Rappel :
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Le Turban noir
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Ibn Arabî
commente le verset : « Et Nous dîmes : ô Adam, habite (26), toi
et ton épouse, le Paradis et mangez de ce qu’il procure à votre aise, partout
où vous le désirez, et n’approchez pas de cet Arbre car vous seriez d’entre les
injustes » (Cor. 2, 35) en faisant observer que la défense divine porte
uniquement sur le fait de s’approcher de l’Arbre et non d’en manger les fruits.
En effet, il s’agit de « l’Arbre de l’Immortalité et d’un Royaume
impérissable » (Cor. 20, 120) qui renferme le secret de la Promesse
divine. Dés lors, « ils furent punis pour s’être approchés, non pour avoir
mangé. Ensuite, ils obtinrent ce que conférait l’Arbre à celui qui en mangeait
les fruits (27), c’est-à-dire l’Immortalité et un Royaume impérissable »
(28).
En prenant
l’initiative de s’approcher et de manger, Adam sortait de sa condition
servitoriale d’être contingent dont le principe est de « ne pas
agir » en l’absence d’un ordre provenant du seul Agent véritable.
26 – L’emploi du
singulier indique de l’Adam « axial » avait conservé sa nature
androgyne.
27 – L’Arbre,
qui est un symbole de l’Homme primordial, n’est en réalité rien d’autre
l’Adam-Calife.
28 – Futûhât,
chap. 264.
Le but de la
« punition » divine est de rappeler à Adam que l’extinction dans la
servitude est l’essence du Califat (29). Cette punition ne fut pas l’exclusion
du Paradis, mais uniquement l’apparition des maux inhérents à l’entrée au sein
de la manifestation grossière, à laquelle s’ajoutait le fait qu’Adam et Eve
furent réunis avec Iblîs dans le même Commandement divin : « Soyez
précipités (30) ! ». En effet, Adam après sa chute
« reçut de son Seigneur des paroles, de sorte qu’il revint à
Lui » (Cor. 2, 37) ; selon une interprétation d’Ibn Arabî, ces
paroles sont celles reproduites dans un autre verset de la façon
suivante : « Notre Seigneur, nous avons été injustes à l’égard de
nous-mêmes et si Tu ne nous couvres (31) pas et ne nous fait pas miséricorde,
nous serons assurément d’entre les perdants. » (Cor. 7, 23).
Le
Cheikh souligne que ce discours n’est
pas une marque de repentir mais une reconnaissance (i’tirâf) de la vérité contenue dans l’Annonce divine « Et
n’approchez pas de cet Arbre car vous seriez d’entre les injustes »
comprise dans le sens : « d’entre ceux qui se font tort à eux-mêmes
quand ils ne sont pas couverts par un Ordre divin » ; d’où,
précisément, la demande qu’Adam adresse au Très-Haut de lui donner une
« couverture » miséricordieuse (32).
29 – Cf. Ibid.,
chap. 39 ; vol. 3, p. 404-405 de l’éd. O. Yahya. Un rapprochement s’impose
ici avec le « ne vous en approchez pas » de Cor. 2, 187 ;
d’autant plus que le Jeûne est lui-même un symbole du « non-Agir ».
30 – Hbitû (Cor.
2, 36).
31 – Rappelons
que c’est le sens ésotérique du verbe ghafara.
32 – Au chapitre
74 des Futûhât, Ibn Arabî tire de ce verset (Cor. 7, 23) un enseignement
initiatique caractéristique des « Connaissants de type adamique » selon
lequel le repentir (tawba) implique uniquement la reconnaissance des fautes,
accompagnée d’une demande adressée à Allâh de ne plus en commettre de
pareilles, non la résolution de ne plus en commettre car celle-ci
« serait, à tous les points de vue, la marque d’une inconvenance à l’égard
d’Allâh » et une méconnaissance de Son Décret existentiateur.
Les
« paroles reçues » apparaissent comme le signe de l’Election divine,
du « retour de grâce » et de la Guidance mentionnés au verset 122 de
la sourate Tâ-Hâ :
« Ensuite, son Seigneur l’a élu, a fait retour vers lui et (l’) a guidé
(33). » Loin d’être un châtiment, la chute d’Adam et sa descente dans le
monde terrestre furent l’accomplissement de l’annonce faite aux Anges :
« Ce fut une descente d’ennoblissement (tashrîf) et d’honneur (takrîm)
(34) », « une descente de souveraineté et de lieutenance, non de
rejet ; un abaissement quant au lieu occupé, non quant au degré atteint
« (35) car « Adam faisait retour à l’élément originel dont il avait
été créé et qui est la terre (turâb).
Allâh le fit descendre en vue du Califat, conformément à Sa Parole :
« Je vais établir sur la terre un Calife » ; sa descente ne fut
pas une punition (‘uqûba) mais une
simple conséquence (‘aqîb) (36) de ce
qu’il avait fait. En revanche, Il fit descendre Eve en vue de la procréation et
Iblis pour le punir, non pour le rendre à son élément originel : la Terre
n’était pas sa demeure et ce n’est pas à partir d’elle qu’il avait été
créé » (37).
33 – Sur ce
point, cf. ibid., chap. 313.
34 – Ibid.
35 – Ibid., chap.74.
36 – ‘Aqîb est
de la même racine que ‘uqûba.
37 – Ibid.,
chap. 337.
Nous avons
souligné déjà le lien entre la fondation du Califat et l’idée de transgression
et de désobéissance (38) : de même que l’opposition des Anges les soumet
au pouvoir d’Adam, de même les péchés des Fils d’Adam établissement sur eux la
souveraineté de la Pierre Noire dont la descente en ce monde accompagne la
sienne (39).
Rappelons
qu’à sa sortie du Paradis la Pierre apparut, suivant le hadîth, « d’une
blancheur plus intense que celle du lait (40) ; ce sont les péchés des
Fils d’Adam qui, par la suite, la rendirent noire (sawwadat-hu) » (41).
Ibn Arabi
commente ainsi ce hadîth : « Sans la faute d’Adam – sur lui la
Paix ! – sa seigneurie ne se serait pas manifestée en ce monde :
c’est elle qui l’a rendu maître (sawwada)
et lui a donné l’Election divine en héritage ; s’il est sorti du Paradis,
par sa faute, c’est pour qu’apparaisse sa seigneurie.
De même, la
Pierre Noire, qui était blanche lorsqu’elle sortit (du Paradis), doit nécessairement,
lorsqu’elle y retournera, porter une marque qui la distinguera de ses
pareilles ; c’est pourquoi ‘Dieu) l’a parée de la robe d’honneur de la
Proximité divine et lui a conféré la dignité d’être Sa Droite dont Il a pétri
l’argile d’Adam lorsqu’Il la créé. Ce sont les péchés des Fils d’Adam qui, tout
en la noircissant, établirent sa seigneurie (42) : (la Pierre Noire)
devint « seigneur » du fait qu’ils l’embrassèrent (43).
La couleur
noire est la seule qui symbolise la seigneurie ; c’est pourquoi Allâh a
revêtu (la Pierre) de cette couleur (comme d’une robe d’honneur), pour que l’on
sache qu’Il l’avait rendue « maître », comme Il l’avait fait pour
Adam : la chute (de cette Pierre) fut l’établissement d’un Califat non une
chute d’éloignement.
Le fait que
sa noirceur soit attribuée aux péchés des Fils d’Adam est comparable à
l’élection et à la seigneurie que celui-ci obtint « par sa faute »
(44). »
La couleur
noire, qui correspond à la Terre parmi les éléments (45), apparaît ici
clairement comme l’emblème du Califat humain
(46).
38 – Cf. supra,
p. 81.
39 – Cf. La
doctrine initiatique du Pèlerinage, p. 67-68.
40 – Cette
allusion au lait contient une référence à la Fitra primordiale ; cf.
ibid., p.68 et Marie en Islam, p.97.
41 – Comme la
Pierre Noire est la « Droite d’Allâh », l’acte d’allégeance que lui
font tous ceux qui visitent la Maison d’Allâh établit une analogie entre sa
fonction et le Califat primordial. Selon Michel Vâlsan : « Allâh prit
le Pacte écrit qui avait été conclu avec les descendants d’Adam et l’enferma
dans la Pierre... c’est pourquoi la Pierre témoignera le Jour de la
Résurrection contre ceux qui voudraient nier l’existence du Pacte
Primordial » ; cf. L’Islam et la fonction de René Guénon, p.174.
42 – Le texte
arabe ne comporte ici que le mot sawwada dont l’ambivalence commande le sens de
tout le passage, puisqu’il signifie à la fois « rendre noir » et
« rendre seigneur » ; nous l’avons traduit par l’expression
« en la noircissant établirent sa seigneurie ».
43 – Le rite qui
consiste à embrasser la Pierre Noire équivaut à baiser la Droite d’Allâh et
constitue, par excellence, l’acte d’allégeance.
44 – Futûhât,
chap. 72.
45 – Tandis que
la couleur blanche symbolise l’Ether primordial, et la couleur rouge le Feu
originel du « monde intermédiaire ».
46 – Elle est
associée aussi à l’instauration de l’Islam comme Loi divine universelle.
Rappelons qu’au moment de la Conquête de La Mekke le Prophète – sur lui la
Grâce et la Paix ! – fit les tournées rituelles autour de la Kaaba sans
quitter sa monture et coiffé d’un turban noir.
Très très intéressant ces 2 articles.
RépondreSupprimerMerci Ligeia pour ces partages qui font réfléchir sur des passages du coran.
J'ai découvert Ibn Arabi grâce a toi et Rorschach, j'en avais vaguement entendu parler il y a qqs années mais je n'étais pas allé plus loin...
Merci de lire leurs écrits, Ray :-)
SupprimerD'autres vont suivre, mais il faut que je les tape...