Étienne de La Boétie est un écrivain humaniste et un
poète français, né le 1er novembre 1530 à Sarlat et mort le 18 août 1563 près
de Bordeaux.
Il est célèbre pour son Discours de la servitude
volontaire, écrit à l’âge de 16 à 18 ans.
C’est parce que je cherchais des informations sur le
conditionnement des peuples, et le fait que nous puissions un jour nous plier
sans rechigner à l’asservissement de l’Antéchrist, que je suis tombée sur ce
texte…
Il m’a paru assez pertinent et d’actualité quant à la
passivité de notre époque (présente et future), pour que je décide de vous en
livrer des extraits…
Vous pouvez retrouver le texte en intégralité ici : Cliquez
« Il n’est pas bon
d’avoir plusieurs maîtres ; n’en ayons qu’un seul ; Qu’un seul soit le maître,
qu’un seul soit le roi. »
Voilà ce que déclara Ulysse en public, selon Homère.
S’il eût dit seulement : « Il n’est pas bon d’avoir
plusieurs maîtres », c’était suffisant. Mais au lieu d’en déduire que la
domination de plusieurs ne peut être bonne, puisque la puissance d’un seul, dès
qu’il prend ce titre de maître, est dure et déraisonnable, il ajoute au
contraire : « N’ayons qu’un seul maître... » Il faut peut-être excuser Ulysse
d’avoir tenu ce langage, qui lui servait alors pour apaiser la révolte de
l’armée : je crois qu’il adaptait plutôt son discours aux circonstances qu’à la
vérité. […]
Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment
il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations
supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui
donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer,
et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de
lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante — et pourtant si commune
qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir -, de voir un million d’hommes
misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints
par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire
ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter — puisqu’il
est seul — ni aimer — puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. Telle
est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l’obéissance, obligés de
temporiser, ils ne peuvent pas être toujours les plus forts. Si donc une
nation, contrainte par la force des armes, est soumise au pouvoir d’un seul —
comme la cité d’Athènes le fut à la domination des trente tyrans —, il ne faut
pas s’étonner qu’elle serve, mais bien le déplorer. […]
Quel est ce vice, ce vice horrible, de voir un nombre
infini d’hommes, non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais
être tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants, ni leur vie même qui
soient à eux ? De les voir souffrir les rapines, les paillardises, les
cruautés, non d’une armée, non d’un camp barbare contre lesquels chacun devrait
défendre son sang et sa vie, mais d’un seul ! Non d’un Hercule ou d’un Samson,
mais d’un hommelet souvent le plus lâche, le plus efféminé de la nation, qui
n’a jamais flairé la poudre des batailles ni guère foulé le sable des tournois,
qui n’est pas seulement inapte à commander aux hommes, mais encore à satisfaire
la moindre femmelette ! Nommerons-nous cela lâcheté ? Appellerons-nous vils et
couards ces hommes soumis ? Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul,
c’est étrange, mais toutefois possible ; on pourrait peut-être dire avec raison
: c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille souffrent l’oppression d’un seul,
dira-ton encore qu’ils n’osent pas s’en prendre à lui, ou qu’ils ne le veulent
pas, et que ce n’est pas couardise, mais plutôt mépris ou dédain ?
Enfin, si l’on voit non pas cent, non pas mille hommes,
mais cent pays, mille villes, un million d’hommes ne pas assaillir celui qui
les traite tous comme autant de serfs et d’esclaves, comment qualifierons-nous
cela ? Est-ce lâcheté ? Mais tous les vices ont des bornes qu’ils ne peuvent
pas dépasser. Deux hommes, et même dix, peuvent bien en craindre un ; mais que
mille, un million, mille villes ne se défendent pas contre un seul homme, cela
n’est pas couardise : elle ne va pas jusque-là, de même que la vaillance
n’exige pas qu’un seul homme escalade une forteresse, attaque une armée,
conquière un royaume. Quel vice monstrueux est donc celui-ci, qui ne mérite pas
même le titre de couardise, qui ne trouve pas de nom assez laid, que la nature
désavoue et que la langue refuse de nommer ? […]
Or ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni
de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à
sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui
donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu
qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se
laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en
cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ;
qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et
prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche...
S’il lui
coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas ;
même si ce qu’il doit avoir le plus à coeur est de rentrer dans ses droits
naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attends même
pas de lui une si grande hardiesse ; j’admets qu’il aime mieux je ne sais
quelle assurance de vivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il
l’entend. Mais quoi ! Si pour avoir la liberté il suffit de la désirer, s’il
n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui
croie la payer trop cher en l’acquérant par un simple souhait ? Et qui
regretterait sa volonté de recouvrer un bien qu’on devrait racheter au prix du
sang, et dont la perte rend à tout homme d’honneur la vie amère et la mort
bienfaisante ?
Certes, comme le feu d’une petite étincelle grandit et se
renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais
se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter,
de même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et
détruisent, plus où leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifient d’autant,
deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire.
Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre,
sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que
la branche, n’ayant plus de suc ni d’aliment à sa racine, devient sèche et
morte. […]
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations
opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever
sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez
piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos
ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que
vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement
la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces
malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de
l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui
vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne
refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que
deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des
habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les
moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux
qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous
frapper, s’il ne vous les emprunte ?
Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi
les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment
oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal
pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron qui vous pille,
les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ? Vous
semez vos champs pour qu’il les dévaste, vous meublez et remplissez vos maisons
pour fournir ses pilleries, vous élevez vos filles afin qu’il puisse assouvir
sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu’il en fasse des soldats dans le
meilleur des cas, pour qu’il les mène à la guerre, à la boucherie, qu’il les
rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances. Vous vous
usez à la peine afin qu’il puisse se mignarder dans ses délices et se vautrer dans
ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il
vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les
bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez
vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le
vouloir. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous
demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le
soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base,
fondre sous son poids et se rompre. […]
On raconte que Lycurgue, le législateur de Sparte, avait
nourri deux chiens, tous deux frères, tous deux allaités au même lait. L’un
était engraissé à la cuisine, l’autre habitué à courir les champs au son de la
trompe et du cornet. Voulant montrer aux Lacédémoniens que les hommes sont tels
que la culture les a faits, il exposa les deux chiens sur la place publique et
mit entre eux une soupe et un lièvre. L’un courut au plat, l’autre au lièvre.
Et pourtant, dit-il, ils sont frères !
Celui-là, avec ses lois et son art politique, éduqua et
forma si bien les Lacédémoniens que chacun d’eux préférait souffrir mille morts
plutôt que de se soumettre à un autre maître que la loi et la raison.
Je prends plaisir à rappeler ici une anecdote concernant
l’un des favoris de Xerxès, grand roi de Perse, et deux Spartiates. Lorsque
Xerxès faisait ses préparatifs de guerre pour conquérir la Grèce entière, il
envoya ses ambassadeurs dans plusieurs villes de ce pays pour demander de l’eau
et de la terre — c’était la manière qu’avaient les Perses de sommer les villes
de se rendre. Il se garda bien d’en envoyer à Sparte ni à Athènes parce que les
Spartiates et les Athéniens, auxquels son père Darius en avait envoyés
auparavant, les avaient jetés, les uns dans les fossés, les autres dans les
puits en leur disant : « Allez-y, prenez là de l’eau et de la terre, et
portez-les à votre prince. » Ces gens ne pouvaient souffrir que, même par la
moindre parole, on attentât à leur liberté. Les Spartiates reconnurent qu’en
agissant de la sorte, ils avaient offensé les dieux, et surtout Talthybie, le
dieu des héraults. Ils résolurent donc, pour les apaiser d’envoyer à Xerxès
deux de leurs concitoyens afin que, disposant d’eux à son gré, il pût se venger
sur eux du meurtre des ambassadeurs de son père.
Deux Spartiates, l’un nommé Sperthiès et l’autre Bulis,
s’offrirent comme victimes volontaires. Ils partirent. Arrivés au palais d’un
Perse nommé Hydarnes, lieutenant du roi pour toutes les villes d’Asie qui
étaient sur les côtes de la mer, celui-ci les accueillit fort honorablement,
leur fit grande chère et, de fil en aiguille, leur demanda pourquoi ils
rejetaient si fort l’amitié du roi. « Spartiates, dit-il, voyez par mon exemple
comment le Roi sait honorer ceux qui le méritent. Croyez que si vous étiez à
son service et qu’il vous eût connus, vous seriez tous les deux gouverneurs de
quelque ville grecque. » Les Lacédémoniens répondirent : « En ceci, Hydarnes,
tu ne pourrais nous donner un bon conseil ; car si tu as essayé le bonheur que
tu nous promets, tu ignores entièrement celui dont NOUS jouissons. Tu as
éprouvé la faveur du roi, mais tu ne sais pas quel goût délicieux a la liberté.
Or si tu en avais seulement goûté, tu nous conseillerais de la défendre, non
seulement avec la lance et le bouclier, mais avec les dents et avec les ongles
». Seuls les Spartiates disaient vrai, mais chacun parlait ici selon
l’éducation qu’il avait reçue. Car il était aussi impossible au Persan de
regretter la liberté dont il n’avait jamais joui qu’aux Lacédémoniens, qui
l’avaient savourée, d’endurer l’esclavage. […]
On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais-eu. Le chagrin
ne vient qu’après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se
joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre
et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation
le lui donne. […]
Ils disent qu’ils ont toujours été sujets, que leurs
pères ont vécu ainsi. Ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal, s’en
persuadent par des exemples et consolident eux-mêmes, par la durée, la
possession de ceux qui les tyrannisent. […]
Mais pour revenir à mon sujet, que j’avais presque perdu
de vue, la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement,
c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels. De cette première
raison découle cette autre : que, sous les tyrans, les gens deviennent aisément
lâches et efféminés. […]
Il est certain qu’avec [la perte de] la liberté on perd
aussi la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils
y vont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une
obligation. Ils ne sentent pas bouillir dans leur coeur l’ardeur de la liberté
qui fait mépriser le péril et donne envie de gagner, par une belle mort auprès
de ses compagnons, l’honneur et la gloire. Chez les hommes libres au contraire,
c’est à l’envi, à qui mieux mieux, chacun pour tous et chacun pour soi : ils
savent qu’ils recueilleront une part égale au mal de la défaite ou au bien de
la victoire. Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le
coeur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le
savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir. […]
Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais
été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il
se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si
riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient
révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas
saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la
maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession.
Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une
ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de
cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les
Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que,
de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que
nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi. […]
Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux
à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise du ver, morde plus tôt à
l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la
servitude, pour la moindre douceur qu’on leur fait goûter. C’est chose
merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les
chatouille. Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs,
les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette
espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de
leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces
allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs
sujets sous le joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces
passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir
aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n’apprennent à lire avec
des images brillantes.
Les tyrans romains renchérirent encore sur ces moyens en
faisant souvent festoyer les décuries, en gorgeant comme il le fallait cette
canaille qui se laisse aller plus qu’à toute autre chose au plaisir de la
bouche. Ainsi, le plus éveillé d’entre eux n’aurait pas quitté son écuelle de
soupe pour recouvrer la liberté de la
République de Platon. Les tyrans faisaient largesse du quart de blé, du septier
de vin, du sesterce, et c’était pitié alors d’entendre crier : « Vive le roi !
» Ces lourdeaux ne s’avisaient pas qu’ils ne faisaient que recouvrer une part
de leur bien, et que cette part même qu’ils en recouvraient, le tyran n’aurait
pu la leur donner si, auparavant, il ne la leur avait enlevée. Tel ramassait
aujourd’hui le sesterce, tel se gorgeait au festin public en bénissant Tibère
et Néron de leur libéralité qui, le lendemain, contraint d’abandonner ses biens
à l’avidité, ses enfants à la luxure, son sang même à la cruauté de ces
empereurs magnifiques, ne disait mot, pas plus qu’une pierre, et ne se remuait
pas plus qu’une souche. Le peuple ignorant a toujours été ainsi : au plaisir
qu’il ne peut honnêtement recevoir, il est tout dispos et dissolu ; au tort et
à la douleur qu’il peut honnêtement souffrir, il est insensible.
Je ne vois personne aujourd’hui qui, entendant parler de
Néron, ne tremble au seul nom de ce vilain monstre, de cette sale peste du
monde. Il faut pourtant dire qu’après la mort, aussi dégoûtante que sa vie, de
ce bouteleu, de ce bourreau, de cette bête sauvage, ce fameux peuple romain en
éprouva tant de déplaisir, se rappelant ses jeux et ses festins, qu’il fut sur
le point d’en porter le deuil. C’est du moins ce qu’en écrit Tacite, excellent
auteur, historien des plus fiables. Et l’on ne trouvera pas cela étrange si
l’on considère ce que ce même peuple avait déjà fait à la mort de Jules César,
qui avait donné congé aux lois et à la liberté romaine. On louait surtout, ce
me semble, dans ce personnage, son « humanité » ; or, elle fut plus funeste à
son pays que la plus grande cruauté du plus sauvage tyran qui ait jamais vécu,
car à la vérité ce fut cette venimeuse douceur qui emmiella pour le peuple
romain le breuvage de la servitude. […]
Les tyrans eux-mêmes trouvaient étrange que les hommes
souffrissent qu’un autre les maltraitât, c’est pourquoi ils se couvraient
volontiers du manteau de la religion et s’affublaient autant que faire se peut
des oripeaux de la divinité pour cautionner leur méchante vie.
Ainsi Salmonée,
pour s’être moqué du peuple en faisant son Jupiter, se trouve maintenant au fin
fond de l’enfer, selon là sibylle de Virgile, qui l’y a vu :
«Là,
des fils d’Aloüs gisent les corps énormes,
Ceux
qui, fendant les airs de leurs têtes difformes
Osèrent
attenter aux demeures des Dieux,
Et du
trône éternel chasser le Roi des cieux.
Là,
j’ai vu de ces dieux le rival sacrilège,
Qui du
foudre usurpant le divin privilège
Pour
arracher au peuple un criminel encens
De
quatre fiers coursiers aux pieds retentissants
Attelant
un vain char dans l’Élide tremblante
Une
torche à h main y semait l’épouvante :
Insensé
qui, du ciel prétendu souverain,
Par le
bruit de son char et de son pont d’airain
Du
tonnerre imitait le bruit inimitable !
Mais
Jupiter lança le foudre véritable
Et
renversa, couvert d’un tourbillon de feu,
Le char
et les coursiers et la foudre et le Dieu :
Son
triomphe fut court, sa peine est éternelle. »
Si
celui qui voulut simplement faire l’idiot se trouve là-bas si bien traité, je
pense que ceux qui ont abusé de la religion pour mal faire s’y trouveront
encore à meilleure enseigne. […]
Au dire des médecins, bien que rien ne paraisse changé
dans-notre corps, dès que quelque tumeur se manifeste en un seul endroit,
toutes les humeurs se portent vers cette partie véreuse. De même, dès qu’un roi
s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un
tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent faire ni mal ni bien
dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ambition ardente et d’une
avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au
butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. […]
Quand je pense à ces gens qui flattent le tyran pour
exploiter sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi souvent
ébahi de leur méchanceté qu’apitoyé de leur sottise. […]
Apprenons donc ; apprenons à bien faire. Levons les yeux
vers le ciel pour notre honneur ou pour l’amour de la vertu, mieux encore pour
ceux du Dieu tout-puissant, fidèle témoin de nos actes et juge de nos fautes.
Pour moi, je pense — et ne crois pas me tromper-, puisque rien n’est plus
contraire à un Dieu bon et libéral que la tyrannie, qu’il réserve là-bas tout
exprès, pour les tyrans et leurs complices, quelque peine particulière."
Ligeia
RépondreSupprimerje fini de lire l'apocalypse et je revient lire cet article qui m'a l'air d'être intéressant.
,Inch Allah (avec toi beaucoup de lecture)
C'est pour te faire patienter jusqu'à la prochaine vidéo de Ror...! ;-)
RépondreSupprimercoucou Ligeia ,j'ai lu l’apocalypse que j'ai trouver très intéressant bon je n'ai pas tous compris il faudra que je relise et que j’étudie un peu plus,maintenant j'attaque ton article en attendant la vidéo de ror.
SupprimerSalut Marg !
SupprimerNe t'étonne pas de ne pas avoir tout compris, c'est le contraire qui aurait été surprenant ! lol
Cela fait des siècles que certains travaillent sur ce texte et il y a autant d'explications que d'individus.... ;-)
La seconde partie du Mahdi incessamment... ;-)