samedi 28 juillet 2018

Opposition des anges et chute de l’homme – CA GILIS - Partie 2 (fin)


Rappel : 

Ce livre de M. Gilis n'est pas disponible sur Internet ; c'est donc une recopie du chapitre que j'ai faite du chapitre pour le partager ici.

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage papier ici :
Le Turban noir

Si vous notez des fautes de frappe, n'hésitez pas à me les signaler... :-)




Ibn Arabî commente le verset : « Et Nous dîmes : ô Adam, habite (26), toi et ton épouse, le Paradis et mangez de ce qu’il procure à votre aise, partout où vous le désirez, et n’approchez pas de cet Arbre car vous seriez d’entre les injustes » (Cor. 2, 35) en faisant observer que la défense divine porte uniquement sur le fait de s’approcher de l’Arbre et non d’en manger les fruits. En effet, il s’agit de « l’Arbre de l’Immortalité et d’un Royaume impérissable » (Cor. 20, 120) qui renferme le secret de la Promesse divine. Dés lors, « ils furent punis pour s’être approchés, non pour avoir mangé. Ensuite, ils obtinrent ce que conférait l’Arbre à celui qui en mangeait les fruits (27), c’est-à-dire l’Immortalité et un Royaume impérissable » (28).
En prenant l’initiative de s’approcher et de manger, Adam sortait de sa condition servitoriale d’être contingent dont le principe est de « ne pas agir » en l’absence d’un ordre provenant du seul Agent véritable.

26 – L’emploi du singulier indique de l’Adam « axial » avait conservé sa nature androgyne.
27 – L’Arbre, qui est un symbole de l’Homme primordial, n’est en réalité rien d’autre l’Adam-Calife.
28 – Futûhât, chap. 264.

Le but de la « punition » divine est de rappeler à Adam que l’extinction dans la servitude est l’essence du Califat (29). Cette punition ne fut pas l’exclusion du Paradis, mais uniquement l’apparition des maux inhérents à l’entrée au sein de la manifestation grossière, à laquelle s’ajoutait le fait qu’Adam et Eve furent réunis avec Iblîs dans le même Commandement divin : « Soyez précipités (30) ! ». En effet, Adam après sa chute « reçut de son Seigneur des paroles, de sorte qu’il revint à Lui » (Cor. 2, 37) ; selon une interprétation d’Ibn Arabî, ces paroles sont celles reproduites dans un autre verset de la façon suivante : « Notre Seigneur, nous avons été injustes à l’égard de nous-mêmes et si Tu ne nous couvres (31) pas et ne nous fait pas miséricorde, nous serons assurément d’entre les perdants. » (Cor. 7, 23).
Le Cheikh  souligne que ce discours n’est pas une marque de repentir mais une reconnaissance (i’tirâf) de la vérité contenue dans l’Annonce divine « Et n’approchez pas de cet Arbre car vous seriez d’entre les injustes » comprise dans le sens : « d’entre ceux qui se font tort à eux-mêmes quand ils ne sont pas couverts par un Ordre divin » ; d’où, précisément, la demande qu’Adam adresse au Très-Haut de lui donner une « couverture » miséricordieuse (32).

29 – Cf. Ibid., chap. 39 ; vol. 3, p. 404-405 de l’éd. O. Yahya. Un rapprochement s’impose ici avec le « ne vous en approchez pas » de Cor. 2, 187 ; d’autant plus que le Jeûne est lui-même un symbole du « non-Agir ».
30 – Hbitû (Cor. 2, 36).
31 – Rappelons que c’est le sens ésotérique du verbe ghafara.
32 – Au chapitre 74 des Futûhât, Ibn Arabî tire de ce verset (Cor. 7, 23) un enseignement initiatique caractéristique des « Connaissants de type adamique » selon lequel le repentir (tawba) implique uniquement la reconnaissance des fautes, accompagnée d’une demande adressée à Allâh de ne plus en commettre de pareilles, non la résolution de ne plus en commettre car celle-ci « serait, à tous les points de vue, la marque d’une inconvenance à l’égard d’Allâh » et une méconnaissance de Son Décret existentiateur. 

Les « paroles reçues » apparaissent comme le signe de l’Election divine, du « retour de grâce » et de la Guidance mentionnés au verset 122 de la sourate Tâ-Hâ : « Ensuite, son Seigneur l’a élu, a fait retour vers lui et (l’) a guidé (33). » Loin d’être un châtiment, la chute d’Adam et sa descente dans le monde terrestre furent l’accomplissement de l’annonce faite aux Anges : « Ce fut une descente d’ennoblissement (tashrîf) et d’honneur (takrîm) (34) », « une descente de souveraineté et de lieutenance, non de rejet ; un abaissement quant au lieu occupé, non quant au degré atteint «  (35) car « Adam faisait retour à l’élément originel dont il avait été créé et qui est la terre (turâb). Allâh le fit descendre en vue du Califat, conformément à Sa Parole : « Je vais établir sur la terre un Calife » ; sa descente ne fut pas une punition (‘uqûba) mais une simple conséquence (‘aqîb) (36) de ce qu’il avait fait. En revanche, Il fit descendre Eve en vue de la procréation et Iblis pour le punir, non pour le rendre à son élément originel : la Terre n’était pas sa demeure et ce n’est pas à partir d’elle qu’il avait été créé » (37).

33 – Sur ce point, cf. ibid., chap. 313.
34 – Ibid.
35 – Ibid., chap.74.
36 – ‘Aqîb est de la même racine que ‘uqûba.
37 – Ibid., chap. 337.

Nous avons souligné déjà le lien entre la fondation du Califat et l’idée de transgression et de désobéissance (38) : de même que l’opposition des Anges les soumet au pouvoir d’Adam, de même les péchés des Fils d’Adam établissement sur eux la souveraineté de la Pierre Noire dont la descente en ce monde accompagne la sienne (39).
Rappelons qu’à sa sortie du Paradis la Pierre apparut, suivant le hadîth, « d’une blancheur plus intense que celle du lait (40) ; ce sont les péchés des Fils d’Adam qui, par la suite, la rendirent noire (sawwadat-hu) » (41).
Ibn Arabi commente ainsi ce hadîth : « Sans la faute d’Adam – sur lui la Paix ! – sa seigneurie ne se serait pas manifestée en ce monde : c’est elle qui l’a rendu maître (sawwada) et lui a donné l’Election divine en héritage ; s’il est sorti du Paradis, par sa faute, c’est pour qu’apparaisse sa seigneurie.
De même, la Pierre Noire, qui était blanche lorsqu’elle sortit (du Paradis), doit nécessairement, lorsqu’elle y retournera, porter une marque qui la distinguera de ses pareilles ; c’est pourquoi ‘Dieu) l’a parée de la robe d’honneur de la Proximité divine et lui a conféré la dignité d’être Sa Droite dont Il a pétri l’argile d’Adam lorsqu’Il la créé. Ce sont les péchés des Fils d’Adam qui, tout en la noircissant, établirent sa seigneurie (42) : (la Pierre Noire) devint « seigneur » du fait qu’ils l’embrassèrent (43).
La couleur noire est la seule qui symbolise la seigneurie ; c’est pourquoi Allâh a revêtu (la Pierre) de cette couleur (comme d’une robe d’honneur), pour que l’on sache qu’Il l’avait rendue « maître », comme Il l’avait fait pour Adam : la chute (de cette Pierre) fut l’établissement d’un Califat non une chute d’éloignement.
Le fait que sa noirceur soit attribuée aux péchés des Fils d’Adam est comparable à l’élection et à la seigneurie que celui-ci obtint « par sa faute » (44). »
La couleur noire, qui correspond à la Terre parmi les éléments (45), apparaît ici clairement comme l’emblème du Califat humain  (46).

38 – Cf. supra, p. 81.
39 – Cf. La doctrine initiatique du Pèlerinage, p. 67-68.
40 – Cette allusion au lait contient une référence à la Fitra primordiale ; cf. ibid., p.68 et Marie en Islam, p.97.
41 – Comme la Pierre Noire est la « Droite d’Allâh », l’acte d’allégeance que lui font tous ceux qui visitent la Maison d’Allâh établit une analogie entre sa fonction et le Califat primordial. Selon Michel Vâlsan : « Allâh prit le Pacte écrit qui avait été conclu avec les descendants d’Adam et l’enferma dans la Pierre... c’est pourquoi la Pierre témoignera le Jour de la Résurrection contre ceux qui voudraient nier l’existence du Pacte Primordial » ; cf. L’Islam et la fonction de René Guénon, p.174.
42 – Le texte arabe ne comporte ici que le mot sawwada dont l’ambivalence commande le sens de tout le passage, puisqu’il signifie à la fois « rendre noir » et « rendre seigneur » ; nous l’avons traduit par l’expression «  en la noircissant établirent sa seigneurie ».
43 – Le rite qui consiste à embrasser la Pierre Noire équivaut à baiser la Droite d’Allâh et constitue, par excellence, l’acte d’allégeance.
44 – Futûhât, chap. 72.
45 – Tandis que la couleur blanche symbolise l’Ether primordial, et la couleur rouge le Feu originel du « monde  intermédiaire ».
46 – Elle est associée aussi à l’instauration de l’Islam comme Loi divine universelle. Rappelons qu’au moment de la Conquête de La Mekke le Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – fit les tournées rituelles autour de la Kaaba sans quitter sa monture et coiffé d’un turban noir.



2 commentaires:

  1. Très très intéressant ces 2 articles.

    Merci Ligeia pour ces partages qui font réfléchir sur des passages du coran.

    J'ai découvert Ibn Arabi grâce a toi et Rorschach, j'en avais vaguement entendu parler il y a qqs années mais je n'étais pas allé plus loin...



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    1. Merci de lire leurs écrits, Ray :-)
      D'autres vont suivre, mais il faut que je les tape...

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