Partie 1 : NÉCESSITÉ
DE L’EXOTÉRISME TRADITIONNEL
Beaucoup semblent douter de la
nécessité, pour qui aspire à l’initiation, de se rattacher tout d’abord à une
forme traditionnelle d’ordre exotérique et d’en observer toutes les
prescriptions ; c’est d’ailleurs là l’indice d’un état d’esprit qui est propre à
l’Occident moderne, et dont les raisons sont sans doute multiples.
Nous n’entreprendrons pas de rechercher quelle part de responsabilité
peuvent y avoir les représentants mêmes de l’exotérisme religieux, que leur
exclusivisme porte trop souvent à nier plus ou moins expressément tout ce qui
dépasse leur domaine ; ce côté de la question n’est pas celui qui nous
intéresse ici ; mais ce qui est plus étonnant, c’est que ceux qui se
considèrent comme qualifiés pour l’initiation puissent faire preuve d’une incompréhension
qui, au fond, est comparable à la leur, quoique s’appliquant d’une façon en
quelque sorte inverse.
En effet, il est admissible qu’un exotériste ignore l’ésotérisme, bien
qu’assurément cette ignorance n’en justifie pas la négation ; mais, par contre,
il ne l’est pas que quiconque a des prétentions à l’ésotérisme veuille ignorer
l’exotérisme, ne fût-ce que pratiquement, car le « plus » doit forcément
comprendre le « moins ».
Du reste, cette ignorance pratique elle-même, qui consiste à regarder comme
inutile ou superflue la participation à une tradition exotérique, ne serait pas
possible sans une méconnaissance même théorique de cet aspect de la tradition,
et c’est là ce qui la rend encore plus grave, car on peut se demander si
quelqu’un chez qui existe une telle méconnaissance, quelles que soient
d’ailleurs ses possibilités, est bien réellement prêt à aborder le domaine
ésotérique et initiatique, et s’il ne devrait pas plutôt s’appliquer à mieux
comprendre la valeur et la portée de l’exotérisme avant de chercher à aller
plus loin.
En fait, il y a là manifestement la conséquence d’un affaiblissement
de l’esprit traditionnel entendu dans son sens général, et il devrait être
évident que c’est cet esprit qu’il faut avant tout restaurer intégralement en
soi-même si l’on veut ensuite pénétrer le sens profond de la tradition ; la
méconnaissance dont il s’agit est, au fond, du même ordre que celle de
l’efficacité propre des rites, si répandue aussi actuellement dans le monde
occidental.
Nous voulons bien admettre que l’ambiance profane dans laquelle vivent
certains leur rende plus difficile la compréhension de ces choses ; mais c’est
précisément contre l’influence de cette ambiance qu’il leur faut réagir sous
tous les rapports, jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à se rendre compte de
l’illégitimité du point de vue profane lui-même ; nous reviendrons là-dessus
tout à l’heure.
Nous avons dit que l’état d’esprit que nous dénonçons ici est
propre à l’Occident ; en effet, il ne peut pas exister en Orient, d’abord à
cause de la persistance de l’esprit traditionnel dont le milieu social tout
entier est encore pénétré (31), et aussi pour une autre raison : là où
l’exotérisme et l’ésotérisme sont liés directement dans la constitution d’une
forme traditionnelle (32), de façon à n’être en quelque sorte que comme les
deux faces extérieure et intérieure d’une seule et même chose, il est
immédiatement compréhensible pour chacun qu’il faut d’abord adhérer à
l’extérieur pour pouvoir ensuite pénétrer à l’intérieur 33 et qu’il ne saurait
y avoir d’autre voie que celle-là.
Cela peut paraître moins évident dans le cas
où, comme il arrive justement dans l’Occident actuel, on se trouve en présence
d’organisations initiatiques n’ayant pas de lien avec l’ensemble d’une forme
traditionnelle déterminée ; mais alors nous pouvons dire que, par là même,
elles sont, en principe tout au moins, compatibles avec tout exotérisme quel
qu’il soit, mais que, au point de vue strictement initiatique qui seul nous
concerne présentement à l’exclusion de la considération des circonstances
contingentes, elles ne le sont pas véritablement avec l’absence d’exotérisme
traditionnel.
31 Nous parlons ici de ce milieu pris dans
son ensemble, et, par conséquent, nous n’avons pas à tenir compte à cet égard
des éléments « modernisés », c’est-à-dire en somme « occidentalisés », qui, si
bruyants qu’ils puissent être, ne constituent encore malgré tout qu’une assez
faible minorité.
32 Nous prenons, pour la facilité de
l’expression, ces deux termes d’exotérisme et d’ésotérisme dans leur acception
la plus large, ce qui ne peut avoir ici aucun inconvénient, car il va de soi
que, même dans une forme traditionnelle où une telle division n’est pas
formellement établie, il y a nécessairement toujours quelque chose qui correspond
à l’un et l’autre de ces deux points devue ; dans ce cas, le lien qui existe
entre eux est d’ailleurs encore plus évident.
33 On peut dire aussi, suivant un
symbolisme assez fréquemment usité, que le « noyau » ne peut pas être atteint
autrement qu’à travers l’« écorce ».
Nous dirons d’abord pour exprimer
les choses de la façon la plus simple, qu’on ne bâtit pas sur le vide ; or
l’existence uniquement profane, dont tout élément traditionnel est exclu, n’est
bien réellement à cet égard que vide et néant.
Si l’on veut construire un
édifice, on doit tout d’abord en établir les fondations ; celles-ci sont la
base indispensable sur laquelle s’appuiera tout l’édifice, y compris ses
parties les plus élevées et elles le demeureront toujours, même quand il sera achevé.
De même, l’adhésion à un exotérisme est une condition préalable pour parvenir à
l’ésotérisme, et, en outre, il ne faudrait pas croire que cet exotérisme puisse
être rejeté dès lors que l’initiation a été obtenue, pas plus que les
fondations ne peuvent être supprimées lorsque l’édifice est construit.
Nous
ajouterons que, en réalité, l’exotérisme, bien loin d’être rejeté, doit être «
transformé » dans une mesure correspondant au degré atteint par l’initié,
puisque celui-ci devient de plus en plus apte à en comprendre les raisons
profondes, et que, par suite, ses formules doctrinales et ses rites prennent
pour lui une signification beaucoup plus réellement importante que celle
qu’elles peuvent avoir pour le simple exotériste, qui en somme est toujours réduit,
par définition même, à n’en voir que l’apparence extérieure, c’est-à-dire ce
qui compte le moins quant à la « vérité » de la tradition envisagée dans son
intégralité.
Ensuite, et ceci nous ramène à une considération à laquelle nous
avons déjà fait allusion plus haut, celui qui ne participe à aucun exotérisme
traditionnel fait par là même, dans son existence, la part la plus large
qui se puisse concevoir au point de vue purement profane, auquel il conformera
forcément, dans ces conditions, toute son activité extérieure.
C’est là, à un
autre niveau et avec des conséquences encore plus étendues, la même erreur que
celle que commettent la majorité de ceux des Occidentaux actuels qui se croient
encore « religieux », et qui font de la religion une chose entièrement à part,
n’ayant avec tout le reste de leur vie aucun contact réel ; une telle erreur
est d’ailleurs encore moins excusable pour qui veut se placer au point de vue
initiatique que pour qui s’en tient au point de vue exotérique, et, dans tous les
cas, on voit sans peine combien cela est loin de répondre à une conception
intégralement traditionnelle.
Au fond, tout cela revient à admettre que, en
dehors ou à côté du domaine traditionnel, il y a un domaine profane dont
l’existence est également valable dans son ordre ; or, comme nous l’avons déjà
dit souvent, il n’y a pas en réalité de domaine profane auquel certaines choses
appartiendraient par leur nature même ; il y a seulement un point de vue
profane, qui n’est que le produit d’une dégénérescence spirituelle de
l’humanité, et qui, par conséquent, est entièrement illégitime.
En principe, on
ne devrait donc faire aucune concession à ce point de vue ; en fait, cela est
assurément bien difficile dans le milieu occidental actuel, peut-être même
impossible dans certains cas et jusqu’à un certain point, car sauf de trop
rares exceptions, chacun s’y trouve obligé, par la seule nécessité des
relations sociales, de se soumettre plus ou moins, et tout au moins en
apparence, aux conditions de la « vie or
De semblables dispositions sont
certainement aussi peu favorables que possible à l’initiation, qui relève d’un
domaine où normalement les influences extérieures ne devraient pénétrer en
aucune façon ; si cependant, par suite des anomalies inhérentes aux conditions
de notre époque, ceux qui ont cette attitude peuvent malgré cela recevoir une
initiation virtuelle, nous doutons fort que, tant qu’ils y persisteront
volontairement, il leur soit possible d’aller plus loin et de passer à l’initiation
effective.
Source :
INITIATION ET RÉALISATION SPIRITUELLE - Chapitre VII
Partie 2 à suivre....
Oui, c'est bien le problème dans cette société occidentale et il ne fait qu'empirer.
RépondreSupprimerQu'en est il de ceux qui ont reçu une initiation exotérique, enfants, et n'ont pas continué ou se voient dans l'impossibilité matérielle................., en tapant le mot, je perçois la source du problème : c'est bien le "matériel" qui empêche, bloque, le spirituel et le sujet (selon Guénon et dans le cas de ce commentaire, moi en tant que sujet), prétendument en "chemin", devrait faire tout pour débloquer cette impossibilité au lieu de chercher des moyens de contourner le problème, en m'apprêtant à dire que l'initiation enfantine suffisait peut être ?
Il n'y a pas d'initiation exotérique.
SupprimerLa religion est exotérique en elle-même car destinée à offrir le salut à la plus grande majorité d'entre nous. Elle ne relève que du domaine de l'individualité et a pour but de communiquer des éléments spirituels au plus grand nombre.
L'initiation elle, est du domaine ésotérique et elle est réservée à une élite. Elle est au-delà des religions (mais liée) et conduit à la Délivrance.
C'est aussi là qu'intervient la distinction entre mystiques (limité au salut) et initiés.
En gros, comme la Délivrance et les aspects supérieurs ne nous sont plus accessibles comme avant, les religions nous ont été offertes pour gagner "au minimum" notre salut....
Tu peux lire cet article sur le sujet :-)
http://esprit-universel.over-blog.com/2015/01/rene-guenon-esoterisme-et-exoterisme.html
Ce dont tu parles c'est peut-être d'une éducation religieuse dés le plus jeune âge ?
bonjour ligeia
Supprimerceci m interpelles :
"En gros, comme la Délivrance et les aspects supérieurs ne nous sont plus accessibles comme avant, les religions nous ont été offertes pour gagner "au minimum" notre salut.... "
pourquoi la delivrance et les aspects supèrieurs ne nous sont plus accessibles ?
quels sont les elements qui te font dire cela ?
merci
Avant la proximité avec Dieu était réelle ; cela est spécifié dans Genèse 4-26 : " (...) C'est alors que l'on commença à invoquer le nom de l'Eternel."
SupprimerChose qu'il n'était pas nécessaire de faire avant ; l'homme a désormais besoin d'un "moyen" pour invoquer ce qui n’est plus directement à sa portée immédiate...
L'Adam originel est l'Homme Universel donc délivré. En chutant sur Terre il n'était plus qu'au niveau de l'état paradisiaque et le cycle allant toujours descendant, il ne pouvait plus atteindre que les états supérieurs de l'être (il y a toujours des exceptions bien entendu mais si rares qu'en parler ne pourrait en fait que créer de la confusion).
Après la chute s'est produit un éloignement du Principe. La Délivrance n'est plus aussi "accessible". La révélation des religions est donc une miséricorde divine pour nous ramener quand même vers Lui.
Tu peux lire cet article sur le sujet :-)
http://esprit-universel.over-blog.com/article-rene-guenon-salut-et-delivrance-1-2-48810714.html
Toute la doctrine des cycles cosmiques nous enseigne que nous n'avons pas cessé de chuter depuis la descente d'Adam. Il est des choses qui étaient habituelles à une époque mais qu'on ne peut même plus envisager de nos jours.
On en trouve souvent la trace dans ce que les modernes appellent les "mythes et légendes".... :-)
salut
Supprimerje pensais que tu avais definitivement fermè la porte de la delivrance et de la connection aux spheres divines superieures a l etre humain durant les cycles de la chute mais ceci :
(il y a toujours des exceptions bien entendu mais si rares qu'en parler ne pourrait en fait que créer de la confusion)."
c est ce que je pensais aussi :)
merci pour ta reponse
Oui, il s'agissait d'une éducation religieuse.
RépondreSupprimerCe que tu dis sur la pauvreté de notre époque, se vérifie hélas, tous les jours, on s'aperçoit que même ceux qui cherchent à vivre loin de cette emprise néfaste, sont impactés à un moment où un autre (essentiellement pour survivre).
C'est pour cela que je me demande, si pour avancer spirituellement (à notre époque), il ne faut pas vivre dans les bois (donc, avoir remis sa vie entre la providence divine, compter sur son savoir faire et son "savoir se débrouiller", au lieu de vouloir continuer à tout penser maîtriser, à travers notre système).
On ne peut plus vivre "un pied dehors, un pied dedans", car, même un orteil suffit pour se retrouver "happé" par la "machine infernale".
Il faut se ménager des temps en dehors de l'agitation moderne cela est sur, ne serait ce que pour se recentrer sur soi et méditer. Mais j'en connais qui sont dans la vie active et qui ont malgré tout un "niveau" fort élevé (vu de ma position en tous cas ! ^ ^) !
SupprimerC'est à chacun de voir selon sa nature ; mais si tu sens que l'extérieur a un impact négatif sur toi, alors oui, coupe les ponts, au moins un temps. :-)
Le salut même s’il reste uniquement d’ordre individuel et religieux est tout de même une bienveillance qui nous est offerte en rapport avec les conditions difficiles de notre fin de cycle.
C’est ce qui est rappelé par Ibn Arabî :
« La pratique l'emportait autrefois comme la science à notre époque et ce fait ne cessera de s'amplifier jusqu'à la descente de Jésus – sur lui la paix –, au point qu'une seule rak’a [unité de prières] accomplie par nous aujourd'hui équivaut à l'adoration d'un homme d'autrefois toute sa vie durant. »
Donc oui, c'est difficile, mais Dieu tiendra compte des conditions cycliques dans lesquelles nous vivons... :-)
salut
Supprimers isoler du monde est parfois nécessaire ,
mais si cela devient une fuite du monde ?
n y a t il pas quelque chose de révélateur en soi ?
je pense que les autres sont nos miroirs et qu ils nous disent quelque chose sur nous memes .
je pense que le monde et ce qu il est devenu est le reflet d une part de nous memes .
si nous fuyons ce monde et les gens tout le temps c'est que peut etre nous avons peur de ce qu ils nous renvoient sur nous memes ?
nous pouvons couper les ponts avec certaines choses de ce monde sans pour autant les fuir.
ainsi nous devenons le miroir spirituel de ceux qui sont prisonniers du materialisme et de tout autre "lourdeur" de ce monde qui n eleve pas spirituellement .eux choisiront de nous fuir ou meme de vouloir notre peau et d autres s interrogeront et peut etre meme trouveront en chacun de nous une reponse a une question spirituel qu ils cherchaient depuis tant d années .
est ce possible ?
666 c'est aussi 18 qui est 1+8 = 9
juste ma vision des choses et ma veritè
Oui, en psychologie le fameux "effet miroir" est très usité, mais tend à tout mêler.
RépondreSupprimerFuir les autres, peut revenir à surtout fuir certains autres, mais dans la méconnaissance de leur localisation, et sans une auto surveillance et une volonté de renouveler sa confiance dans la créature divine, au moins en se basant sur le fait l'on peut perdre de vue que certains font ce qu'ils peuvent et d'autres sont vraiment à connaître, cela peut, en effet, entrainer une tendance à les fuir tous.
Après, s'agit il de fuir quelque chose de personnel ou éviter de la répétition de mauvaises expériences. C'est à chacun de voir.
Mais "l'effet miroir" ne peut être qu'une réponse qui satisfait surtout celui qui veut conformer ce qu'il observe à ce qu'il sait et n'a pas envie de chercher vraiment.