S'accrocher encore et toujours, rester inébranlable...
"Pax in terra hominibus bonæ voluntatis"
"Ceux qui arriveront à vaincre tous ces obstacles, et à
triompher de l'hostilité d'un milieu opposé à toute spiritualité, seront sans
doute peu nombreux ; mais, encore une fois, ce n'est pas le nombre qui importe,
car nous sommes ici dans un domaine dont les lois sont tout autres que celles
de la matière.
Il n'y a donc pas lieu de désespérer ; et, n'y eût-il même
aucun espoir d'aboutir à un résultat sensible avant que le monde moderne ne
sombre dans quelque catastrophe, ce ne serait pas encore une raison valable
pour ne pas entreprendre une œuvre dont la portée réelle s'étend bien au-delà
de l'époque actuelle.
Ceux qui seraient tentés de céder au découragement doivent
penser que rien de ce qui est accompli dans cet ordre ne peut jamais être
perdu, que le désordre, l'erreur et l'obscurité ne peuvent l'emporter qu'en
apparence et d'une façon toute momentanée, que tous les déséquilibres partiels
et transitoires doivent nécessairement concourir au grand équilibre total, et
que rien ne saurait prévaloir finalement contre la puissance de la vérité ;
leur devise doit être celle qu'avaient adoptée autrefois certaines
organisations initiatiques de l'Occident : Vincit omnia Veritas."
RG, La crise du monde moderne.
En rappel, ce petit schéma :
NB : Un Manvantara est un cycle complet de 64.800 ans (durée
additionnée des 4 Ages).
Tout ce que nous avons décrit au
cours de cette étude constitue en somme, d’une façon générale, ce qu’on peut
appeler les « signes des temps », suivant l’expression évangélique,
c’est-à-dire les signes précurseurs de la « fin d’un monde » ou d’un cycle, qui
n’apparaît comme la « fin du monde », sans restriction ni spécification
d’aucune sorte, que pour ceux qui ne voient rien au delà des limites de ce
cycle même, erreur de perspective très excusable assurément, mais qui n’en a
pas moins des conséquences fâcheuses par les terreurs excessives et
injustifiées qu’elle fait naître chez ceux qui ne sont pas suffisamment
détachés de l’existence terrestre ; et, bien entendu, ce sont justement ceux-là
qui se font trop facilement cette conception erronée, en raison de l’étroitesse
même de leur point de vue.
À la vérité, il peut y avoir
ainsi bien des « fins du monde », puisqu’il y a des cycles de durée très
diverses, contenus en quelque sorte les uns dans les autres, et que la même
notion peut toujours s’appliquer analogiquement à tous les degrés et à tous les
niveaux ; mais il est évident qu’elles sont d’importance fort inégale, comme les
cycles mêmes auxquels elles se rapportent, et, à cet égard, on doit reconnaître
que celle que nous envisageons ici a incontestablement une portée plus
considérable que beaucoup d’autres, puisqu’elle est la fin d’un Manvantara tout
entier, c’est-à-dire de l’existence temporelle de ce qu’on peut appeler
proprement une humanité, ce qui, encore une fois, ne veut nullement dire
qu’elle soit la fin du monde terrestre lui-même, puisque, par le « redressement
» qui s’opère au moment ultime, cette fin même deviendra immédiatement le
commencement d’un autre Manvantara.
À ce propos, il est encore un point sur lequel nous devons nous
expliquer d’une façon plus précise : les partisans du « progrès » ont coutume
de dire que l’« âge d’or » n’est pas dans le passé, mais dans l’avenir ; la
vérité, au contraire, est que, en ce qui concerne notre Manvantara, il est bien
réellement dans le passé, puisqu’il n’est pas autre chose que l’« état
primordial » lui-même.
En un sens, cependant, il est à la fois dans le passé et dans l’avenir,
mais à la condition de ne pas se borner au présent Manvantara et de considérer
la succession des cycles terrestres, car, en ce qui concerne l’avenir, c’est de
l’« âge d’or » d’un autre Manvantara qu’il s’agit nécessairement ; il est donc
séparé de notre époque par une « barrière » qui est véritablement
infranchissable pour les profanes qui parlent ainsi, et qui ne savent ce qu’ils
disent quand ils annoncent la prochaine venue d’une « ère nouvelle » en la
rapportant à l’humanité actuelle.
La venue de l'Antéchrist... |
Leur erreur, portée à son degré le plus extrême, sera celle de
l’Antéchrist lui-même prétendant instaurer l’« âge d’or » par le règne de la «
contre-tradition », et en donnant même l’apparence, de la façon la plus
trompeuse et aussi la plus éphémère, par la contrefaçon de l’idée
traditionnelle du Sanctum Regnum ; on
peut comprendre par là pourquoi, dans toutes les « pseudo-traditions » qui ne
sont encore que des « préfigurations » bien partielles et bien faibles de la «
contre-tradition », mais qui tendent inconsciemment à la préparer plus
directement sans doute que toute autre chose, les conceptions « évolutionnistes
» jouent constamment le rôle prépondérant que nous avons signalé.
Bien entendu, la « barrière » dont nous parlions tout à l’heure, et
qui oblige en quelque sorte ceux pour qui elle existe à tout renfermer à
l’intérieur du cycle actuel, est un obstacle plus absolu encore pour les
représentants de la « contre-initiation » que pour les simples profanes, car,
étant orientés uniquement vers la dissolution, ils sont vraiment ceux pour qui
rien ne saurait plus exister au delà de ce cycle, et ainsi c’est pour eux
surtout que la fin de celui-ci doit être réellement la « fin du monde », dans
le sens le plus intégral que l’on puisse donner à cette expression.
Ceci soulève encore une autre question connexe dont nous dirons
quelques mots, bien que, à vrai dire, quelques-unes des considérations
précédentes y apportent déjà une réponse implicite : dans quelle mesure ceux
mêmes qui représentent le plus complètement la « contre-initiation » sont-ils
effectivement conscients du rôle qu’ils jouent, et dans quelle mesure ne
sont-ils au contraire que des instruments d’une volonté qui les dépasse, et
qu’ils ignorent d’ailleurs par là même, tout en lui étant inévitablement subordonnés
?
D’après ce que nous avons dit plus haut, la limite entre ces deux
points de vue sous lesquels on peut envisager leur action est forcément
déterminée par la limite même du monde spirituel, dans lequel ils ne peuvent
pénétrer en aucune façon ; ils peuvent avoir des connaissances aussi étendues
qu’on voudra le supposer quant aux possibilités du « monde intermédiaire »,
mais ces connaissances n’en seront pas moins toujours irrémédiablement faussées
par l’absence de l’esprit qui seul pourrait leur donner leur véritable sens.
Évidemment, de tels êtres ne peuvent jamais être des mécanistes ni des
matérialistes, ni même des « progressistes » ou des « évolutionnistes » au sens
vulgaire de ces mots, et, quand ils lancent dans le monde les idées que ceux-ci
expriment, ils le trompent sciemment ; mais ceci ne concerne en somme que l’«
anti-tradition » négative, qui n’est pour eux qu’un moyen et non un but, et ils
pourraient, tout comme d’autres, chercher à excuser cette tromperie en disant
que « la fin justifie les moyens ». Leur erreur est d’un ordre beaucoup plus
profond que celle des hommes qu’ils influencent et « suggestionnent » par de
telles idées, car elle n’est pas autre chose que la conséquence même de leur
ignorance totale et invincible de la vraie nature de toute spiritualité ; c’est
pourquoi il est beaucoup plus difficile de dire exactement jusqu’à quel point
ils peuvent être conscients de la fausseté de la « contre-tradition » qu’ils
visent à constituer, puisqu’ils peuvent croire très réellement qu’en cela ils
s’opposent à l’esprit, tel qu’il se manifeste dans toute tradition normale et
régulière, et qu’ils se situent au même niveau que ceux qui le représentent en
ce monde ; et, en ce sens, l’Antéchrist sera assurément le plus « illusionné »
de tous les êtres.
Cette illusion a sa racine dans l’erreur « dualiste » dont nous avons
parlé ; et le dualisme, sous une forme ou sous une autre, est le fait de tous
ceux dont l’horizon s’arrête à certaines limites, fût-ce celles du monde
manifesté tout entier, et qui, ne pouvant ainsi résoudre, en la ramenant à un
principe supérieur, la dualité qu’ils constatent en toutes choses à l’intérieur
de ces limites, la croient vraiment irréductible et sont amenés par là même à
la négation de l’Unité suprême, qui en effet est pour eux comme si elle n’était
pas. C’est pourquoi nous avons pu dire que les représentants de la «
contre-initiation » sont finalement dupes de leur propre rôle, et que leur
illusion est même véritablement la pire de toutes, puisque, en définitive, elle
est la seule par laquelle un être puisse, non pas être simplement égaré plus ou
moins gravement, mais être réellement perdu sans retour ; mais évidemment,
s’ils n’avaient pas cette illusion, ils ne rempliraient pas une fonction qui,
pourtant, doit nécessairement être remplie comme toute autre pour
l’accomplissement même du plan divin en ce monde.
Nous sommes ainsi ramenés à la
considération du double aspect « bénéfique » et « maléfique » sous lequel se
présente la marche même du monde, en tant que manifestation cyclique, et qui
est vraiment la « clef » de toute explication traditionnelle des conditions
dans lesquelles se développe cette manifestation, surtout quand on l’envisage,
comme nous l’avons fait ici, dans la période qui mène directement à sa fin. D’un
côté, si l’on prend simplement cette manifestation en elle-même, sans la
rapporter à un ensemble plus vaste, sa marche tout entière, du commencement à
la fin, est évidemment une « descente » ou une « dégradation » progressive, et
c’est là ce qu’on peut appeler son sens « maléfique » ; mais, d’un autre côté,
cette même manifestation, replacée dans l’ensemble dont elle fait partie,
produit des résultats qui ont une valeur réellement « positive » dans
l’existence universelle, et il faut que son développement se poursuive jusqu’au
bout, y compris celui des possibilités inférieures de l’« âge sombre », pour
que l’« intégration » de ces résultats soit possible et devienne le principe
immédiat d’un autre cycle de manifestation, et c’est là ce qui constitue son sens
« bénéfique ».
Il en est encore ainsi quand on
considère la fin même du cycle : au point de vue particulier de ce qui doit
alors être détruit, parce que sa manifestation est achevée et comme épuisée,
cette fin est naturellement « catastrophique », au sens étymologique où ce mot
évoque l’idée d’une « chute » soudaine et irrémédiable ; mais, d’autre part, au
point de vue où la manifestation, en disparaissant comme telle, se trouve
ramenée à son principe dans tout ce qu’elle a d’existence positive, cette même
fin apparaît au contraire comme le « redressement » par lequel, ainsi que nous
l’avons dit, toutes choses sont non moins soudainement rétablies dans leur «
état primordial ». Ceci peut d’ailleurs s’appliquer analogiquement à tous les
degrés, qu’il s’agisse d’un être ou d’un monde : c’est toujours, en somme, le
point de vue partiel qui est « maléfique », et le point de vue total, ou
relativement tel par rapport au premier, qui est « bénéfique », parce que tous
les désordres possibles ne sont tels qu’en tant qu’on les envisage en eux-mêmes
et « séparativement », et que ces désordres partiels s’effacent entièrement
devant l’ordre total dans lequel ils rentrent finalement, et dont, dépouillés
de leur aspect « négatif », ils sont des éléments constitutifs au même titre
que toute autre chose ; en définitive, il n’y a de « maléfique » que la
limitation qui conditionne nécessairement toute existence contingente, et cette
limitation n’a elle-même en réalité qu’une existence purement négative.
Les cycles cosmiques... |
Nous avons parlé tout d’abord
comme si les deux points de vue « bénéfique » et « maléfique » étaient en
quelque sorte symétriques ; mais il est facile de comprendre qu’il n’en est
rien, et que le second n’exprime que quelque chose d’instable et de
transitoire, tandis que ce que représente le premier a seul un caractère
permanent et définitif, de sorte que l’aspect « bénéfique » ne peut pas ne pas l’emporter
finalement, alors que l’aspect « maléfique » s’évanouit entièrement, parce que,
au fond, il n’était qu’une illusion inhérente à la « séparativité ».
Seulement, à vrai dire, on ne
peut plus alors parler proprement de « bénéfique », non plus que de « maléfique
», en tant que ces deux termes sont essentiellement corrélatifs et marquent une
opposition qui n’existe plus, car, comme toute opposition, elle appartient
exclusivement à un certain domaine relatif et limité ; dès qu’elle est
dépassée, il y a simplement ce qui est, et qui ne peut pas ne pas être, ni être
autre que ce qu’il est ; et c’est ainsi que, si l’on veut aller jusqu’à la
réalité de l’ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la « fin
d’un monde » n’est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d’une
illusion.
Chapitre XL : La fin d’un monde
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