la communauté musulmane française, si tant est que l’on
puisse parler de communauté. Alors qu’il est question dans ce texte du milieu
soufi hexagonal, on s’aperçoit qu’ils se comportent exactement de la même
manière que les imams des mosquées que nous avons eu à rencontrer tout au long
de nos activités associatives, en d’autres termes, de manière
lamentable. Tout ceci explique parfaitement pourquoi les musulmans se font
piétiner quotidiennement par leurs ennemis idéologiques politico-médiatiques,
tout simplement parce qu’ils n’ont pas d’élites.
« Il y a cinquante ans disparaissait l’auteur d’une
œuvre étrange qui constituait une remise en cause pour le moins radicale de
tous les credo fondateurs de la modernité. Tout y était battu en brèche :
philosophie, psychanalyse, sciences « exactes », mécanisme, individualisme,
occultisme, bref tous les « ismes » qui constituent aujourd’hui le pain
quotidien non seulement de l’Europe mais de la majeure partie de notre planète
rebaptisée par quelques poètes du beau nom de « village mondial ».
Si la critique qui ne constitue que l’aspect mineur de cette
œuvre paraît plus que jamais fondée, il est toutefois difficile de déterminer
quelle en fut sa portée réelle notamment dans cet Occident auquel elle était
initialement destinée. Certes, un nombre non négligeable de catholiques ont
tenté à travers elle de renouer avec une religion dont ils se croyaient à
jamais détachés tandis que d’autres, poussant jusqu’au bout la logique «
guénonienne », adhéraient à la maçonnerie mus par le secret espoir que leurs
dispositions personnelles suffiraient à transformer cette « initiation
virtuelle » en une réalisation spirituelle effective, ce qui dans bien des cas
s’avéra être un espoir fallacieux.
Quelques uns, plus rares, prirent la route des Indes ou se
convertirent au bouddhisme ou encore à l’islam, mais il est vrai qu’un «
guénonien » ne se convertit pas, il consent simplement à un changer d’habit
comme on consent à un mal nécessaire en vue d’obtenir ce qu’il y a de plus
précieux à ses yeux : l’initiation.
Au vu de ces résultats qu’il serait bien malaisé de
chiffrer, on pourrait se dire à bon droit que l’œuvre « guénonienne » a tout de
même porté ses fruits et qu’elle a été l’occasion pour quelques-uns d’adhérer
ou de ré-adhérer à la Tradition selon des modalités qui leur étaient propres.
La réalité nous semble hélas beaucoup moins flatteuse qu’il
n’y paraît à première vue et ce pour une raison très simple : il est rare en
effet de trouver des « guénoniens » qui ne soient pas tombés dans l’un ou
l’autre des travers dénoncés par celui dont ils se prétendent être les
représentants quand ils ne les ont pas accumulés ; il est vrai qu’il est
souvent difficile de se débarrasser des tendances mentales caractéristiques de
son environnement.
En d’autres termes nous pourrions dire que jamais œuvre
utile n’avait été autant desservie par ceux qui se voulaient ses plus chauds
partisans. Nous allons donner quelques exemples de cette curieuse attitude.
Que dire, par exemple, de tous ces catholiques qui se sont
auto-persuadés, contre Guénon, que leur religion ésotérique par nature en
quelque sorte ne nécessitait nullement la présence d’un ésotérisme et qu’ils
n’avaient pas à rechercher ailleurs ce qu’ils possédaient déjà ? Que dire de
ces maçons qui se sont ingéniés pendant des années à combattre, contre Guénon,
la (maigre) influence de l’Islam au sein de la maçonnerie sous prétexte du
caractère strictement confessionnel de leur rite maçonnique ? Que faut-il
encore penser de certains bouddhistes qui ont cru retrouver dans telle méthode
de purification de l’ego un pendant plus ou moins exact de la méthode
psychanalytique ?
Ou de ces musulmans dont le « shaykh », privé de tout
rattachement initiatique se rattachera deux fois dans des conditions plus que
douteuses afin de justifier ses futures prétentions à l’héritage, ce qui
s’apparente davantage à du bricolage qu’à du taçawwuf et qui alla jusqu’à
invoquer l’existence d’un texte privé de Guénon pour justifier ses errements ?
Ou de ce moqaddem, bien introduit aujourd’hui dans les milieux ecclésiastiques,
qui jouait du piano dans des boîtes de nuit afin de gagner sa vie et qui
n’appréciait guère qu’on lui fasse humblement remarquer que son travail n’était
guère compatible avec sa fonction.
Que dire encore de ce curieux moqaddem, un temps «
spécialisé » dans le rattachement des femmes, et qui fait aujourd’hui office de
maître pour le compte d’un homme que tous les ‘ulémas d’une capitale du
Moyen-Orient s’accordent à considérer comme un imposteur ? Ou de cette équipe
rattachée à un shaykh marocain qui, pour déterminer les aptitudes spirituelles
du postulant lui faisaient passer un examen en « guénonisme » et le recalaient
immanquablement quand le malheureux avait du mal à restituer le paragraphe qui
était soumis à sa sagacité ? Ou de cet étrange soufî maçon qui n’hésitait pas
en loge à boire un peu de vin au nom de l’ésotérisme bien compris ? Ou de cet
autre qui allait révéler dans l’un de ses ouvrages un secret qui devait
précipiter la venue du Mahdî ?
Que dire enfin du mépris ouvertement affiché par ces « initiés
» pour les Arabes ou les Indiens qui n’ont pas eu la chance de connaître Guénon
et dont on méprise à la fois les capacités intellectuelles et parfois même les
mœurs sans trop oser se l’avouer ? Ou de celui affiché pour ces malheureux
convertis de « seconde zone » qui ne feront jamais partie de l’élite et a
fortiori de l’élite et qui ne méritent guère plus qu’un peu de
condescendance de la part de ceux qui s’en proclament (à quels titres ?) les
représentants ?
Et qu’on n’aille pas dire à ces gens-là qu’il s’en trouve
peut-être quelques-uns qui, par leurs dispositions naturelles pourraient
posséder spontanément ces fameuses qualifications dont Guénon fait état, sans
avoir étudié pour cela l’œuvre de Guénon : cela est pour eux proprement
impensable ! Ils ont même avec les intégristes religieux quelque chose de
commun : de la même façon que les premiers veulent faire passer leurs ouailles
sous leur autorité individuelle en invoquant celle de la loi, les « guénoniens
» auraient aisément la prétention de dénier toute légitimité à quiconque entend
parler de spiritualité sans se référer à Guénon !
Nous n’inventons malheureusement pas une ligne de ce que
nous venons d’écrire et tous les personnages auxquels nous venons de faire
allusion existent bel et bien : certains ont exercé et exercent aujourd’hui
encore une influence majeure au sein de toutes ces petites chapelles «
d’initiés » qui au fil des temps finiront bien par ressembler tout à fait à
leurs véritables ancêtres occultistes.
Nous pourrions encore multiplier les exemples mais ceux que
nous venons d’évoquer nous paraissent amplement suffisants pour fonder notre
méfiance. Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’ainsi que nous l’écrivions au
début de cet article, il est peu d’éléments fondamentaux de l’œuvre qui n’aient
été battus en brèche par ses « représentants ».
On arrivera toujours à invoquer un texte obscur prouvant que
la régularité initiatique n’est pas aussi fondamentale que l’on voudrait bien
le croire et que sous certaines conditions… Tout reste possible.
On sera toujours fondé à invoquer la vie de Guénon pour
tenter de démontrer que l’attachement à une loi religieuse est à peine digne
d’un ésotériste. On sombrera dans le syncrétisme le plus vulgaire au nom de
l’universalité des religions. On échangera pendant des heures des vues d’une
importance capitale sur la métaphysique en confondant tout bonnement la
ratiocination mentale avec l’authentique méditation (mais qui donc avait parlé
des limites du mental ?).
On s’attachera à accumuler quelques diplômes gages, comme
chacun sait, d’une connaissance authentique. Il en est même qui tout en
fustigeant les diplômés, ne manquent pas une occasion de se faire un peu de
publicité en « fac ». Sait-on jamais ? On ira jusqu’à prétendre que ces
malheureux orientaux sont bien limités dans la compréhension de leur propre
religion en perdant de vue (ou en feignant de perdre de vue) la véhémence avec
laquelle Guénon lui-même dénonçait la vanité occidentale ! On ira jusqu’à
tenter d’introduire dans des rites d’un caractère très dépouillé des éléments
cérémoniaux avec la conviction qu’ils y ont gagné en « solennité ».
Il n’est pas jusqu’à cette petite morale bourgeoise et
étriquée héritée du XIXème siècle que l’on essayera de réhabiliter en la
confondant avec la politesse « orientale » qui n’est quant à elle que le
respect des convenances divines. Bref, rien n’aura été épargné au Maître
disparu.
Bien entendu, il est rare qu’un groupe ou qu’un individu
accumule toutes ces tares à la fois : elles sont disséminées ici et là au gré des
aptitudes individuelles, mais mises bout à bout elles n’en constituent pas
moins un bel exemple de tout ce qu’il faut éviter !
Alors, me direz-vous, cela signifie t-il que le message soit
caduque ? Certainement pas, il est même plus que jamais d’actualité mais il
faut le relire à tête reposée sans s’encombrer des commentaires de seconde main
qui n’y ont jamais rien ajouté, bien au contraire.
Et surtout il faut que ceux qui en ont le désir sincère
recherchent la Tradition là où elle se trouve : chez ces Maîtres orientaux qui
n’ont jamais refusé leur assistance aux personnes présentant les qualifications
requises et non pas chez de prétendus intimes de René Guénon qui ont fabriqué
une nouvelle statue là où il n’y avait en principe aucune matière à idolâtrie.
L’élite occidentale telle que l’envisageait Guénon n’est
certainement pas représentée par ce microcosme qui peut se révéler d’une
mesquinerie sans pareille, et jusqu’à preuve du contraire, rien ne montre
qu’elle ait réussi à se constituer. Mais il n’en reste pas moins vrai que sa
présence n’a rien d’indispensable pour quiconque est doué d’une volonté sans
faille et qui possède un minimum de discernement.
Que l’on nous comprenne bien : nous n’avons pas décidé
brutalement de « régler des comptes » avec un milieu que nous avons toujours
soigneusement évité pas plus que nous ne songeons un instant à le «
révolutionner » ; les choses en sont arrivées là à un tel point de
cristallisation qu’il faudrait être singulièrement prétentieux pour penser
pouvoir y provoquer des changements significatifs.
Non, si nous sortons aujourd’hui de notre réserve c’est
simplement parce que nous estimons que le moment est venu d’affirmer nettement
que Guénon n’a pas laissé derrière lui de représentants attitrés et que si
quelques personnes éprouvaient une gène bien compréhensible devant les
errements de ceux qui s’affichent à tort ou à raison comme des « guénoniens »,
ils seraient tout à fait fondés, au nom même de l’œuvre, à rompre avec eux afin
de ne plus perdre de temps en « recherches » non seulement vaines mais de plus
susceptibles de constituer au bout d’un certain temps un véritable voile encore
plus épais que celui de la simple ignorance.
Nous nous souvenons qu’il y a de cela une trentaine
d’années, alors que nous étions en contact avec un de ces « guénoniens » de
stricte observance qui nous entretenait de questions d’une grande profondeur,
un ami algérien qui assistait à notre conversation nous attira à lui après le
départ de notre interlocuteur et nous dit avec léger sourire : « Tout ça c’est
très bien, mais « Allah » c’est tellement plus profitable ! » C’était
exactement notre sentiment : depuis il ne s’est jamais démenti. »
Abdallah Penot
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