mardi 14 mai 2019

Guénon : Autorité spirituelle et pouvoir temporel - La dépendance de la royauté

L’ouvrage de René Guénon que je vous propose de découvrir se présentera comme suit :

Table des matières

Chapitre I.         Autorité et hiérarchie
Chapitre II.        Fonctions du sacerdoce et de la royauté
Chapitre III.      Connaissance et action
Chapitre V.        Dépendance de la royauté à l’égard du sacerdoce
Chapitre VI.      La révolte des Kshatriyas
Chapitre VII.     Les usurpations de la royauté et leurs conséquences
Chapitre VIII.   Paradis terrestre et paradis céleste
Chapitre IX.      La loi immuable



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Chapitre V : Dépendance de la royauté à l'égard du sacerdoce 



Revenons maintenant aux rapports des Brâhmanes et des Kshatriyas dans l’organisation sociale de l’Inde : aux Kshatriyas appartient normalement toute la puissance extérieure, puisque le domaine de l’action, qui est celui qui les concerne directement, c’est le monde extérieur et sensible ; mais cette puissance n’est rien sans un principe intérieur, purement spirituel, qu’incarne l’autorité des Brâhmanes, et dans lequel elle trouve sa seule garantie réelle.

On voit ici que le rapport des deux pouvoirs pourrait encore être représenté comme celui de l’« intérieur » et de l’« extérieur », rapport qui, en effet, symbolise bien celui de la connaissance et de l’action, ou, si l’on veut, du « moteur » et du « mobile », pour reprendre l’idée que nous avons exposée plus haut, en nous référant du reste à la théorie aristotélicienne aussi bien qu’à la doctrine hindoue (55).

55 On pourrait aussi appliquer ici, comme nous le faisions alors, l’image du centre et de la circonférence de la « roue des choses ».


C’est de l’harmonie entre cet « intérieur » et cet « extérieur », harmonie qui d’ailleurs ne doit nullement être conçue comme une sorte de « parallélisme », car ce serait là méconnaître les différences essentielles des deux  domaines, c’est de cette harmonie, disons-nous, que résulte la vie normale de ce qu’on peut appeler l’entité sociale, sans vouloir suggérer par l’emploi d’une telle expression une assimilation quelconque de la collectivité à un être vivant, d’autant plus que, de nos jours, certains ont étrangement abusé de cette assimilation, prenant à tort pour une identité véritable ce qui n’est qu’analogie et correspondance (56).
En échange de la garantie que donne à leur puissance l’autorité spirituelle, les Kshatriyas doivent, à l’aide de la force dont ils disposent, assurer aux Brâhmanes le moyen d’accomplir en paix, à l’abri du trouble et de l’agitation, leur propre fonction de connaissance et d’enseignement ; c’est ce que le symbolisme hindou représente sous la figure de Skanda, le Seigneur de la guerre, protégeant la méditation de Ganêsha, le Seigneur de la connaissance (57).

Il y a lieu de noter que la même chose était enseignée, même extérieurement, au moyen âge occidental ; en effet, saint Thomas d’Aquin déclare expressément que toutes les fonctions humaines sont subordonnées à la contemplation comme à une fin supérieure, « de sorte que, à les considérer comme il faut, toutes semblent au service de ceux qui contemplent la vérité », et que le gouvernement tout entier de la vie civile a, au fond, pour véritable raison d’être d’assurer la paix nécessaire à cette contemplation.

56 L’être vivant a en lui-même son principe d’unité, supérieur à la multiplicité des éléments qui entrent dans sa constitution ; il n’y a rien de tel dans la collectivité, qui n’est proprement pas autre chose que la somme des individus qui la composent ; par unité, un mot comme celui d’« organisation », quand il est appliqué à l’un et à l’autre, ne peut en toute rigueur être pris dans le même sens. On peut cependant dire que la présence d’une autorité spirituelle introduit dans la société un principe supérieur aux individus, puisque cette autorité, par sa nature et son origine, est elle-même « supra-individuelle » ; mais ceci suppose que la société n’est pas envisagée seulement sous son aspect temporel, et cette considération, la seule qui puisse en faire quelque chose de plus qu’une simple collectivité au sens que nous venons de dire, est précisément de celles qui échappent le plus complètement aux sociologues contemporains qui prétendent identifier la société à un être vivant.
57 Ganêsha et Skanda sont d’ailleurs représentés comme frères, étant l’un et l’autre fils de Shiva ; c’est là encore une façon d’exprimer que les deux pouvoirs spirituel et temporel procèdent d’un principe unique.

On voit combien cela est loin du point de vue moderne, et on voit aussi par là que la prédominance de la tendance à l’action, telle qu’elle existe incontestablement chez les peuples occidentaux, n’entraîne pas nécessairement la dépréciation de la contemplation, c’est-à-dire de la connaissance, du moins tant que ces peuples possèdent une civilisation ayant un caractère traditionnel, quelle que soit d’ailleurs la forme qu’y revêt la tradition, et qui était ici une forme religieuse, d’où la nuance théologique qui, dans la conception de saint Thomas, s’attache toujours à la contemplation, tandis que, en Orient, celle-ci est envisagée dans l’ordre de la métaphysique pure.

D’autre part, dans la doctrine hindoue et dans l’organisation sociale qui en est l’application, donc chez un peuple ou les aptitudes contemplatives, entendues cette fois dans un sens de pure intellectualité, sont manifestement prépondérantes et sont même généralement développées à un degré qui ne se retrouve peut-être nulle part ailleurs, la place qui est faite aux Kshatriyas, et par conséquent à l’action, tout en étant subordonnée comme elle doit l’être normalement, est néanmoins fort loin d’être négligeable, puisqu’elle comprend tout ce qu’on peut appeler le pouvoir apparent.

D’ailleurs, comme nous l’avons déjà signalé en une autre occasion (58), ceux qui, sous l’influence des interprétations erronées qui ont cours en Occident, douteraient de cette importance très réelle, quoique relative, accordée à l’action par la doctrine hindoue, aussi bien que par toutes les autres doctrines traditionnelles, n’auraient, pour s’en convaincre, qu’à se reporter à la Bhagavad-Gitâ, qui, il ne faut pas l’oublier si l’on veut en bien comprendre le sens, est un de ces livres qui sont spécialement destinés à l’usage des Kshatriyas et auxquels nous faisions allusion plus haut (59).

58 La Crise du Monde moderne, p. 47 (2e édition).
59 La Bhagavad-Gitâ n’est à proprement parler qu’un épisode du Mahâbhârata, qui est un des deux Itihâsas, l’autre étant le Râmâyana. Ce caractère de la Bhagavad-Gitâ explique l’usage qui y est fait d’un symbolisme guerrier, comparable, à certains égards, à celui de la « guerre sainte » chez les Musulmans ; il y a d’ailleurs une façon « intérieure » de lire ce livre en lui donnant son sens profond, et il prend alors le nom d’Atmâ-Gitâ.


Les Brâhmanes n’ont à exercer qu’une autorité en quelque sorte invisible, qui, comme telle, peut être ignorée du vulgaire, mais qui n’en est pas moins le principe immédiat de tout pouvoir visible ; cette autorité est comme le pivot autour duquel tournent toutes les choses contingentes, l’axe fixe autour duquel le monde accomplit sa révolution, le pôle ou le centre immuable qui dirige et règle le mouvement cosmique sans y participer (60).

La dépendance du pouvoir temporel à l’égard de l’autorité spirituelle a son signe visible dans le sacre des rois : ceux-ci ne sont réellement « légitimés » que lorsqu’ils ont reçu du sacerdoce l’investiture et la consécration, impliquant la transmission d’une « influence spirituelle » nécessaire à l’exercice régulier de leurs fonctions (61).

Cette influence se manifestait parfois au dehors par des effets nettement sensibles, et nous en citerons comme exemple le pouvoir de guérison des rois de France, qui était en effet attaché directement au sacre ; elle n’était pas transmise au roi par son prédécesseur, mais il la recevait seulement par le fait du sacre. Cela montre bien que cette influence n’appartient pas en propre au roi, mais qu’elle lui est conférée par une sorte de délégation de l’autorité spirituelle, délégation en laquelle, comme nous l’indiquions déjà plus haut, consiste proprement le « droit divin » ; le roi n’en est donc que le dépositaire, et, par suite, il peut la perdre dans certains cas ; c’est pourquoi, dans la « Chrétienté » du moyen âge, le Pape pouvait délier les sujets de leur serment de fidélité envers leur souverain (62).

60 L’axe et le pôle sont avant tout des symboles du principe unique des deux pouvoirs, comme nous l’avons expliqué dans notre étude sur Le Roi du Monde ; mais ces symboles peuvent aussi être appliqués à l’autorité spirituelle relativement au pouvoir temporel, comme nous le faisons ici, parce que cette autorité, en raison de son attribut essentiel de connaissance, a effectivement part à l’immutabilité du principe suprême, qui est ce que ces symboles expriment fondamentalement, et aussi parce que, comme nous le disions plus haut, elle représente directement ce principe par rapport au monde extérieur.
61 Nous traduisons par « influence spirituelle » le mot hébreu et arabe barakah ; le rite de l’« imposition des mains » est un des modes les plus habituels de transmission de la barakah, et aussi de production de certains effets, de guérison notamment, au moyen de celle-ci.
62 La tradition musulmane enseigne aussi que la barakah peut se perdre ; d’autre part, dans la tradition extrême-orientale également, le « mandat du Ciel » est révocable lorsque le souverain ne remplit pas régulièrement ses fonctions, en harmonie avec l’ordre cosmique lui-même.


D’ailleurs, dans la tradition catholique, saint Pierre est représenté tenant entre ses mains, non seulement la clef d’or du pouvoir sacerdotal, mais aussi la clef d’argent du pouvoir royal ; ces deux clefs étaient, chez les anciens Romains, un des attributs de Janus, et elles étaient alors les clefs des « grands mystères » et des « petits mystères », qui, comme nous l’avons expliqué, correspondent aussi respectivement à l’« initiation sacerdotale » et à l’« initiation royale » (63).

Il faut remarquer, à cet égard, que Janus représente la source commune des deux pouvoirs, tandis que saint Pierre est proprement l’incarnation du pouvoir sacerdotal, auquel les deux clefs sont ainsi transférées parce que c’est par son intermédiaire qu’est transmis le pouvoir royal, tandis que lui-même est reçu directement de la source (64).

Ce qui vient d’être dit définit les rapports normaux de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel ; et, si ses rapports étaient partout et toujours observés, aucun conflit ne pourrait jamais s’élever entre l’une et l’autre, chacun occupant ainsi la place qui doit lui revenir en vertu de la hiérarchie des fonctions et des êtres, hiérarchie qui, nous y insistons encore, est strictement conforme à la nature même des choses.

63 Ce sont encore, suivant un autre symbolisme, les clefs des portes du « Paradis céleste » et du « Paradis terrestre », comme on le verra par le texte de Dante que nous citerons plus loin ; mais il ne serait peut-être pas opportun, pour le moment du moins, de donner certaines précisions en quelque sorte « techniques » sur le « pouvoir des clefs », ni d’expliquer diverses autres choses qui s’y rapportent plus ou moins directement. Si nous y faisons ici cette allusion, c’est uniquement pour que ceux qui auraient quelque connaissance de ces choses voient bien qu’il s’agit là, de notre part, d’une réserve toute volontaire, à laquelle nous ne sommes d’ailleurs tenu par aucun engagement vis-à-vis de qui que ce soit.
64 Il y a cependant, en ce qui concerne la transmission du pouvoir royal, quelques cas exceptionnels où, pour des raisons spéciales, il est conféré directement par des représentants du pouvoir suprême, source des deux autres : c’est ainsi que les rois Saül et David furent consacrés, non par le Grand-Prêtre, mais par le prophète Samuel. On pourra rapprocher ceci de ce que nous avons dit ailleurs (Le Roi du Monde, ch. IV) sur le triple caractère du Christ comme prophète, prêtre et roi, en rapport avec les fonctions respectives des trois Rois-Mages, correspondant elles-mêmes à la division des « trois mondes » que nous rappelions dans une précédente note : la fonction « prophétique », parce qu’elle implique l’inspiration directe, correspond proprement au monde céleste.

Les 4 saisons, mosaïque romaine IIIème siécle.

Malheureusement, en fait, il est loin d’en être toujours ainsi, et ces relations normales ont été trop souvent méconnues et même renversées ; à cet égard, il importe de noter tout d’abord que c’est déjà une grave erreur que de considérer simplement le spirituel et le temporel comme deux termes corrélatifs ou complémentaires, sans se rendre compte que celui-ci a son principe dans celui-là.
Cette erreur peut être commise d’autant plus facilement que, comme nous l’avons déjà indiqué, cette considération du complémentarisme a aussi sa raison d’être à un certain point de vue, du moins dans l’état de division des deux pouvoirs, ou l’un n’a pas dans l’autre son principe suprême et ultime, mais seulement son principe immédiat et encore relatif. 
Ainsi que nous l’avons fait remarquer ailleurs en ce qui concerne la connaissance et l’action (65), ce complémentarisme n’est pas faux, mais seulement insuffisant, parce qu’il ne correspond qu’à un point de vue qui est encore extérieur, comme l’est d’ailleurs la division même des deux pouvoirs, nécessitée par un état du monde dans lequel le pouvoir unique et suprême n’est plus à la portée de l’humanité ordinaire.
On pourrait même dire que, lorsqu’ils se différencient, les deux pouvoirs se présentent d’abord forcément dans leur rapport normal de subordination, et que leur conception comme corrélatifs ne peut apparaître que dans une phase ultérieure de la marche descendante du cycle historique ; à cette nouvelle phase se réfèrent plus particulièrement certaines expressions symboliques qui mettent surtout en évidence l’aspect du complémentarisme, bien qu’une interprétation correcte puisse y faire reconnaître encore une indication du rapport de subordination.

Tel est notamment l’apologue bien connu, mais peu compris en Occident, de l’aveugle et du paralytique, qui représente en effet, dans une de ses principales significations, les rapports de la vie active et de la vie contemplative : l’action livrée à elle-même est aveugle, et l’immutabilité essentielle de la connaissance se traduit au dehors par une immobilité comparable à celle du paralytique.
Le point de vue du complémentarisme est figuré par l’entraide des deux hommes, dont chacun supplée par ses propres facultés à ce qui manque à l’autre ; et, si l’origine de cet apologue, ou tout au moins la considération plus spéciale de l’application qui en est faite ainsi (66), doit être rapportée au Confucianisme, il est facile de comprendre que celui-ci doit en effet se borner à ce point de vue, par là même qu’il se tient exclusivement dans l’ordre humain et social.

65 La Crise du Monde moderne, p. 44 (2e édition).
66 Cette division de la tradition extrême-orientale en deux branches distinctes s’est accomplie au VIe siècle avant l’ère chrétienne, époque dont nous avons eu ailleurs l’occasion de signaler le caractère spécial (La Crise du Monde moderne, pp. 18-21), et que, du reste, nous allons encore retrouver par la suite.


Nous ferons même remarquer, à ce propos, que, en Chine, la distinction du Taoïsme, doctrine purement métaphysique, et du Confucianisme, doctrine sociale, procédant d’ailleurs l’un et l’autre d’une même tradition intégrale qui représente leur principe commun, correspond très exactement à la distinction du spirituel et du temporel (67) ; et il faut ajouter que l’importance du « non-agir » au point de vue du Taoïsme justifie tout spécialement, pour qui l’envisage de l’extérieur (68), le symbolisme employé dans l’apologue en question.

Cependant, il faut bien prendre garde que, dans l’association des deux hommes, c’est le paralytique qui joue le rôle directeur, et que sa position même, monté sur les épaules de l’aveugle, symbolise la supériorité de la contemplation sur l’action, supériorité que Confucius lui-même était fort loin de contester en principe, comme en témoigne le récit de son entrevue avec Lao-tseu, tel qu’il nous a été conservé par l’historien Sse-ma-tsien ; et il avouait qu’il n’était point « né à la connaissance », c’est-à-dire qu’il n’avait pas atteint la connaissance par excellence, qui est celle de l’ordre métaphysique pur, et qui, comme nous l’avons dit plus haut, appartient exclusivement, par sa nature même, aux détenteurs de la véritable autorité spirituelle (69).

67 Il y a une autre application du même apologue, non plus sociale, mais cosmologique, qui se rencontre dans les doctrines de l’Inde, où elle appartient en propre au Sânkhya : là, le paralytique est Purusha, en tant qu’immuable ou « non-agissant », et l’aveugle est Prakriti, dont la potentialité indifférenciée s’identifie aux ténèbres du chaos ; ce sont effectivement deux principes complémentaires, en tant que pôles de la manifestation universelle, et ils procèdent d’ailleurs d’un principe supérieur unique, qui est l’Etre pur, c’està-dire du Sânkhya. Pour rattacher cette interprétation à celle que nous venons d’indiquer, il faut remarquer qu’on peut établir une correspondance analogique de la contemplation ou de la connaissance avec Purusha et de l’action avec Prakriti ; mais nous ne pouvons naturellement entrer ici dans l’explication de ces deux principes, et nous devons nous contenter de renvoyer à ce que nous avons exposé à ce sujet dans L’Homme et son devenir selon le Vêdânta.
68 Nous disons de l’extérieur parce que, au point de vue intérieur, le « nonagir » est en réalité l’activité suprême dans toute sa plénitude ; mais, précisément en raison de son caractère total et absolu, cette activité ne se montre pas au dehors comme les activités particulières, déterminées et relatives.
69 On voit par là qu’il n’y a aucune opposition de principe entre le Taoïsme et le Confucianisme, qui ne sont point et ne peuvent pas être deux écoles rivales, puisque chacun a son domaine propre et nettement distinct ; s’il y eut cependant des luttes, parfois violentes, comme nous l’avons signalé plus haut, elles furent dues surtout à l’incompréhension et à l’exclusivisme des Confucianistes, oublieux de l’exemple que leur maître lui-même leur avait donné.

Si donc c’est une erreur d’envisager le spirituel et le temporel comme simplement corrélatifs, il en est une autre, plus grave encore, qui consiste à prétendre subordonner le spirituel au temporel, c’est-à-dire en somme la connaissance à l’action ; cette erreur, qui renverse complètement les rapports normaux, correspond à la tendance qui est, d’une façon générale, celle de l’Occident moderne, et elle ne peut évidemment se produire que dans une période de décadence intellectuelle très avancée.

De nos jours, d’ailleurs, certains vont encore plus loin dans ce sens, jusqu’à la négation de la valeur propre de la connaissance comme telle, et aussi, par une conséquence logique, car les deux choses sont étroitement solidaires, jusqu’à la négation pure et simple de toute autorité spirituelle ; ce dernier degré de dégénérescence, qui implique la domination des castes les plus inférieures, est un des signes caractéristiques de la phase finale du Kali-Yuga.


Si nous considérons en particulier la religion, puisque c’est là la forme spéciale que prend le spirituel dans le monde occidental, le renversement des rapports peut s’exprimer de la façon suivante : au lieu de regarder l’ordre social tout entier comme dérivant de la religion, comme y étant suspendu en quelque sorte et ayant en elle son principe, ainsi qu’il en était dans la « Chrétienté » du moyen âge, et ainsi qu’il en est également dans l’Islam qui lui est fort comparable à cet égard, on ne veut aujourd’hui voir tout au plus dans la religion qu’un des éléments de l’ordre social, un élément parmi les autres et au même titre que les autres ; c’est l’asservissement du spirituel au temporel, ou même l’absorption de celui-là dans celui-ci, en attendant la complète négation du spirituel qui en est l’aboutissement inévitable.
En effet, envisager les choses de cette façon revient forcément à « humaniser » la religion, nous voulons dire à la traiter comme un fait purement humain, d’ordre social ou mieux « sociologique » pour les uns, d’ordre plutôt psychologique pour les autres ; et alors, à vrai dire, ce n’est plus la religion, car celle-ci comporte essentiellement quelque chose de « supra-humain », faute de quoi nous ne sommes plus dans le domine spirituel, le temporel et l’humain étant en réalité identiques au fond, suivant ce que nous avons expliqué précédemment ; c’est donc là une véritable négation implicite de la religion et du spirituel, quelles que puissent être les apparences, de telle sorte que la négation explicite et avérée sera moins l’instauration d’un nouvel état de choses que la reconnaissance d’un fait accompli.

Ainsi, le renversement des rapports prépare directement la suppression du terme supérieur, il l’implique même déjà au moins virtuellement, de même que la révolte des Kshatriyas contre l’autorité des Brâhmanes, comme nous allons le voir, prépare et appelle pour ainsi dire l’avènement des castes les plus inférieures ; et ceux qui auront suivi notre exposé jusqu’ici comprendront sans peine qu’il y a dans ce rapprochement quelque chose de plus qu’une simple comparaison.




9 commentaires:

  1. Que l'aveugle voie, que le paralytique se mette en mouvement. S'observer : la Connaissance permet de discerner, le corps peut suivre cette Connaissance, l'effectuer, la manifester dans l'existence.

    Le Bouddha Maitreya est le Bouddha Materia, le Bouddha Matériel, le Bouddha des Mères, le Bouddha Corporel. René Guénon a souligné que la Réalisation consiste à "spiritualiser le corps et à corporéifier l'esprit". C'est ainsi que le Bouddha Maitreya a réalisé ce qui est nommé "l'endogénie de l'Immortel".

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    1. Bonsoir Greg David... :-)

      Tu aurais une source pour ce que tu cites de Guénon ?

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    2. Bonjoir !

      Sur la Réalisation avec corps et esprit : Grande Triade, chapitre VI, Solve et Coagula

      Sur l'endogénie de l'immortel : L'Homme et son devenir selon Vedanta, chapitre III, dernière page, note de bas de page n°2 + http://esprit-universel.over-blog.com/article-rene-guenon-la-naissance-de-l-avatara-103422866.html

      Sur les castes, tu peux aussi consulter : La Grande Triade, chapitre XIII, l'Etre et le Milieu

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    3. D'accord merci je vais aller consulter tes références... :-)

      Je t'aurais plutôt envoyer sur ce texte : http://esprit-universel.over-blog.com/article-rene-guenon-l-esprit-est-il-dans-le-corps-ou-le-corps-dans-l-esprit-106529833.html

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    4. Je t'en prie. Tout est Un de toutes façons... Toutes ces distinctions sont faites pour faire réfléchir et progresser. Une fois Réalisé ou Réalisée, elles se dissipent.

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    5. Vu ce passage en effet :

      "C’est pourquoi les alchimistes disent fréquemment que « la dissolution du corps est la fixation de l’esprit » et inversement, esprit et corps n’étant en somme pas autre chose que l’aspect « essentiel » et l’aspect « substantiel » de l’être ; ceci peut s’entendre de l’alternance des « vies » et des « morts », au sens le plus général de ces mots, puisque c’est là ce qui correspond proprement aux « condensations » et aux « dissipations » de la tradition taoïste (8), de sorte que, pourrait-on dire, l’état qui est vie pour le corps est mort pour l’esprit et inversement ; et c’est pourquoi « volatiliser (ou dissoudre) le fixe et fixer (ou coaguler) le volatil » ou « spiritualiser le corps et corporifier l’esprit (9) », est dit encore « tirer le vif du mort et le mort du vif », ce qui est aussi, par ailleurs, une expression qorânique (10). La « transmutation » implique donc, à un degré ou à un autre (11), une sorte de renversement des rapports ordinaires (nous voulons dire tels qu’ils sont envisagés au point de vue de l’homme ordinaire), renversement qui est d’ailleurs plutôt, en réalité, un rétablissement des rapports normaux ; nous nous bornerons à signaler ici que la considération d’un tel « retournement » est particulièrement importante au point de vue de la réalisation initiatique, sans pouvoir y insister davantage, car il faudrait pour cela des développements qui ne sauraient rentrer dans le cadre de la présente étude (12)"

      Je suis d'accord pour les "distinctions" si tu entends cela par "dualités" et c'est d'ailleurs ce que j'essaie de "faire passer" en publiant le Démiurge...

      Pour autant, l'écueil inverse que j'ai rencontré, c'est de partir de cette vérité pour en déduire que "rien" n'existe, et en particulier pour la fin de notre monde, l'AC (Dajjal), le Mahdî et Jésus.
      Grave erreur de mélanger les points de vue et si les dualités restent illusoires à l'égard du Principe, elles n'en existent pas moins à un certain point de vue, celui de l'individualité humaine.

      Donc tout est question du point de vue envisagé je suis d'accord.

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    6. Oui : tout est question de référentiel. Pour bien se comprendre, il est nécessaire de bien préciser à quel point de vue on se place.

      La Réalisation spirituelle ne fait pas cesser la multiplicité : dans le cas contraire, le monde disparaîtrait. Or, la Divinité ne détruit pas les mondes qu'elle crée : une telle annihilation entraînerait en effet une rupture dans sa continuité et serait dès lors incompatible avec le "caractère" Infini de la Divinité.

      La Réalisation spirituelle dans notre état fait cesser de voir le monde (notre univers) comme fait d'éléments disparates, sans ordre clair, sans signification, sans point de référence. Comme nous sommes dans la première "Sphère" autour du Centre Suprême, c'est la question de la dualité qui est traitée par le Centre à travers nous. Nous vivons dans la dualité, nous sommes conscients de la dualité. Le Réveil consiste à nous faire enfin découvrir que nous ne faisons que voir l'Unité transcendant tous les phénomènes et les animant d'un même mouvement (changement). Il s'agit pour l'humanité de vivre la dualité avant de réaliser que cette dualité n'est pas irréductible, qu'elle n'est pas le seul échelon de la Réalité totale.

      A notre échelle, la dualité est très marquée par les relations entre le masculin et le féminin et entre le rationnel et le symbolique. Ce sont les points essentiels à travailler pour les aspirants au Réveil.

      Ainsi, oui, le dajjal, le Mahdi, Jésus, Issa, etc. existent. Ils se manifestent. L'observation nous fait bien saisir qu'il n'y a pas rien, mais bien de l'être. Nous sommes faits pour vivre la dualité selon le mode de la conscience. C'est notre rôle dans l'Univers.

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    7. Ah d'accord je comprends mieux.... :-)
      Ok je respecte ton opinion mais je ne la partage pas ; pour moi tout est lié aux cycles cosmiques tels que les envisageait RG.

      Sur notre "position" actuelle, je dirai que nous n'avons jamais été plus éloignés du Centre durant tout notre Manvantara.

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    8. Oui, tout est lié jusqu'à présent aux cycles cosmiques. Selon la cyclologie hindoue, nous sommes à la fin du septième Manvantara, le "milieu" du Kalpa, la Grande Année de Brahma. Ce moment est le moment central de notre Univers. Il correspond à la notion grecque de Kairos (R.G., la Boussole Infaillible, s'est retiré au Caire lors de sa seconde partie de vie...). C'est le Moment Décisif.

      Comme la Divinité ne peut (donc ne veut) détruire les Univers qu'elle crée (pas de rupture de continuité dans l'Infini), il n'y aura pas de seconde partie de cycle. L'être humain entre dans l’Éternité, l'Aiôn grec. Le cycle est un modèle qui ne correspond qu'aux sept premiers Manvantaras. La seconde partie de cycle n'est qu'une illusion, un "effet miroir" de la première partie de la "Grande Année".

      Nous n'avons jamais été aussi proches du Centre par l'Esprit. Aussi proche du Temps commué en Espace, c'est-à-dire la Réalisation et la Vie dans l'Instant.

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