J’avais attendu le résultat de la coupe du monde pour
publier ce texte me disant que si la France gagnait, il serait d’autant plus explicite...
Guénon nous y parle de la « fabrique des opinions »,
de la foule... et de l’illusion que représentent la démocratie et notre
suffrage universel.
Quant à notre chère « égalité pour tous » ce n’est
qu’une dérive bien dangereuse car elle nie les principes fondamentaux.
Nous n’entendons pas, dans cette étude, nous attacher spécialement au
point de vue social, qui ne nous intéresse que très indirectement, parce qu’il
ne représente qu’une application assez lointaine des principes fondamentaux, et
que, par conséquent, ce n’est point dans ce domaine que pourrait, en tout état
de cause, commencer un redressement du monde moderne.
Ce redressement, en effet, s’il
était ainsi entrepris à rebours, c’est-à-dire en partant des conséquences au
lieu de partir des principes, manquerait forcément de base sérieuse et serait
tout à fait illusoire ; rien de stable ne pourrait jamais en résulter, et tout
serait à recommencer incessamment, parce qu’on aurait négligé de s’entendre
avant tout sur les vérités essentielles. C’est pourquoi il ne nous est pas
possible d’accorder aux contingences politiques, même en donnant à ce mot son
sens le plus large, une valeur autre que celle de simples signes extérieurs de
la mentalité d’une époque ; mais, sous ce rapport même, nous ne pouvons pas non
plus passer entièrement sous silence les manifestations du désordre moderne
dans le domaine social proprement dit.
Comme nous l’indiquions tout à
l’heure, personne, dans l’état présent du monde occidental, ne se trouve plus à
la place qui lui convient normalement en raison de sa nature propre ; c’est ce
qu’on exprime en disant que les castes n’existent plus, car la caste, entendue
dans son vrai sens traditionnel, n’est pas autre chose que la nature
individuelle elle-même, avec tout l’ensemble des aptitudes spéciales qu’elle
comporte et qui prédisposent chaque homme à l’accomplissement de telle ou telle
fonction déterminée.
Dès lors que l’accession à des
fonctions quelconques n’est plus soumise à aucune règle légitime, il en résulte
inévitablement que chacun se trouvera amené à faire n’importe quoi, et souvent
ce pour quoi il est le moins qualifié ; le rôle qu’il jouera dans la société
sera déterminé, non pas par le hasard, qui n’existe pas en réalité (1), mais
par ce qui peut donner l’illusion du hasard, c’est-à-dire par l’enchevêtrement
de toutes sortes de circonstances accidentelles ; ce qui y interviendra le
moins, ce sera précisément le seul facteur qui devrait compter en pareil cas,
nous voulons dire les différences de nature qui existent entre les hommes. La
cause de tout ce désordre, c’est la négation de ces différences elles-mêmes,
entraînant celle de toute hiérarchie sociale ; et cette négation, d’abord
peut-être à peine consciente et plus pratique que théorique, car la confusion
des castes a précédé leur suppression complète, ou, en d’autres termes, on
s’est mépris sur la nature des individus avant d’arriver à n’en plus tenir
aucun compte, cette négation, disons-nous, a été ensuite érigée par les
modernes en pseudo-principe sous le nom d’« égalité ».
1 Ce que les hommes appellent le hasard est
simplement leur ignorance des causes ; si l’on prétendait, en disant que
quelque chose arrive par hasard, vouloir dire qu’il n’y a pas de cause, ce
serait là une supposition contradictoire en elle-même.
Il serait trop facile de montrer que l’égalité ne peut exister nulle
part, pour la simple raison qu’il ne saurait y avoir deux êtres qui soient à la
fois réellement distincts et entièrement semblables entre eux sous tous les
rapports ; et il ne serait pas moins facile de faire ressortir toutes les
conséquences absurdes qui découlent de cette idée chimérique, au nom de
laquelle on prétend imposer partout une uniformité complète, par exemple en
distribuant à tous un enseignement identique, comme si tous étaient
pareillement aptes à comprendre les mêmes choses, et comme si, pour les leur
faire comprendre, les mêmes méthodes convenaient à tous indistinctement.
On peut d’ailleurs se demander s’il ne s’agit pas plutôt d’« apprendre
» que de « comprendre » vraiment, c’est-à-dire si la mémoire n’est pas
substituée à l’intelligence dans la conception toute verbale et « livresque »
de l’enseignement actuel, où l’on ne vise qu’à l’accumulation de notions
rudimentaires et hétéroclites, et où la qualité est entièrement sacrifiée à la
quantité, ainsi que cela se produit partout dans le monde moderne pour des
raisons que nous expliquerons plus complètement par la suite : c’est toujours
la dispersion dans la multiplicité.
Il y aurait, à ce propos, bien des choses à dire sur les méfaits de l’« instruction obligatoire » ; mais ce n’est pas le lieu d’insister là-dessus, et, pour ne pas sortir du cadre que nous nous sommes tracé, nous devons nous contenter de signaler en passant cette conséquence spéciale des théories « égalitaires », comme un de ces éléments de désordre qui sont aujourd’hui trop nombreux pour qu’on puisse même avoir la prétention de les énumérer sans en omettre aucun.
Il y aurait, à ce propos, bien des choses à dire sur les méfaits de l’« instruction obligatoire » ; mais ce n’est pas le lieu d’insister là-dessus, et, pour ne pas sortir du cadre que nous nous sommes tracé, nous devons nous contenter de signaler en passant cette conséquence spéciale des théories « égalitaires », comme un de ces éléments de désordre qui sont aujourd’hui trop nombreux pour qu’on puisse même avoir la prétention de les énumérer sans en omettre aucun.
Naturellement, quand nous nous trouvons en présence d’une idée comme
celle d’« égalité », ou comme celle de « progrès », ou comme les autres «
dogmes laïques » que presque tous nos contemporains acceptent aveuglément, et
dont la plupart ont commencé à se formuler nettement au cours du XVIIIe siècle,
il ne nous est pas possible d’admettre que de telles idées aient pris naissance
spontanément.
Ce sont en somme de véritables « suggestions », au sens le plus strict de ce mot, qui ne pouvaient d’ailleurs produire leur effet que dans un milieu déjà préparé à les recevoir ; elles n’ont pas créé de toutes pièces l’état d’esprit qui caractérise l’époque moderne, mais elles ont largement contribué à l’entretenir et à le développer jusqu’à un point qu’il n’aurait sans doute pas atteint sans elles. Si ces suggestions venaient à s’évanouir, la mentalité générale serait bien près de changer d’orientation ; c’est pourquoi elles sont si soigneusement entretenues par tous ceux qui ont quelque intérêt à maintenir le désordre, sinon à l’aggraver encore, et aussi pourquoi, dans un temps où l’on prétend tout soumettre à la discussion, elles sont les seules choses qu’on ne se permet jamais de discuter.
Ce sont en somme de véritables « suggestions », au sens le plus strict de ce mot, qui ne pouvaient d’ailleurs produire leur effet que dans un milieu déjà préparé à les recevoir ; elles n’ont pas créé de toutes pièces l’état d’esprit qui caractérise l’époque moderne, mais elles ont largement contribué à l’entretenir et à le développer jusqu’à un point qu’il n’aurait sans doute pas atteint sans elles. Si ces suggestions venaient à s’évanouir, la mentalité générale serait bien près de changer d’orientation ; c’est pourquoi elles sont si soigneusement entretenues par tous ceux qui ont quelque intérêt à maintenir le désordre, sinon à l’aggraver encore, et aussi pourquoi, dans un temps où l’on prétend tout soumettre à la discussion, elles sont les seules choses qu’on ne se permet jamais de discuter.
Il est d’ailleurs difficile de déterminer exactement le degré de sincérité de ceux qui se font les propagateurs de semblables idées, de savoir dans quelle mesure certains hommes en arrivent à se prendre à leurs propres mensonges et à se suggestionner eux-mêmes en suggestionnant les autres ; et même, dans une propagande de ce genre, ceux qui jouent un rôle de dupes sont souvent les meilleurs instruments, parce qu’ils y apportent une conviction que les autres auraient quelque peine à simuler, et qui est facilement contagieuse ; mais, derrière tout cela, et tout au moins à l’origine, il faut une action beaucoup plus consciente, une direction qui ne peut venir que d’hommes sachant parfaitement à quoi s’en tenir sur les idées qu’ils lancent ainsi dans la circulation.
Nous avons parlé d’« idées », mais ce n’est que très improprement que
ce mot peut s’appliquer ici, car il est bien évident qu’il ne s’agit aucunement
d’idées pures, ni même de quelque chose qui appartienne de près ou de loin à
l’ordre intellectuel ; ce sont, si l’on veut, des idées fausses, mais mieux
vaudrait encore les appeler des « pseudo-idées », destinées principalement à
provoquer des réactions sentimentales, ce qui est en effet le moyen le plus
efficace et le plus aisé pour agir sur les masses.
À cet égard, le mot a d’ailleurs une importance plus grande que la notion qu’il est censé représenter, et la plupart des « idoles » modernes ne sont véritablement que des mots, car il se produit ici ce singulier phénomène connu sous le nom de « verbalisme », où la sonorité des mots suffit à donner l’illusion de la pensée ; l’influence que les orateurs exercent sur les foules est particulièrement caractéristique sous ce rapport, et il n’y a pas besoin de l’étudier de très près pour se rendre compte qu’il s’agit bien là d’un procédé de suggestion tout à fait comparable à ceux des hypnotiseurs.
À cet égard, le mot a d’ailleurs une importance plus grande que la notion qu’il est censé représenter, et la plupart des « idoles » modernes ne sont véritablement que des mots, car il se produit ici ce singulier phénomène connu sous le nom de « verbalisme », où la sonorité des mots suffit à donner l’illusion de la pensée ; l’influence que les orateurs exercent sur les foules est particulièrement caractéristique sous ce rapport, et il n’y a pas besoin de l’étudier de très près pour se rendre compte qu’il s’agit bien là d’un procédé de suggestion tout à fait comparable à ceux des hypnotiseurs.
Mais, sans nous étendre davantage sur ces considérations, revenons aux
conséquences qu’entraîne la négation de toute vraie hiérarchie, et notons que,
dans le présent état de choses, non seulement un homme ne remplit sa fonction
propre qu’exceptionnellement et comme par accident, alors que c’est le cas
contraire qui devrait normalement être l’exception, mais encore il arrive que
le même homme soit appelé à exercer successivement des fonctions toutes
différentes, comme s’il pouvait changer d’aptitudes à volonté.
Cela peut sembler paradoxal à une époque de « spécialisation » à
outrance, et pourtant il en est bien ainsi, surtout dans l’ordre politique ; si
la compétence des « spécialistes » est souvent fort illusoire, et en tout cas
limitée à un domaine très étroit, la croyance à cette compétence est cependant
un fait, et l’on peut se demander comment il se fait que cette croyance ne joue
plus aucun rôle quand il s’agit de la carrière des hommes politiques, où
l’incompétence la plus complète est rarement un obstacle.
Pourtant, si l’on y réfléchit, on s’aperçoit aisément qu’il n’y a là
rien dont on doive s’étonner, et que ce n’est en somme qu’un résultat très
naturel de la conception « démocratique », en vertu de laquelle le pouvoir
vient d’en bas et s’appuie essentiellement sur la majorité, ce qui a
nécessairement pour corollaire l’exclusion de toute véritable compétence, parce
que la compétence est toujours une supériorité au moins relative et ne peut
être que l’apanage d’une minorité.
Ici, quelques explications ne seront pas inutiles pour faire
ressortir, d’une part, les sophismes qui se cachent sous l’idée « démocratique
», et, d’autre part, les liens qui rattachent cette même idée à tout l’ensemble
de la mentalité moderne ; il est d’ailleurs presque superflu, étant donné le
point de vue où nous nous plaçons, de faire remarquer que ces observations
seront formulées en dehors de toutes les questions de partis et de toutes les
querelles politiques, auxquelles nous n’entendons nous mêler ni de près ni de
loin.
Fin partie 1....
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