Pour que deux êtres puissent communiquer entre eux par des
moyens sensibles, il faut d’abord que tous deux possèdent des sens, et, de
plus, il faut que leurs sens soient les mêmes, au moins partiellement ; si l’un
deux ne peut avoir de sensations, ou s’ils n’ont pas de sensations communes,
aucune communication de cet ordre n’est possible.
Cela peut sembler très
évident, mais ce sont les vérités de ce genre qu’on oublie le plus facilement,
ou auxquelles on ne fait pas attention ; et pourtant elles ont souvent une
portée qu’on ne soupçonne pas. Des deux conditions que nous venons d’énoncer,
c’est la première qui établit d’une façon absolue l’impossibilité de la
communication avec les morts au moyen des pratiques spirites ; quant à la
seconde, elle compromet au moins très gravement la possibilité des
communications interplanétaires. Ce dernier point se rattache immédiatement à
ce que nous avons dit à la fin du chapitre précédent ; nous allons l’examiner
en premier lieu, car les considérations qu’il va nous permettre d’introduire
faciliteront la compréhension de l’autre question, celle qui nous intéresse
principalement ici.
Si l’on admet la théorie qui explique toutes les sensations
par des mouvements vibratoires plus ou moins rapides, et si l’on considère le
tableau où sont indiqués les nombres de vibrations par seconde qui
correspondent à chaque sorte de sensations, on est frappé par le fait que les
intervalles représentant ce que nos sens nous transmettent sont très petits par
rapport à l’ensemble : ils sont séparés par d’autres intervalles où il n’y a
rien de perceptible pour nous, et, de plus, il n’est pas possible d’assigner une
limite déterminée à la fréquence croissante ou décroissante des vibrations (1),
de sorte qu’on doit considérer le tableau comme pouvant se prolonger de part et
d’autre par des possibilités indéfinies de sensations, auxquelles ne correspond
pour nous aucune sensation effective.
Mais dire qu’il y a des possibilités de
sensations, c’est dire que ces sensations peuvent exister chez des êtres autres
que nous, et qui, par contre, peuvent n’avoir aucune de celles que nous avons ;
quand nous disons nous, ici, nous ne voulons pas dire seulement les hommes,
mais tous les êtres terrestres en général, car il n’apparaît pas que les sens
varient chez eux dans de grandes proportions, et, même si leur extension est
susceptible de plus ou de moins, ils restent toujours fondamentalement les
mêmes. La nature de ces sens semble donc bien être déterminée par le milieu
terrestre ; elle n’est pas une propriété inhérente à telle ou telle espèce,
mais elle tient à ce que les êtres considérés vivent sur la terre et non
ailleurs ; sur toute autre planète, analogiquement, les sens doivent être
déterminés de même, mais ils peuvent alors ne coïncider en rien avec ceux que
possèdent les êtres terrestres, et même il est extrêmement probable que, d’une
façon générale, il doit en être ainsi.
En effet, toute possibilité de sensation
doit pouvoir être réalisée quelque part dans le monde corporel, car tout ce qui
est sensation est essentiellement une faculté corporelle ; ces possibilités
étant indéfinies, il y a très peu de chances pour que les mêmes soient
réalisées deux fois, c’est-à-dire pour que des êtres habitant deux planètes
différentes possèdent des sens qui coïncident en totalité ou même en partie. Si
l’on suppose cependant que cette coïncidence puisse se réaliser malgré tout, il
y a encore une fois très peu de chances pour qu’elle se réalise précisément
dans des conditions de proximité temporelle et spatiale telles qu’une
communication puisse s’établir ; nous voulons dire que ces chances, qui sont
déjà infinitésimales pour tout ensemble du monde corporel, se trouvent
indéfiniment réduites si l’on envisage seulement les astres qui existent
simultanément à un moment quelconque, et indéfiniment plus encore si, parmi ces
astres, on ne considère que ceux qui sont très voisins les uns des autres,
comme le sont les différentes planètes appartenant à un même système ; il doit
en être ainsi, puisque le temps et l’espace représentent eux-mêmes des
possibilités indéfinies.
Nous ne disons pas qu’une communication
interplanétaire soit une impossibilité absolue ; nous disons seulement que ses
chances de possibilité ne peuvent s’exprimer que par une quantité
infinitésimale à plusieurs degrés, et que, si l’on pose la question pour un cas
déterminé, comme celui de la terre et d’une autre planète du système solaire,
on ne risque guère de se tromper en les regardant comme pratiquement nulles ;
c’est là, en somme, une simple application de la théorie des probabilités.
Ce
qu’il importe de remarquer, c’est que ce qui fait obstacle à une communication
interplanétaire, ce ne sont pas des difficultés du genre de celles que peuvent
éprouver par exemple, pour communiquer entre eux, deux hommes dont chacun
ignore totalement le langage de l’autre ; ces difficultés ne seraient pas
insurmontables, parce que ces deux êtres pourraient toujours trouver, dans les
facultés qui leur sont communes, un moyen d’y remédier dans une certaine mesure
; mais, là où les facultés communes n’existent pas, du moins dans l’ordre où
doit s’opérer la communication, c’est-à-dire dans l’ordre sensible, l’obstacle
ne peut être supprimé par aucun moyen, parce qu’il tient à la différence de
nature des êtres considérés.
Si des êtres sont tels que rien de ce qui provoque
des sensations en nous n’en provoque en eux, ces êtres sont pour nous comme
s’ils n’existaient pas, et réciproquement ; quand bien même ils seraient à côté
de nous, nous n’en serions pas plus avancés, et nous ne nous apercevrions
peut-être même pas de leur présence, ou, en tout cas, nous ne reconnaîtrions
probablement pas que ce sont là des êtres vivants. Cela, disons-le en passant,
permettrait même de supposer qu’il n’y a rien d’impossible à ce qu’il existe
dans le milieu terrestre des êtres entièrement différents de tous ceux que nous
connaissons, et avec lesquels nous n’aurions aucun moyen d’entrer en rapport ;
mais nous n’insisterons pas là-dessus, d’autant plus que, s’il y avait de tels
êtres, ils n’auraient évidemment rien de commun avec notre humanité.
Quoi qu’il
en soit, ce que nous venons de dire montre combien il y a de naïveté dans les
illusions que se font certains savants à l’égard des communications
interplanétaires ; et ces illusions procèdent de l’erreur que nous avons
signalée précédemment, et qui consiste à transporter partout des
représentations purement terrestres. Si l’on dit que ces représentations sont
les seules possibles pour nous, nous en convenons, mais il vaut mieux n’avoir
aucune représentation que d’en avoir de fausses ; il est parfaitement vrai que
ce dont il s’agit n’est pas imaginable, mais il ne faut pas en conclure que
cela n’est pas concevable, car cela l’est au contraire très facilement.
Une des
grandes erreurs des philosophes modernes consiste à confondre le concevable et
l’imaginable ; cette erreur est particulièrement visible chez Kant, mais elle
ne lui est pas spéciale, et elle est même un trait général de la mentalité
occidentale, du moins depuis que celle-ci s’est tournée à peu près
exclusivement du côté des choses sensibles ; pour quiconque fait une semblable
confusion, il n’y a évidemment pas de métaphysique possible.
(1) Il est évident que la fréquence d’une vibration par
seconde ne représente aucunement une limite minima, la seconde étant une unité
toute relative, comme l’est d’ailleurs toute unité de mesure ; l’unité
arithmétique pure est seule absolument indivisible.
Le monde corporel, comportant des possibilités indéfinies,
doit contenir des êtres dont la diversité est pareillement indéfinie ;
pourtant, ce monde tout entier ne représente qu’un seul état d’existence,
défini par un certain ensemble de conditions déterminées, qui sont communes à
tout ce qui s’y trouve compris, encore qu’elles puissent s’y exprimer de façons
extrêmement variées.
Si l’on passe d’un état d’existence à un autre, les
différences seront incomparablement plus grandes, puisqu’il n’y aura plus de
conditions communes, celles-là étant remplacées par d’autres qui, d’une façon
analogue, définissent cet autre état ; il n’y aura donc plus, cette fois, aucun
point de comparaison avec l’ordre corporel et sensible envisagé dans son
intégralité, et non plus seulement dans telle ou telle de ses modalités
spéciales, comme celle qui constitue, par exemple, l’existence terrestre. Des
conditions comme l’espace et le temps ne sont aucunement applicables à un autre
état, parce qu’elles sont précisément de celles qui définissent l’état corporel
; si même il y a ailleurs quelque chose qui y correspond analogiquement, ce «
quelque chose » ne peut, en tout cas, donner lieu pour nous à aucune
représentation ; l’ « imagination, faculté de l’ordre sensible, ne saurait
atteindre des réalités d’un autre ordre, pas plus que ne le peut la sensation
elle-même, qui lui fournit tous les éléments de ses constructions.
Donc, ce n’est pas dans l’ordre sensible que l’on pourra
jamais trouver un moyen d’entrer en rapport avec ce qui est d’un autre ordre ;
il y a là une hétérogénéité radicale, ce qui ne veut pas dire une
irréductibilité principielle : s’il peut y avoir communication entre deux états
différents, ce ne peut être que par l’intermédiaire d’un principe commun et
supérieur à ces deux états, et non directement de l’un à l’autre ; mais il est
bien évident que la possibilité que nous envisageons ici ne concerne à aucun degré
le spiritisme.
A ne considérer que les deux états en eux-mêmes, nous dirons
ceci : la possibilité de communication nous apparaissait tout à l’heure comme
extrêmement improbable, alors qu’il ne s’agissait pourtant encore que d’êtres
appartenant à des modalités diverses d’un même état ; maintenant qu’il s’agit
d’êtres appartenant à des états différents, la communication entre eux est une
impossibilité absolue.
[René Guénon, L’Erreur Spirite, extrait du chapitre
V - La communication avec les morts.]
Ligeia, est ce que à ton avis dans le monde des probabilités mathemathiques, la volonté pourrait jouer le cataliseur de cette communication impossible?
RépondreSupprimerSi j'ai bien compris ta question, je ne crois pas Tara....
SupprimerLa volonté humaine ne pourra jamais s'opposer à des Principes ou des lois qui la dépassent. :-)
Je voulais dire que s il n y a rien de commun entre deux êtres humains,extraterrestres,ectoplasmes ou autres entités n ayant auxune raison valable de se croiser pour leur evolution, la volonté de se connaître malgré tout, pourrait créer l instant present de leur connexion.comme un regard croisé d un inconnu qui s imprime à jamais.parce que chacun decide dans son conscient profond de laisser imprimer une trace suite à ce regard.comme un acte de volonté malgré les mondes differents dans lesquels chaque entité évolue. Je sais pas si c est clair....t embrasse.Tara
SupprimerOk Tara, je vois mieux, merci :-)
SupprimerMais non, je ne crois pas cela possible car quel que soit "l'organe" ou "le sens" auquel on fait appel, tu es bien d'accord pour dire qu'il appartiendra toujours à notre condition humaine. Et l'autre "être" en face fera de même. Ce sont des barrières infranchissables au commun des mortels et tous ceux qui te diront le contraire sont des charlatans hallucinés.
L'homme ne peut et ne pourra jamais s’élever à ce niveau, de et par lui-même.
Il n'y aurait qu'une façon de percevoir (en tous cas, "d'envisager") un échange, c'est pour les initiés qui seraient parvenus à la réalisation totale.
Mais dans leur cas, il est évident qu'ils n'en diraient rien ! :-)
Oui.c est une vérité. Et je la partage.grosso bacio.tara
SupprimerC'est un peu le postulat que je fais depuis des années, avec les hallucinations schizophréniques, il est possible que certaines personnes perçoivent des êtres que la majorité ne perçoit pas, pour des raisons diverses et variées.
RépondreSupprimerUne personne devant un être que les autres ne perçoivent pas, ne peut que concevoir ce qu'il perçoit.
Cependant, comme il est impossible d'imaginer à quoi pourrait ressembler un être totalement différent, les personnes en délire (d'ailleurs s'agit il d'un délire, production d'une réalité qui n'est pas ou plutôt d'une perception extrasensorielle qu'évidemment le concerné ne maîtrise pas ?), donnent peut être à leurs perceptions une "explication" (imagée) en rapprochant l'aspect ce qu'ils perçoivent de quelque chose ou quelqu'un de connu dans la population ou dans son entourage : personne de son entourage, personnage illustre....
Pour tous les autres, en effet, ce qu'ils ne peuvent imaginer, ils refusent (ou ne peuvent, mais j'aurais tendance à trouver que "refus", est plus juste, peut être à tord) de le concevoir.
De même les personnes atteintes de synesthésie (ils voient des couleurs en entendant de la musique par exemple, J. Lusseyran dit qu'il voyait (malgré le fait qu'il était aveugle) mais autrement qu'avec les yeux), sont elles victimes d'une anomalie ou d'une réalité, à laquelle la majorité n'a pas accès ?
Ils sont considérés comme "anormaux" car, pas dans la norme, donc ne font pas partie du plus grand nombre, il est pourtant possible que ce soient eux qui perçoivent, finalement un peu plus de "réalité" que nous.
Il est possible que les "handicapés" soient ceux qui sont dans la norme, même s'ils sont en plus grand nombre.
Honnêtement je ne sais pas trop ; mais ce ne sont pas des êtres de type "humain" en tous cas, ou juste pour mieux nous leurrer.
SupprimerCes influences existent et nous les côtoyons, elles proviennent du monde intermédiaire.
J'habite une très vielle maison et des "phénomènes" j'en ai pas mal. Ils sont là mais je ne m'en occupe pas plus que cela ; que ces "influences" prétendent venir de l'espace ou "d'entre les morts", peu importe au fond, ce sont toujours des tentatives pour qu'on leur accorde une importance qu'elles n'ont pas.
C'est tout le problème des spirites, d'être focalisés sur ce type de manifestations et de les prendre pour du "spirituel" alors que rien ne l'est moins.
Non je ne pense pas qu'ils soient "la norme" car pour ces personnes qui ont cette "facilité" en elles (je ne veux pas parler de "don" car c'est plutôt un malheur...) le danger est vraiment important ; sur le cas particulier des "médiums" par exemple, Guénon a un jugement qui peut paraître dur et "insensible" pour ceux de notre époque habitués à tolérer tout et n'importe quoi, mais c'est pourtant la seule attitude valable à adopter :
« Il suffit de n’avoir aucun préjugé pour voir clairement le danger de cet étrange renversement des choses : le médium, quelle que soit la nature des influences qui s’exercent sur lui et par lui, doit être considéré comme un véritable malade, comme un être anormal et déséquibré ; dès lors que le spiritisme, bien loin de remédier à ce déséquilibre, tend de toutes ses forces à le propager, il doit être dénoncé comme dangereux pour la salubrité publique ; et d’ailleurs, ce n’est pas là son unique danger. »
Ces cas sont à rapprocher aussi de ceux des fakirs en Inde ; mais là-bas, bien loin de considérer cela comme un don à encourager et développer, c’est comme une calamité que cela est perçu.
Dans le livre :
http://www.lelibrepenseur.org/wp-content/uploads/2012/09/Guenon_Rene_-_L_erreur_spirite.pdf
Vois le chapitre IV.... :-)
Les troubles psychiques doivent sans doute pouvoir favoriser ce type de "contacts" en effet et ce n'est certes pas la réponse de la "médecine moderne" à bas de médicaments et de psy qui va arranger les choses en effet ! :-(