L’ouvrage de René Guénon que je vous propose de découvrir se présentera comme suit :
Table des matières
Chapitre V. Dépendance de la royauté à l’égard du sacerdoce
Chapitre VI. La révolte des Kshatriyas
Chapitre VII. Les usurpations de la royauté et leurs conséquences
Chapitre VIII. Paradis terrestre et paradis céleste
Chapitre IX. La loi immuable
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Chapitre V : Dépendance de la royauté à l'égard du sacerdoce
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Chapitre V : Dépendance de la royauté à l'égard du sacerdoce
Revenons maintenant aux rapports des Brâhmanes et des Kshatriyas dans
l’organisation sociale de l’Inde : aux Kshatriyas appartient normalement toute
la puissance extérieure, puisque le domaine de l’action, qui est celui qui les
concerne directement, c’est le monde extérieur et sensible ; mais cette
puissance n’est rien sans un principe intérieur, purement spirituel, qu’incarne
l’autorité des Brâhmanes, et dans lequel elle trouve sa seule garantie réelle.
On voit ici que le rapport des deux pouvoirs pourrait encore être
représenté comme celui de l’« intérieur » et de l’« extérieur », rapport qui,
en effet, symbolise bien celui de la connaissance et de l’action, ou, si l’on
veut, du « moteur » et du « mobile », pour reprendre l’idée que nous avons
exposée plus haut, en nous référant du reste à la théorie aristotélicienne
aussi bien qu’à la doctrine hindoue (55).
55
On pourrait aussi appliquer ici, comme nous le faisions alors, l’image du
centre et de la circonférence de la « roue des choses ».
C’est de l’harmonie entre cet « intérieur » et cet « extérieur »,
harmonie qui d’ailleurs ne doit nullement être conçue comme une sorte de «
parallélisme », car ce serait là méconnaître les différences essentielles des
deux domaines, c’est de cette harmonie,
disons-nous, que résulte la vie normale de ce qu’on peut appeler l’entité
sociale, sans vouloir suggérer par l’emploi d’une telle expression une
assimilation quelconque de la collectivité à un être vivant, d’autant plus que,
de nos jours, certains ont étrangement abusé de cette assimilation, prenant à tort
pour une identité véritable ce qui n’est qu’analogie et correspondance (56).
En échange de la garantie que donne à leur puissance l’autorité
spirituelle, les Kshatriyas doivent, à l’aide de la force dont ils disposent,
assurer aux Brâhmanes le moyen d’accomplir en paix, à l’abri du trouble et de
l’agitation, leur propre fonction de connaissance et d’enseignement ; c’est ce
que le symbolisme hindou représente sous la figure de Skanda, le Seigneur de la
guerre, protégeant la méditation de Ganêsha, le Seigneur de la connaissance (57).
Il y a lieu de noter que la même chose était enseignée, même
extérieurement, au moyen âge occidental ; en effet, saint Thomas d’Aquin
déclare expressément que toutes les fonctions humaines sont subordonnées à la
contemplation comme à une fin supérieure, « de sorte que, à les considérer
comme il faut, toutes semblent au service de ceux qui contemplent la vérité »,
et que le gouvernement tout entier de la vie civile a, au fond, pour véritable
raison d’être d’assurer la paix nécessaire à cette contemplation.
56
L’être vivant a en lui-même son principe d’unité, supérieur à la multiplicité
des éléments qui entrent dans sa constitution ; il n’y a rien de tel dans la
collectivité, qui n’est proprement pas autre chose que la somme des individus
qui la composent ; par unité, un mot comme celui d’« organisation », quand il
est appliqué à l’un et à l’autre, ne peut en toute rigueur être pris dans le
même sens. On peut cependant dire que la présence d’une autorité spirituelle
introduit dans la société un principe supérieur aux individus, puisque cette
autorité, par sa nature et son origine, est elle-même « supra-individuelle » ;
mais ceci suppose que la société n’est pas envisagée seulement sous son aspect
temporel, et cette considération, la seule qui puisse en faire quelque chose de
plus qu’une simple collectivité au sens que nous venons de dire, est
précisément de celles qui échappent le plus complètement aux sociologues
contemporains qui prétendent identifier la société à un être vivant.
57
Ganêsha et Skanda sont d’ailleurs représentés comme frères, étant l’un et
l’autre fils de Shiva ; c’est là encore une façon d’exprimer que les deux
pouvoirs spirituel et temporel procèdent d’un principe unique.
On voit combien cela est loin du point de vue moderne, et on voit
aussi par là que la prédominance de la tendance à l’action, telle qu’elle
existe incontestablement chez les peuples occidentaux, n’entraîne pas
nécessairement la dépréciation de la contemplation, c’est-à-dire de la
connaissance, du moins tant que ces peuples possèdent une civilisation ayant un
caractère traditionnel, quelle que soit d’ailleurs la forme qu’y revêt la
tradition, et qui était ici une forme religieuse, d’où la nuance théologique
qui, dans la conception de saint Thomas, s’attache toujours à la contemplation,
tandis que, en Orient, celle-ci est envisagée dans l’ordre de la métaphysique
pure.
D’autre part, dans la doctrine hindoue et dans l’organisation sociale
qui en est l’application, donc chez un peuple ou les aptitudes contemplatives,
entendues cette fois dans un sens de pure intellectualité, sont manifestement
prépondérantes et sont même généralement développées à un degré qui ne se
retrouve peut-être nulle part ailleurs, la place qui est faite aux Kshatriyas,
et par conséquent à l’action, tout en étant subordonnée comme elle doit l’être
normalement, est néanmoins fort loin d’être négligeable, puisqu’elle comprend
tout ce qu’on peut appeler le pouvoir apparent.
D’ailleurs, comme nous l’avons déjà signalé en une autre occasion (58),
ceux qui, sous l’influence des interprétations erronées qui ont cours en
Occident, douteraient de cette importance très réelle, quoique relative,
accordée à l’action par la doctrine hindoue, aussi bien que par toutes les
autres doctrines traditionnelles, n’auraient, pour s’en convaincre, qu’à se
reporter à la Bhagavad-Gitâ, qui, il ne faut pas l’oublier si l’on veut en bien
comprendre le sens, est un de ces livres qui sont spécialement destinés à
l’usage des Kshatriyas et auxquels nous faisions allusion plus haut (59).
58
La Crise du Monde moderne, p. 47 (2e édition).
59
La Bhagavad-Gitâ n’est à proprement parler qu’un épisode du Mahâbhârata, qui
est un des deux Itihâsas, l’autre étant le Râmâyana. Ce caractère de la
Bhagavad-Gitâ explique l’usage qui y est fait d’un symbolisme guerrier,
comparable, à certains égards, à celui de la « guerre sainte » chez les
Musulmans ; il y a d’ailleurs une façon « intérieure » de lire ce livre en lui
donnant son sens profond, et il prend alors le nom d’Atmâ-Gitâ.
Les Brâhmanes n’ont à exercer qu’une autorité en quelque sorte
invisible, qui, comme telle, peut être ignorée du vulgaire, mais qui n’en est
pas moins le principe immédiat de tout pouvoir visible ; cette autorité est
comme le pivot autour duquel tournent toutes les choses contingentes, l’axe
fixe autour duquel le monde accomplit sa révolution, le pôle ou le centre
immuable qui dirige et règle le mouvement cosmique sans y participer (60).
La dépendance du pouvoir temporel à l’égard de l’autorité spirituelle
a son signe visible dans le sacre des rois : ceux-ci ne sont réellement «
légitimés » que lorsqu’ils ont reçu du sacerdoce l’investiture et la
consécration, impliquant la transmission d’une « influence spirituelle »
nécessaire à l’exercice régulier de leurs fonctions (61).
Cette influence se manifestait parfois au dehors par des effets
nettement sensibles, et nous en citerons comme exemple le pouvoir de guérison
des rois de France, qui était en effet attaché directement au sacre ; elle
n’était pas transmise au roi par son prédécesseur, mais il la recevait
seulement par le fait du sacre. Cela montre bien que cette influence
n’appartient pas en propre au roi, mais qu’elle lui est conférée par une sorte
de délégation de l’autorité spirituelle, délégation en laquelle, comme nous
l’indiquions déjà plus haut, consiste proprement le « droit divin » ; le roi
n’en est donc que le dépositaire, et, par suite, il peut la perdre dans
certains cas ; c’est pourquoi, dans la « Chrétienté » du moyen âge, le Pape
pouvait délier les sujets de leur serment de fidélité envers leur souverain (62).
60
L’axe et le pôle sont avant tout des symboles du principe unique des deux
pouvoirs, comme nous l’avons expliqué dans notre étude sur Le Roi du Monde ;
mais ces symboles peuvent aussi être appliqués à l’autorité spirituelle
relativement au pouvoir temporel, comme nous le faisons ici, parce que cette
autorité, en raison de son attribut essentiel de connaissance, a effectivement
part à l’immutabilité du principe suprême, qui est ce que ces symboles
expriment fondamentalement, et aussi parce que, comme nous le disions plus
haut, elle représente directement ce principe par rapport au monde extérieur.
61
Nous traduisons par « influence spirituelle » le mot hébreu et arabe barakah ;
le rite de l’« imposition des mains » est un des modes les plus habituels de
transmission de la barakah, et aussi de production de certains effets, de
guérison notamment, au moyen de celle-ci.
62
La tradition musulmane enseigne aussi que la barakah peut se perdre ; d’autre
part, dans la tradition extrême-orientale également, le « mandat du Ciel » est
révocable lorsque le souverain ne remplit pas régulièrement ses fonctions, en
harmonie avec l’ordre cosmique lui-même.
D’ailleurs, dans la tradition catholique, saint Pierre est représenté
tenant entre ses mains, non seulement la clef d’or du pouvoir sacerdotal, mais
aussi la clef d’argent du pouvoir royal ; ces deux clefs étaient, chez les
anciens Romains, un des attributs de Janus, et elles étaient alors les clefs
des « grands mystères » et des « petits mystères », qui, comme nous l’avons
expliqué, correspondent aussi respectivement à l’« initiation sacerdotale » et
à l’« initiation royale » (63).
Il faut remarquer, à cet égard, que Janus représente la source commune
des deux pouvoirs, tandis que saint Pierre est proprement l’incarnation du
pouvoir sacerdotal, auquel les deux clefs sont ainsi transférées parce que
c’est par son intermédiaire qu’est transmis le pouvoir royal, tandis que
lui-même est reçu directement de la source (64).
Ce qui vient d’être dit définit les rapports normaux de l’autorité
spirituelle et du pouvoir temporel ; et, si ses rapports étaient partout et
toujours observés, aucun conflit ne pourrait jamais s’élever entre l’une et
l’autre, chacun occupant ainsi la place qui doit lui revenir en vertu de la
hiérarchie des fonctions et des êtres, hiérarchie qui, nous y insistons encore,
est strictement conforme à la nature même des choses.
63
Ce sont encore, suivant un autre symbolisme, les clefs des portes du « Paradis
céleste » et du « Paradis terrestre », comme on le verra par le texte de Dante
que nous citerons plus loin ; mais il ne serait peut-être pas opportun, pour le
moment du moins, de donner certaines précisions en quelque sorte « techniques »
sur le « pouvoir des clefs », ni d’expliquer diverses autres choses qui s’y
rapportent plus ou moins directement. Si nous y faisons ici cette allusion,
c’est uniquement pour que ceux qui auraient quelque connaissance de ces choses
voient bien qu’il s’agit là, de notre part, d’une réserve toute volontaire, à
laquelle nous ne sommes d’ailleurs tenu par aucun engagement vis-à-vis de qui
que ce soit.
64
Il y a cependant, en ce qui concerne la transmission du pouvoir royal, quelques
cas exceptionnels où, pour des raisons spéciales, il est conféré directement
par des représentants du pouvoir suprême, source des deux autres : c’est ainsi
que les rois Saül et David furent consacrés, non par le Grand-Prêtre, mais par
le prophète Samuel. On pourra rapprocher ceci de ce que nous avons dit ailleurs
(Le Roi du Monde, ch. IV) sur le triple caractère du Christ comme prophète,
prêtre et roi, en rapport avec les fonctions respectives des trois Rois-Mages,
correspondant elles-mêmes à la division des « trois mondes » que nous
rappelions dans une précédente note : la fonction « prophétique », parce
qu’elle implique l’inspiration directe, correspond proprement au monde céleste.
Les 4 saisons, mosaïque romaine IIIème siécle. |
Malheureusement, en fait, il est loin d’en être toujours ainsi, et ces
relations normales ont été trop souvent méconnues et même renversées ; à cet
égard, il importe de noter tout d’abord que c’est déjà une grave erreur que de
considérer simplement le spirituel et le temporel comme deux termes corrélatifs
ou complémentaires, sans se rendre compte que celui-ci a son principe dans
celui-là.
Cette erreur peut être commise d’autant plus facilement que, comme
nous l’avons déjà indiqué, cette considération du complémentarisme a aussi sa
raison d’être à un certain point de vue, du moins dans l’état de division des
deux pouvoirs, ou l’un n’a pas dans l’autre son principe suprême et ultime,
mais seulement son principe immédiat et encore relatif.
Ainsi que nous l’avons
fait remarquer ailleurs en ce qui concerne la connaissance et l’action (65), ce
complémentarisme n’est pas faux, mais seulement insuffisant, parce qu’il ne
correspond qu’à un point de vue qui est encore extérieur, comme l’est
d’ailleurs la division même des deux pouvoirs, nécessitée par un état du monde
dans lequel le pouvoir unique et suprême n’est plus à la portée de l’humanité
ordinaire.
On pourrait même dire que, lorsqu’ils se différencient, les deux
pouvoirs se présentent d’abord forcément dans leur rapport normal de
subordination, et que leur conception comme corrélatifs ne peut apparaître que
dans une phase ultérieure de la marche descendante du cycle historique ; à
cette nouvelle phase se réfèrent plus particulièrement certaines expressions
symboliques qui mettent surtout en évidence l’aspect du complémentarisme, bien
qu’une interprétation correcte puisse y faire reconnaître encore une indication
du rapport de subordination.
Tel est notamment l’apologue bien connu, mais peu compris en Occident,
de l’aveugle et du paralytique, qui représente en effet, dans une de ses principales
significations, les rapports de la vie active et de la vie contemplative :
l’action livrée à elle-même est aveugle, et l’immutabilité essentielle de la
connaissance se traduit au dehors par une immobilité comparable à celle du
paralytique.
Le point de vue du complémentarisme est figuré par l’entraide des deux
hommes, dont chacun supplée par ses propres facultés à ce qui manque à l’autre
; et, si l’origine de cet apologue, ou tout au moins la considération plus
spéciale de l’application qui en est faite ainsi (66), doit être rapportée au
Confucianisme, il est facile de comprendre que celui-ci doit en effet se borner
à ce point de vue, par là même qu’il se tient exclusivement dans l’ordre humain
et social.
65
La Crise du Monde moderne, p. 44 (2e édition).
66
Cette division de la tradition extrême-orientale en deux branches distinctes
s’est accomplie au VIe siècle avant l’ère chrétienne, époque dont nous avons eu
ailleurs l’occasion de signaler le caractère spécial (La Crise du Monde moderne,
pp. 18-21), et que, du reste, nous allons encore retrouver par la suite.
Nous ferons même remarquer, à ce propos, que, en Chine, la distinction
du Taoïsme, doctrine purement métaphysique, et du Confucianisme, doctrine
sociale, procédant d’ailleurs l’un et l’autre d’une même tradition intégrale
qui représente leur principe commun, correspond très exactement à la
distinction du spirituel et du temporel (67) ; et il faut ajouter que
l’importance du « non-agir » au point de vue du Taoïsme justifie tout
spécialement, pour qui l’envisage de l’extérieur (68), le symbolisme employé dans
l’apologue en question.
Cependant, il faut bien prendre garde que, dans l’association des deux
hommes, c’est le paralytique qui joue le rôle directeur, et que sa position
même, monté sur les épaules de l’aveugle, symbolise la supériorité de la
contemplation sur l’action, supériorité que Confucius lui-même était fort loin
de contester en principe, comme en témoigne le récit de son entrevue avec
Lao-tseu, tel qu’il nous a été conservé par l’historien Sse-ma-tsien ; et il
avouait qu’il n’était point « né à la connaissance », c’est-à-dire qu’il
n’avait pas atteint la connaissance par excellence, qui est celle de l’ordre
métaphysique pur, et qui, comme nous l’avons dit plus haut, appartient
exclusivement, par sa nature même, aux détenteurs de la véritable autorité
spirituelle (69).
67
Il y a une autre application du même apologue, non plus sociale, mais
cosmologique, qui se rencontre dans les doctrines de l’Inde, où elle appartient
en propre au Sânkhya : là, le paralytique est Purusha, en tant qu’immuable ou «
non-agissant », et l’aveugle est Prakriti, dont la potentialité indifférenciée
s’identifie aux ténèbres du chaos ; ce sont effectivement deux principes
complémentaires, en tant que pôles de la manifestation universelle, et ils
procèdent d’ailleurs d’un principe supérieur unique, qui est l’Etre pur,
c’està-dire du Sânkhya. Pour rattacher cette interprétation à celle que nous
venons d’indiquer, il faut remarquer qu’on peut établir une correspondance
analogique de la contemplation ou de la connaissance avec Purusha et de
l’action avec Prakriti ; mais nous ne pouvons naturellement entrer ici dans
l’explication de ces deux principes, et nous devons nous contenter de renvoyer
à ce que nous avons exposé à ce sujet dans L’Homme et son devenir selon le
Vêdânta.
68
Nous disons de l’extérieur parce que, au point de vue intérieur, le « nonagir »
est en réalité l’activité suprême dans toute sa plénitude ; mais, précisément
en raison de son caractère total et absolu, cette activité ne se montre pas au
dehors comme les activités particulières, déterminées et relatives.
69
On voit par là qu’il n’y a aucune opposition de principe entre le Taoïsme et le
Confucianisme, qui ne sont point et ne peuvent pas être deux écoles rivales,
puisque chacun a son domaine propre et nettement distinct ; s’il y eut
cependant des luttes, parfois violentes, comme nous l’avons signalé plus haut,
elles furent dues surtout à l’incompréhension et à l’exclusivisme des
Confucianistes, oublieux de l’exemple que leur maître lui-même leur avait
donné.
Si donc c’est une erreur d’envisager le spirituel et le temporel comme
simplement corrélatifs, il en est une autre, plus grave encore, qui consiste à
prétendre subordonner le spirituel au temporel, c’est-à-dire en somme la
connaissance à l’action ; cette erreur, qui renverse complètement les rapports
normaux, correspond à la tendance qui est, d’une façon générale, celle de
l’Occident moderne, et elle ne peut évidemment se produire que dans une période
de décadence intellectuelle très avancée.
De nos jours, d’ailleurs, certains vont encore plus loin dans ce sens,
jusqu’à la négation de la valeur propre de la connaissance comme telle, et
aussi, par une conséquence logique, car les deux choses sont étroitement solidaires,
jusqu’à la négation pure et simple de toute autorité spirituelle ; ce dernier
degré de dégénérescence, qui implique la domination des castes les plus
inférieures, est un des signes caractéristiques de la phase finale du
Kali-Yuga.
Si nous considérons en particulier la religion, puisque c’est là la
forme spéciale que prend le spirituel dans le monde occidental, le renversement
des rapports peut s’exprimer de la façon suivante : au lieu de regarder l’ordre
social tout entier comme dérivant de la religion, comme y étant suspendu en
quelque sorte et ayant en elle son principe, ainsi qu’il en était dans la «
Chrétienté » du moyen âge, et ainsi qu’il en est également dans l’Islam qui lui
est fort comparable à cet égard, on ne veut aujourd’hui voir tout au plus dans
la religion qu’un des éléments de l’ordre social, un élément parmi les autres
et au même titre que les autres ; c’est l’asservissement du spirituel au
temporel, ou même l’absorption de celui-là dans celui-ci, en attendant la
complète négation du spirituel qui en est l’aboutissement inévitable.
En effet, envisager les choses de cette façon revient forcément à «
humaniser » la religion, nous voulons dire à la traiter comme un fait purement
humain, d’ordre social ou mieux « sociologique » pour les uns, d’ordre plutôt
psychologique pour les autres ; et alors, à vrai dire, ce n’est plus la
religion, car celle-ci comporte essentiellement quelque chose de « supra-humain
», faute de quoi nous ne sommes plus dans le domine spirituel, le temporel et
l’humain étant en réalité identiques au fond, suivant ce que nous avons
expliqué précédemment ; c’est donc là une véritable négation implicite de la
religion et du spirituel, quelles que puissent être les apparences, de telle
sorte que la négation explicite et avérée sera moins l’instauration d’un nouvel
état de choses que la reconnaissance d’un fait accompli.
Ainsi, le renversement des rapports prépare directement la suppression
du terme supérieur, il l’implique même déjà au moins virtuellement, de même que
la révolte des Kshatriyas contre l’autorité des Brâhmanes, comme nous allons le
voir, prépare et appelle pour ainsi dire l’avènement des castes les plus
inférieures ; et ceux qui auront suivi notre exposé jusqu’ici comprendront sans
peine qu’il y a dans ce rapprochement quelque chose de plus qu’une simple
comparaison.
Que l'aveugle voie, que le paralytique se mette en mouvement. S'observer : la Connaissance permet de discerner, le corps peut suivre cette Connaissance, l'effectuer, la manifester dans l'existence.
RépondreSupprimerLe Bouddha Maitreya est le Bouddha Materia, le Bouddha Matériel, le Bouddha des Mères, le Bouddha Corporel. René Guénon a souligné que la Réalisation consiste à "spiritualiser le corps et à corporéifier l'esprit". C'est ainsi que le Bouddha Maitreya a réalisé ce qui est nommé "l'endogénie de l'Immortel".
Bonsoir Greg David... :-)
SupprimerTu aurais une source pour ce que tu cites de Guénon ?
Bonjoir !
SupprimerSur la Réalisation avec corps et esprit : Grande Triade, chapitre VI, Solve et Coagula
Sur l'endogénie de l'immortel : L'Homme et son devenir selon Vedanta, chapitre III, dernière page, note de bas de page n°2 + http://esprit-universel.over-blog.com/article-rene-guenon-la-naissance-de-l-avatara-103422866.html
Sur les castes, tu peux aussi consulter : La Grande Triade, chapitre XIII, l'Etre et le Milieu
D'accord merci je vais aller consulter tes références... :-)
SupprimerJe t'aurais plutôt envoyer sur ce texte : http://esprit-universel.over-blog.com/article-rene-guenon-l-esprit-est-il-dans-le-corps-ou-le-corps-dans-l-esprit-106529833.html
Je t'en prie. Tout est Un de toutes façons... Toutes ces distinctions sont faites pour faire réfléchir et progresser. Une fois Réalisé ou Réalisée, elles se dissipent.
SupprimerVu ce passage en effet :
Supprimer"C’est pourquoi les alchimistes disent fréquemment que « la dissolution du corps est la fixation de l’esprit » et inversement, esprit et corps n’étant en somme pas autre chose que l’aspect « essentiel » et l’aspect « substantiel » de l’être ; ceci peut s’entendre de l’alternance des « vies » et des « morts », au sens le plus général de ces mots, puisque c’est là ce qui correspond proprement aux « condensations » et aux « dissipations » de la tradition taoïste (8), de sorte que, pourrait-on dire, l’état qui est vie pour le corps est mort pour l’esprit et inversement ; et c’est pourquoi « volatiliser (ou dissoudre) le fixe et fixer (ou coaguler) le volatil » ou « spiritualiser le corps et corporifier l’esprit (9) », est dit encore « tirer le vif du mort et le mort du vif », ce qui est aussi, par ailleurs, une expression qorânique (10). La « transmutation » implique donc, à un degré ou à un autre (11), une sorte de renversement des rapports ordinaires (nous voulons dire tels qu’ils sont envisagés au point de vue de l’homme ordinaire), renversement qui est d’ailleurs plutôt, en réalité, un rétablissement des rapports normaux ; nous nous bornerons à signaler ici que la considération d’un tel « retournement » est particulièrement importante au point de vue de la réalisation initiatique, sans pouvoir y insister davantage, car il faudrait pour cela des développements qui ne sauraient rentrer dans le cadre de la présente étude (12)"
Je suis d'accord pour les "distinctions" si tu entends cela par "dualités" et c'est d'ailleurs ce que j'essaie de "faire passer" en publiant le Démiurge...
Pour autant, l'écueil inverse que j'ai rencontré, c'est de partir de cette vérité pour en déduire que "rien" n'existe, et en particulier pour la fin de notre monde, l'AC (Dajjal), le Mahdî et Jésus.
Grave erreur de mélanger les points de vue et si les dualités restent illusoires à l'égard du Principe, elles n'en existent pas moins à un certain point de vue, celui de l'individualité humaine.
Donc tout est question du point de vue envisagé je suis d'accord.
Oui : tout est question de référentiel. Pour bien se comprendre, il est nécessaire de bien préciser à quel point de vue on se place.
SupprimerLa Réalisation spirituelle ne fait pas cesser la multiplicité : dans le cas contraire, le monde disparaîtrait. Or, la Divinité ne détruit pas les mondes qu'elle crée : une telle annihilation entraînerait en effet une rupture dans sa continuité et serait dès lors incompatible avec le "caractère" Infini de la Divinité.
La Réalisation spirituelle dans notre état fait cesser de voir le monde (notre univers) comme fait d'éléments disparates, sans ordre clair, sans signification, sans point de référence. Comme nous sommes dans la première "Sphère" autour du Centre Suprême, c'est la question de la dualité qui est traitée par le Centre à travers nous. Nous vivons dans la dualité, nous sommes conscients de la dualité. Le Réveil consiste à nous faire enfin découvrir que nous ne faisons que voir l'Unité transcendant tous les phénomènes et les animant d'un même mouvement (changement). Il s'agit pour l'humanité de vivre la dualité avant de réaliser que cette dualité n'est pas irréductible, qu'elle n'est pas le seul échelon de la Réalité totale.
A notre échelle, la dualité est très marquée par les relations entre le masculin et le féminin et entre le rationnel et le symbolique. Ce sont les points essentiels à travailler pour les aspirants au Réveil.
Ainsi, oui, le dajjal, le Mahdi, Jésus, Issa, etc. existent. Ils se manifestent. L'observation nous fait bien saisir qu'il n'y a pas rien, mais bien de l'être. Nous sommes faits pour vivre la dualité selon le mode de la conscience. C'est notre rôle dans l'Univers.
Ah d'accord je comprends mieux.... :-)
SupprimerOk je respecte ton opinion mais je ne la partage pas ; pour moi tout est lié aux cycles cosmiques tels que les envisageait RG.
Sur notre "position" actuelle, je dirai que nous n'avons jamais été plus éloignés du Centre durant tout notre Manvantara.
Oui, tout est lié jusqu'à présent aux cycles cosmiques. Selon la cyclologie hindoue, nous sommes à la fin du septième Manvantara, le "milieu" du Kalpa, la Grande Année de Brahma. Ce moment est le moment central de notre Univers. Il correspond à la notion grecque de Kairos (R.G., la Boussole Infaillible, s'est retiré au Caire lors de sa seconde partie de vie...). C'est le Moment Décisif.
SupprimerComme la Divinité ne peut (donc ne veut) détruire les Univers qu'elle crée (pas de rupture de continuité dans l'Infini), il n'y aura pas de seconde partie de cycle. L'être humain entre dans l’Éternité, l'Aiôn grec. Le cycle est un modèle qui ne correspond qu'aux sept premiers Manvantaras. La seconde partie de cycle n'est qu'une illusion, un "effet miroir" de la première partie de la "Grande Année".
Nous n'avons jamais été aussi proches du Centre par l'Esprit. Aussi proche du Temps commué en Espace, c'est-à-dire la Réalisation et la Vie dans l'Instant.