« Aperçus sur
l’initiation », chap. XXXIII
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Beaucoup de confusions sur le sujet. Il ne faut pas mélanger le "pur Intellect" dont parle Guénon et l'instruction profane.
La lecture de Guénon n’est pas « simple » j’en conviens ;
mais est-ce sa faute si la compréhension actuelle s’accommode mieux d’images et
de sons plutôt que de livres et de textes ? Cette paresse intellectuelle n’est
certes pas encouragée par ce Maître.
Ses livres ne s’adressent qu’à ceux « qui pourront comprendre ce
dont il s’agit » mais il faut se rappeler aussi que « l’ignorant peut
avoir en lui des possibilités de compréhension auxquelles il n’a manqué qu’une
occasion pour se développer ».
L’instruction « profane » ou extérieure peut fournir des moyens
d’action supplémentaires ; il n'est judicieux ni de la rejeter ni de l’encenser
mais de la mettre à juste place à la fois sans se leurrer sur sa portée ni en y
restant enfermé.
« Les savants et les philosophes les plus éminents dans leurs
spécialités peuvent n’être aucunement qualifiés pour faire partie de cette
élite ; il y a même beaucoup de chances pour qu’ils ne le soient pas, en raison
des habitudes mentales qu’ils ont acquises, des multiples préjugés qui en sont
inséparables, et surtout de cette « myopie intellectuelle » qui en est la plus
ordinaire conséquence ; il peut toujours y avoir d’honorables exceptions,
assurément, mais il n’y faudrait pas trop compter. D’une façon générale, il y a
plus de ressources avec un ignorant qu’avec celui qui s’est spécialisé dans un
ordre d’études essentiellement limité, et qui a subi la déformation inhérente à
une certaine éducation. »
Nous avons déjà fait remarquer précédemment qu’il faut bien se garder
de toute confusion entre la connaissance doctrinale d’ordre initiatique, même
lorsqu’elle n’est encore que théorique et simplement préparatoire à la «
réalisation », et tout ce qui est instruction purement extérieure ou savoir
profane, qui est en réalité sans aucun rapport avec cette connaissance.
Cependant, nous devons insister encore plus spécialement sur ce point,
car nous n’avons eu que trop souvent à en constater la nécessité : il faut en
finir avec le préjugé trop répandu qui veut que ce qu’on est convenu d’appeler
la « culture », au sens profane et « mondain », ait une valeur quelconque, ne
fût-ce qu’à titre de préparation, vis-à-vis de la connaissance initiatique
alors qu’elle n’a et ne peut avoir véritablement aucun point de contact avec
celle-ci.
En principe, il s’agit bien là, purement et simplement, d’une absence
de rapport : l’instruction profane, à quelque degré qu’on l’envisage, ne peut
servir en rien à la connaissance initiatique, et (toutes réserves faites sur la
dégénérescence intellectuelle qu’implique l’adoption du point de vue profane
lui-même) elle n’est pas non plus incompatible avec elle (1) ; elle apparaît
uniquement, à cet égard, comme une chose indifférente, au même titre que
l’habileté manuelle acquise dans l’exercice d’un métier mécanique, ou encore
que la « culture physique » qui est si fort à la mode de nos jours.
Au fond, tout cela est exactement du même ordre pour qui se place au
point de vue qui nous occupe ; mais le danger est de se laisser prendre à
l’apparence trompeuse d’une prétendue « intellectualité » qui n’a absolument
rien à voir avec l’intellectualité pure et véritable, et l’abus constant qui
est fait précisément du mot « intellectuel » par nos contemporains suffit à
prouver que ce danger n’est que trop réel.
1 Il
est évident que, notamment, celui qui reçoit dès son enfance l’instruction
profane et « obligatoire » dans les écoles ne saurait en être tenu pour
responsable, ni être regardé pour cela comme « disqualifié » pour l’initiation
; toute la question est de savoir quelle « empreinte » il en gardera par la
suite, car c’est là ce qui dépend réellement de ses possibilités propres.
Il en résulte souvent, entre autres inconvénients, une tendance à
vouloir unir ou plutôt mêler entre elles des choses qui sont d’ordre totalement
différent ; sans reparler à ce propos de l’intrusion d’un genre de « spéculation
» tout profane dans certaines organisations initiatiques occidentales, nous
rappellerons seulement la vanité, que nous avons eu maintes occasions de
signaler, de toutes les tentatives faites pour établir un lieu ou une
comparaison quelconque entre la science moderne et lu connaissance
traditionnelle (1).
Certains vont même, en ce sens, jusqu’à prétendre trouver dans la première
des « confirmations » de la seconde, comme si celle-ci, qui repose sur les
principes immuables, pouvait tirer le moindre bénéfice d’une conformité
accidentelle et tout extérieure avec quelques-uns des résultats hypothétiques
et sans cesse changeants de cette recherche incertaine et tâtonnante que les
modernes se plaisent à décorer du nom de « science » !
Mais ce n’est pas sur ce côté de la question que nous avons à insister
surtout présentement, ni même sur le danger qu’il peut y avoir, lorsqu’on accorde
une importance exagérée à ce savoir inférieur (et souvent même tout à fait
illusoire), d’y consacrer toute son activité au détriment d’une connaissance
supérieure, dont la possibilité même arrivera ainsi à être totalement, méconnue
ou ignorée. On ne sait que trop que ce cas est en effet celui de l’immense
majorité de nos contemporains ; et, pour ceux-là, la question d’un rapport avec
la connaissance initiatique, ou même traditionnelle en général, ne se pose
évidemment plus, puisqu’ils ne soupçonnent même pas l’existence d’une telle
connaissance.
Mais, sans même aller jusqu’à cet extrême, l’instruction profane peut
constituer bien souvent en fait, sinon en principe, un obstacle à l’acquisition
de la véritable connaissance, c’est-à-dire tout le contraire d’une préparation
efficace, et cela pour diverses raisons sur lesquelles nous devons maintenant
nous expliquer un peu plus en détail. D’abord, l’éducation profane impose
certaines habitudes mentales dont il peut être plus ou moins difficile de se
défaire par la suite ; il n’est que trop aisé de constater que les limitations
et même les déformations qui sont l’ordinaire conséquence de l’enseignement
universitaire sont souvent irrémédiables ; et, pour échapper entièrement à
cette fâcheuse influence, il faut des positions spéciales qui ne peuvent être
qu’exceptionnelles.
Nous parlons ici d’une façon tout à fait générale, et nous
n’insisterons pas sur tels inconvénients plus particuliers, comme l’étroitesse
de vues qui résulte inévitablement de la « spécialisation », ou la « myopie
intellectuelle » qui est l’habituel accompagnement de l’« érudition » cultivée
pour elle-même ; ce qu’il est essentiel d’observer, c’est que, si la
connaissance profane en elle-même est simplement indifférente, les méthodes par
lesquelles elle est inculquée sont en réalité la négation même de celles qui
ouvrent l’accès à la connaissance initiatique. Ensuite, il faut tenir compte,
comme d’un obstacle qui est loin d’être négligeable, de cette sorte
d’infatuation qui est fréquemment causée par un prétendu savoir, et qui est
même, chez bien des gens, d’autant plus accentuée que ce savoir est plus
élémentaire, inférieur et incomplet ; d’ailleurs, même sans sortir des
contingences de la « vie ordinaire », les méfaits de l’instruction primaire à
cet égard sont aisément reconnus de tous ceux que n’aveuglent pas certaines
idées préconçues. Il est évident que, de deux ignorants, celui qui se rend
compte qu’il ne sait rien est dans une disposition beaucoup plus favorable à
l’acquisition de la connaissance que celui qui croit savoir quelque chose ; les
possibilités naturelles du premier sont intactes, pourrait-on dire, tandis que
celles du second sont comme « inhibées » et ne peuvent plus se développer
librement.
1
Cf. notamment Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII et
XXXII.
D’ailleurs, même en admettant une égale bonne volonté chez les deux
individus considérés, il n’en resterait pas moins, dans tous les cas, que l’un
d’eux aurait tout d’abord à se débarrasser des idées fausses dont son mental
est encombré, tandis que l’autre serait tout au moins dispensé de ce travail
préliminaire et négatif, qui représente un des sens de ce que l’initiation
maçonnique désigne symboliquement comme le « dépouillement des métaux ».
On peut s’expliquer facilement par là un fait que nous avons eu
fréquemment l’occasion de constater en ce qui concerne les gens dits « cultivés
» ; on sait ce qui est entendu communément par ce mot : il ne s’agit même pas
là d’une instruction tant soit peu solide, si limitée et si inférieure qu’en
soit la portée, mais d’une « teinture » superficielle de toute sorte de choses,
d’une éducation surtout « littéraire », en tout cas purement livresque et
verbale, permettant de parler avec assurance de tout, y compris ce qu’on ignore
le plus complètement, et susceptible de faire illusion à ceux qui, séduits par
ces brillantes apparences, ne s’aperçoivent pas qu’elles ne recouvrent que le
néant. Cette « culture » produit généralement, à un autre niveau, des effets
assez comparables.
A ceux que nous rappelions tout à l’heure au sujet de l’instruction·
primaire ; il y a certes des exceptions, car il peut arriver que celui qui a
reçu une telle « culture » soit doué d’assez heureuses dispositions naturelles
pour ne l’apprécier qu’à sa juste valeur et ne point en être dupe lui-même ;
mais nous n’exagérons rien en disant que, en dehors de ces exceptions, la
grande majorité des gens « cultivés » doivent être comptés parmi ceux dont
l’état mental est le plus défavorable à la réception de la véritable
connaissance. Il y a chez eux, vis-à-vis de celle-ci, une sorte de résistance
souvent inconsciente, parfois aussi voulue ; ceux mêmes qui ne nient pas
formellement, de parti pris et a priori, tout ce qui est d’ordre ésotérique ou
initiatique, témoignent du moins à cet égard d’un manque d’intérêt complet, et
il arrive même qu’ils affectent de faire étalage de leur ignorance de ces
choses, comme si elle était à leurs propres yeux une des marques de la
supériorité que la « culture » est censée leur conférer !
Qu’on ne croie pas qu’il y ait là de notre part la moindre intention
caricaturale ; nous ne faisons que dire exactement ce que nous avons vu en
maintes circonstances, non seulement en Occident, mais même en Orient, où
d’ailleurs ce type de l’homme « cultivé » a heureusement assez peu
d’importance, n’ayant fait son apparition que très récemment et comme produit
d’une certaine éducation « occidentalisée », d’où il résulte, notons-le en
passant, que cet homme « cultivé » est nécessairement en même temps un «
moderniste » (1) .
1
Sur les rapports de ce « modernisme » avec l’opposition à tout ésotérisme, voir
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch XI.
La conclusion à tirer de là, c’est que les gens de cette sorte sont
tout simplement les moins « initiables » des profanes, et qu’il serait
parfaitement déraisonnable de tenir le moindre compte de leur opinion, ne
fût-ce que pour essayer d’y adapter la présentation de certaines idées ; du
reste, il convient d’ajouter que le souci de l’« opinion publique » en général
est une attitude aussi « anti-initiatique » que possible.
Nous devons encore, à cette occasion, préciser un autre point qui se
rattache étroitement à ces considérations : c’est que toute connaissance
exclusivement « livresque » n’a rien de commun avec la connaissance
initiatique, même envisagée à son stade simplement théorique.
Cela peut même paraître évident après ce que nous venons de dire, car
tout ce qui n’est qu’étude livresque fait incontestablement partie de
l’éducation la plus extérieure ; si nous y insistons, c’est qu’on pourrait se
méprendre dans le cas où cette étude porte sur des livres dont le contenu est
d’ordre initiatique.
Celui qui lit de tels livres à la façon des gens « cultivés », ou même
celui qui les étudie à la façon des « érudits » et selon les méthodes profanes,
n’en sera pas pour cela plus rapproché de la véritable connaissance, parce
qu’il y apporte des dispositions qui ne lui permettent pas d’en pénétrer le
sens réel ni de se l’assimiler à un degré quelconque ; l’exemple des
orientalistes, avec l’incompréhension totale dont ils font généralement preuve,
en est une illustration particulièrement frappante.
Tout autre est le cas de celui qui, prenant ces mêmes livres comme «
supports » de son travail intérieur, ce qui est le rôle auquel ils sont
essentiellement destinés, sait voir au delà des mots et trouve dans ceux-ci une
occasion et un point d’appui pour le développement de ses propres possibilités
; ici, on en revient en somme à l’usage proprement symbolique dont le langage
est susceptible, et dont nous avons déjà parlé précédemment.
Ceci, on le comprendra sans peine, n’a plus rien de commun avec la
simple étude livresque, bien que les livres en soient le point de départ ; le
fait d’entasser dans sa mémoire des notions verbales n’apporte pas même l’ombre
d’une connaissance réelle ; seule compte la pénétration de l’« esprit »
enveloppé sous les formes extérieures, pénétration qui suppose que l’être porte
en lui-même des possibilités correspondantes, puisque toute connaissance est
essentiellement identification ; et, sans cette qualification inhérente à la
nature même de cet être, les plus hautes expressions de la connaissance
initiatique, dans la mesure où elle est exprimable, et les Ecritures sacrées de
toutes les traditions elles-mêmes, ne seront jamais que « lettre morte » et flatus vocis.
Cela me fait penser à ce que je te disais au sujet d'une amie. Est ce une paresse intellectuelle ou autre chose ?
RépondreSupprimerEt si je prends mon exemple, à l'inverse, les acquisitions à la fois en soin et en psycho pourraient ne me faire envisager que le volet "psycho" des choses, mais je m'en sors un peu mieux, même si ce n'est pas optimal : en fait je déplace le concept spirituel sur un terrain que je connais mieux "la psycho" afin de pouvoir comprendre et le remettre à sa place.
Cette "manie" illustre bien les travers acquis par une formation universitaire ou autre, d'ailleurs.
Car, il faut arriver quand même à pouvoir comprendre un concept, sans le déplacer sans cesse sur un terrain avec lequel il est plus ou moins approprié et parvenir à le "saisir" dans son environnement spirituel.
En plus, cette manoeuvre ne fonctionne pas avec tout et, il arrive qu'il faille "triturer" l'idée plutôt métaphysique pour la faire coïncider avec quelque chose de plus "psycho".
J'y arrive peu à peu et ce qui m'étonne est que cela se passe en revenant à des choses (attitudes, façon de résoudre des problèmes, modélisation d'un concept...) que j'avais laissé derrière moi et même oubliées (durant mon enfance et le début de l'adolescence).
Ces temps ci, j'ai l'impression de remuer et trier des vieilleries, comme un fait l'inventaire de sa cave, mais surtout de son grenier (là où l'on place les "vieilles choses").
Pour mon amie, la mettrai devant le fait accompli en lui offrant un premier livre de R.Guénon.