jeudi 7 février 2019

Guénon : Le Saint Graal (partie 1)


Chapitre VIII du livre « Aperçus sur l’ésotérisme chrétien »

Vous pouvez le télécharger en différents formats ici : LIEN  


« Nous voulons parler de la signification originelle du mot « mythe » lui-même. On regarde communément ce mot comme synonyme de « fable », en entendant simplement par là une fiction quelconque, le plus souvent revêtue d’un caractère plus ou moins poétique. Il semble bien que les Grecs, à la langue desquels ce terme est emprunté, aient eux-mêmes leur part de responsabilité dans ce qui est, à vrai dire, une altération profonde et une déviation du sens primitif ; chez eux, en effet, la fantaisie individuelle commença assez tôt à se donner libre cours dans toutes les formes de l’art, qui, au lieu de demeurer proprement hiératique et symbolique comme chez les Égyptiens et les peuples de l’Orient, prit bientôt par là une tout autre direction, visant beaucoup moins à instruire qu’à plaire, et aboutissant à des productions dont la plupart sont à peu près dépourvues de toute signification réelle ; c’est ce que nous pouvons appeler l’art profane. Cette fantaisie esthétique s’exerça en particulier sur les mythes : les poètes, en les développant et les modifiant au gré de leur imagination, en les entourant d’ornements superflus et vains, les obscurcirent et les dénaturèrent, si bien qu’il devint souvent fort difficile d’en retrouver le sens et d’en dégager les éléments essentiels, et qu’on pourrait dire que finalement le mythe ne fut plus, au moins pour le plus grand nombre, qu’un symbole incompris, ce qu’il est resté pour les modernes.

Mais ce n’est là que l’abus ; ce qu’il faut considérer, c’est que le mythe, avant toute déformation, était proprement et essentiellement un récit symbolique. » Guénon, "Mythes et symboles"





M. Arthur Edward Waite a fait paraître un ouvrage sur les légendes du Saint Graal (1), imposant par ses dimensions et par la somme de recherches qu’il représente, et dans lequel tous ceux qui s’intéressent à cette question pourront trouver un exposé très complet et méthodique du contenu des multiples textes qui s’y rapportent, ainsi que des diverses théories qui ont été proposées pour expliquer l’origine et la signification de ces légendes fort complexes, parfois même contradictoires dans certains de leurs éléments. Il faut ajouter que M. Waite n’a pas entendu faire uniquement œuvre d’érudition, et il convient de l’en louer également, car nous sommes entièrement de son avis sur le peu de valeur de tout travail qui ne dépasse pas ce point de vue, et dont l’intérêt ne peut être en somme que « documentaire » ; il a voulu dégager le sens réel et « intérieur » du symbolisme du Saint Graal et de la « queste ».
Malheureusement, nous devons dire que ce côté de son œuvre est celui qui nous paraît le moins satisfaisant ; les conclusions auxquelles il aboutit sont même plutôt décevantes, surtout si l’on songe à tout le labeur accompli pour y parvenir; et c’est là-dessus que nous voudrions formuler quelques observations, qui se rattacheront d’ailleurs tout naturellement à des questions que nous avons déjà traitées en d’autres occasions.

Ce n’est pas faire injure à M. Waite, croyons-nous, que de dire que son ouvrage est quelque peu one-sighted ; devons-nous traduire en français par « partial » ? Ce ne serait peut-être pas rigoureusement exact, et, en tout cas, nous n’entendons pas dire par là qu’il le soit de façon voulue ; il y aurait plutôt là quelque chose du défaut si fréquent chez ceux qui, s’étant « spécialisés » dans un certain ordre d’études, sont portés à tout y ramener, ou à négliger ce qui ne s’y laisse par réduire. Que la légende du Graal soit chrétienne, ce n’est certes pas contestable, et M. Waite a raison de l’affirmer mais cela empêche-t-il nécessairement qu’elle soit aussi autre chose en même temps ?


Ceux qui ont conscience de l’unité fondamentale de toutes les traditions ne verront là aucune incompatibilité ; mais M. Waite, pour sa part, ne veut voir en quelque sorte que ce qui est spécifiquement chrétien, s’enfermant ainsi dans une forme traditionnelle particulière, dont les rapports qu’elle a avec les autres, précisément par son côté « intérieur », semblent dès lors lui échapper. Ce n’est pas qu’il nie l’existence d’éléments d’une autre provenance, probablement antérieurs au Christianisme, car ce serait aller contre l’évidence ; mais il ne leur accorde qu’une bien médiocre importance, et il paraît les considérer comme « accidentels », comme étant venus s’ajouter à la légende « du dehors », et simplement du fait du milieu où elle s’est élaborée.

1 — The Holy Grail, its legends and symbolism ; London, Rider and C°, 1933.

Aussi ces éléments sont-ils regardés par lui comme relevant de ce qu’on est convenu d’appeler le folk-lore, non pas toujours par dédain comme le mot lui-même pourrait le faire supposer, mais plutôt pour satisfaire à une sorte de «mode » de notre époque, et sans toujours se rendre compte des intentions qui s’y trouvent impliquées; et il n’est peut-être pas inutile d’insister un peu sur ce point.

La conception même du folk-lore, tel qu’on l’entend habituellement, repose sur une idée radicalement fausse, l’idée qu’il y a des « créations populaires », produits spontanés de la masse du peuple ; et l’on voit tout de suite le rapport étroit de cette façon de voir avec les préjugés « démocratiques ». Comme on l’a dit très justement, « l’intérêt profond de toutes les traditions dites populaires réside surtout dans le fait qu’elles ne sont pas populaires d’origine » (1); et nous ajouterons que, s’il s’agit, comme c’est presque toujours le cas, d’éléments traditionnels au vrai sens de ce mot, si déformés, amoindris ou fragmentaires qu’ils puissent être parfois, et de choses ayant une valeur symbolique réelle, tout cela, bien loin d’être d’origine populaire, n’est même pas d’origine humaine.
Ce qui peut être populaire, c’est uniquement le fait de la « survivance », quand ces éléments appartiennent à des formes traditionnelles disparues; et, à cet égard, le terme de folk-lore prend un sens assez proche de celui de « paganisme », en ne tenant compte que de l’étymologie de ce dernier, et avec l’intention « polémique » et injurieuse en moins. Le peuple conserve ainsi, sans les comprendre, les débris de traditions anciennes, remontant même parfois à un passé si lointain qu’il serait impossible de le déterminer, et qu’on se contente de rapporter, pour cette raison, au domaine obscur de la « préhistoire » ; il remplit en cela la fonction d’une sorte de mémoire collective plus ou moins « subconsciente », dont le contenu est manifestement venu d’ailleurs (2).


Ce qui peut sembler le plus étonnant, c’est que, lorsqu’on va au fond des choses, on constate que ce qui est ainsi conservé contient surtout, sous une forme plus ou moins voilée, une somme considérable de données d’ordre ésotérique, c’est-à-dire précisément tout ce qu’il y a de moins populaire par essence ; et ce fait suggère de lui-même une explication que nous nous bornerons à indiquer en quelques mots. Lorsqu’une forme traditionnelle est sur le point de s’éteindre, ses derniers représentants peuvent fort bien confier volontairement, à cette mémoire collective dont nous venons de parler, ce qui autrement se perdrait sans retour; c’est en somme le seul moyen de sauver ce qui peut l’être dans une certaine mesure ; et, en même temps, l’incompréhension naturelle de la masse est une suffisante garantie que ce qui possédait un caractère ésotérique n’en sera pas dépouillé pour cela, mais demeurera seulement, comme une sorte de témoignage du passé, pour ceux qui, en d’autres temps, seront capables de le comprendre.

1 — Luc Benoist, La Cuisine des Anges, une esthétique de la pensée, Paris, 1932, p. 74.
2 — C’est là une fonction essentiellement « lunaire », et il est à remarquer que, suivant l’astrologie, la masse populaire correspond effectivement à la Lune, ce qui, en même temps, indique bien son caractère purement passif, incapable d’initiative ou de spontanéité.

Cela dit, nous ne voyons pas pourquoi on attribuerait au folk-lore, sans plus ample examen, tout ce qui appartient à des traditions autres que le Christianisme, celui-ci seul faisant exception ; telle semble être l’intention de M. Waite, lorsqu’il accepte cette dénomination pour les éléments « pré-chrétiens » et particulièrement celtiques, qui se rencontrent dans les légendes du Graal.
Il n’y a pas, sous ce rapport, de forme traditionnelle privilégiée ; la seule distinction à faire est celle des formes disparues et de celles qui sont actuellement vivantes; et, par conséquent, toute la question reviendrait à savoir si la tradition celtique avait réellement cessé de vivre lorsque se constituèrent les légendes dont il s’agit. Cela est au moins contestable : d’une part, cette tradition peut s’être maintenue plus longtemps qu’on ne le croit d’ordinaire, avec une organisation plus ou moins cachée, et d’autre part, ces légendes elles-mêmes peuvent être plus anciennes que ne le pensent les « critiques », non pas qu’il y ait eu forcément des textes aujourd’hui perdus, auxquels nous ne croyons guère plus que M. Waite, mais par une transmission orale qui peut avoir duré plusieurs siècles, ce qui est loin d’être un fait exceptionnel.


Nous voyons là, pour notre part, la marque d’une « jonction » entre deux formes traditionnelles, l’une ancienne et l’autre nouvelle alors, la tradition celtique et la tradition chrétienne, jonction par laquelle ce qui devait être conservé de la première fut en quelque sorte incorporé à la seconde, en se modifiant sans doute jusqu’à un certain point, quant à la forme extérieure, par adaptation et assimilation, mais non point en se transposant sur un autre plan, comme le voudrait M. Waite, car il y a des équivalences entre toutes les traditions régulières; il y a donc là bien autre chose qu’une simple question de « sources », au sens où l’entendent les érudits. Il serait peut-être difficile de préciser exactement le lieu et la date où cette jonction s’est opérée, mais cela n’a qu’un intérêt secondaire et presque uniquement historique ; il est d’ailleurs facile de concevoir que ces choses sont de celles qui ne laissent pas de traces dans des « documents » écrits. 
Peut-être l’«Église celtique » ou « culdéenne » mérite-t-elle, à cet égard, plus d’attention que M. Waite ne semble disposé à lui en accorder; sa dénomination même pourrait le donner à entendre ; et il n’y a rien d’invraisemblable à ce qu’il y ait eu derrière elle quelque chose d’un autre ordre, non plus religieux, mais initiatique, car, comme tout ce qui se rapporte aux liens existant entre les différentes traditions, ce dont il s’agit ici relève nécessairement du domaine initiatique ou ésotérique.
L’exotérisme, qu’il soit religieux ou autre, ne va jamais au-delà des limites de la forme traditionnelle à laquelle il appartient en propre ; ce qui dépasse ces limites ne peut appartenir à une «Église » comme telle, mais celle-ci peut seulement en être le « support » extérieur; et c’est là une remarque sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir par la suite.

Une autre observation, concernant plus particulièrement le symbolisme, s’impose également : il y a des symboles qui sont communs aux formes traditionnelles les plus diverses et les plus éloignées les unes des autres, non pas par suite « d’emprunts » qui, dans bien des cas, seraient tout à fait impossibles, mais parce qu’ils appartiennent en réalité à la Tradition primordiale dont ces formes sont toutes issues directement ou indirectement. Ce cas est précisément celui du vase ou de la coupe ; pourquoi ce qui s’y rapporte ne serait-il que du folk-lore quand il s’agit de traditions « préchrétiennes », alors que, dans le Christianisme seul, elle serait un symbole essentiellement « eucharistique » ?

Ce ne sont pas les assimilations envisagées par Burnouf ou par d’autres qui sont ici à rejeter, mais bien les interprétations « naturalistes » qu’ils ont voulu étendre au Christianisme comme à tout le reste, et qui, en réalité, ne sont valables nulle part. Il faudrait donc faire ici exactement le contraire de ce que fait M. Waite, qui, s’arrêtant à des explications extérieures et superficielles, qu’il accepte de confiance tant qu’il ne s’agit pas du Christianisme, voit des sens radicalement différents et sans rapport entre eux là ou il n’y a que les aspects plus ou moins multiples d’un même symbole ou ses diverses applications; sans doute en eût il été autrement s’il n’avait été gêné par son idée préconçue d’une sorte d’hétérogénéité du Christianisme par rapport aux autres traditions. 


De même, M. Waite repousse fort justement, en ce qui concerne la légende du Graal, les théories qui font appel à de prétendus « dieux de la végétation » ; mais il est regrettable qu’il soit beaucoup moins net à l’égard des Mystères antiques, qui n’eurent jamais rien de commun non plus avec ce « naturalisme » d’invention toute moderne ; les « dieux de la végétation » et autres histoires du même genre n’ont jamais existé que dans l’imagination de Frazer et de ses pareils, dont les intentions antitraditionnelles ne sont d’ailleurs pas douteuses.

À la vérité, il semble bien aussi que M Waite soit plus ou moins influencé par un certain « évolutionnisme » ; cette tendance se trahit notamment lorsqu’il déclare que ce qui importe, c’est beaucoup moins l’origine de la légende que le dernier état auquel elle est parvenue par la suite ; et il paraît croire qu’il a dû y avoir, de l’une à l’autre, une sorte de perfectionnement progressif.
En réalité, s’il s’agit de quelque chose qui a un caractère vraiment traditionnel, tout doit au contraire s’y trouver dès le commencement, et les développements ultérieurs ne font que le rendre plus explicite, sans adjonction d’éléments nouveaux et venus de l’extérieur. M. Waite paraît admettre une sorte de « spiritualisation », par laquelle un sens supérieur aurait pu venir se greffer sur quelque chose qui ne le comportait pas tout d’abord ; en fait, c’est plutôt l’inverse qui se produit généralement ; et cela rappelle un peu trop les vues profanes des « historiens des religions ».

Nous trouvons, à propos de l’alchimie, un exemple très frappant de cette sorte de renversement : M. Waite pense que l’alchimie matérielle a précédé l’alchimie spirituelle, et que celle-ci n’a fait son apparition qu’avec Khunrath et Jacob Boehme ; s’il connaissait certains traités arabes bien antérieurs à ceux-ci, il serait obligé, même en s’en tenant aux documents écrits, de modifier cette opinion ; et en outre, puisqu’il reconnaît que le langage employé est le même dans les deux cas, nous pourrions lui demander comment il peut être sûr que, dans tel ou tel texte, il ne s’agit que d’opérations matérielles.

La vérité est qu’on n’a pas toujours éprouvé le besoin de déclarer expressément qu’il s’agissait d’autre chose, qui devait même au contraire être voilé précisément par le symbolisme mis en usage ; et, s’il est arrivé par la suite que certains l’aient déclaré, ce fut surtout en présence de dégénérescences dues à ce qu’il y avait dès lors des gens qui, ignorants de la valeur des symboles, prenaient tout à la lettre et dans un sens exclusivement matériel : c’étaient les « souffleurs », précurseurs de la chimie moderne. Penser qu’un sens nouveau peut être donné à un symbole qui ne le possédait pas par lui-même, c’est presque nier le symbolisme, car c’est en faire quelque chose d’artificiel, sinon d’entièrement arbitraire, et en tout cas de purement humain ; et, dans cet ordre d’idées, M. Waite va jusqu’à dire que chacun trouve dans un symbole ce qu’il y met lui-même, si bien que sa signification changerait avec la mentalité de chaque époque ; nous reconnaissons là les théories « psychologiques » chères à bon nombre de nos contemporains; et n’avions-nous pas raison de parler d’« évolutionnisme » ?
Nous l’avons dit souvent, et nous ne saurions trop le répéter: tout véritable symbole porte ses multiples sens en lui-même, et cela dès l’origine, car il n’est pas constitué comme tel en vertu d’une convention humaine, mais en vertu de la « loi de correspondance » qui relie tous les mondes entre eux ; que, tandis que certains voient ces sens, d’autres ne les voient pas ou n’en voient qu’une partie, ils n’y sont pas moins réellement contenus, et l’« horizon intellectuel » de chacun fait toute la différence ; le symbolisme est une science exacte et non pas une rêverie où les fantaisies individuelles peuvent se donner libre cours.


Nous ne croyons donc pas, dans les choses de cet ordre, aux « inventions de poètes », auxquelles M. Waite semble disposé à faire une grande part ; ces inventions, loin de porter sur l’essentiel, ne font que le dissimuler, volontairement ou non, en l’enveloppant des apparences trompeuses d’une « fiction » quelconque ; et parfois elles ne le dissimulent que trop bien, car lorsqu’elles se font trop envahissantes, il finit par devenir presque impossible de découvrir le sens profond et originel ; n’est-ce pas ainsi que, chez les Grecs, le symbolisme dégénéra en «mythologie » ?

Ce danger est surtout à craindre lorsque le poète lui-même n’a pas conscience de la valeur réelle des symboles, car il est évident que ce cas peut se présenter; l’apologue de « l’âne portant des reliques » s’applique ici comme en bien d’autres choses: et le poète, alors, jouera en somme un rôle analogue à celui du peuple profane conservant et transmettant à son insu des données initiatiques, ainsi que nous le disions plus haut. La question se pose ici tout particulièrement : les auteurs des romans du Graal furent ils dans ce dernier cas, ou, au contraire, furent-ils conscients, à un degré ou à un autre, du sens profond de ce qu’ils exprimaient ?

Il n’est certes pas facile d’y répondre avec certitude, car, là encore, les apparences peuvent faire illusion : en présence d’un mélange d’éléments insignifiants et incohérents, on est tenté de penser que l’auteur ne savait pas de quoi il parlait; pourtant, il n’en est pas forcément ainsi, car il est arrivé souvent que les obscurités et même les contradictions soient parfaitement voulues, et que les détails inutiles aient expressément pour but d’égarer l’attention des profanes, de la même façon qu’un symbole peut être dissimulé intentionnellement dans un motif d’ornementation plus ou moins compliqué ; au moyen âge surtout, les exemples de ce genre abondent, ne serait-ce que chez Dante et les « Fidèles d’Amour ». 
Le fait que le sens supérieur transparaît moins chez Chrestien de Troyes, par exemple, que chez Robert de Borron, ne prouve donc pas nécessairement que le premier en ait été moins conscient que le second ; encore moins faudrait-il en conclure que ce sens est absent de ses écrits, ce qui serait une erreur comparable à celle qui consiste à attribuer aux anciens alchimistes des préoccupations d’ordre uniquement matériel, pour la seule raison qu’ils n’ont pas jugé à propos d’écrire en toutes lettres que leur science était en réalité de nature spirituelle (1).
Au surplus, la question de l’« initiation » des
auteurs des romans a peut-être moins d’importance qu’on ne pourrait le croire au premier abord, puisque de toutes façons, elle ne change rien aux apparences sous lesquelles le sujet est présenté ; dès lors qu’il s’agit d’une « extériorisation » de données ésotériques, mais qui ne saurait en aucune façon être une « vulgarisation », il est facile de comprendre qu’il doive en être ainsi.

1 — Si M. Waite croit, comme il le semble bien, que certaines choses sont trop « matérielles » pour être compatibles avec l’exigence d’un sens supérieur dans les textes ou elles se rencontrent, nous pourrions lui demander ce qu’il pense, par exemple, de Rabelais et de Boccace.


Nous irons plus loin : un profane peut même, pour une telle « extériorisation », avoir servi de « porte-parole » à une organisation initiatique, qui l’aura choisi à cet effet simplement pour ses qualités de poète ou d’écrivain, ou pour toute autre raison contingente. Dante écrivait en parfaite connaissance de cause ; Chrestien de Troyes, Robert de Borron et bien d’autres furent probablement beaucoup moins conscients de ce qu’ils exprimaient et peut-être même certains d’entre eux ne le furent-ils pas du tout ; mais peu importe au fond, car, s’il y avait derrière eux une organisation initiatique, quelle qu’elle fût d’ailleurs, le danger d’une déformation due à leur incompréhension se trouvait par là même écarté, cette organisation pouvant les guider constamment sans même qu’ils s’en doutent, soit par l’intermédiaire de certains de ses membres leur fournissant les éléments à mettre en œuvre, soit par des suggestions ou des influences d’un autre genre, plus subtiles et moins « tangibles », mais non moins réelles pour cela ni moins efficaces.

On comprendra sans peine que ceci n’a rien à voir avec la soi-disant « inspiration » poétique, telle que les modernes l’entendent, et qui n’est en réalité que de l’imagination pure et simple, ni avec la « littérature », au sens profane de ce mot ; et nous ajouterons tout de suite qu’il ne s’agit pas davantage de «mysticisme » ; mais ce dernier point touche directement à d’autres questions, que nous envisagerons dans la seconde partie de cette étude.

A suivre...

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    je remercie l'auteur de ce blog pour la mise à disposition du PDF de Guénon sur l' "ESOTERISME CHRETIEN" , PDf que je n'avais pas encore lu et que j'ai parcouru dans la nuit d'hier.

    Cependant voici mon avis sur ce recueil de textes :

    Ce que GUENON appelle ésotérisme est une chose. Ce qu'on appelle Chrétien en est une autre.
    Les arguments de Guénon se divisent 3 groupes dont 2 se situent clairement en dehors du Christianisme : ce sont :
    1/ l'ésotérisme païen Celte autochtone à l'Occident, dont le vernis chrétien, tout à fait superficiel, n'autorise pas à parler d'Esotérisme Chrétien, mais Occidental.
    2/ La question des Fidèles d'Amor et de Dante, située à la fin du Haut Moyen Âge et dans un zone très fréquentée par le commerce oriental et les influences qui vont avec : là aussi, il peut s'agir d'ésotérisme mais pas de Christianisme ni d'Occident. Seulement, une adaptation d'un produit d'importation en contrebande.
    3/ Enfin, il y a l'ésotérisme de la Religion Chrétienne, comme telle, qui aborde 4 points :
    a/ Melchisedec, qui est antérieur au Christianisme
    b/ les Rois-Mages, qui correspondent aussi à une tradition antérieure au Christianisme et située dans la grande Perse.
    c/ l'interprétation des sacrements et des structures de l'Eglise comme des restes "exotérisés " d'une société ésotérique fermée.
    d/ des allusions à "l'Eglise de Jean ".

    Deux arguments CONTRE GUENON
    A]Je travaille en ce moment sur l'Application de l'Ontologie Panlogique à l'Evangile . Ce travail s'intule JESUS. Le fond du message n'est pas un "secret", encore moins un secret d' "élite" réservé à des "initiés" .
    B] GUENON dit à juste titre que JESUS est DIEU. Et se proclame Musulman. Il a donc le sens de la Contradiction. Ce qui est injustifiable , insignifiant et impardonnable.

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    1. Merci de l’avoir lu.... mais si en effet le livre peut se lire très vite (une centaine de pages) je suis singulièrement surprise que vous puissiez en avoir extrait « l’essence » en une nuit et la teneur de votre message me fait penser vous l’avez peut-être envisagé d’une manière trop « impulsive » et superficielle.

      L’ésotérisme est commun à toutes les traditions régulières et procède de la tradition primordiale. Par conséquent vouloir en « extraire » le christianisme n’a aucun sens à moins que vous ne vouliez suggérer par là que le christianisme n’est pas une forme régulière et légitime ??? Je doute que ce soit votre finalité mais c’est pourtant bien là que vous mènerait ce type de « raisonnement » si on le poursuit jusqu’au bout...

      Parler d’ésotérisme païen est donc un non-sens. Quant à la tradition druidique, c’est l’approche purement « historique » et moderne qui fausse la compréhension de sa teneur réelle.

      Mais vous inversez les rapports légitimes ! L’ésotérisme ne vient pas « à la suite » d’une forme d’exotérisme. Il EST de tous temps de même que ce que Guénon nomme « le gouvernement ésotérique du monde » et qui se rattache à Melchisédech. Sur le sujet, vous devriez lire « Le Roi du Monde » pour approfondir les liens avec les « rois mages » justement.
      Je vous conseillerai également ce texte : http://lapieceestjouee.blogspot.com/2018/07/lecorce-et-le-noyau.html

      Je ne sais pas comment vous avez lu ce livre mais le christianisme d'origine est bien une tarîqa qui a subi une adaptation (puisque la mission du Christ a été rejetée par les juifs) pour devenir une religion ; donc les rites ont une origine initiatique mais plus aucune valeur initiatique lorsqu’ils deviennent religieux.

      Le débat sur la nature de Jésus est un vaste débat, il n'est pas Dieu mais une partie de sa nature est divine et l'autre humaine comme le proclamaient les Nestoriens qui d'ailleurs refusaient d'appeler Marie mère de Dieu mais mère du Christ. Le point de vue que l'on adopte pour traiter cette question est évidemment fondamental selon qu’il s’agisse d’ésotérisme ou si on en reste au point de vue (légitime mais limité) exotérique.

      Pour conclure, je ne sais pas quel est le but que vous poursuiviez en voulant mettre en doute la légitimité et la présentation de Guénon sur ces sujets au « moyen de » votre érudition (que je ne nie pas), mais cela n’est pas acceptable. Il est des choses qui ne se discutent pas et l’enseignement de Guénon en fait, pour moi, partie.

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